Bataille des champs Catalauniques

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Yves Palisse
publié le 20 décembre 2016
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Disponible dans ces autres langues: anglais, espagnol

La bataille des champs Catalauniques (ou bataille de Châlons, ou bataille de Campus Mauriacus) fut l'un des engagements militaires les plus décisifs de l'histoire de l’humanité. Il eut lieu entre les forces de l'Empire romain sous le commandement de Flavius Aetius (391-453 après J-C) et celles d'Attila le Hun (r. de 434 à 454 après J-C). Le combat se déroula le 20 juin 451 après J-C en Gaule (France actuelle), dans la région de la Champagne. Bien que le lieu exact de la bataille n'ait jamais été établi avec certitude, on sait que les champs Catalauniques se trouvaient quelque part entre Troyes et Châlons-en-Champagne. Bien que la date la plus couramment retenue pour la bataille soit le 20 juin 451 après J-C, d'autres dates - remontant parfois jusqu'au 27 septembre de la même année - ont également été proposées. La date du 20 juin est toutefois la plus probable de toutes, compte tenu des événements qui l'ont précédée - comme le siège d'Orléans - et de ceux qui l’ont suivi.

Army of Attila the Hun
Armée d'Attila le Hun
The Creative Assembly (Copyright)

Cet événement revêt une importance capitale pour bien des raisons, y compris le fait, et non le moindre, qu'il permit de porter un coup d'arrêt à l'invasion de l'Europe par les Huns et ainsi de préserver sa culture. Cette bataille vit aussi pour la première fois une armée occidentale tenir en échec la horde des Huns et réussir à la détourner de son objectif. Même si Attila devait se ressaisir en envahissant l'Italie dès l'année suivante, la bataille de Châlons avait porté un coup fatal à son aura d'invincibilité. Il sut le reconnaître et se retira définitivement d'Italie l'année qui suivit. Attila mourut deux ans après la bataille des champs Catalauniques et ses fils, qui avaient hérité de son empire, se disputèrent âprement le pouvoir, au point que seize ans seulement après la mort d'Attila, il ne restait plus aucune trace du vaste empire qu'il s'était taillé. La plupart des spécialistes de la question considèrent la bataille des champs Catalauniques comme le moment où le destin d'Attila bascula.

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Contexte historique de la bataille

Depuis la crise du IIIe siècle (également connue sous le nom de crise impériale, 235-284 après J-C), marquée par une agitation sociale de tous les instants, une guerre civile cruelle et la division de l'empire en trois régions distinctes (l'Empire gaulois, l'Empire romain et l'Empire palmyrénien) l'Empire romain éprouvait les plus grandes difficultés à maintenir sa cohésion. Pour un temps, l'empereur Dioclétien (284-305 après J-C) put rassembler ces trois entités sous son autorité, mais il trouva l'empire si vaste et si difficile à diriger efficacement qu'il dut le diviser en Empire romain d'Occident, dont la capitale était Ravenne, et en Empire romain d'Orient, dont la capitale était Byzance (plus tard Constantinople). Entre les années 305 et 378 de notre ère, ces deux moitiés de l'empire parvinrent à se maintenir et à s'entraider en cas de besoin, mais après la bataille d'Andrinople, le 9 août 378 après J-C, qui vit les Goths de Fritigern écraser les forces romaines de Valens, les difficultés de Rome se firent plus pressantes que jamais.

LES EMPEREURS ROMAINS S'EFFORÇAIENT DE MAINTENIR LA COHÉSION DE L'EMPIRE FACE À UNE AGITATION SOCIALE DE TOUS LES INSTANTS, À LA GUERRE CIVILE ET À LA FRAGMENTATION DE L'EMPIRE.

À la même époque, vers la fin du IVe siècle après J-C, les Mongols délogeaient les Huns de la région du Kazakhstan dont ils étaient originaires. Dès le départ, leur exode prenait des allures de force d'invasion vivant du pillage des territoires envahis et massacrant la population des régions traversées. En 370 après J-C, ils battaient les Alains ; en 376, ils repoussaient les Wisigoths de Fritigern en territoire romain et, en 379, les sujets d'Athanaric dans le Caucase. Les Huns allaient poursuivre leur conquête de la région, et comme devait l'écrire l'historien Herwig Wolfram, citant la source antique d'Ambroise, leurs actions provoquèrent une réaction en chaîne dévastatrice : ‘Les Huns fondirent sur les Alains, les Alains sur les Goths, et les Goths sur les [tribus] des Taïfales et des Sarmates’ (73). Nombre de ces tribus, en plus des Goths, n'eurent d'autre recours que de chercher leur salut en territoire romain.

