Hannon le Navigateur

Article

Mark Cartwright
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 22 juin 2016
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Disponible dans ces autres langues: anglais

Au Ve siècle avant notre ère, l'explorateur carthaginois Hannon franchit les piliers d'Hercule, quitta la Méditerranée et pénétra dans des territoires jusqu'alors inconnus, le long de la côte atlantique de l'Afrique. Dans sa quête de nouvelles ressources et d'opportunités commerciales, il rencontra des curiosités exotiques et inconnues tels que des indigènes fébriles, des pygmées aux pieds légers, des gorilles et des volcans en éruption. L'expédition devint, même dans l'Antiquité, l'un des voyages de découverte les plus célèbres jamais entrepris.

Voyage of Hanno the Carthaginian Explorer
Voyage d'Hannon l'explorateur carthaginois
Bourichon (CC BY-SA)

Sources

Le récit de première main du voyage d'Hannon a traversé l'Antiquité jusqu'à l'époque moderne grâce à un seul manuscrit médiéval, lui-même une copie d'une traduction grecque réalisée à partir de l'original punique gravé sur une stèle dédicatoire vers 400 avant notre ère. Les spécialistes considèrent qu'il manque au moins deux parties au texte qui a survécu, dont la conclusion. L'ouvrage, intitulé tout simplement Periplus (le Périple d'Hannon), est court, mais la rareté de la littérature punique qui subsiste lui confère une valeur inestimable, bien au-delà de son sujet, à savoir la navigation et l'exploration. Le manuscrit original qui a survécu fait partie du Codex Palatines Graecus 398 et se trouve à la bibliothèque de l'université de Heidelberg.

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Hannon

Hannon est désigné dans le texte par le terme grec basileus, qui est presque certainement une traduction du suffete punique, la plus haute fonction administrative du gouvernement carthaginois, souvent traduit par "magistrat". Son nom est courant dans le puissant clan carthaginois des Magonides, ce qui laisse supposer qu'il en faisait partie. En dehors de cela, nous n'avons pas d'autres informations sur le chef de l'expédition. L'historien romain Justin mentionne en passant un Hannon qui mena une guerre contre des indigènes mauritaniens au milieu du Ve siècle avant notre ère. Étant donné que l'expédition de Hannon établit des colonies dans cette région (le Maroc) et qu'elle provoqua probablement une concurrence avec les tribus locales, il pourrait bien s'agir de la même personne. D'autres sources anciennes font référence à l'expédition, notamment Hérodote au Ve siècle avant notre ère, Paléphatos au IVe siècle avant notre ère, le Mirabilium auscultationes d'Aristote et divers écrivains romains postérieurs, tels que Pline l'Ancien et Arrien, qui consultèrent probablement un ouvrage de Juba II de Maurétanie datant du Ier siècle de notre ère et intitulé Errances d’Hannon.

La date précise du voyage n'est pas indiquée, mais il fut probablement entrepris entre la fin du VIe siècle avant notre ère et environ 425 avant notre ère. Les navires carthaginois étaient construits en bois et ne possédaient qu'une seule voile, avec la possibilité d'utiliser des rames en cas de besoin. Ils n'avaient pas de boussole et se fiaient donc aux étoiles, en particulier à Ursa Minor (La Petite Ourse), pour la navigation. Ces considérations amènent certains spécialistes à proposer une destination finale particulière pour l'expédition en fonction du temps disponible, comme nous le verrons plus loin.

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Phoenician-Punic Ship
Navire punico-phénicien
NMB (CC BY-SA)

Voici le texte intégral de Hannon (les noms modernes, lorsqu'ils sont identifiables, sont ajoutés entre parenthèses par l'auteur) :

Voici l'histoire du long voyage d'Hannon, roi des Carthaginois, dans les terres libyennes au-delà des piliers d'Héraclès [détroit de Gibraltar], qu'il consacra sur une tablette dans le temple de Cronos [Baal Hammon] :

I Les Carthaginois décidèrent qu'Hannon devait naviguer au-delà des piliers d'Héraclès et trouver des villes libyphéniciennes [carthaginoises]. Il partit avec soixante pentécontères et environ trente mille hommes et femmes, ainsi que des provisions et d'autres produits de première nécessité.

