Ordalie de Marduk

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 14 décembre 2016
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Disponible dans ces autres langues: anglais, chinois, italien

L'Ordalie de Marduk (ou Prophétie de Marduk) est un document assyrien datant de 713 à 612 avant notre ère, trouvé dans un bâtiment connu sous le nom de Maison de l'Exorciste, adjacent à un temple de la ville d'Assur. Il relate les voyages de la statue du dieu babylonien Marduk depuis sa ville natale jusqu'aux terres des Hittites, des Assyriens et des Élamites et prophétise son retour aux mains d'un puissant roi babylonien. L'œuvre originale a presque certainement été écrite sous le règne de Nabuchodonosor Ier (1125-1104 av. J.-C.) en tant que texte de propagande. Nabuchodonosor Ier vainquit les Élamites et ramena la statue à Babylone, et l'œuvre fut très probablement commandée pour célébrer sa victoire.

L'auteur aurait construit le récit de manière à situer les événements dans le passé afin de permettre une "vision prophétique" dans laquelle le roi actuel viendrait rétablir la paix et l'ordre dans la ville en ramenant la statue du dieu. Cette forme de narration était courante dans le genre connu aujourd'hui sous le nom de littérature mésopotamienne Naru, où les événements historiques ou les individus étaient traités avec une licence poétique afin de faire passer un message. Dans une œuvre comme La malédiction d'Akkad, par exemple, le roi historique Naram-Sin (2261-2224 av. J.-C.), connu pour sa piété, est présenté comme impie dans le but d'illustrer la relation correcte entre un monarque et les dieux. Si un roi aussi grand que Naram-Sin d'Akkad peut manquer à sa piété et être puni, combien plus une personne de moindre stature peut-elle l'être ? Dans La Prophétie de Marduk, les événements sont placés loin dans le passé afin que l'auteur puisse "prédire" le moment où un roi babylonien rendra à Marduk la place qui lui revient. Cette pièce traite donc également de la responsabilité d'un monarque envers son dieu.

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Stone Monument of Esarhaddon
Monument en pierre d'Assarhaddon
Osama Shukir Muhammed Amin (Copyright)

En lisant le texte, on reconnaît facilement les qualités mythiques et les thèmes politiques - comme la statue de Marduk exprimant sa satisfaction pour les terres des Hattis et des Assyriens - tous deux considérés comme des alliés ou même des proches - mais son dégoût pour la terre d'Élam - un ennemi traditionnel de Babylone - mais on est également conscient que l'œuvre s'inspire d'événements historiques réels. Le retrait de la statue d'un dieu d'une ville conquise était une pratique courante et était considéré comme une perte dévastatrice pour les vaincus. C'était vrai pour tous les dieux de toutes les cités, mais plus encore pour Marduk et Babylone, en raison de leurs réputations respectives.

Marduk, roi des dieux

Dans la mythologie mésopotamienne, Marduk était le fils d'Enki (également connu sous le nom d'Ea ou d'Aya), le dieu de la sagesse, qui fut élevé au rang de roi lors d'une grande bataille entre les forces des anciens dieux et celles de leurs enfants. Selon l'Enūma eliš (alias l'Épopée de la Création), l'univers était à l'origine un chaos aqueux jusqu'à ce qu'il ne se divise en eau douce (connue sous le nom d'Apsû, le principe masculin) et en eau salée (connue sous le nom de Tiamat, le principe féminin). Apsû et Tiamat donnèrent ensuite naissance aux autres dieux qui, n'ayant pas grand-chose à faire, s'occupèrent du mieux qu'ils purent.

