Thalès de Milet

Définition

Joshua J. Mark
de , traduit par Jerome Couturier
publié le 02 septembre 2009
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Disponible dans ces autres langues: anglais, espagnol
Thales of Miletus (by Peter Paul Rubens, Copyright)
Thalès de Milet
Peter Paul Rubens (Copyright)

Thalès de Milet (vers 585 av. JC) est traditionnellement considéré comme le premier philosophe et mathématicien occidental. Il naquit et vécut à Milet, colonie grecque située sur la côte ouest de l'actuelle Turquie, considérée comme le berceau de la philosophie grecque en raison du statut de premier philosophe de Thalès, titre qui lui fut attribué par les auteurs grecs postérieurs.

Le philosophe Aristote (384-322 av. JC) fut le premier à qualifier Thalès de ‘Premier Philosophe’ et cette déclaration fut acceptée car ses jugements étaient régulièrement considérés comme exacts. Aucune des œuvres de Thalès n'a survécu - ce que l'on sait de sa philosophie provient de fragments de ses oeuvres préservés par extraits rédigés par des auteurs postérieurs - mais tous s'accordent à dire qu'il fut le pionnier du mouvement intellectuel qui devait être connu plus tard comme la philosophie grecque.

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On dit qu'il prédit avec précision l'éclipse solaire du 28 mai 585 av. JC, et qu'il était connu comme astronome, mathématicien, homme d'état, ingénieur, et comme un sage. On dit que Thalès fut le premier à poser la question "Quelle est la substance fondamentale de l'univers ?" Selon Aristote, il déclara que la Cause première était l'eau, parce que, entre autres attributs, l'eau pouvait changer de forme et se déplacer, tout en restant immuable dans sa substance.

La recherche de Thalès sur la nature de la réalité et les causes premières a dû constituer un défi important pour la religion grecque antique, laquelle soutenait que le monde avait été créé par les dieux par des moyens surnaturels. Rien ne prouve cependant qu'il ait été persécuté pour ses travaux, au contraire, il semble avoir été très estimé.

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D'après les fragments de son œuvre qui ont survécu, il semble avoir été accepté et respecté par ses contemporains car il ne nia jamais l'existence des dieux, il proposa seulement un élément unique et premier qui pouvait être interprété comme celui avec lequel les dieux devaient avoir travaillé, l'eau étant déjà reconnue dans la cosmologie grecque comme l'élément entourant la terre sous la forme du fleuve Océanos.

Cependant, l'approche pragmatique et empirique de Thalès, qui dépouillait la création de ses aspects surnaturels pour se concentrer sur le monde observable, fut à l'origine de l'application de la pensée rationnelle qui fut ensuite poursuivie par d'autres (les philosophes présocratiques) jusqu'à son plein développement par Socrate (470/469-399 av. JC), Platon (428/427-348/347 av. JC) et Aristote (384-322 av. JC).

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Religion Grecque Primitive

Selon l'écrivain grec Hésiode (8ème siècle av. JC), dans sa Théogonie, le monde (sous la forme de la déesse Gaïa), émergea d'un chaos de néant tourbillonnant. Puis, la déesse se fécondant elle-même donna naissance au Ciel (le dieu Ouranos), qui la féconda ensuite et lui fit enfanter les Titans, six hommes et six femmes. Par la suite, Gaïa donna également naissance aux Cyclopes (êtres à œil unique) et aux Hécatonchires (êtres à cent mains) qui, déplaisant à Ouranos, furent jetés dans la sombre prison souterraine du Tartare.

Gaïa, outrée par les actions d'Ouranos, convainquit son fils Titan Cronos de le tuer, ce qu'il fit en castrant son père. Par la suite, craignant que la même chose ne lui arrive, Cronos avala chacun des enfants nés de sa sœur Rhéa, jusqu'à la naissance de son fils Zeus, qu'elle cacha en donnant à ingérer à Cronos une pierre enveloppée dans les couvertures du nouveau-né. Zeus grandit dans une grotte de l'île de Crète et, devenu adulte, revint renverser Cronos, le forçant à vomir les frères et sœurs aînés de Zeus, puis il le tua et s'établit comme roi des dieux. Lui et ses frères et sœurs régnèrent ensuite sur le monde, sorte de disque encerclé par les eaux de l'Océanos, depuis leur demeure sur le mont Olympe, après avoir créé l'humanité.

