Bien que le royaume de Juda n'ait pas été particulièrement remarquable en termes de développements technologiques, la technologie joua néanmoins un rôle central dans son ascension en tant que puissance politique dans la région. Apparu au 10e siècle av. JC, il atteignit son apogée au 7e siècle av. J.-C., avant sa destruction vers 586 av. J.-C. Trois aspects de la technologie permettent de comprendre comment et pourquoi la Judée ancienne devint une puissance politique: l'urbanisme et l'urbanisation, l'industrie et l'écriture.
Comme la technologie du royaume de Juda est présentée ici principalement à partir de la chronologie historique dérivée de l'archéologie et non de la Bible hébraïque, la chronologie suggérée par Z. Herzog et L. Singer-Avitz sera utilisée. De même, dans le cadre de cette définition, les termes «Royaume d’Israël» et «Israël Ancienne» désignent ce que l'on appelle traditionnellement le Royaume du Nord, tandis que les termes «Judée ancienne» et «Royaume de Juda» désigne ce que l'on appelle traditionnellement le Royaume du Sud, en référence à la Bible hébraïque. Les termes «Israélite» et «Judéen» désignent respectivement les peuples d'Israël et de Judée.
Aménagement du territoire et urbanisation
Les vestiges archéologiques attestent d'une urbanisation croissante au 10e siècle av. J.-C., comme en témoignent les techniques de construction. À l'instar des sites israélites, de grands centres administratifs, dotés de «fortifications massives, de portes de ville, de palais, d'installations industrielles et de stockage, et [d'un ensemble] de maisons domestiques» sont développés dans le Royaume de Juda du 10e siècle av. J.-C. (Dever, 304). Ces structures permettaient aux Judéens de mieux se défendre contre les menaces extérieures. De même, l'aménagement des villes et l'urbanisation témoignent d'une autorité et d'une gestion centralisées.
Au cours des 9e et 8e siècles av. J.-C., divers systèmes d'adduction d'eau furent construits en Judée ancienne. Par exemple, des tunnels d'adduction d'eau datant des I9e et 8e siècles av. J.-C. ont été mis au jour à Beth-Shemesh, Beersheba et Kadesh-barnea, le plus remarquable étant celui de Jérusalem. Entre le 19e et le 21e siècle, des chercheurs ont fouillé le système hydraulique de Siloé, un système hydraulique «composé de divers tunnels souterrains d'acheminement de l'eau et de canaux de surface... situés à l'intérieur des murs fortifiés supposés de la Cité de David» (Guil 2017, 146), c'est-à-dire Jérusalem. Utilisé depuis l'âge du bronze moyen (17e siècle av. J.-C.) jusqu'à la période hellénistique (3e siècle av. J.-C.), le système hydraulique de Siloé est souvent associé au tunnel d'Ézéchias:
Les autres événements du règne d'Ézéchias, tous ses exploits, et la manière dont il fit le bassin et la conduite et amena l'eau dans la ville, sont rapportés dans les Annales des rois du royaume de Juda. (2 Rois 20:20)
Bien que les spécialistes ne s'entendent pas sur la question de savoir si certaines parties du système hydraulique de Siloé datant de l'âge du fer sont précisément l'œuvre des artisans d'Ézéchias, il est admis que Jérusalem développa et utilisa des systèmes hydrauliques entre le 9e et le 7e siècle av. J.-C. En outre, les fouilles archéologiques ont permis de découvrir des systèmes défensifs plus élaborés, de grandes installations de stockage et des centres administratifs datant des 9e et 8e siècles av. J.-C., qui témoignent du pouvoir politique croissant du royaume de Juda et de sa centralisation dans la région. Nombre de ces installations furent utilisées jusqu'au 7e siècle av. J.-C.
Au 7e siècle av. J.-C., après la chute du royaume israélite et la destruction de Samarie, le royaume de Juda devint un État vassal de l'Assyrie, lui payant un tribut et fonctionnant sous ses auspices. De même, le royaume de Juda devint un grand producteur de blé pendant cette période; cependant, il n'y eut guère de développements notables dans la technologie de la construction. En 586 av. J.-C., après la victoire de Babylone sur l'Assyrie, Jérusalem et d'autres grandes villes de Judée ancienne furent détruites, ce qui mit fin à l'ère de l'État judéen.
L'industrie
Jusqu'à la chute de l'Israël Ancienne (le Royaume du Nord) à la fin du 8e siècle av. J.-C., le royaume de Juda resta l'outsider par rapport à l’Israël Ancienne. Malgré cela, les documents archéologiques indiquent des changements significatifs au cours du 8e siècle av. J.-C. Au cours des 10e et 9e siècles av. J.-C., les Judéens utilisaient, avec une grande diversité, ce que l'on appelle généralement de la poterie à feuilletage rouge, cuite à la main. En revanche, la poterie du 8e siècle av. J.-C. était de couleur plus claire et plus standardisée, et moins diverse. L'archéologue Hayah Katz explique ce phénomène par une révolution industrielle. Alors qu'aux 10e et 9e siècles av. J.-C., la poterie était fabriquée à petite échelle, au 8e siècle av. J.-C., elle faisait l'objet d'une «production industrielle à grande échelle qui nécessitait une standardisation» (Katz, 311). Bien qu'il ne s'agisse pas de la technologie la plus exaltante, la poterie témoigne de la centralisation sociopolitique accrue de Juda au cours du 8e siècle av. J.-C. Cette centralisation permit peut-être l'essor de la production céréalière dans le royaume de Juda, par la suite, au 7e siècle av. J.-C.
