Giotto

Définition

Mark Cartwright
de , traduit par Anne-Sophie Hardy
publié le 09 septembre 2020
Disponible dans ces autres langues: anglais, espagnol
Écouter cet article
X
Imprimer l'article
Kiss of Judas by Giotto (by Giotto, Public Domain)
Le Baiser de Judas de Giotto
Giotto (Public Domain)

Giotto di Bondone (né en 1267 ou 1277 et mort en 1337), plus communément appelé Giotto, était un peintre et architecte italien dont l’œuvre a énormément influencé l’histoire de l’art occidental. Son œuvre la plus connue aujourd’hui est le cycle de fresques qu’il a réalisé pour la chapelle des Scrovegni, à Padoue, où il manie avec maestria les effets dramatiques dans des scènes comme Judas trahissant Jésus Christ. C’est un peintre novateur qui a cherché à exacerber le réalisme et les émotions humaines dans l’art. Il est particulièrement doué pour réinventer la représentation de thèmes religieux bien connus qu’il narre dans des scènes uniques et dynamiques. Souvent considéré comme « le premier peintre de la Renaissance » bien qu’il ait vécu avant le début de la Renaissance proprement dite, Giotto fait assurément le lien entre l’art religieux parfois considéré comme plat et sans âme de la fin du Moyen Âge et les innovations animées et dramatiques des chefs-d’œuvre de la Haute Renaissance.

Jeunesse

Le lieu ainsi que la date de naissance de Giotto di Bondone font encore débat parmi les historiens qui hésitent entre 1267 et 1277. Si l'on en croit l’historien de l’art Giorgio Vasari (1511-1574), il viendrait d’une famille modeste et devrait son extraordinaire destinée à sa rencontre avec un célèbre artiste. Vasari nous raconte en effet que Cimabue, peintre renommé, faisait alors route vers Vespignano en Toscane, lorsqu’il rencontra un jeune berger. Ce dernier n’avait pas plus de dix ans et était occupé à griffonner le dessin d’un mouton sur un bloc de pierre à l’aide d'un charbon. Impressionné par le dessin, Cimabue demanda alors le nom du garçon qui lui répondit : « On m’appelle Giotto. » (Woods, 25). Cimabue invita immédiatement le jeune garçon à se former dans son atelier à Florence et, quelques années plus tard, Giotto devient un artiste accompli, peignant des retables pour les églises de la ville. Lorsqu’il atteint la vingtaine, il passe aux fresques et rejoint la guilde des peintres de Florence, devenant ainsi un artiste à part entière. Banal, trapu et plutôt laid, Giotto ne ressemble pas à l’archétype de l’artiste, pourtant, ses œuvres parlent d’elles-mêmes et l’ancien apprenti ne tarde pas à dépasser le maître.

Supprimer la pub
Publicité
GIOTTO JOUE AVEC LES ZONES D'OMBRE ET DE LUMIÈRE POUR CRÉER L'ILLUSION DE PROFONDEUR DANS SES SCÈNES ET DE VOLUME DANS SES PERSONNAGES QUI PRENNENT AINSI DES EXPRESSIONS RÉALISTES.

Une longue liste de personnages bibliques s’offre à Giotto, des personnages qui n’apparaissaient alors dans les peintures, fresques et icônes qu’en tant que représentations conventionnelles appelant davantage à la prière qu’à la contemplation. Giotto reprend et exacerbe la manière de Cimabue et cherche à représenter ces personnages familiers comme de vraies personnes montrant de réelles émotions. Un excellent exemple de cette nouvelle approche peut être vu dans la Madonna, une peinture à la tempera sur panneau de bois, aujourd’hui au Borgo San Lorenzo, près de Florence. Une autre madone, connue sous le nom de Ognissanti Madonna (de tous les saints), est peinte sur un retable avec les mêmes procédés. Cette dernière œuvre se trouve aujourd’hui dans la Galerie des Offices de Florence. Son traitement des personnages laisse imaginer que Giotto utilise des modèles vivants pour l’aider dans sa recherche d'expressions faciales.