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Mesopotamian Epic of Creation Tablet
Tablette Mésopotamienne de l'Épopée de la Création
Osama Shukir Muhammed Amin (Copyright)

Avec le temps, les frasques de ses enfants commencèrent à agacer Apsû qui décida, sur les conseils de son vizir, de les tuer. Tiamat, apprenant la nouvelle, révéla le complot à Enki, qui passa le premier, endormit profondément son père et le tua. Tiamat, horrifiée, leva une armée pour détruire ses enfants. Menées par son consort Quingu, les forces de Tiamat furent victorieuses à chaque combat. Les jeunes dieux furent repoussés jusqu'à ce que Marduk ne se présente lors d'un conseil et annonce qu'il les mènerait à la victoire s'ils faisaient de lui leur roi. Une fois qu'ils eurent accepté, il vainquit Quingu (qui serait exécuté plus tard) et tua Tiamat d'une grande flèche qui la fendit en deux.

Après avoir vaincu les forces du chaos, Marduk entreprit de créer le monde, d'ordonner les cieux et de former une nouvelle créature appelée être humain. Les humains devaient collaborer avec les dieux pour contenir les forces du chaos et maintenir l'ordre dans le monde. Ainsi, tous les humains étaient des enfants de Marduk qui travaillaient pour accomplir sa volonté. L'histoire de Marduk devint si populaire qu'il fut reconnu comme le dieu suprême. L'expert Jeremy Black note que "le culte de Marduk, dans sa forme la plus extrême, a été comparé au monothéisme, bien qu'il n'ait jamais conduit à la négation de l'existence d'autres dieux" (129). Marduk était donc extrêmement important pour les habitants de la Mésopotamie, mais surtout pour ceux de la ville de Babylone.

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L'importance de Marduk pour Babylone

Marduk devint la divinité protectrice de Babylone sous le règne de Hammurabi (1792-1750 av. J.-C.) et continua à être vénéré dans la ville jusqu'à l'époque de la domination perse, jusqu'à la destruction de Babylone vers 485 av. J.-C. par Xerxès le Grand. La fête du Nouvel An (connue sous le nom de fête d'Akitu) ne pouvait être célébrée lorsque la statue du dieu était absente de la ville, car on pensait que cela symbolisait le départ de la présence du dieu réel. On pensait que Marduk vivait dans son temple au centre de la ville, tout comme les dieux des autres villes vivaient dans le leur. Lorsque la statue d'un dieu était retirée, la protection qu'il offrait était également perdue. La Prophétie de Marduk relate le genre de situation qui se produit lorsqu'un dieu quitte ou est enlevé d'une ville :

les cadavres des gens bloquaient les portes, le frère dévorait son frère, l'ami, de son arme, abattait son ami, les riches portaient la main sur les pauvres, les entraves paralysaient le pays, des rois (incapables ?) amoindrissaient le pays, les lions interdisaient tout voyage, les chiens (étaient enragés ?) et mordaient les gens: ceux qu'ils mordaient ne guérissaient pas et mouraient.

L'expert Marc van de Mieroop commente cette situation en écrivant :

L'absence de la divinité protectrice de sa ville provoquait de grandes perturbations dans le culte (de cette divinité et de la ville en général). L'absence de la divinité n'était pas toujours métaphorique, mais souvent le résultat du vol de la statue du culte par des ennemis qui faisaient des raids. Les statues divines étaient souvent emportées par les vainqueurs lors des guerres afin d'affaiblir le pouvoir des cités vaincues. Les conséquences étaient si graves que la perte de la statue méritait d'être consignée dans les textes historiographiques. Lorsque la statue de Marduk n'était pas présente à Babylone, la fête du Nouvel An, cruciale pour toute l'année cultuelle, ne pouvait être célébrée. (48)

Babylone fut saccagée par le souverain assyrien Sennachérib (705-681 av. J.-C.) en 689 av.J.-C., après que Sennachérib ait auparavant rejeté Marduk en tant que dieu de la ville, ainsi que le rituel consistant à "prendre la main" du dieu lorsqu'il se proclama roi de Babylone. Lorsqu'il fut assassiné par ses fils en 681 av. J.-C., on considéra qu'il s'agissait d'un châtiment de Marduk pour l'insulte faite à lui-même et à sa ville. Le successeur de Sennachérib, Esarhaddon (681-669 av. J.-C.), se donna beaucoup de mal pour se distancer de son père en reconstruisant la ville et en honorant Marduk avec un temple encore plus grand, la grande ziggourat de Babylone (modèle de la Tour de Babel biblique) où, selon Hérodote, le peuple croyait que le dieu lui-même descendait des cieux pour s'accoupler avec des vierges spécialement choisies qui vivaient au niveau supérieur.

