Héraclite d'Éphèse (c. 500 av. J.-C.) était un philosophe présocratique qui affirmait que la cause première de l'existence était le feu et que la vie elle-même était caractérisée par la lutte et le changement. Héraclite ne considérait pas cette condition comme une mauvaise chose, mais simplement comme la nature de la vie elle-même, comme l'essence fondamentale de ce qui fait de la vie ce qu'elle est. Il voyait une unité dans l'ensemble de l'expérience humaine, caractérisée par le changement, et il exprimait cette unité dans l'expression grecque Panta Rhei: la vie est un flux. Toute la vie humaine est un changement constant et c'est ce changement même qui unit notre expérience et qui fait de nous des êtres humains.
Héraclite semble avoir beaucoup écrit, mais de son œuvre, il ne nous reste que quelques fragments. Ces fragments suggèrent cependant qu'il développa une philosophie basée sur le concept du feu comme cause première, du changement comme synonyme de vie, et de l'importance de s'éveiller au sens réel de sa vie - par opposition à l'acceptation des opinions des autres comme vérité - et de rester dans un état perpétuel de conscience. Cette conscience permet de s'attendre constamment à l'inattendu et de rester ouvert à toutes les possibilités que l'existence a à offrir.
Les griefs d'Héraclite
Héraclite critiquait vivement ses concitoyens, ainsi que d'autres philosophes de son époque, pour leur incapacité apparente à reconnaître cette vérité fondamentale de leur vie. Outre ses célèbres citations sur la nature de la vie comme étant équivalente au changement, Héraclite avait beaucoup à dire sur les habitudes des êtres humains et sur la manière dont ils pourraient mener une vie meilleure ou, du moins, plus sensée.
Héraclite est particulièrement critique à l'égard de l'écrivain Hésiode (VIIIe siècle av. J.-C.), connu aujourd'hui comme le père de la mythologie grecque pour sa Théogonie, qui consigna par écrit les récits des dieux grecs. Héraclite déplore qu'Hésiode "n'a pas compris le jour et la nuit" (DK 57), ce qui signifie qu'il n'y aurait pas de jour sans nuit et pourtant, dans la Théogonie, Hésiode écrit que les deux sont distincts l'un de l'autre, le jour étant "bon" et la nuit "mauvaise".
Il critique également des philosophes comme Parménide (vers 485 av. J.-C.) qui insistent sur l'unité de l'existence qui n'admet pas le changement. Pour Parménide, l'essence de l'existence est Une et la pluralité est une illusion causée par les sens. Si l'on croit que les choses changent dans la vie, on se trompe car l'essence de toute chose est uniforme et seules les apparences changent. Pour Parménide, une personne peut sembler vieillir, mais l'essence même de cette personne ne peut pas le faire, car elle fait partie de l'essence de toutes les autres personnes et de tous les êtres vivants, où qu'ils se trouvent.
Héraclite pensait que c'était absurde, notant que le changement n'est pas seulement apparent, mais qu'il est nécessaire à la poursuite de la vie. Ceux qui soutenaient le contraire, affirmait-il, étaient endormis car "pour [l'Univers], tout est beau, bon et juste; mais les hommes ont supposé que certaines choses étaient injustes et d'autres justes" (Dk 102, Freeman, 31). Les gens craignent le changement parce qu'ils ont peur de perdre ce qu'ils aiment, mais ils ne se rendent pas compte que rien de vivant ne peut rester statique et continuer à prospérer; seules les choses vivantes changent et, pour Héraclite, c'est ce qui les définit. Rejeter le concept de changement, dirait-il, c'est rejeter la vie elle-même.
Pour Héraclite, les désignations telles que "bon" et "mauvais" ne sont que les deux faces d'une pièce de monnaie et n'ont pas de signification définitive. Comme tout le reste, le bien et le mal, le jour et la nuit ne font qu'un et sont en changement constant et éternel ou, comme il le dit, "le chemin vers le haut et le chemin vers le bas est un et le même" (DK 60, Freeman, 29). Si tout est constamment en mouvement, et que rien n'est permanent, alors les définitions doivent rester fluides et l'on doit rester ouvert aux possibilités de transformation.
Les fragments d'Héraclite
Son œuvre fut jugée suffisamment importante pour être conservée par des philosophes et des écrivains ultérieurs et, en grande partie, dans les livres tentaculaires du biographe philosophique Diogène Laërce (c. 180-240 de notre ère), dont les Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres ont été écrites pour conserver des récits sur les philosophes grecs antérieurs et leurs œuvres. Malheureusement, Laërce écrivait librement, sans se soucier de citer ses sources, de sorte que les chercheurs rejettent régulièrement une grande partie de ce qu'il rapporte.