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II Après avoir navigué pendant deux jours au-delà des piliers, nous fondâmes la première ville, que nous appelâmes Thymatérion [Tanger]. Au-dessous d'elle s'étendait une grande plaine.

III En naviguant ensuite vers l'ouest, nous arrivâmes à Soloeis, promontoire libyen couvert d'arbres. Là, nous avons fondé un temple à Poséidon.

IV Après une demi-journée de marche vers l'est, nous arrivâmes, non loin de la mer, à un lac couvert de grands roseaux, où se nourrissaient des éléphants et beaucoup d'autres animaux sauvages.

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V À une journée de marche au-delà de ce lac, nous avons fondé sur la côte des villes appelées Karikon Teichos, Gytte, Akra, Melitta et Arambys.

VI De là, nous arrivâmes au grand fleuve Lixos [le Draa au Maroc], qui vient de Libye, et au bord duquel des nomades appelés Lixitae [Berbères] faisaient paître leurs troupeaux. Nous sommes restés quelque temps avec eux et nous nous sommes liés d'amitié.

VII À l'intérieur des terres, des Éthiopiens inhospitaliers vivaient dans un pays peuplé de bêtes sauvages et encerclé par de grandes montagnes. Ils disent que le Lixos coule de là et que dans ces montagnes habitent des Troglodytes à l'aspect étrange qui, selon les Lixitae, courent plus vite que les chevaux.

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VIII Prenant des interprètes chez les Lixitae, nous avons navigué vers le sud le long de la côte désertique [Sahara] pendant deux jours, puis pendant un jour vers l'est, et nous avons trouvé une petite île de cinq stades [environ 1 km] de circonférence à l'extrémité d'un golfe. Nous nous y installâmes et l'appelâmes Cerne. Nous avons jugé, d'après notre voyage, qu'elle se trouvait juste en face de Carthage, car le voyage de Carthage aux piliers et celui de Carthage à Cerne semblaient identiques.

IX De là, en remontant un grand fleuve appelé Chretes [Sénégal], nous atteignîmes un lac dans lequel se trouvaient trois îles plus grandes que Cerne. Après une journée de navigation, nous arrivâmes à l'extrémité du lac, surplombé par des montagnes très élevées, peuplées de sauvages vêtus de peaux de bêtes sauvages, qui nous lapidèrent, nous chassèrent et nous empêchèrent de débarquer.

X En naviguant à partir de là, nous sommes arrivés à un autre grand fleuve large, grouillant de crocodiles et d'hippopotames. Nous fîmes demi-tour et revînmes à Cerne.

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XI À partir de là, nous avons navigué vers le sud pendant douze jours, en nous accrochant à la côte, qui était tout au long occupée par des Éthiopiens qui ne restaient pas sur place, mais fuyaient devant nous. Leur langage était inintelligible, même pour nos Lixitae.

XII Le dernier jour, nous jetâmes l'ancre près de hautes montagnes couvertes d'arbres dont le bois était odorant et tacheté.

XIII En les contournant pendant deux jours, nous arrivâmes à un golfe immense, sur les deux rives duquel était une plaine où l'on voyait, la nuit, de grands et de petits feux s'allumer par intervalles un peu partout [feux d'herbe ?].

XIV Prenant de l'eau à cet endroit, nous naviguâmes pendant cinq jours le long de la côte jusqu'à ce que nous arrivions à une grande baie que nos interprètes appelèrent la Corne de l'Ouest. Dans cette baie se trouvait une grande île et dans l'île un lac d'eau salée, à l'intérieur duquel se trouvait une autre île où nous débarquâmes. Le jour, nous ne voyions qu'une forêt, mais la nuit, nous vîmes de nombreux feux allumés et nous entendîmes le son des flûtes, des cymbales et des tambours, ainsi qu'un grand brouhaha de voix. La peur s'empara de nous et les devins nous conseillèrent de quitter l'île.

XV Nous partîmes donc en hâte et longeâmes une côte enflammée où brûlait de l'encens. De grands torrents de feu et de lave se déversaient dans la mer et la terre était inaccessible à cause de la chaleur.

