La période des Trois Royaumes de Corée (57 av. J.-C.– 668) est appelée ainsi car le territoire coréen était divisée en trois royaumes : Baekje, Goguryeo et Silla. Cependant, il existait un quatrième état plus méconnu qui régnait à la pointe Sud de la péninsule, la confédération de Gaya. Ces quatre nations rivales formaient, déformaient et reformaient continuellement des alliances entre elles et avec les deux puissances voisines qu’étaient la Chine et le Japon. Finalement, Silla prit le dessus sur les autres royaumes grâce à l’aide de la dynastie chinoise des Tang et unifia la péninsule en formant un tout nouveau état à la fin du 7e siècle EC, le royaume Unifié de Silla.
Contexte historique
Tous ces royaumes se seraient formés à partir de regroupement local de tribus ayant bâtis des citées fortifiées et qui formèrent par la suite des sociétés structurées en état. D’après les récits rapportés au 12e siècle dans le Samguk Sagi (‘Mémoires historiques des Trois Royaumes’), ces changements ce seraient opérés durant le premier siècle avant notre ère. Mais les historiens modernes pensent plus tôt que la naissance de ces états ne se serait faite qu’au 2e ou au 3e, voire même plus tard.
Durant le 2e et 3e siècle de notre ère, Goguryeo débuta son expansion territoriale en conquérant les commanderies chinoises au Nord de la péninsule. En guise de représailles, le pays subit deux sévères défaites au milieu du 4e siècle de notre ère lorsque le prince chinois Murong Hwang envahit le royaume et pilla sa capitale Gungnae en 342, faisant alors 50 000 prisonniers. Puis le roi Guenchogo de Baekje, qui avait conquit la confédération de Mahan un an plus tôt, attaqua Pyongyang et tua le roi Goguwon de Goguryeo en 371. Le royaume de Baekje avait jusqu’alors prospéré grâce à ses terres fertiles et la pratique du commerce avec la Chine et le Japon par la voie maritime.
Après sa défaite face à Baekje, Goguryeo noua une alliance avec Silla et connu un 5e siècle prospère sous le règne du Grand roi Gwanggaeto (r. 391-413). En grand conquérant, il permit à son royaume de s’étendre au Nord de la péninsule en Mandchourie et jusqu’en Mongolie intérieure. Sa capitale fut déplacée à Pyongyang en 427 après de nombreux succès militaires dont la prise de la capitale de Baekje, Hanseong (actuel Gwangju), et l’exécution de son roi.
Baekje forma ensuite une alliance avec Silla en 433 qui dura un siècle, jusqu’en 553. Lors du règne du roi Beopheung (r. de 514 à 540) de Silla, le royaume acheva la centralisation du pouvoir et sa splendide capitale Geumseong (actuel Gyeongju) prospéra sur la côte Est grâce aux innovations de l’agriculture (comme l’invention de la charrue et des systèmes d’irrigations) et grâce à ses ressources naturelles abondantes en or et en fer. Mais malgré l’alliance des deux royaumes, Goguryeo gardait l’avantage en contrôlant 90% du territoire coréen.
Située au Sud de la péninsule, et bien souvent oubliée, se trouvait la confédération de Gaya. Malgré ses importants gisements en fer, le pays était coincé entre deux puissants voisins, Baekje et Silla, et il ne réussit jamais à réellement centraliser son pouvoir contrairement aux autres royaumes. Il fut attaqué par Baekje, puis par Silla qui voulait prouver sa supériorité en s’emparant de la cité-état de Geumgwan Gaya (ou Bon-Gaya) en 532. Les autres cités de la confédération tombèrent peu après et en 562 Gaya n’était plus.
A la même époque, l’alliance Silla-Baekje vola en éclat lorsque Silla prit possession de la vallée au Sud du fleuve Hangang. En 554, lors de la bataille de la forteresse Gwansan (actuel Okcheon), Baekje tenta de réclamer ses territoires perdus mais son armée de près de 30 000 hommes fut vaincu et le roi Seong fut tué. Cette victoire offrit un accès à la côte Ouest et à la mer Jaune au royaume de Silla, lui permettant de renforcer ses liens avec la dynastie chinoise.
De l’autre côté, Goguryeo enchaina les victoires militaires au 7e siècle. En 612, à la bataille du fleuve Salsu, le général Eulji Mundeok de Goguryeo vainquit l’armée Sui. Deux autres attaques de la dynastie chinoise furent repoussées et une muraille longue de 480 km fut érigée afin de dissuader les envahisseurs. Mais cela n’empêcha pas la toute nouvelle dynastie chinoise des Tang, qui voulait monter les royaumes coréens les uns contre les autres, de monter une armée et une flotte afin d’attaquer Goguryeo en 664. Mais de nouveau, la victoire fut remportée par le royaume coréen grâce au général Yang Manchun.
