Qu'est-il arrivé à la Bibliothèque d'Alexandrie ?

Article

Brian Haughton
de , traduit par Jerome Couturier
publié le 01 février 2011
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Disponible dans ces autres langues: anglais, indonésien, espagnol, Turc

Autrefois plus grande bibliothèque du monde antique, contenant les œuvres des plus grands penseurs et écrivains de l'Antiquité, dont Homère, Platon, Socrate et bien d'autres, la Bibliothèque d'Alexandrie, ville du nord de l'Égypte, aurait été détruite dans un gigantesque incendie il y a environ 2 000 ans, et ses œuvres imposantes auraient été perdues.

Depuis sa destruction, cette merveille du monde antique a hanté l'imagination des poètes, des historiens, des voyageurs et des universitaires, qui déplorèrent cette perte tragique de la connaissance et de la littérature. Aujourd'hui, l'idée d'une ‘Bibliothèque Universelle’ située dans une ville célébrée comme le centre du savoir du monde antique a atteint un niveau mythique.

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Le mystère s’est perpétué du fait qu'aucun vestige architectural ou aucune découverte archéologique pouvant être attribué avec certitude à l'ancienne Bibliothèque ne fut jamais retrouvé, ce qui est surprenant pour une structure aussi célèbre et imposante. Ce manque de traces physiques a même amené certains à se demander si la fabuleuse Bibliothèque a réellement existé sous la forme communément imaginée.

Harbour & Lighthouse of Alexandria
Port et Phare d'Alexandrie
Mohawk Games (Copyright)

Alexandrie Antique

Autrefois emplacement de l'énorme phare de Pharos, l'une des Sept Merveilles du Monde antique, le port méditerranéen d'Alexandrie fut fondé par Alexandre le Grand vers 330 av. JC. Comme de nombreuses autres villes de son empire, celle-ci prit son nom. Après sa mort en 323 av. JC, l'empire d'Alexandre fut laissé aux mains de ses généraux. Ptolémée Ier Soter prit l'Égypte et fit d'Alexandrie sa capitale en 320 av. JC. Jadis petit village de pêcheurs sur le delta du Nil, Alexandrie devint le siège des souverains ptolémaïques d'Égypte et se développa en un grand centre intellectuel et culturel, peut-être la plus grande ville du monde antique.

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Origines de la Bibliothèque Antique

DÉMÉTRIOS ORGANISA LA CONSTRUCTION DU ‘TEMPLE DES MUSES’ OU ‘MUSEUM’, D'OÙ EST DÉRIVÉ NOTRE MOT ‘MUSÉE’.

La fondation de la Bibliothèque d'Alexandrie, en fait deux ou plusieurs bibliothèques, est obscure. On pense qu'aux alentours de 295 av. JC, le philosophe et orateur Démétrios de Phalère, gouverneur d'Athènes en exil, convainquit Ptolémée Ier Soter de créer la Bibliothèque. Démétrios envisageait une bibliothèque qui abriterait une copie de tous les livres du monde, une institution qui rivaliserait avec celles d'Athènes elle-même. Par la suite, avec l'appui de Ptolémée Ier, il organisa la construction du ‘Temple des Muses’ ou ‘Museum’, d'où vient notre mot ‘musée’. Cette structure était un complexe de sanctuaire inspiré du Lycée d'Aristote à Athènes, un centre d'enseignement et de discussions intellectuelles et philosophiques.

Le Temple des Muses devait être la première partie du complexe de la Bibliothèque d'Alexandrie, situé dans l'enceinte du Palais Royal, dans le Bruchion ou quartier du palais, dans le secteur grec de la ville. Le musée était un centre de culte avec des sanctuaires pour chacune des neuf muses, mais il fonctionnait également comme un lieu d'étude avec des salles de cours, des laboratoires, des observatoires, un jardin botanique, un zoo, des quartiers d'habitation et des réfectoires, ainsi que la Bibliothèque elle-même. Un prêtre choisi par Ptolémée Ier lui-même était administrateur du Musée. Il y avait aussi un bibliothécaire distinct, chargé de la collection de manuscrits. Au cours de son règne, de 282 à 246 av. JC, Ptolémée II Philadelphe, fils de Ptolémée Ier Soter, créa la ‘Bibliothèque Royale’, pour compléter le Temple des Muses mis en place par son père.