XVI Nous sommes vite partis, effrayés, et, pendant quatre jours, nous avons vu de nuit la terre en proie aux flammes. Au milieu, il y avait une flamme plus haute que les autres, qui atteignait, semblait-il, les étoiles. Le jour, on vit que c'était une très haute montagne appelée le Chariot des Dieux [mont Cameroun ?].

XVII De là, naviguant pendant trois jours le long de coulées de lave ardentes, nous atteignîmes un golfe appelé la Corne du Sud.

XVIII A l'extrémité de cette baie se trouvait une île, comme la première, avec un lac, à l'intérieur duquel se trouvait une autre île remplie de sauvages. Le plus grand nombre était composé de femmes au corps hirsute, que nos interprètes appelaient Gorilles [Pygmées ?]. En les poursuivant, nous ne pûmes attraper aucun des hommes, qui tous, habitués à gravir des précipices, s'enfuirent en se défendant par des jets de pierres. Mais nous avons attrapé trois femmes, qui ont mordu et mutilé ceux qui les emmenaient, ne voulant pas les suivre. Nous les tuâmes, les écorchâmes et rapportâmes leurs peaux à Carthage. Nous n'avons pas pu naviguer plus loin, car nos provisions étaient épuisées. (Cité dans Moscati, 182-3)

Analyse

La traduction grecque du texte d'Hannon a pris quelques libertés avec les noms, et il y a des inexactitudes géographiques. L'historien S. Moscati suggère de manière plausible que celles-ci ont pu être délibérément incluses pour éviter que des concurrents indésirables ne s'immiscent dans les relations commerciales carthaginoises. La dernière partie du voyage fait l'objet d'un débat entre les historiens. Certains suggèrent qu'Hannon n'atteignit que la Sierra Leone, d'autres qu'il alla jusqu'au Cameroun ou au Gabon. Même le voyage le plus court, que certains préfèrent parce qu'Hannon aurait eu du mal à se rendre plus au sud à l'époque, aurait impliqué une étape aller de près de 5 000 kilomètres (3 000 miles).

Greek and Phoenician Colonization
Colonisation grecque et phénicienne
Kelly Macquire (CC BY-NC-SA)

Le fait que les Carthaginois aient navigué le long de la côte ouest de l'Afrique est corroboré par Hérodote (qui pourrait, bien sûr, n'avoir fait que paraphraser le Périple d'Hannon) dans le livre IV:196 de ses Histoires et par le fait que toute l'expédition avait pour but de fonder des colonies, ce qui suggère fortement que les Carthaginois avaient visité la côte auparavant afin de s'assurer qu'il valait la peine d'y envoyer la grande flotte d'Hannon. Pline l'Ancien mentionne que le voyage partit de Gadès (Cadix) et qu'au retour, les peaux de "gorilles" furent conservées dans le temple de Junon (Tanit ou Astarté) à Carthage. Les "gorilles" du texte constituent en fait l'héritage le plus important du voyage, car ce terme, dont la signification est incertaine dans le texte de Hannon mais qui ne fait probablement pas référence à des animaux (les chimpanzés étant souvent suggérés), a été appliqué par Thomas Savage, un naturaliste du XIXe siècle, aux grands singes africains qui nous sont désormais familiers.

D'autres voyageurs carthaginois suivirent très vite et exploitèrent les nouvelles sources d'or, dont le troc est décrit par Hérodote. Un autre voyageur célèbre, le Grec Polybe, suivit le sillage d'Hannon et navigua le long de la même côte atlantique au IIe siècle avant notre ère. Pour une raison ou pour une autre, l'exploration de la côte et de l'intérieur de l'Afrique ne se poursuivrait que 1000 ans plus tard.

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Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Mark Cartwright
Mark est un auteur, chercheur, historien et éditeur à plein temps. Il s'intéresse particulièrement à l'art, à l'architecture et à la découverte des idées que toutes les civilisations peuvent nous offrir. Il est titulaire d'un Master en Philosophie politique et est le Directeur de Publication de WHE.

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Style APA

Cartwright, M. (2016, juin 22). Hannon le Navigateur [Hanno: Carthaginian Explorer]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-913/hannon-le-navigateur/

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Cartwright, Mark. "Hannon le Navigateur." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le juin 22, 2016. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-913/hannon-le-navigateur/.

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Cartwright, Mark. "Hannon le Navigateur." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 22 juin 2016. Web. 29 avril 2024.

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