Madonna by Giotto
Madonna de Giotto
Sailko (CC BY)

L’artiste révolutionnaire

Comme d’autres de ses contemporains, tels que les frères sculpteurs Pisano et leur travail du marbre, Giotto s’éloigne des conventions de l’art médiéval. Il utilise pour cela plusieurs méthodes principales. L’artiste joue habilement avec les zones d’ombre et de lumière pour créer l’illusion de profondeur dans ses scènes et de volume dans ses personnages qui prennent ainsi des expressions réalistes. Il peint également des éléments d’architecture détaillés et en trois dimensions. Enfin, la source de lumière dans la scène en question est souvent clairement indiquée. Giotto montre aussi une vision unique dans ses représentations de célèbres épisodes bibliques. Ces derniers sont en effet évoqués dans des scènes singulières chargées d'émotions et saisies en un instant dynamique. Ces différents éléments lui permettent ainsi d’atteindre la célébrité de son vivant.

Supprimer la pub
Publicité

Les commandes affluent de Florence, Naples, Milan et Rome et Giotto s’attaque parfois à des supports insolites. C’est le cas de la mosaïque Navicella (aujourd’hui très abîmée) réalisée vers 1300 et qui représente la barque de saint Pierre. Elle se trouve dans la basilique du même nom, au Vatican. Parmi ses autres œuvres connues se trouvent les fresques des chapelles Bardi et Peruzzi, à Santa Croce (Florence, années 1320). Celles de la chapelle Bardi composent un cycle sur la vie de saint François d’Assise, tandis que celles de la chapelle Peruzzi représentent des épisodes de la vie de saint Jean l'évangéliste.

The Founders of Florentine Art
Les Fondateurs de l'art florentin
Web Gallery of Art (Public Domain)

Comme d’autres artistes renommés, Giotto est souvent aidé d’assistants qui terminent ses travaux, ou réalisent même des œuvres à partir de ses ébauches qu’il signe par la suite. Cela rend l’identification de certaines œuvres problématiques, notamment celle de trois retables et, les plus controversées, les fresques de la basilique supérieure d’Assise qui pourraient avoir été supervisées par le maître, mais pas réellement peintes par lui. Ces fresques représentent des scènes de la vie de saint François d’Assise. Aujourd’hui encore, le débat fait rage pour savoir qui les a peintes, débat alimenté par la grande qualité des scènes et le besoin de certains historiens de les attribuer à un maître reconnu. Bien que Giotto soit demandé à travers toute l’Italie, il ne vit pas de son art seul, mais c’est également un homme d’affaires et il loue par exemple du matériel de tissage. Les informations connues sur sa vie personnelle nous apprennent que Giotto est un membre laïc de l’ordre des Franciscains et qu’il est aussi connu pour avoir de l'esprit.

Supprimer la pub
Publicité

La chapelle Scrovegni à Padoue

L’œuvre de Giotto la plus connue aujourd’hui, réalisée alors qu’il est au sommet de sa carrière, est sans doute l’ensemble de fresques de la chapelle Scrovegni (aussi appelée chapelle de l’Arena) à Padoue, dans le nord de l’Italie. La chapelle tient son nom de l’homme qui a commandité à la fois l’édifice et les fresques qui en ornent l’intérieur, Enrico Scrovegni, un riche banquier de la ville. Le père d’Enrico, Reginaldo Scrovegni, était un usurier tristement célèbre (qui gagna sa place dans l’Enfer de Dante) et Enrico suivait malheureusement son exemple. Il se peut qu’Enrico ait investi dans la chapelle pour expier ses péchés et il n'est alors pas surprenant que l’édifice soit dédié à Santa Maria della Carita, la Vierge de Charité. Autrefois voulu comme une chapelle familiale privée, le monument jouxtait un impressionnant palais. Cependant, cet édifice a disparu depuis longtemps et il ne reste aujourd’hui que la chapelle, seul témoin des ambitions d’immortalité de Scrovegni.

