Xénophane, Poète Visionnaire et Philosophe

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 18 janvier 2012
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Disponible dans ces autres langues: anglais

Xénophane de Colophon (c. 570-c.478 av. J.-C.) est connu comme l'un des philosophes présocratiques de la Grèce antique, ainsi nommés parce qu'ils ont précédé Socrate (c. 470/469-399 av. J.-C.), reconnu comme le père de la philosophie occidentale. Les présocratiques lancèrent la recherche philosophique dans la Grèce antique à partir du 6e siècle avant notre ère avec Thalès de Milet (c. 585 av. J.-C.) qui est considéré comme le premier à avoir posé la question suivante: "Quelle est la substance fondamentale de l'univers ? (Baird, 8). En posant cette question, Thalès s'écartait de la conception culturelle selon laquelle les dieux avaient créé le monde et l'entretenaient. Thalès semble avoir cru qu'il existait une autre réponse, naturelle, à la création du monde et à son fonctionnement.

Thalès affirmait que la cause première de l'existence était l'eau parce qu'elle pouvait prendre différentes formes de matière (chauffée, elle devenait de la vapeur, gelée, elle devenait de la glace). Ses recherches incitèrent son élève Anaximandre (c. 610-546 av. J.-C.) à poursuivre dans la même voie. Anaximandre pensait que la cause première était l'apeiron, une force créatrice cosmique qui réunissait continuellement les opposés pour créer de nouvelles formes. Ses efforts inspirèrent Anaximène, peut-être son élève, qui suggéra que l'air était la Cause première car il entretenait la vie et, comme l'eau, était également capable de prendre différentes formes.

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Par cette progression, les présocratiques passèrent d'une recherche sur la force (ou la matière) à l'origine de l'existence à une exploration plus large et plus profonde de la meilleure façon de vivre sa vie, illustrée par les œuvres de Platon (428/427-348/347 av. J.-C.) et de son élève Aristote (384-322 av. J.-C.), qui jetèrent les fondements de la philosophie occidentale.

Les contributions de tous les présocratiques finirent par trouver leur place dans les visions de Platon et d'Aristote mais, en dehors de la forme finale de la philosophie grecque antique, elles méritent d'être étudiées en tant que telles. L'un des penseurs les plus novateurs et les plus imaginaires fut le visionnaire Xénophane de Colophon, qui fut le premier d'entre eux à suggérer que la compréhension culturelle des dieux de la Grèce était erronée et qu'il n'y avait qu'un seul Dieu, différent de tout ce que les humains pouvaient concevoir, qui avait créé le monde et lui permettait de continuer à fonctionner comme il le faisait.

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Jeunesse et poésie

Xénophane voyagea et écrivit beaucoup, mais tout ce qui subsiste de son œuvre, ce sont les fragments conservés dans les écrits de philosophes et d'historiens ultérieurs. Connu principalement comme le premier des philosophes présocratiques à postuler l'existence d'un Dieu unique, différent des humains à tous égards, Xénophane avait aussi le don du poète, capable de saisir l'énormité d'une expérience ou d'un concept en images simples et en peu de mots.

La plupart des fragments qui suivent ont trait aux dieux tels qu'ils étaient imaginés par les contemporains de Xénophane et, en eux, on reconnaît un écrivain et un philosophe d'un bon sens et d'une clarté infinis. Rejetant les idées populaires de l'époque selon lesquelles les dieux immortels étaient aussi capables de violer et de voler que les plus vils des humains, Xénophane espérait élever la vision de ses voisins en présentant un Dieu au-dessus de toutes les choses humaines et, surtout, supérieur aux pires impulsions de la nature humaine.