Goguryeo se joignit ensuite à Baekje afin d’attaquer Silla et ils conquirent ensemble Daeya-song (actuel Hapchon) et plusieurs autres forteresses frontalières. Les Tang n’avaient cependant pas abandonnés le front au Nord et attaquèrent sans relâche Goguryeo qui, sur la défensive et affaibli par des conflits internes, ne parvint pas à résister. Pyongyang, la capitale, fut assiégée en 661 puis en 667 par l’armée Tang et finit par tomber cette même année, entrainant tout le royaume dans son sillage. L’année suivante, le roi Bojang (r. 642-668) fut exilé en Chine avec 200 000 de ses sujets.
La fin du royaume de Baekje ne fut pas très différente. Le pays ne réussit pas à convaincre le Japon de les aider et ne put empêcher la chute de sa capitale Sabi en 660, lorsque la coalition Tang-Silla attaqua en même temps par la mer et par les terres. L’armée de 50 000 hommes de Silla menée par le général Kim Yu-sin et la force navale de 130 000 hommes de l’empereur Tang Gaozong suffirent pour terrasser le royaume de Baekje. Connaissant le même destin que Gaya et Goguryeo, le dernier roi de Baekje, le roi Uija, fut fait prisonnier en Chine. Enfin, après avoir conclu un marché avec l’armée Tang restée sur les territoires de Baekje et Goguryeo afin de les administrer, Silla se retrouva le seul royaume régnant sur toute la péninsule et instaura un nouveau royaume en 668, le royaume du Silla Unifié.
Gouvernements & Structures sociales
Tous les états de cette période avaient des systèmes politiques et sociaux semblables. Un monarque régnait avec l’aide de hauts fonctionnaires choisis parmi la noblesse et les fonctionnaires nommés par le gouvernement administraient les provinces avec le soutien des chefs des tribus locales. Le reste de la population vivait de la paysannerie et payait des taxes au gouvernement. Les citoyens pouvaient être contraints de s’enrôler dans l’armée ou de travailler sur des chantiers d’intérêts généraux tels que la construction d’une forteresse. Au bas de l’échelle sociale se trouvaient les criminels ainsi que les esclaves, essentiellement composés de prisonniers de guerre et de grands endettés, qui étaient obligés de travailler sur les terres de la noblesse. La société était strictement divisée en différent rangs sociaux, à l’image du système des os sacrés du royaume de Silla qui régissait la vie de tous les habitants (le montant de leurs impôts, leur métier, leurs habits…).
Relations avec la Chine et le Japon
Malgré les conflits opposant le royaume chinois aux différents états coréens, les échanges commerciaux entre les deux régions étaient innombrables. De la soie, du thé et du matériel d’écriture étaient importés de Chine tandis que du fer, de l’or et des chevaux y étaient exportés. Les deux régions nouèrent parallèlement de forts liens culturels, la Corée empruntant le terme chinois wang pour désigner son roi, utilisant sa monnaie, étudiant sa littérature et copiant ses pratiques funéraires ainsi que certaines notions artistiques. Bien qu’étant des nations chamaniques de premier abord, les états coréens adoptèrent le confucianisme puis le taôisme et le bouddhisme apportés de Chine, faisant même de ce dernier leur religion d’état.
D’un autre coté, les liens entre le pays de Wae (Wa en Chinois) et Gaya étaient très forts. La confédération coréenne, qui était plus développée que son homologue japonais, exportait de grande quantité de fer vers l’archipel. Cependant, les spécialistes, souvent troublés par leurs propres convictions nationalistes, débattent encore de savoir jusqu’à quel point l’un des deux états aurait influencé voir contrôlé l’autre. Néanmoins, la culture de Baekje s’exporta elle aussi au Japon, de part ses érudits et ses artistes qui emmenèrent avec eux les textes de Confucius, et de ce fait la culture chinoise.
L’art des Trois Royaumes
L’art du royaume de Baekje est généralement considéré comme étant le plus délicat de cette époque, mais malheureusement pour la postérité, il est celui ayant le plus souffert des guerres et des pillages. A Baekje et à Goguryeo aussi, les entrées des sépultures étant facilement accessibles, l’art a souffert des pillages. Les meilleures sources d’artéfacts sont donc les tombeaux de la dynastie de Silla qui étaient eux scellés et de ce fait, difficiles d’accès.
Des poteries de gré étaient produites dans tous les royaumes coréens, bien que très peu de poteries de Goguryeo aient été retrouvées. Les cruches à large bec, les coupes sur pied, les jarres à anses et la vaisselle représentant des animaux, des bateaux ou des guerriers étaient autant de formes typiques de la poterie de cette période. La céramique était finement décorée par incisions et ajouts successifs de matière afin de créer un effet de treillage.