Scrovegni Chapel Interior
Intérieur de la chapelle Scrovegni
Zairon (CC BY-SA)

Les fresques, sur lesquelles Giotto travaille d’environ 1304 à 1315, forment un cycle des vies de la Vierge Marie et de Jésus Christ. Trente-huit scènes tapissent l’intérieur de la chapelle, réparties en trois rangs sur les murs latéraux, la voûte azurée et ornée de médaillons menant à l’autel, ainsi que la vaste scène sur le mur d’entrée. La lecture des scènes commence au rang supérieur, par le panneau de droite quand on entre, puis l'on suit le rang autour de la chapelle avant de descendre au deuxième rang et ainsi de suite jusqu’au troisième. L’espace entier mesure 20,4x8,5 mètres et la hauteur de la voûte en berceau est de 18,5 mètres. Chaque panneau latéral mesure 2x1,85 mètres. Le spectateur est donc littéralement enveloppé par les images de Giotto, dont la plupart arbore un fond bleu foncé assorti à la voûte étoilée.

Le panneau de la Crucifixion représente une scène typique de l’art de Giotto. D'un côté, il est animé de rondes d’anges dans les cieux et de spectateurs bouleversés, et de l’autre, un groupe de personnages indifférents se dispute le vêtement du Christ. Le panneau de la Nativité montre parfaitement la méthode novatrice qu’utilise Giotto pour représenter la profondeur avec, par exemple, le bras d'un berger en partie caché derrière son comparse et l’âne détournant sa tête du spectateur. Les émotions sont clairement représentées, en particulier l’inquiétude de Marie pour son nouveau-né et l’attitude et le visage las de Joseph, qui rappellent la difficulté éprouvée pour trouver un endroit où passer la nuit. Juste au-dessous, le panneau de la Cène est traité lui aussi de façon novatrice. Jésus est installé à une table, entouré des douze apôtres. Cinq d’entre eux sont assis dos au spectateur qui doit alors regarder au-dessus de leur tête pour voir le reste de la troupe, de l’autre côté de la table.

Supprimer la pub
Publicité

The Nativity by Giotto
La Nativité de Giotto
José Luiz Bernardes Ribeiro (CC BY-SA)

Le panneau représentant la trahison de Judas, appelé le « Baiser de Judas », est un autre chef-d’œuvre d’une intense vivacité résumée ici par l’historien de l’art J. T. Paoletti :

[Giotto] a dramatisé les événements d’une manière que les artistes précédents n’auraient pu imaginer. Le manteau doré de Judas efface presque tout à fait la silhouette du Christ. Au centre d’un maelstrom de regards scrutateurs, Judas et le Christ se tiennent nez à nez, les yeux curieux et emplis de compassion de Jésus perdus dans ceux, colériques, de Judas. Giotto utilise dans cette scène des personnifications stéréotypées du bien et du mal, présentant un Christ aux traits gracieux et un Judas au visage brutal. L'intensité psychologique de l’événement atteint son paroxysme à gauche de la scène, où dans un acte violent, Pierre coupe l’oreille du serviteur du grand prêtre. Pierre et le Christ sont associés dans la composition, tous deux tournés vers la droite et faisant face à la silhouette enveloppée d'un lourd manteau de Judas. Cette disposition représente avec puissance l'opposition entre la violence des sentiments humains et l’acceptation divine du plan rédempteur de Dieu. (76)

Crucifixion by Giotto
La Crucifixion, Giotto (Chapelle des Scrovegni, Padoue, Italie)
Web Gallery of Art (Public Domain)

Enfin, le Jugement dernier est le sujet peint sur le mur par lequel on entre et sort de la chapelle, peut-être un ultime rappel des dangers des tentations terrestres que l'on ne manque pas de rencontrer en quittant l’édifice. Le Christ est assis en majesté au centre et est entouré d’une cohorte d’anges et d’apôtres. Plus bas, sur la gauche, se trouvent ceux qui passeront l’éternité à ses côtés tandis que sur la droite, les damnés sont dévorés par un monstre terrible qui représente le mal. Une silhouette agenouillée juste au-dessus de la porte représente Enrico Scrovegni.

La chapelle dut être positivement accueillie car Giotto reçoit par la suite la commande des fresques des chapelles de Santa Croce à Florence, mentionnées plus haut. L'un de ses ultimes chefs-d’œuvre est le retable de Stefaneschi, terminé au milieu des années 1330 pour l’ancienne basilique Saint-Pierre de Rome. Le retable est composé de trois panneaux à la tempera et ses dimensions sont de 2,45x2 mètres. Chaque côté des panneaux est peint de scènes racontant la vie de saint Pierre. Signée par Giotto, mais attribuée à son atelier par certains historiens, l’œuvre se trouve aujourd’hui dans la Pinacothèque du Vatican.

