Euripide (c. 484-407 av. J.-C.) est l'un des plus grands auteurs de tragédie grecque. Dans l'Athènes du Ve siècle av. J.-C., ses œuvres classiques telles que Medeia (Médée) ont cimenté sa réputation de dialogues intelligents, de belles paroles de chœur et d'un réalisme cru tant dans ses textes que dans ses représentations scéniques. Auteur d'environ 90 pièces, Euripide était également réputé pour avoir l'art de poser des questions embarrassantes, déstabiliser son public en traitant de manière provocante des thèmes communs, et pimenter l'histoire avec des personnages totalement immoraux. C'est probablement la raison pour laquelle Euripide ne remporta que quelques concours de festivals par rapport à ses grands rivaux tragédiens, Eschyle et Sophocle, bien qu'il ait été extrêmement populaire auprès du public. La popularité de l'œuvre d'Euripide n'a jamais diminué et ses pièces continuent d'être jouées dans les théâtres aujourd'hui.
Vie d'Euripide
Né à Athènes vers 484 av. J.-C. dans une famille aisée, Euripide était le plus jeune des autres grands auteurs de tragédies de la ville, Eschyle et Sophocle. Dans sa jeunesse, Euripide joua également en tant qu'acteur, mais comme sa voix n'était pas assez forte pour atteindre le fond d'un théâtre grec typique de 14 000 places, il se concentra sur son rôle de dramaturge. Dans la tragédie grecque antique, cela signifiait également être producteur et metteur en scène de la pièce.
Une tragédie grecque était généralement jouée lors d'importants festivals religieux, comme les Dionysies de la ville, où trois dramaturges écrivaient chacun trois pièces tragiques et une pièce satyrique afin de concourir pour un prix. Les pièces de tragédie étaient limitées par certaines conventions :
- Le thème était mythologique avec des éléments de religion et d'affaires familiales.
- Trois acteurs au maximum pouvaient avoir des rôles parlants (mais ils pouvaient jouer plusieurs personnages).
- Un chœur était composé de 12 ou 15 chanteurs.
- Tous les acteurs étaient des hommes portant des masques.
Néanmoins, malgré ces restrictions, Euripide réussit à séduire par la présentation de thèmes universels pertinents pour son public, des thèmes tels que la justice contre la vengeance, la règle de droit contre la volonté des dieux, et la lutte entre la raison et la passion. Les personnages de la tragédie grecque appartenaient généralement à l'élite de la société et les histoires traitaient souvent de questions d'État. Euripide donna toutefois des rôles importants à des personnages féminins intelligents et inclut dans ses œuvres des rôles significatifs pour des citoyens plus ordinaires. Cela se reflète dans un commentaire qui lui est attribué par Aristophane dans sa pièce comique Les Grenouilles: "J'ai rendu la tragédie plus démocratique". Euripide supprima également les rôles précédemment importants des dieux grecs et, en règle générale, limita leur apparition au début ou à la fin de ses pièces.
Selon la tradition, Euripide était une sorte de reclus impopulaire qui évitait de rire et écrivait ses pièces dans une grotte près de Salamine, entouré de sa vaste bibliothèque. En réalité, le public appréciait ses productions innovantes et ses thèmes controversés. Euripide était considéré comme un intellectuel de même niveau que les philosophes et ses personnages sont dotés de grandes qualités rhétoriques (parfois même dans des discours chantés, autrefois le rôle exclusif du chœur) et les intrigues sont rendues à la fois complexes et imprévisibles. Les mythes familiers sont traités avec des tournures non conventionnelles et des chronologies modifiées pour rafraîchir les récits et s'assurer que le public est captivé par l'histoire.