À l'époque de la naissance de Thalès, les histoires concernant les dieux anthropomorphes étaient devenues un système de croyance très développé dans lequel on pensait que ces dieux interagissaient avec les humains au quotidien, qu'ils étaient responsables de l'entretien et de la préservation du monde, et qu'ils s'intéressaient à la vie personnelle et aux choix éthiques de leurs créations humaines. Des temples furent érigés en l'honneur des différentes divinités du panthéon, un clergé fut développé et des rituels furent standardisés. Il n'y avait donc aucune raison de chercher une origine du monde, celle-ci étant clairement expliquée par la croyance religieuse.

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Thalès, Babylone et l'Égypte

L'une des éternelles questions concernant le développement de la pensée de Thalès était de savoir comment il avait été initialement inspiré, compte tenu du climat intellectuel dans lequel il avait été élevé. La philosophie ne se développe généralement que lorsque la religion ne parvient pas à répondre aux besoins des gens, et de toute évidence, c'était le cas de la religion primitive des Grecs. Il semble cependant que Thalès ait été inspiré dans ses recherches par ses études à Babylone. Les Babyloniens croyaient depuis longtemps que l'eau était le premier principe et la forme sous-jacente de l'existence, et Thalès aurait repris ce concept d’eux.

L'historien George G. M. James, quant à lui, dit que Thalès développa ses idées à partir des Égyptiens, avec lesquels il est également supposé avoir eu des contacts. James écrit :

L'histoire et la tradition ne disent rien sur comment Thalès arriva à ses conclusions, si ce n'est qu'Aristote tenta d'offrir son opinion comme raison: c'est-à-dire que Thalès dut être influencé par la considération de l'humidité des aliments, et basa sa conclusion sur une interprétation rationaliste du mythe d'Océanos. Ceci est cependant considéré comme une simple conjecture de la part d'Aristote. (55)

James suggère que Thalès reprit l'idée de l'eau comme premier principe directement de la religion égyptienne, qui soutenait que la terre avait émergé des mers primordiales du chaos. Le dieu Atoum (accompagné, dans certaines versions, du dieu Heka, de la déesse Neith, ou d'autres encore) se tint sur un petit tertre de terre connu nommé benben et créa le monde ordonné à partir de ce chaos liquide. James pourrait bien avoir raison en ce sens qu'il est tout à fait possible qu'un jeune intellectuel aisé comme Thalès ait étudié en Égypte ainsi qu'à Babylone, ou, tout aussi probablement, qu'il ait acquis sa connaissance du récit égyptien de la création auprès de Babyloniens qui commerçaient régulièrement avec l'Égypte.

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Il semble qu'aucun sujet n'ait échappé à Thalès mais, selon Aristote (dans sa Métaphysique), il s'intéressait principalement à la Cause première - celle dont tout le reste est issu - et déclarait que celle-ci était l'eau. Toutefois, comme nous l'avons vu, la culture de son époque ne permet pas de comprendre comment il arriva à cette conclusion. La majorité des chercheurs occidentaux rejettent les allégations d'influence égyptienne ou babylonienne et soutiennent que la pensée de Thalès était totalement originale et dérivée du paradigme grec ancien de l'univers, et que ceci forma l'interprétation standard des origines de la philosophie grecque, mais cette interprétation est peut être inexacte.