The Tower of Babel
La tour de Babel
Classic Art Wallpapers (CC BY-SA)

Les affirmations d'Hérodote mises à part, cependant, les habitants de la ville considéraient que Marduk résidait dans son temple, et non dans les cieux. Lors de la fête du Nouvel An, sa statue défilait dans les rues et se rendait dans une petite maison au-delà des murs, où il pouvait profiter d'une vue différente et d'un peu d'air frais. Marduk n'était pas une divinité lointaine, située sur un plan supérieur, mais il était instantanément accessible et toujours disponible pour le peuple. Ce fut donc particulièrement difficile pour les Babyloniens lorsque leur protecteur et ami leur fut enlevé.

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Les voyages de Marduk

La prophétie de Marduk ne donne pas de calendrier précis des événements, mais on sait maintenant, grâce à d'autres sources, quand certaines invasions eurent lieu et quand la statue du dieu fut emportée. En outre, l'ouvrage ne suit pas le sort de la statue après son retour à Babylone d'Élam. Un calendrier des voyages de Marduk irait de la première prise de la statue par les Hittites jusqu'à sa destruction finale par les Perses de Xerxès, et cette histoire ultérieure est fournie par les auteurs grecs. Le voyage de la statue de Marduk suivrait ces dates approximatives :

c. 1595 av. J.-C. - Mursili Ier des Hittites emporta la statue au pays des Hattis après avoir saccagé Babylone.

c. 1344 av. J.-C. - Le roi hittite Suppiluliuma Ier renvoya peut-être la statue à Babylone en guise de geste de bonne volonté dans le cadre d'échanges commerciaux (hypothèse).

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1225 av. J.-C. - Tukulti Ninurta Ier d'Assyrie saccagea Babylone et ramena la statue à Assur.

Bien qu'il ait été suggéré que la ville d'Assur ait été mise à sac après la mort de Tukulti Ninurta Ier en 1208 avant notre ère, cela semble peu probable. La prochaine fois que la statue est mentionnée, elle est entre les mains de Shutruk Nakhunte d'Élam qui l'a très probablement prise dans la ville de Sippar où elle avait été déplacée à un moment donné.

c. 1150 av. J.-C. - Shutruk Nakhunte, roi d'Élam, acquit la statue lors du sac de Sippar. Dans son inscription, Shutruk Nakhunte se vante d'avoir détruit Sippar, une ville proche de Babylone, et d'avoir emporté de nombreux biens de valeur religieuse et culturelle - dont la stèle du grand Naram-Sin - il est donc probable que la statue ait fait son chemin jusqu'à Sippar.

1125-1104 av. J.-C. - Règne de Nabuchodonosor Ier qui vainquit les Élamites et ramena la statue à Babylone.

705-689 av. J.-C. - La statue resta à Babylone sous le règne de Sennachérib d'Assyrie jusqu'à ce qu'il ne saccage la ville en 689 av. J.-C. et ne déplace la statue, probablement à Ninive.

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681-669 av. J.-C. - Esarhaddon, le fils de Sennachérib, reconstruisit Babylone, rendit la statue et honora Marduk avec un nouveau temple.

668-627 av. J.-C. - Règne d'Assurbanipal, fils d'Esarhaddon, au cours duquel la statue resta à Babylone.

c. 634 - c. 562 av. J.-C. - Règne de Nabuchodonosor II au cours duquel les rues furent élargies afin de faciliter la parade de la statue de Marduk les jours de fête et surtout au Nouvel An lorsqu'elle était transportée par la porte d'Ishtar jusqu'à la maison spéciale.

