Anaximène

Définition

Joshua J. Mark
de , traduit par Caroline Martin
publié le 11 septembre 2019
Disponible dans ces autres langues: anglais, néerlandais
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Anaximenes of Miletus (by ABoogieWitDaHoodie, Public Domain)
Anaximène de Milet
ABoogieWitDaHoodie (Public Domain)

Anaximène de Milet (546 av. JC environ) était contemporain d'Anaximandre, bien que plus jeune, et il est généralement considéré comme son élève. Connu comme le troisième philosophe de l'école de Milet après Thalès (585 av. JC environ) et Anaximandre (610 - 546 av. JC environ), Anaximène proposa l'air comme la cause première dont tout le reste provient.

En affirmant cela, Anaximène se distinguait de Thalès, qui affirmait que l'eau était la source de toutes choses, et d'Anaximandre, qui citait « l'infini sans limites ». Pour les Grecs de l'époque, « l'air » était comparable à « l'âme » et, tout comme le souffle d'un individu lui donnait vie, l'air, selon Anaximène, donnait vie à tous les phénomènes observables.

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On ne sait presque rien de la vie d'Anaximène, si ce n'est qu'il était contemporain et élève d'Anaximandre. Selon Diogène Laertius (3e siècle ap. JC), Anaximène « écrivait dans le pur dialecte ionien non mélangé. Il vécut, selon les dires d'Apollodore, dans la soixante-troisième Olympiade, et il mourut à peu près au moment de la prise de Sardes [en 546 av. JC] » (Baird, 12). Les événements de sa vie sont peut-être inconnus, mais les effets de sa théorie sur l'air comme cause première eurent une grande portée. Bien qu'il puisse sembler, pour un public moderne, faire une déclaration qu'il ne pouvait pas prouver, sa tentative de preuve fournit un modèle précoce pour la méthode scientifique.

Thalès et Anaximandre

Anaximène forme aujourd'hui la troisième partie de la triade de philosophes milésiens qui cherchaient la « matière » de base dont était fait l'univers, la « cause première ». Leurs travaux influenceront les philosophes grecs ultérieurs, dont Platon ( 428/427 - 348/347 av. JC) et Aristote (384 - 322 av. JC). Les philosophes milésiens s'écartèrent de la conception culturelle traditionnelle de leur époque, selon laquelle l'univers avait été créé par les dieux et qu’il fonctionnait selon leur volonté. Pour Thalès, Anaximandre et Anaximène, il existait une explication plus simple et plus rationnelle du fonctionnement de l'univers. Leurs efforts pour découvrir cette explication jetèrent les bases des philosophes grecs qui leur succédèrent.

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Thalès de Milet affirma que la cause première était l'eau et il fonda cette affirmation sur trois hypothèses :

  • L'explication sous-jacente de l'univers doit être unique, un élément unifié.
  • Cet élément unifié doit être une « chose », quelque chose d'observable.
  • Cet élément unifié doit posséder la capacité de se transformer.

L'eau semblait être le choix évident car, lorsqu'elle est chauffée, elle se transforme en vapeur et, lorsqu'elle est refroidie, elle se transforme en glace. C'était un élément unique, observable, et qui pouvait se transformer.

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Anaximandre était d'accord avec Thalès sur l'existence d'une cause première mais il rejetait l'affirmation selon laquelle il s'agissait d'un élément observable. Au lieu de l'eau, Anaximandre soutenait que toute l'existence provenait de, et fonctionnait grâce à, l'apeiron défini comme « l'illimité, le sans limite, l'infini ou l'indéfini » (Baird, 10). On ne sait pas exactement ce qu'était cet « apeiron », car tout ce qui existe de l'œuvre d'Anaximandre est constitué de fragments cités par des auteurs ultérieurs. Il avança tout de même l'affirmation de Thalès selon laquelle l'explication sous-jacente de l'univers devait être une « chose » unique et unifiée, il fit simplement passer cette « chose » de l'observable à l'invisible et il semble avoir affirmé que, même si on ne pouvait pas la voir, on pouvait reconnaître son existence par des phénomènes observables.

Anaximander of Miletus
Anaximandre de Milet
Unknown Artist (Public Domain)

L'apeiron, une sorte de vide-qui-n'est-pas-vide, faisait naître et disparaître toutes les choses par un choc constant des opposés - froid et chaud, humide et sec, bas et haut - et ceci pouvait être observé à travers la nature changeante des éléments et de la vie humaine. L'eau éteint le feu, mais le feu assèche aussi ce qui est humide, et ce qui monte dans l'air redescend aussi. Les éléments de la terre, de l'air, du feu et de l'eau ne pouvaient pas être eux-mêmes la cause première, car ils étaient tous manifestement actionnés et recevaient leurs caractéristiques de quelque chose d'autre. L'eau ne pouvait pas décider d'elle-même de ne pas être séchée par le feu et le feu ne pouvait pas non plus résister à l'extinction par l'eau. La cause première était donc une force sous-jacente qui faisait que tout se passait comme on pouvait le voir.