Aristote et les Autres sur Thalès

Quelle que soit la manière dont il parvint à ses conclusions, Thalès soutenait une vision pragmatique de la création du monde qui n'avait évidemment rien à voir avec les dieux. Il choisit l'eau comme premier principe parce qu'il remarqua que l'eau se transformait en vapeur lorsqu'elle était chauffée, tandis qu’elle devenait molle quand elle était compactée avec de la terre, et, si elle était suffisamment refroidie, elle devenait de la glace. L'eau était donc la forme sous-jacente de la réalité observable.

Selon Aristote et d'autres auteurs de l'Antiquité, Thalès était considéré comme un penseur original, car sa ‘théorie de l'eau' n'était pas très proche de l'idée de la mythologie grecque selon laquelle les dieux avaient créé la terre, y compris l'élément ‘eau’. Bien que Thalès affirmait, comme le mythe grec, que la terre reposait sur l'eau, sa théorie rejetait toute cause surnaturelle pour cet état. Pour Thalès, il y avait des raisons pratiques, logiques et démontrables pour lesquelles les choses se produisaient, et les dieux n'avaient rien à voir avec les phénomènes observables.

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À cet égard, il est intéressant de noter qu'une autre des fameuses affirmations de Thalès était que "toutes les choses sont pleines de dieux". Dans son De Anima, Aristote écrit :

Thalès aussi, à en juger par ce qui est rapporté de ses vues, semble supposer que l'âme est en un sens la cause du mouvement, puisqu'il dit qu'une pierre [la magnétite] avait une âme parce qu'elle causait le mouvement du fer. (405 a20-22)

Ce que Thalès entendait exactement par cette déclaration n'est pas clair, mais il a été suggéré, et c'est probable, que par ‘dieux’ il entendait simplement l'énergie, et qu'Aristote et d'autres ont plus tard réinterprété la déclaration de Thalès selon la compréhension commune du mot grec theoi comme signifiant ‘dieux’. Cependant, il se peut aussi que Thalès ait utilisé ce terme dans un sens entièrement nouveau.

L'affirmation selon laquelle les ‘dieux’ de Thalès sont en fait des ‘énergies’ est une interprétation moderne, mais elle semble probable dans la mesure où la philosophie de Thalès est habituellement pratique et fondée sur les phénomènes observables. Il semble avoir occupé un poste, avoir été employé comme ingénieur par le roi Crésus de Lydie (règne 560-547 av. JC), et avoir été reconnu pour ses compétences en astronomie. Le Pr. Forrest E. Baird note :

Comme beaucoup d'autres présocratiques, Thalès n'était en aucun cas seulement un philosophe, c'était aussi un homme d'état, un astronome et un sage. (8)

Lorsqu'il était au service de Crésus, on dit qu’il aurait permis à l'armée lydienne de poursuivre sa marche en détournant un fleuve. Selon Hérodote :

Lorsqu'il arriva au fleuve Halys, Crésus fit alors, d’après moi, passer son armée par les ponts existants; mais, selon le récit commun des Grecs, ce fut Thalès le Milésien qui transféra l'armée pour lui. On dit en effet que Crésus ne savait pas comment faire traverser le fleuve à son armée, car ces ponts n'existaient pas encore alors. Thalès, qui était présent,, aurait fait en sorte que le fleuve, qui coulait à gauche de l'armée, coule aussi à droite. Il s'y prit de la manière suivante: commençant en amont de l'armée, il creusa un profond canal, lui donnant la forme d'un croissant, de sorte qu'étant détourné de son ancien cours par le canal, il devait couler à l'arrière de l'endroit où l'armée était campée, et passé le camp, il devait à nouveau couler dans son ancien cours. Il en résulta que, dès que le fleuve fut divisé, il devint guéable dans ses deux parties. (Histoires, I.75)

Aristote raconte comment Thalès montra à ses contemporains l'utilité pratique de la philosophie:

Comme ils lui reprochaient sa pauvreté, comme si la philosophie ne servait à rien, on racontait que, ayant observé par son étude des corps célestes qu'il y aurait une grande récolte d'olives, il réunit un petit capital alors que c'était encore l'hiver, et versa des fonds sur tous les pressoirs à olives de Milet et de Chios, les louant à bon marché parce que personne ne faisait d'offres en face. Au moment des récoltes, il y eut un pic soudain des demandes de pressoirs. Il les loua alors à ses conditions et fit un gros bénéfice, démontrant ainsi qu'il était facile pour les philosophes de s'enrichir s'ils le souhaitaient, mais que ce n'est pas cela qui les intéresse en fait. (Politique, 1259a)

POUR THALÈS, IL EXISTAIT DES RAISONS PRATIQUES, DEMONTRABLES ET LOGIQUES POUR EXPLIQUER LES ÉVÉNEMENTS, & LES DIEUX N'AVAIENT RIEN À VOIR AVEC LES PHÉNOMÈNES OBSERVABLES.

L'application pratique de la philosophie comme outil de la raison attira l'attention de jeunes hommes intellectuels qui devinrent des élèves de Thalès. Après quelque temps, il fonda l'École Milésienne qui aujourd'hui équivaudrait à un collège privé où les jeunes hommes pourraient suivre des cours de débat, de recherche et d'exploration du monde qui les entoure. Bien qu'il n'y ait aucune évidence que Thalès était athée ou qu'il enseignait l'athéisme, il est clair que la compréhension traditionnelle des dieux n'avait pas sa place dans ses enseignements. Son élève le plus célèbre, Anaximandre (vers 610-546 av. JC), poursuivit cette approche rationnelle de la recherche, rejetant les explications théologiques grecques traditionnelles, comme le fit Anaximène (vers 546 av. JC), également de l'école de Milet, après lui.

Conclusion

Parmi ses nombreux résultats, Thalès aurait ‘découvert’ la constellation de la Petite Ourse, étudié l'électricité, développé la géométrie, contribué à l'application pratique des mathématiques, développées plus tard par Euclide, mis au point un télescope rudimentaire, ‘découvert’ les saisons et fixé les solstices, créé ce qui sera connu plus tard comme la ‘philosophie naturelle’. Il fut reconnu, avec des hommes illustres comme Solon, comme l'un des Sept Sages de la Grèce antique, mentionnés pour la première fois dans le dialogue de Platon le Protagoras.

On dit que Thalès mourut de vieillesse alors qu'il assistait à un événement sportif. Selon l'écrivain grec postérieur Diogène Laërce (3ème siècle de notre ère) :

Ce sage Thalès mourut alors qu'il assistait en tant que spectateur à un concours de gymnastique, épuisé par la chaleur, la soif et la faiblesse, car il était très âgé. L'inscription suivante fut placée sur sa tombe : "Tu vois que cette tombe est petite, mais souviens-toi, la renommée de Thalès atteint les cieux". (Vie de Thalès)

Bien que les philosophes postérieurs n'étaient pas d'accord avec l'affirmation de Thalès selon laquelle l'eau était la Cause première et la substance fondamentale de l'univers, son œuvre inspira ceux qui devaient être connus comme les philosophes présocratiques. Il poursuivirent selon leurs propres voies et développèrent leurs propres systèmes philosophiques, lesquels devaient finalement culminer avec la vision de Socrate telle qu'elle fut interprétée et développée par son élève Platon. Elle devait résonner bien au-delà du monde de la Grèce antique pour infuser la totalité de la philosophie occidentale et influencer les systèmes philosophiques autour du monde.

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Traducteur

Jerome Couturier
Je suis médecin, spécialisé en Génétique. J'aime l'Histoire et l'Antiquité depuis mon plus jeune âge. J'ai toujours eu un interêt pour la recherche dans divers domaines scientifiques, dont l'archéologie.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2009, septembre 02). Thalès de Milet [Thales of Miletus]. (J. Couturier, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-483/thales-de-milet/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Thalès de Milet." Traduit par Jerome Couturier. World History Encyclopedia. modifié le septembre 02, 2009. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-483/thales-de-milet/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Thalès de Milet." Traduit par Jerome Couturier. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 02 sept. 2009. Web. 20 avril 2024.

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