Model of the Ishtar Gate
Modèle de la porte d'Ishtar
Gryffindor (CC BY-SA)

c. 539 - Babylone fut conquise par Cyrus le Grand de Perse. Cyrus avait un grand respect pour la ville et son dieu. Une inscription sur un tonneau d'argile dans la tombe de Cyrus justifie son assaut sur Babylone et raconte que Marduk était de son côté et qu'il devait être loué pour sa victoire. La conquête de Babylone est justifiée par le fait que Cyrus affirme que le roi avait oublié les louanges dues à Marduk et était inapte à gouverner.

c. 485 av. J.-C. - Babylone se révolta contre la domination perse et Xerxès Ier le Grand détruisit la ville en représailles, faisant fondre la statue en or de Marduk.

La fiabilité des sources

Comme nous l'avons vu, la prophétie de Marduk est une fiction historique créée pour célébrer la victoire de Nabuchodonosor Ier sur les Élamites. Les sources qui retracent le destin de la statue après son retour à Babylone sont de nature historique, mais les deux principaux auteurs - Hérodote et Diodore de Sicile - furent tous deux critiqués pour les inexactitudes commises et les fables racontées dans leurs œuvres respectives. Les récits d'Hérodote sur Babylone ont semblé suspects aux lecteurs dès son époque, et c'est à Diodore que l'on doit la description élaborée des jardins suspendus de Babylone, dont les spécialistes pensent aujourd'hui qu'ils se trouvaient à Ninive, si tant est qu'ils aient jamais existé. Ces deux auteurs étaient farouchement anti-perses, et l'histoire d'un roi perse détruisant la statue d'un dieu pour donner une leçon aux habitants d'une ville qu'il venait de raser aurait parfaitement servi leurs objectifs respectifs en dépeignant les Perses comme insensibles, brutaux et impies.

LA PROPHÉTIE DE MARDUK N'EST PAS TANT PERTINENTE SUR LE PLAN HISTORIQUE QUE POUR COMPRENDRE LA GRANDE VALEUR QUE LES HABITANTS D'UNE VILLE ACCORDAIENT À LEUR DIVINITÉ PROTECTRICE.

Le sort final de la statue de Marduk, selon les auteurs grecs, pourrait donc être suspect si ce n'est qu'il n'y a plus aucune mention de la statue dans aucune source après l'assaut de Xerxès sur Babylone et qu'aucun auteur ancien ne contredit le récit d'Hérodote. Babylone fut prise par Alexandre le Grand lorsqu'il conquit l'Empire perse en 331 av. J-C, et aucune mention n'est faite de la statue, pas plus qu'elle n'est mentionnée dans les récits ultérieurs. Il semblerait donc qu'Hérodote et Diodore aient eu raison dans leurs conclusions, à moins qu'une source non encore découverte ne présente une histoire différente.

L'Ordalie de Marduk n'est pas tant pertinente en tant qu'histoire que pour comprendre la grande valeur que les habitants d'une cité accordaient à leur divinité protectrice. Marduk n'était pas seulement un être invisible et éthéré que l'on priait en cas de besoin ou que l'on louait en cas d'abondance, mais un ami proche et un voisin qui vivait juste en bas de la rue. De même que l'on serait aujourd'hui affligé de découvrir que l'on a perdu un ami proche, les Babyloniens de l'Antiquité furent accablés lorsque la statue de leur dieu leur fut enlevée.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2016, décembre 14). Ordalie de Marduk [The Marduk Prophecy]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-990/ordalie-de-marduk/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Ordalie de Marduk." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le décembre 14, 2016. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-990/ordalie-de-marduk/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Ordalie de Marduk." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 14 déc. 2016. Web. 26 avril 2024.

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