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Xenophanes of Colophon
Xénophane de Colophon
Unknown Artist (Public Domain)

Quittant sa ville natale de Colophon à l'âge de 25 ans, Xénophane continua à voyager et à écrire jusqu'à l'âge de 92 ans. On pense qu'il dut produire une œuvre impressionnante pendant cette période, non seulement en raison de sa longue vie, mais aussi parce qu'il déclara expressément que ses écrits perdureraient à travers les générations futures "et ne mourront jamais tant que le genre grec des chansons survivra". La plus grande partie de cette œuvre, comme nous l'avons vu, a été perdue, mais les morceaux qui subsistent comptent parmi les plus belles pièces de la poésie grecque ancienne. Le fragment 22 en est un bon exemple :

Voici ce qu'il est bon de dire près du feu, par un temps d'hiver, couché sur un lit moelleux, n'ayant plus faim, buvant du vin doux et grignotant des pois : « De quel pays es-tu ? quel âge as-tu, mon ami ? et quel âge avais-tu quand le Mède est survenu ? » (Remacle)

On pense que le fragment 22 fait référence à l'invasion de l'Ionie par les Mèdes en 546/5 avant notre ère qui entraîna le déplacement de nombreuses personnes et détruisit d'innombrables vies. Il fut également interprété comme faisant référence à l'invasion perse de la Grèce en 480 avant notre ère par Xerxès Ier (r. de 486 à 465 av. J.-C.) de l'empire achéménide (c. 550-330 av. J.-C.), qui fut vaincu en 479 avant notre ère, mais au prix d'immenses pertes humaines. Les invasions mèdes et perses furent des événements catastrophiques dans la vie des Grecs qui les vécurent mais, plutôt que de se concentrer sur la tragédie évidente ou d'exalter les vertus de ceux qui étaient tombés, Xénophane, en une seule question, demanda à ses lecteurs de se souvenir de l'événement pour eux-mêmes. Comme chaque génération, dans n'importe quelle culture, a sa propre "invasion perse", ce fragment, comme beaucoup de ceux de Xénophane, résonne encore aujourd'hui.

Vision de Xénophane

Xénophane fut peut-être le fondateur de l'école moniste éléatique, attribuée à Parménide d'Élée (mort vers 485 av. J.-C.), qui fut peut-être son élève. Parménide affirmait que toute la réalité était constituée de la même essence essentielle, qu'elle était une et indivisible, et que ce que les gens considéraient comme un "changement" était une illusion due à la perception sensorielle. L'essence essentielle de tous les êtres vivants était uniforme, affirmait Parménide, et même si les hommes comprenaient la vie comme une série de changements, ceux-ci n'étaient que des apparences temporelles qui ne touchaient pas à la forme sous-jacente de ce qui constituait la réalité.

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Cela correspond à la vision de Xénophane, qui affirmait qu'il n'y avait qu'un seul Dieu, plus grand que toutes les visions anthropomorphiques des dieux de la Grèce, qui créait et maintenait toute sa création par l'opération de sa volonté. Le Dieu de Xénophane différait considérablement des dieux acceptés par les Grecs en ce qu'il semble avoir été compris comme un pur esprit, ou une raison, une entité intelligente dont l'éclat et l'énergie créatrice dépassaient de loin la capacité de l'esprit humain à l'appréhender.

Fragments de Xénophane

Comme nous l'avons indiqué, l'œuvre de Xénophane n'a pas survécu à l'ère moderne et il ne reste que des fragments que les érudits ont étudiés, avec ce que les écrivains ultérieurs ont rapporté de lui, pour reconstituer les événements de sa vie et sa philosophie. Les fragments suivants, qui ne figurent que dans une partie des œuvres existantes, sont extraits de l'ouvrage de Kathleen Freeman intitulé Ancilla to The Pre-Socratic Philosophers (Ancilla aux philosophes présocratiques) :

Il convient que les hommes qui se divertissent louent d'abord Dieu par des récits convenables et des paroles pures. Mais lorsqu'ils ont versé une libation et prié pour avoir le pouvoir de faire ce qui est juste - car prier est notre premier besoin - il n'est pas scandaleux de boire autant que ce qui vous permet de rentrer chez vous sans guide, à moins que vous ne soyez très âgé. Mais l'homme qu'il faut louer est celui qui, après avoir bu, exprime des pensées nobles, ainsi que sa mémoire et son effort, concernant la vertu, sans traiter des batailles des Titans ou des Géants, fantaisies de nos prédécesseurs, ni des guerres civiles violentes, dans lesquelles les récits n'ont rien d'utile ; mais en ayant toujours du respect pour les dieux, c' est bien (DK 1).