La cause première d'Anaximène

Le problème de la théorie d'Anaximandre était qu'elle était loin d'être claire (les philosophes et les étudiants en philosophie se débattent encore aujourd'hui avec ce concept) et Anaximène chercha donc à simplifier la cause première en essayant de prouver qu'il s'agissait de l'air. Le professeur Forrest E. Baird commente :

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Anaximène proposa l'air comme principe fondamental du monde. Bien qu'au premier abord sa thèse puisse sembler un pas en arrière, du plus complet (comme l'illimité d'Anaximandre) au particulier moins complet (comme l'eau de Thalès), Anaximène ajouta un point important. Il expliqua un processus par lequel l'un sous-jacent (l'air) devient la multitude observable : Par raréfaction, l'air devient feu et, par condensation, l'air devient successivement vent, eau et terre. Les différences qualitatives observables (feu, vent, eau, terre) sont le résultat de changements quantitatifs, c'est-à-dire de la densité du principe de base. Ce point de vue est toujours partagé par les scientifiques. (12)

Anaximène expliqua de cette façon le processus par lequel la cause première crée le monde observable :

L'air diffère en essence en fonction de sa rareté ou de sa densité. Lorsqu'il est dilué, il devient feu, tandis que lorsqu'il est condensé, il devient vent, puis nuage, lorsqu'il est encore plus condensé, il devient eau, puis terre, puis pierres. Tout le reste vient de ces éléments. (DK13A5)

ANAXIMÈNE A FOURNI UNE BASE POUR UN DISCOURS ET UN DÉBAT RATIONNELS SUR SON AFFIRMATION ET IL A JETÉ LES BASES DE LA FUTURE RECHERCHE SCIENTIFIQUE.

Pour Anaximène, tout était en perpétuel changement en raison de la propriété de l'air et du fait qu'il est toujours en mouvement. Le monde lui-même, affirmait-il, avait été créé par l'air au cours d'un processus qu'il comparait au processus de feutrage, par lequel la laine est comprimée pour créer du feutre. De la même manière, la terre avait été créée par la compression de l'air qui, par un processus d'évaporation, avait donné naissance aux étoiles et aux planètes. Toute la vie était issue de ce même type de processus, l'air étant comprimé pour se transformer, ou transformer un autre, en une chose différente.

Après Anaximandre, Anaximène affirma que l'interaction des opposés observables prouvait que l'air était la cause première. Le professeur Daniel W. Graham note :

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En utilisant deux processus contraires de raréfaction et de condensation, Anaximène explique comment l'air fait partie d'une série de changements. Le feu se transforme en air, l'air en vent, le vent en nuage, le nuage en eau, l'eau en terre et la terre en pierre. La matière peut parcourir ce chemin en se condensant, ou le chemin inverse des pierres au feu en se raréfiant successivement. Anaximène fournit une sorte de support empirique grossier en faisant appel à une expérience simple : si l'on souffle sur sa main avec la bouche détendue, l'air est chaud ; si l'on souffle avec les lèvres pincées, l'air est froid (DK13B1). Ainsi, selon Anaximène, nous voyons que la rareté est corrélée à la chaleur (comme dans le feu), et la densité à la froideur (comme dans les matières plus denses). (3)

De cette façon, Anaximène fournit une base pour un discours et un débat rationnels sur son affirmation et il jeta les bases de la future recherche scientifique sur la nature de l'existence.

L'air en tant que Dieu

Comme Thalès et Anaximandre avant lui, Anaximène chercha une raison sous-jacente à l'existence et aux phénomènes naturels sans faire appel à la tradition des divinités surnaturelles comme cause première, mais sans pour autant nier l'existence des dieux. Il affirma qu'au lieu que les dieux aient créé l'air, ainsi que les autres éléments, c'est l'air qui avait engendré les dieux. Si cette affirmation est acceptée, ce que les dieux firent, précisément, n'est pas clair. Si le monde fonctionne par une succession de raréfaction et de condensation, et si ce processus explique le fonctionnement de l'univers dans son ensemble, il ne semble pas y avoir de place pour des divinités surnaturelles.

Il semble toutefois, d'après les travaux d'auteurs ultérieurs, qu'Anaximène ait trouvé une place pour les dieux dans sa théorie - on ignore malheureusement quelle était cette place. Saint Augustin d'Hippone (354-430 ap. JC), dans son œuvre, La Cité de Dieu, note qu'Anaximène « ne niait pas qu'il y avait des dieux, et il ne les passait pas sous silence ; cependant, il ne croyait pas que l'air était fait par eux, mais plutôt qu'ils provenaient de l'air » (VIII.ii). Augustin ne s'étend pas sur la fonction d'une divinité après qu'elle ait ainsi surgi dans la vision du monde d'Anaximène.