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Il n'est pas clair si la Bibliothèque Royale, qui devait devenir la principale bibliothèque de manuscrits, était un bâtiment séparé, situé à côté du Musée, ou si elle en était une extension. Cependant, il y a un consensus pour penser que la Bibliothèque Royale faisait partie du Temple des Muses.

Ptolemy II Philadelphus Founds the Library of Alexandria
Ptolémée II Philadelphe fonde la bibliothèque d'Alexandrie
Vincenzo Camuccini (Public Domain)

L'idée de la Bibliothèque Universelle semble avoir pris forme sous le règne de Ptolémée II. Le Musée abritait apparemment plus de 100 savants, dont la tâche consistait à mener des recherches scientifiques, à donner des conférences, à publier, à traduire, à copier et à collecter non seulement des manuscrits originaux d'auteurs grecs (dont la collection privée d'Aristote lui-même, semble-t-il), mais aussi des traductions d'œuvres d'Égypte, d'Assyrie, de Perse, ainsi que des textes bouddhiques et des écritures hébraïques.

On raconte que la soif de savoir de Ptolémée III, fils de Ptolémée II, était si grande qu'il décréta que tous les navires accostant dans le port devaient remettre leurs manuscrits aux autorités. Des copies étaient alors réalisées par des scribes officiels et remises aux possesseurs d’origine, les originaux étant conservés dans la Bibliothèque.

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On cite souvent le chiffre d'un demi-million de documents à l'apogée de la Bibliothèque antique, bien qu'il ne soit pas clair s'il s'agit du nombre de volumes ou du nombre de rouleaux de papyrus. Cependant, étant donné que de nombreux rouleaux de papyrus étaient nécessaires pour constituer un livre entier, il est plus probable qu'il s'agisse du nombre de rouleaux. Même si le nombre de 500 000 rouleaux fut considéré comme trop élevé par certains chercheurs, car la construction d'un bâtiment avec une telle quantité d'espace de stockage aurait été une entreprise énorme, il n’est pas impossible. Néanmoins, sous le règne de Ptolémée II, la collection de la Bibliothèque Royale devint si importante qu'une bibliothèque annexe fut créée. Cette bibliothèque était située dans l'enceinte du temple de Sérapis, dans le quartier égyptien de Rhakotis, dans la partie sud-est de la ville. Sous la direction de l'écrivain grec Callimaque (vers 305-240 av. JC), la bibliothèque annexe contenait 42 800 rouleaux, tous étant des copies de ceux de la bibliothèque principale.

Ancient Library
Bibliothèque Antique
Mohawk Games (Copyright)

Incendie de la Grande Bibliothèque ?

La tristement célèbre destruction par le feu de la Bibliothèque d'Alexandrie, qui entraîna la perte de la collection la plus complète de littérature antique jamais réunie, a fait l'objet de débats animés depuis des siècles. Que s'est-il passé exactement dans cette étonnante réserve de connaissance antique, et qui fut responsable de son incendie? En fait, il est probable que 'la plus grande catastrophe du monde antique' n'ait jamais eu lieu à l'échelle habituellement évoquée.

Le principal suspect de la destruction de la Bibliothèque d'Alexandrie est Jules César. On raconte que lorsque César occupa la ville en 48 av. JC, il se retrouva dans le Palais Royal, encerclé par la flotte égyptienne dans le port. Pour sa sécurité, il demanda à ses hommes de mettre le feu aux navires égyptiens, et le feu devint incontrôlable et se propagea aux parties de la ville les plus proches du rivage qui comprenaient des entrepôts, des dépôts et quelques arsenaux.

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APRÈS LA MORT DE JULES CÉSAR, ON CRUT GÉNÉRALEMENT QUE C'ÉTAIT LUI QUI AVAIT DÉTRUIT LA BIBLIOTHÈQUE.