Supprimer la pub
Publicité

The Last Judgement by Giotto
Le Jugement dernier de Giotto
Giotto di Bondone (Public Domain)

Projets architecturaux

Bien que Giotto n’ait pas réellement d’expérience en tant qu’architecte, il est nommé capomaestro (architecte en chef) du projet de construction de la cathédrale de Florence en 1334. Il est possible que cette nomination n'ait été motivée que par la réputation d’artiste le plus accompli de la ville dont bénéficie Giotto. Cela ne l’empêche pas de dessiner le campanile (clocher) de la cathédrale, même si les murs seront élargis et renforcés plus tard. Un autre de ses projets architecturaux est l’élégant pont à plusieurs arches de Carraia à Florence, malheureusement détruit lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale et jamais reconstruit.

Réputation et héritage

Durant la Haute Renaissance, Giotto est reconnu comme étant l'un des pères fondateurs du mouvement grâce au savoir-faire décrit dans cet article et que le peintre a insufflé dans ses œuvres. De plus, comme le fameux sculpteur Lorenzo Ghiberti (1378-1455) l’écrit dans son autobiographie en 1450, Giotto a participé à raviver les arts en général en combinant son talent (ingegno) à une profonde connaissance de la doctrina (les enseignements) des maîtres de l’Antiquité. Cette dernière désigne la capacité à représenter avec précision et émotion les proportions et détails anatomiques du corps humain.

La réputation de « premier artiste de la Renaissance » de Giotto est encore rehaussée par l'estime que lui portent des figures telles que les poètes Dante Alighieri (1265-1321) et Francesco Pétrarque (1304-1374) ou encore Giorgio Vasari. L’artiste apparaît même dans la littérature, notamment dans l’œuvre de Giovanni Bocaccio (1313-1375), où il raconte de nombreuses histoires amusantes. Des artistes de la Renaissance comme Léonard de Vinci (1452-1519), Michel-Ange (1475-1564) et Raphaël (1483-1520) ont étudié l’œuvre de Giotto. Ils ont poursuivi son approche puis l’ont étoffée de nouvelles techniques, comme le chiaroscuro (l’usage contrasté de l'ombre et de la lumière) ou encore la perspective mathématique. Giotto a ouvert la voie à un plus grand réalisme dans la peinture. Son ombre plane si bien au-dessus de l’art du début de la Renaissance que les historiens rassemblent aujourd’hui de nombreux artistes au style similaire sous le nom de « Giotteschi ».

Vous aimez l'Histoire?

Abonnez-vous à notre newsletter hebdomadaire gratuite!

Supprimer la pub
Publicité

Traducteur

Anne-Sophie Hardy
Je suis Anne-Sophie, passionnée d'histoire de l'art, de culture et de langues ! J'ai travaillé en tant que guide touristique et que cheffe de projet dans le tourisme numérique et je suis maintenant traductrice à temps plein. Mes sujets préférés sont les arts, l'histoire et le tourisme. Pas étonnant que j'adore la WHE !

Auteur

Mark Cartwright
Mark est un auteur, chercheur, historien et éditeur à plein temps. Il s'intéresse particulièrement à l'art, à l'architecture et à la découverte des idées que toutes les civilisations peuvent nous offrir. Il est titulaire d'un Master en Philosophie politique et est le Directeur de Publication de WHE.

Citer cette ressource

Style APA

Cartwright, M. (2020, septembre 09). Giotto [Giotto]. (A. Hardy, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-19132/giotto/

Style Chicago

Cartwright, Mark. "Giotto." Traduit par Anne-Sophie Hardy. World History Encyclopedia. modifié le septembre 09, 2020. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-19132/giotto/.

Style MLA

Cartwright, Mark. "Giotto." Traduit par Anne-Sophie Hardy. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 09 sept. 2020. Web. 02 déc. 2024.

Adhésion