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Toutefois, si l'on interprète « l'air » d'Anaximène comme un précurseur du Premier moteur d'Aristote, on peut trouver de la place pour des dieux ou un dieu unique. Le Premier moteur, selon Aristote, est la source fixe et immuable de tout ce qui existe, visible et invisible. De la même manière, l'air d'Anaximène est simplement ce qui cause l'existence de tout le reste, mais les divinités peuvent toujours opérer dans ce processus pour le réguler. Pourtant, ce point de vue ne semble pas correspondre aux fragments de son œuvre cités par les auteurs ultérieurs.

Même si, à l'instar des autres Milésiens, il n'est jamais cité comme enseignant l'athéisme, il n'y a rien de théiste dans aucun des fragments existants de ses écrits ni dans aucune des références à lui par les auteurs anciens. Cicéron (106-43 av. JC), dans son ouvrage, La Nature des Dieux, note que « Anaximène a déterminé que l'air est un dieu et qu'il vient à l'existence et qu’il est sans mesure et infini et toujours en mouvement » (Baird, 13). Cette affirmation reflète une philosophie plus conforme à l'aperion d'Anaximandre, une vision du monde qui semble également ne pas avoir fait de place aux dieux.

L'héritage

L'influence d'Anaximène fut considérable et un certain nombre de philosophes ultérieurs s'inspirèrent de son travail pour élaborer leurs propres théories sur la cause première. Commentaire de Graham :

La théorie d'Anaximène sur le changement successif de la matière par raréfaction et par condensation eut une influence sur les théories ultérieures. Elle fut développée par Héraclite (DK22B31), et critiquée par Parménide (DK28B8.23-24, 47-48). La théorie générale d'Anaximène sur la façon dont les matériaux du monde apparaissent est adoptée par Anaxagore (DK59B16), même si ce dernier a une théorie très différente de la matière. Melissus (DK30B8.3) et Platon (Timée 49b-c) considèrent tous deux que la théorie d'Anaximène fournit une explication de bon sens du changement. Diogène d'Apollonie fait de l'air la base de sa théorie explicitement moniste. Le traité d'Hippocrate sur le souffle utilise l'air comme concept central dans une théorie des maladies. En dotant les récits cosmologiques d'une théorie du changement, Anaximène les a séparés du domaine de la simple spéculation et il en a fait, au moins dans leur conception, des théories scientifiques capables d'être testées. (3)

Son influence est particulièrement perceptible dans la philosophie de l'auteur ultérieur Héraclite, comme nous l'avons vu plus haut, qui développa le concept de flux comme une cause première en soi. Pour Héraclite, le choc des opposés était la force motrice de la vie. En cela, Héraclite unifia les théories des philosophes milésiens avec Anaximène comme point de départ : comme la raréfaction et la condensation, le flux (changement) était observable ; comme l'aperion, il était indéfini et apparemment éternel ; et comme l'eau, il était unifié - possédant toujours la même caractéristique.

Ce même concept de base inspira la philosophie du prédécesseur d'Héraclite, Pythagore (571 - 497 av. JC environ), qui affirma que la vie était une série éternelle de transformations entre l'état terrestre et l'état immortel, l'âme progressant vers la compréhension et la plénitude à travers la vie, la mort et la réincarnation sous diverses formes. Bien que Pythagore soit plus âgé qu'Anaximène, ils étaient contemporains et on ignore à quel âge Pythagore commença ses recherches philosophiques. Il est donc probable que Pythagore ait été influencé par les travaux d'Anaximène. Les théories d'Héraclite, et surtout de Pythagore, influencèrent la vision de Platon, dont la philosophie informa ensuite, d'une manière ou d'une autre, pratiquement tous les autres philosophes qui lui succédèrent.

(Note de l'auteur : les citations DK font référence à la catégorisation Diels/Krantz utilisée dans The Fragments of the Pre-Socratics de Freeman).

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Traducteur

Caroline Martin
Française, ayant vécu au Royaume Uni pendant 20 ans, Caroline Martin est totalement bilingue. Lectrice passionnée depuis son plus jeune âge, elle a développé un amour de l'histoire qui remonte a ses années sur les bancs de l’école. Elle s'intéresse maintenant beaucoup à l'histoire en général et à la géopolitique.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2019, septembre 11). Anaximène [Anaximenes]. (C. Martin, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-495/anaximene/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Anaximène." Traduit par Caroline Martin. World History Encyclopedia. modifié le septembre 11, 2019. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-495/anaximene/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Anaximène." Traduit par Caroline Martin. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 11 sept. 2019. Web. 31 oct. 2024.

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