Après la mort de César, on crut généralement que c'était lui qui avait détruit la Bibliothèque. Le philosophe et dramaturge romain Sénèque, citant l'Histoire Romaine de Tite-Live, écrite entre 63 av. JC et 14 de notre ère, affirme que 40 000 rouleaux furent détruits dans l'incendie déclenché par César. L'historien grec Plutarque (mort en 120 de notre ère) mentionne que l'incendie détruisit ‘la Grande Bibliothèque’, et l'historien romain Dion Cassius (c. 165-235 de notre ère) mentionne qu'un entrepôt de manuscrits fut détruit pendant la conflagration.

Dans son livre La Véritable Histoire de la Bibliothèque d’Alexandrie, Luciano Canfora interprète les témoignages des auteurs anciens en indiquant la destruction de manuscrits stockés dans des entrepôts près du port en attente d'être exportés, plutôt que celle de la Grande Bibliothèque elle-même. Le grand savant et philosophe stoïcien Strabon travaillait à Alexandrie en 20 av. JC, et ses écrits montrent clairement que la Bibliothèque n'était pas à cette époque le centre d'enseignement de renommée mondiale qu'elle avait été dans les siècles précédents. En fait, Strabon ne mentionne pas de bibliothèque en tant que telle, mais il évoque le Museum, qu'il décrit comme ‘une partie du Palais Royal’. Il poursuit en disant qu'"il comprend le passage couvert, l'exèdre ou portique, et une grande salle dans laquelle les membres érudits du Musée prennent leurs repas en commun".

Si la Grande Bibliothèque était effectivement rattachée au Musée, Strabon n'avait évidemment pas besoin de la mentionner séparément. Plus important sans doute, s'il était là en 20 av. JC, c'était que la Bibliothèque n'avait manifestement pas été incendiée par César 28 ans auparavant. L'existence de la Bibliothèque en 20 av. JC, bien que sous une forme beaucoup moins complète, signifie que nous devons chercher quelqu'un d'autre que César comme auteur de la destruction de la merveille antique d'Alexandrie.

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Posthumous bust of Caesar
Buste Posthume de César
Carole Raddato (CC BY-SA)

En 391 de notre ère, dans le cadre de sa tentative d'éradiquer le paganisme, l'empereur Théodose Ier sanctionna officiellement la destruction du Serapeum, ou Temple de Sérapis, à Alexandrie. La destruction du Temple eut lieu sous le règne de Théophile, évêque d'Alexandrie, et une église chrétienne fut ensuite construite sur le site. On émit l'hypothèse que la bibliothèque annexe du Museum, située près du Temple, et la Bibliothèque Royale furent également rasées à cette époque. Cependant, même s'il est plausible que des manuscrits de la bibliothèque du Serapeum aient été détruits lors de cette purge, rien ne prouve que la Bibliothèque Royale existait encore à la fin du 4ème siècle. Aucune source antique ne mentionne la destruction d'une quelconque bibliothèque à cette époque, bien que l'historien anglais du 18ème siècle Edward Gibbon l'attribue par erreur à l'évêque Theophile.

Le dernier auteur suggéré du crime est le calife Omar. En 640 de notre ère, les Arabes, sous la direction du général Amr ibn al-Ass, prirent Alexandrie après un long siège. Selon l'histoire, les Arabes conquérants avaient entendu parler d'une magnifique bibliothèque contenant toutes les connaissances du monde et étaient impatients de la voir. Mais le calife, indifférent à cette vaste collection de savoirs, aurait déclaré à propos des ouvrages: "Soit ils contredisent le Coran, auquel cas ils sont hérétiques, soit ils sont en accord avec lui, et alors ils sont superflus".