Les fragments d'Héraclite et d'autres, en revanche, sont souvent repris dans les œuvres d'autres personnes et sont donc considérés comme authentiques. Les fragments suivants sont extraits du site Palimpsestes.fr qui propose la traduction française de Paul Tannery (1887) sauf le fragment 20, qui lui est tiré de Fragments, trad. Paul Tannery, éditions Arbre d'Or (2006):
Si la félicité résidait dans les plaisirs du corps, nous dirions que les bœufs ont la félicité quand ils trouvent du foin à brouter. (4)
Le soleil est nouveau chaque jour. (6)
Ce qui s'oppose coopère, et de ce qui diverge procède la plus belle harmonie, et la lutte engendre toutes choses. (8)
Tout ce qui rampe a pour partage les coups. (11)
Si on n'espère pas, on ne trouvera pas l'inespéré; car on ne peut le chercher, il n'est pas de voie vers lui. (18)
Quand ils sont nés, ils veulent vivre et subir la mort et laisser des enfants pour la mort. (20).
Ce qui attend les hommes morts, c'est tout autre chose que leur espérance et leur opinion. (27).
Les meilleurs choisissent un seul bien en échange de tous les autres, la gloire éternelle en échange des choses mortelles. La multitude se rassasie comme des troupeaux. (29).
Les philosophes doivent être au courant de beaucoup de choses. (35)
L'étendue des connaissances n'enseigne pas à avoir l'esprit; sans quoi elle l'aurait enseigné à Hésiode et Pythagore, et encore à Xénophane et Hécatalos. (??) (40).
Ceux qui ont entendu non moi mais le logos, sont d'accord que la sagesse, c'est: un est tout. (50).
Hésiode est maître de la plupart des choses. On sait qu'il a su la plupart des choses. Et il ne connaissait pas le jour et la nuit, car ce sont une seule et même chose. (57)
La mer est l'eau la plus pure et la plus souillée, buvable et salutaire pour les poissons, imbuvable et mortelle pour les hommes. (61)
Dieu est jour et nuit, hiver et été, rassasiement et famine. Il change comme [le feu] qui, quand il est mêlé aux parfums, reçoit un nom selon le plaisir de chacun. (67)
Il ne faut pas parler et agir comme endormant. (73)
Lutter contre le cœur est dur. Car tout ce qu'il veut, on l'achète au prix de l'âme. (85)
C'est une même chose qu'être vivant et mort, éveillé et dormant, jeune et vieux. Ces choses sont changées les unes dans les autres et de nouveau changées. (88)
Pour ceux qui sont éveillés il n'y a qu'un seul et même monde. (89)
Les cadavres doivent être rejetés plus que la fange. (96)
J'ai été en quête de moi-même. (101)
Pour Dieu toutes choses sont belles, bonnes et justes. Les hommes conçoivent les unes comme injustes les autres comme justes. (102)
L'habitude est le génie de l'homme. (119)
Les choses froides s'échauffent, les choses chaudes se refroidissent, l'humide sèche, le sec s'humecte. (126)
L'enseignement est un autre soleil pour ceux qui le reçoivent. (134)
Parmi les fragments les plus connus, on trouve l'affirmation d'Héraclite, généralement citée comme "On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve", ce qui signifie que, puisque les eaux d'un fleuve sont constamment en mouvement, on ne peut jamais faire l'expérience des mêmes eaux sur ses pieds (Baird, 20). De la même manière, la vie est également en mouvement constant et il ne faut pas s'attendre à ce qu'un de ses aspects reste immobile pour son plaisir personnel.
Conclusion
Les fragments d'Héraclite suggèrent une philosophie complètement développée basée sur la reconnaissance du changement comme essence fondamentale de la vie et, en même temps, sur l'importance d'en rester conscient à tout moment. Son avertissement ci-dessus, selon lequel il ne faut pas "parler et agir comme endormant", encourage le public à se débarrasser de l'illusion de la permanence dans la vie et à embrasser la réalité du changement.
On dit qu'Héraclite lui-même avait autant de problèmes avec le changement - sous la forme de l'acceptation des conseils d'autrui - que n'importe qui d'autre. On prétend que, vers la fin de sa vie, alors qu'il était malade, il présenta ses symptômes aux médecins sous forme d'énigmes et que, lorsqu'ils essayèrent de s'occuper de sa situation, il s'impatienta et partit se soigner lui-même, ce qui entraîna sa mort.
Il est impossible de savoir si cette histoire est vraie, mais elle n'enlève rien à sa philosophie, car il est assez courant que les visionnaires ne soient pas à la hauteur de leur propre idéalisme. Ses réflexions sur la nature de la vie et la meilleure façon d'y vivre ont inspiré les œuvres des philosophies ultérieures, même celles de Platon et d'Aristote, et restent une source importante de conseils pour ceux qui, aujourd'hui encore, ont une aversion pour le changement et espèrent s'accrocher à ce qu'ils ne pourront jamais détenir.