Homère et Hésiode ont tous deux attribué aux dieux toutes les choses honteuses et répréhensibles parmi les hommes: le vol, l'adultère et la tromperie mutuelle. Ils ont raconté toutes les mauvaises histoires possibles des dieux. Les mortels croient que les dieux sont nés et qu'ils ont leurs propres vêtements, leur propre voix et leur propre corps. Mais si les bœufs (et les chevaux) et les lions avaient des mains ou pouvaient dessiner avec des mains et créer des œuvres d'art comme celles des hommes, les chevaux dessineraient des dieux comme des chevaux, et les bœufs des dieux comme des bœufs, et ils feraient le corps de leurs dieux selon la forme que chaque espèce possède elle-même. Les Éthiopiens ont des dieux au nez retroussé et aux cheveux noirs, les Thraces ont des dieux aux yeux gris et aux cheveux roux (DK 10-16).

Il y a un dieu, le plus grand des dieux et des hommes, qui ne ressemble en rien aux mortels, ni par le corps ni par l'esprit. Il voit tout entier, pense tout entier et entend tout entier. Mais sans peine, il met tout en mouvement, par la pensée de son esprit. Il reste toujours à la même place, sans bouger, et il n'est pas convenable qu'il change de position à différents moments. Car tout vient de la terre et tout retourne finalement à la terre (DK 23-27).

Nous sommes tous issus de la terre et de l'eau (DK 33).

Et pour ce qui est de la vérité certaine, aucun homme ne l'a vue, et il n'y aura jamais d'homme qui connaisse les dieux et toutes les choses que je mentionne. Car s'il réussit pleinement à dire ce qui est tout à fait vrai, il l'ignore néanmoins lui-même, et l'opinion (apparente) est fixée par le destin sur toutes choses. Que ces choses ne soient énoncées que comme des conjectures, semblables à la réalité (DK 34-35).

Conclusion

L'affirmation de Xénophane selon laquelle il n'y a qu'un seul Dieu, au mépris du polythéisme reconnu de son époque, peut paraître surprenante, surtout si l'on considère que l'impiété dans la Grèce antique était considérée comme un crime passible de la peine de mort. Il semblerait que Xénophane ait évité les conflits avec les autorités religieuses en présentant sa philosophie sous une forme poétique et en formulant son concept de dieu unique de la manière suivante: "il y a un dieu, parmi les dieux et les hommes, le plus grand", ce qui laisse ouverte l'interprétation selon laquelle il faisait peut-être référence à Zeus, le roi des dieux de l'Olympe.

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Il est intéressant de se demander comment Xénophane parvint à la conclusion que la Cause première était une divinité unique, contrairement à la conception des dieux avec laquelle il avait grandi, ou pourquoi il s'écarta de la voie habituelle des philosophes présocratiques antérieurs qui soutenaient que la Cause première était un élément naturel ou une force cosmique. Il se pourrait, puisqu'on sait qu'il avait beaucoup voyagé, qu'il ait été exposé à la religion zoroastrienne de l'ancienne Perse, la première foi monothéiste au monde qui s'est établie et développée, et qui a ramené en Grèce le concept d'un dieu unique et tout-puissant.

Son affirmation concernant le dieu unique, peut-être en raison de la présentation poétique de cette affirmation, ne fut jamais développée dans la Grèce antique. La religion polythéiste des Grecs perdurerait jusqu'à l'avènement du christianisme qui en saperait les principes de base et la remplacerait comme système de croyance de la culture. Malgré cela, Xénophane est considéré comme un visionnaire pour avoir reconnu un paradigme complètement étranger à sa culture et à son expérience première, ainsi que pour le pouvoir de son imagination qui lui permit de dépasser les barrières culturelles et de réaliser des possibilités que ses contemporains ne pouvaient même pas concevoir.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2012, janvier 18). Xénophane, Poète Visionnaire et Philosophe [Xenophanes the Visionary Poet Philosopher]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-171/xenophane-poete-visionnaire-et-philosophe/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Xénophane, Poète Visionnaire et Philosophe." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le janvier 18, 2012. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-171/xenophane-poete-visionnaire-et-philosophe/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Xénophane, Poète Visionnaire et Philosophe." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 18 janv. 2012. Web. 27 avril 2024.

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