Les manuscrits furent ensuite rassemblés et utilisés comme combustible pour les 4 000 bains publics de la ville. En fait, il y avait tellement de manuscrits qu'ils permirent de chauffer les bains d'Alexandrie pendant six mois. Ces faits incroyables furent écrits 300 ans après l'événement supposé par l’érudit chrétien Gregorios Bar Hebraeus (1226-1286). Cependant, s'il est possible les Arabes aient pu détruire une bibliothèque chrétienne à Alexandrie, il est presque certain qu'au milieu du 7ème siècle, la Bibliothèque Royale n'existait plus. Ceci apparaît clair du fait qu'aucune mention n'est faite d'un tel événement catastrophique par des écrivains contemporains tels que le chroniqueur chrétien Jean de Nikiou, le moine et écrivain byzantin Jean Moschus, ou le Patriarche de Jérusalem, Sophrone, .

Rachel Weisz as Hypatia of Alexandria
Rachel Weisz en Hypatie d'Alexandrie
Focus Features, Newmarket Films, Telecinco Cinema (Copyright, fair use)

L’Instable Alexandrie

Tenter d'identifier un unique incendie dévastateur qui aurait détruit la Grande Bibliothèque et l'ensemble de ses collections est une tâche vaine. Alexandrie était une ville souvent instable, surtout pendant la période romaine, comme en témoignent l'incendie des navires par César et le violent conflit entre les forces d'occupation de la reine Zénobie de Palmyre et l'empereur romain Aurélien en 270-71 de notre ère. Aurélien finit par reprendre la ville pour Rome aux armées de Zénobie, mais après que de nombreuses parties d'Alexandrie aient été dévastées, et que le quartier du Bruchion, où se trouvaient le palais et la Bibliothèque, ait apparemment été 'transformé en désert'.

La ville fut à nouveau saccagée quelques années après par l'Empereur romain Dioclétien. Ces destructions répétées étalées sur plusieurs siècles, ainsi que la négligence du contenu de la Bibliothèque en fonction des opinions et des affiliations des gens, signifient que la ‘catastrophe’ qui mit fin à l'ancienne Bibliothèque d'Alexandrie fut graduelle, s’étalant sur une période de quatre ou cinq cents ans.

Le dernier directeur connu de la Grande Bibliothèque fut l'érudit et mathématicien Théon (c. 335-405 de notre ère), père de la philosophe Hypatie, brutalement assassinée par une foule chrétienne à Alexandrie en 415 de notre ère. Peut-être découvrira-t-on un jour, dans les déserts d'Égypte, des rouleaux de papyrus qui appartenaient autrefois à la Grande Bibliothèque. De nombreux archéologues pensent que les bâtiments qui composaient jadis le légendaire lieu de savoir de l'Alexandrie antique, s'ils ne sont pas ensevelis sous la métropole moderne, pourraient encore survivre relativement intacts quelque part dans la partie nord-est de la ville.

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Traducteur

Jerome Couturier
Je suis médecin, spécialisé en Génétique. J'aime l'Histoire et l'Antiquité depuis mon plus jeune âge. J'ai toujours eu un interêt pour la recherche dans divers domaines scientifiques, dont l'archéologie.

Auteur

Brian Haughton
Auteur et chercheur de livres sur les civilisations et monuments antiques, les sites sacrés et le folklore surnaturel. Archéologue qualifié avec un BA (Hons) de l'Université de Nottingham et un MPhil en archéologie grecque de l'Université de Birmingham.

Citer cette ressource

Style APA

Haughton, B. (2011, février 01). Qu'est-il arrivé à la Bibliothèque d'Alexandrie ? [What happened to the Great Library at Alexandria?]. (J. Couturier, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-207/quest-il-arrive-a-la-bibliotheque-dalexandrie/

Style Chicago

Haughton, Brian. "Qu'est-il arrivé à la Bibliothèque d'Alexandrie ?." Traduit par Jerome Couturier. World History Encyclopedia. modifié le février 01, 2011. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-207/quest-il-arrive-a-la-bibliotheque-dalexandrie/.

Style MLA

Haughton, Brian. "Qu'est-il arrivé à la Bibliothèque d'Alexandrie ?." Traduit par Jerome Couturier. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 01 févr. 2011. Web. 25 avril 2024.

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