Les plus belles traces de peinture murale de cette époque sont celles des tombeaux du royaume de Goguryeo. Plus de 80 chambres funéraires ont été retrouvées ornées de dessins très colorés représentant des scènes de vie, des portraits du défunt et des créatures légendaires. La peinture était généralement appliquée à même la roche ou bien parfois sur un enduit de chaux.
Le bronze doré était très répandu dans la région. C’est notamment avec ce métal que l’on fabriqua l’un des joyaux de l’art de Baekje, un brûleur d’encens retrouvé près de Sabi représentant un dragon supportant une montagne céleste surmontée d’un phœnix. L’art bouddhique était très populaire sur la péninsule, les artistes de Baekje taillèrent par exemple des représentations de Bouddha à même les falaises comme à Seosan. Le bronze doré était alors utilisé pour produire des statuettes de Bouddha, de Maitreya et de bodhisattvas. L’autre utilisation du bronze était pour les couronnes des différentes dynasties, qui était aussi recouvertes de feuilles d’or pour le royaume de Silla. Elles possédaient une structure en forme de branche ou de bois de cerf, rappelant les liens originels des royaumes avec le chamanisme. Une autre pierre populaire était le jade qui, une fois sculpté en forme de croissant de lune, venait embellir d’étincelants ornements.
L’architecture des Trois Royaumes
Malheureusement, peu d’édifices datant de cette époque ont survécu aux épreuves du temps. Cependant, grâce aux avancées archéologiques et aux peintures présentes dans les tombes, les chercheurs ont réussi à identifier les principales caractéristiques de l’architecture des temples et des palais. Ces charactéristiques incluent des toits recouverts de tuiles, inclinés et légèrement relevés aux extrémités, des piliers de pierre ou de bois, des cloisons faites de papier, des cours intérieures et des jardins, le tout se trouvant sur une plateforme surélevée. Enfin, le point central d’une construction était son harmonisation avec son environnement naturel selon les principes du Pungsu (Fengshui). Un excellent exemple de cette architecture était le temple, aujourd‘hui perdu, de Miruk près de Iksan. Construit au 7e siècle EC par le roi Mu de Baekje, il était le plus grand temple bouddhiste de l’Est de l’Asie avec ses deux pagodes en pierre. L’une d’elle est toujours visible bien qu’elle ne possède plus que 6 étages sur les 7 ou 9 qu’elle possédait à l’origine.
Au Nord, il existe des restes de la muraille de Goguryeo à Tonghwa et à Fushun en Chine ainsi qu’à Pyongyang. Des fouilles dans la capitale nord-coréenne ont permis de mettre à jour des preuves attestant de la présence de bâtiment d’au moins 80 mètres par 30 et de palais possédant des jardins avec des lacs artificiels datant de cette période. Les bâtiments étaient décorés de tuiles représentant des lotus et de faces de démons.
A Gyeongju, la capitale de Silla, l’observatoire astronomique de Cheomseongdae est une structure insolite datant du milieu du 7e siècle. Haut de 9 mètres, il fonctionne comme un cadran solaire et possède une fenêtre sur son versant Sud capturant les rayons du Soleil à l’intérieur de l’édifice deux fois par an, à chaque équinoxe. Il est le plus vieil observatoire encore existant de cette partie de l’Asie.
Avec plus de 10 000 sites seulement pour le royaume de Goguryeo, les tombeaux des Trois Royaumes abondent sur la péninsule. Ils furent d’abord construit en forme de cairn puis de monticules de pierre fait de galets pour Goguryeo et de cavités surplombées d’un monticule de terre pour Gaya et Silla. Enfin, ils prirent la forme de monticules de terre renfermant une chambre en pierre (ou en brique pour Baekje) possédant une entrée, sauf pour celles de Silla qui étaient scellés. Ces tombes étaient construites dans des styles très variés possédant parfois des plafonds voutés, des piliers octogonaux et des portes pivotantes en pierre. L’un des plus grands monuments funéraires observables est la grande tombe de Hwangnam qui est en fait constituée de deux monticules abritant les dépouilles d’un roi et d’une reine du royaume de Silla. Construite entre le 5e et le 7e siècle, elle mesure 80 mètres sur 120 et est haute de 23 mètres. Un autre exemple notoire de cette architecture funéraire est la tombe présumée du Grand roi Gwanggaeto de Goguryeo (r. 391-412), se situant dans la première capitale du royaume Gungnae (actuel Tonghwa). Longue de 75 mètres et faite de blocs de pierre faisant jusqu’à 3 mètres par 5, elle est entourée de quatre petits dolmens. Et pour finir, on peut aussi mentionner la tombe du roi Muryeong de Baekje. Dans son gigantesque monticule de terre se trouve une voûte circulaire ornée de centaines de blocs moulés, décorés de fleur de lotus et de formes géométriques. Située près de Gongju, la structure daterait de 525 comme indiqué sur une plaque à l’intérieur de la tombe.