Dans les concours, Euripide ne connut pas beaucoup de succès. En effet, sa toute première trilogie en compétition, jouée en 455 avant Jésus-Christ, n'obtint que la troisième et dernière place. Sur ses 90 pièces, seules quatre remportèrent le premier prix, contre un taux de victoire de 50 % pour Eschyle et Sophocle. D'un autre côté, une statistique peut-être plus révélatrice est le fait que les Athéniens financèrent ses productions plus de 90 fois et estimaient donc clairement que ses œuvres étaient dignes d'intérêt, quelle qu'ait été leur position finale à la fin du festival.
Euripide passa ses dernières années à la cour d'Archélaos, le roi de Macédoine. Le grand dramaturge y mourut vers 407 av. J.-C., mais pas avant d'avoir écrit la pièce aujourd'hui perdue Archelaos, qui traite de la fondation mythique de la dynastie royale. Plusieurs pièces d'Euripide furent présentées à titre posthume, dont les Bacchantes. Le fait que le célèbre auteur de comédies Aristophane fasse constamment référence à Euripide (et s'attende donc à ce que son public connaisse son œuvre) illustre sa renommée de son vivant. En outre, le choix de plusieurs de ses pièces comme matériel d'étude dans le cadre d'une éducation grecque complète permit aux tragédies d'Euripide de perdurer pendant des siècles. Leur étude continue dans le monde universitaire et leurs représentations régulières dans le monde moderne n'ont fait que perpétuer la longue tradition de la tragédie grecque et le nom de l'un de ses plus grands protagonistes.
Les œuvres d'Euripide
Sur environ 90 pièces, seules 18 tragédies complètes et une pièce satyrique ont survécu, cette dernière étant un genre de comédie paillarde qui couvrait des histoires de la mythologie grecque et qui avait un chœur composé de satyres, les disciples du dieu du vin et des réjouissances Dionysos. Une autre pièce, le Rhésos, a vu son attribution contestée par les spécialistes. Plusieurs fragments de neuf autres pièces, dont certains substantiels, subsistent. La pièce la plus célèbre est sans doute Médée, tandis que les critiques apprécient surtout son œuvre Les Bacchantes. Le plus souvent, l'élément tragique des pièces découle de la souffrance du personnage principal et de son incapacité, quels que soient ses efforts, à améliorer sa situation. Selon Aristote, "Euripide est le plus intensément tragique de tous les poètes". (Poétique, ch. 14).
- Alceste (438 av. J.-C.) - où Alceste se sacrifie pour sauver son mari mais est finalement sauvée par Hercule de la figure surnaturelle de la Mort.
- Médée (431 av. J.-C.) - où Jason, célèbre pour sa Toison d'or, abandonne le personnage principal pour la fille du roi de Corinthe, ce qui a pour conséquence que Médée tue ses propres enfants par vengeance.
- Les Héraclides (c. 430 av. J.-C.) - avec pour thème central l'éternel conflit entre le pouvoir et la justice.
- Hippolyte (428 av. J.-C.) - où le fait de tenir ses principes mène à la destruction pour Phèdre et Hippolyte.
- Andromaque (c. 425 av. J.-C.) - où, après la guerre de Troie et devenue esclave, Andromaque affronte Hermione, la femme de son maître.
- Hécube (c. 423 av. J.-C.) - où la reine de Troie cherche à se venger de la mort de son fils Polydore.
- Les Suppliantes (c. 423 av. J.-C.) - où les mères des Sept contre Thèbes font appel à Athènes pour que les Thébains permettent l'enterrement correct de leurs fils.
- La folie d'Héraklès (c. 417 avant J.-C.) - traitant de la folie qui poussa Héraklès (Hercule) à tuer sa femme et ses enfants.
- Électre (c. 417 ou 414 av. J.-C.) - où Électre et Oreste conspirent pour détruire leur mère.
- Les Troyennes (415 av. J.-C.) - où Hécube est à nouveau le personnage clé au milieu d'un catalogue de misères troyennes.
- Ion (412 ou 410 av. J.-C.) - qui examine les divergences entre la foi religieuse et la condition humaine.