Après la destruction du royaume d’Israël par l'Assyrie vers 700 av. J.-C. et le ravage du royaume de Juda, de nombreux Judéens migrèrent vers la vallée de Beersheba, qui «pouvait produire plus de 5 000 tonnes de céréales par an» (Faust et Weiss, 75). Bien que les documents archéologiques ne soient pas clairs quant aux technologies précises utilisées en Judée ancienne pour produire des quantités massives de céréales au 7e siècle av. J.-C., la migration et les technologies associées à la production de céréales permirent au royaume de Juda de participer de manière significative à l'économie régionale. Au cours du 7e siècle av. J.-C., les villes philistines, comme Ashkelon et Ekron, produisaient des articles de valeur tels que du vin et de l'huile d'olive. Le royaume de Juda participa à ce système en produisant des céréales essentiellement pour son propre usage. Les excédents de céréales étaient vendus aux villes philistines de la côte qui ne produisaient pas assez de nourriture. En d'autres termes, la Judée ancienne produisait des céréales, en utilisant des technologies associées, afin de participer à l'économie locale au cours du 7e siècle av. J.-C.
L'écriture
Bien qu'elle soit souvent considérée comme une évidence, l'écriture est en fait une technologie:
L'écriture est une «machine» qui complète à la fois la nature faillible et limitée de notre mémoire (elle stocke l'information dans le temps) et de nos corps dans l'espace (elle transporte l'information sur des distances). (Writing as technology, Oxford University Press Blog).
Il est donc important de comprendre l'histoire de l'écriture en Judée ancienne pour comprendre l'histoire des technologies et le développement des classes sociales et économiques du royaume. Les preuves de l'existence de l'écriture en Judée ancienne proviennent de multiples sources en dehors de la Bible hébraïque. Deux d'entre elles seront examinées ici: les sceaux «pour le roi» et les lettres de Lachish (ou lettres de Lakish).
Tout d'abord, les sceaux royaux, ou lmlk, (hébreu לְמֶלֶך) sont des empreintes d’estampilles sur des poignées de poterie découvertes dans la Judée ancienne de la fin de l'âge du fer (8e siècle av. J.-C.). Les estampilles comprenaient généralement un symbole royal (un scarabée à quatre ailes ou un disque solaire ailé) et un nom de lieu. Les sceaux signifiaient que le produit agricole contenu dans le récipient provenait du domaine royal. À l'heure actuelle, les archéologues connaissent environ 2 000 anses de jarres portant des estampilles lmlk. En outre, les estampilles lmlk devinrent courantes au «début du dernier tiers du 8e siècle av. J.-C., période à laquelle la Judée ancienne devint un royaume vassal» de l'Assyrie (Lipschits, 345). Sans surprise, c'est aussi à cette époque que le royaume de Juda commença à produire des céréales dans la vallée de Beersheba et que la poterie judéenne devint plus standardisée. Ainsi, la technologie de l'écriture est la preuve d'une centralisation croissante du pouvoir en Judée ancienne à partir de la fin du 8e siècle av. J.-C.
Deuxièmement, les lettres de Lachish sont une collection d'inscriptions sur ostracon découvertes à Lachish (aujourd'hui Tell ed-Duweir). Elles témoignent de la complexité administrative du royaume de Juda avant sa destruction vers 586 av. J.-C. Mais contrairement aux traces d'écriture du royaume d'Israël, les lettres de Lachish sont des correspondances et des messages entre individus plus que de simples reçus. Par exemple, une lettre suggère l'existence d'un système de signaux de feu comme signes d'une attaque de l'empire babylonien: «il saura que les signaux (de feu/fumée) de Lachish nous observent» (Zammit, 139). Plusieurs autres lettres traitent des mouvements de troupes, des conflits sociaux, des demandes de ressources et de la confirmation de leur réception. Ces écrits montrent que la technologie de l'écriture joua bien un rôle dans la formation et la pérennité du royaume de Juda.
Conclusion
La destruction de Jérusalem en 586 av. J.-C. marqua la fin de l'État judéen. Heureusement, des traces du royaume de Juda ont été découvertes depuis le 19e siècle. En rassemblant de petits éléments de preuve archéologique, nous avons une meilleure image de l'histoire de la Judée ancienne. En particulier, nous pouvons mieux comprendre comment des technologies communes telles que l'architecture, l'écriture, la poterie et la production de céréales permirent au royaume de Juda de devenir une puissance relativement importante au Levant.