- Iphigénie en Tauride (vers 412 av. J.-C.) - où Iphigénie et Oreste affrontent les dieux et le destin avec une fin étonnamment heureuse.
- Hélène (412 av. J.-C.) - qui décrit la réconciliation d'Hélène et de Ménélas.
- Le Cyclope (412 ou 408 av. J.-C.) - une pièce satyrique décrivant la rencontre d'Ulysse avec le Cyclope lors de son long voyage de retour à Ithaque après la guerre de Troie. C'est la seule pièce satyrique complète du théâtre grec qui subsiste.
- Les Phéniciennes (409 av. J.-C.) - où un groupe de femmes innocentes se rendant à Delphes sont piégées à Thèbes.
- Oreste (c. 408 av. J.-C.) - où Oreste tue sa propre mère et tente, sans succès, de se venger de sa tante Hélène.
- Iphigénie à Aulis (après 406 av. J.-C. et produite à titre posthume) - où Agamemnon doit sacrifier Iphigénie pour le bien de l'expédition grecque contre Troie.
- Les Bacchantes (après 406 av. J.-C.) - dans laquelle un conflit se déroule entre Penthée, roi de Thèbes, et un Dionysos démoniaque.
Pièces incomplètes, dont il ne reste souvent que des fragments : Télèphe, Les Crétois, Cresphontès, Érechthée, Phaéthon, Alexandre, Oedipe, Hypsipyle et Archélaos.
Citations
Vous trouverez ci-dessous une sélection d'extraits des œuvres d'Euripide :
Ô Zeus ! dois-je croire que tu as les yeux ouverts sur les hommes? ou l'opinion de ceux qui admettent l'existence des dieux n'est-elle qu'une chimère, et est-ce le hasard qui gouverne toutes choses parmi les mortels? Hécube 488-91
Nous nous montrons éperdument épris de cette lumière qui brille sur la terre, par inexpérience d'une autre vie et par ignorance de ce qui se passe aux enfers.
Hippolyte 189-96
Amies, mon acte est décidé : le plus vite possible je tuerai. mes fils et m'enfuirai loin de ce pays pour ne pas, par mes lenteurs, exposer mes enfants à périr par une main plus hostile. Il faut absolument qu'ils meurent. Puisqu'il le faut, c'est moi qui les tuerai, qui les ai mis au monde. Allons! arme-toi, mon coeur! Que tardons-nous ?
Médée 1240-42
En vain tu me vantes les charmes de la royauté; le dehors en peut plaire, mais au fond du palais on trouve la tristesse. Et comment vivre heureux au sein de la défiance et dans de perpétuelles alarmes ? J'aime mieux vivre au sein d'un bonheur obscur, que d'être roi pour m'entourer d'amis méprisables et pour haïr les gens de bien dans la crainte de mourir.
Ion 613-18
Je suis restée en ces lieux, tandis que mon malheureux époux, à la tête d'une puissante armée, a été me redemander à mon ravisseur, sous les remparts de Troie. Une foule de guerriers sont morts pour ma cause sur les bords du Scamandre ; et moi, victime de tant de maux, je suis l'objet des malédictions, et je passe pour avoir, en trahissant mon époux, suscité cette guerre terrible à la Grèce.
Hélène 49-54
Heureux qui échappe à la fureur de la mer et touche le port !
Heureux encore qui triomphe des épreuves ! Diversement, les hommes se dépassent les uns les autres, en richesse ou en puissance.
Innombrables sont les espérances ; les unes aboutissent à la richesse, les autres sont déçues.
Celui dont la vie s'écoule au jour le jour dans la félicité, je le déclare heureux.
Les Bacchantes 902-12
Les amours quand ils fondent sur eux avec trop de violence n'apportent ni bon renom ni vertu aux hommes. Mais que Cypris vienne avec mesure, nulle autre déesse n'a autant de charme. Que jamais, ô souveraine, contre moi ton arc d'or ne lance un trait inévitable trempé dans le poison du désir!
Médée 627-33