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Depuis 212 après J-C, date à laquelle Caracalla avait accordé la citoyenneté universelle à tous les peuples libres dans les limites de l'Empire romain, l'armée romaine était majoritairement constituée de non-Romains. Le service militaire avait autrefois été un excellent moyen d'obtention de la citoyenneté pour les non-Romains, mais la décision de Caracalla lui retira ce puissant attrait et l'armée se vit de plus en plus souvent obligée de recruter ses troupes en dehors des frontières de Rome. Outre les autres barbares non-Romains, l'armée romaine renforçait de plus en plus fréquemment ses effectifs en y incorporant des Huns, de sorte que des Huns défendaient Rome contre d'autres Huns qui envahissaient ses territoires.

Invasions of the Roman Empire
Invasions de l'Empire romain
MapMaster (CC BY-SA)

Les envahisseurs Huns semblaient n'avoir d'autre ambition que la destruction et le pillage, et Rome était impuissante à combattre une armée qui semblait surgir de nulle part pour ravager le pays, puis disparaître aussi vite qu'elle était arrivée. En 408 après J-C, le chef d'une tribu de Huns, Uldin, dévasta la Thrace de fond en comble, et comme Rome ne pouvait rien faire pour l'arrêter militairement, elle essaya d'acheter la paix en le payant. Uldin, cependant, se montra trop gourmand, et les Romains choisirent donc de soudoyer ses subordonnés. Cette méthode de maintien de la paix fut couronnée de succès et devint dès lors le moyen préféré des Romains pour traiter avec les Huns. Cependant, si grande qu'ait pu être la menace qu'ils faisaient peser sur la paix romaine, les Huns manquaient d'un chef fort et d'un objectif clair jusqu'à l'arrivée au pouvoir d'Attila.

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Attila prit le contrôle des forces hunniques à la mort de son oncle Ruga en 433 après J-C en compagnie de son frère Bléda (également connu sous le nom de Buda). Il devint immédiatement clair pour Rome qu'elle avait affaire à un ennemi entièrement nouveau, dont l'ambition était de créer un vaste Empire hunnique. Attila et Bléda négocièrent le traité de Margus en 439 après J-C, qui stipulait notamment que les Huns n'attaqueraient pas les territoires romains en échange d'un important tribut. Pour un temps, les Huns se tournèrent vers l'Empire Sassanide, mais après y avoir subi de nombreux revers, ils tournèrent à nouveau leur attention vers Rome. Entre-temps, les Romains, croyant qu'Attila respecterait le traité qu'il avait signé, avaient retiré leurs troupes de la région du Danube et les avaient envoyées contre les Vandales qui menaçaient les intérêts romains en Afrique du Nord et en Sicile. Lorsqu’Attila et Bléda se rendirent compte dès 441 que la région est pratiquement sans défense, ils lancèrent leur offensive sur le Danube, mettant les villes à sac et les pillant sans rencontrer la moindre résistance.

Leur offensive fut d'autant plus réussie qu'elle prit les romains à l'improviste. En effet, l'empereur romain d'Orient Théodose II était tellement convaincu que les Huns allaient respecter leur propre traité qu'il refusa d'écouter tout conseil suggérant le contraire. Le lieutenant-colonel Michael Lee Lanning, de l'armée américaine, commente ce fait en écrivant :

Attila et son frère accordaient peu de valeur aux traités et encore moins à la paix. Dès leur accession au trône, ils relancèrent l'offensive des Huns contre Rome et tous ceux qui leur barraient la route. Au cours des dix années suivantes, les Huns envahirent des territoires qui englobent aujourd'hui la Hongrie, la Grèce, l'Espagne et l'Italie. Attila expédiait les richesses acquises dans sa patrie et enrôlait de force des soldats dans son armée, tout en incendiant souvent les villes conquises et passant leurs habitants au fil de l'épée. La guerre se révélait lucrative pour les Huns, mais l'enrichissement ne semble pas avoir été leur objectif principal. Attila et son armée semblaient véritablement aimer la guerre, les rigueurs et les récompenses de la vie militaire les attiraient davantage que l'agriculture ou l'élevage. (61)

Peu après l'offensive sur le Danube, en 445 après J-C, Attila fit assassiner Bléda et devint le chef suprême des Huns. Attila considérait Rome comme un adversaire de deuxième ordre, c'est pourquoi, à partir de 446 ou 447 après J-C, il envahit de nouveau la région de Mésie (dans les Balkans), détruisit plus de 70 villes, réduisit les habitants survivants en esclavage et fit livrer le butin à sa place forte, la ville de Buda (peut-être Budapest), dans l'actuelle Hongrie. Ayant pratiquement mis l'Empire romain d'Orient à genoux, aussi bien sur le champ de bataille que sur le terrain des négociations diplomatiques, Attila tourna désormais son attention vers l'ouest. Cependant il avait encore besoin d'une excuse valable pour justifier une invasion, il n'allait pas tarder à la trouver en la personne d'une alliée tout à fait inattendue.

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Empire of Attila the Hun
Empire d'Attila le Hun
William R. Shepherd (Public Domain)

En l'an 450 après J-C, la sœur de l'empereur romain d'Occident Valentinien, Honoria, voulant à tout prix échapper à un mariage forcé avec un sénateur romain, envoya un message à Attila, accompagné de sa bague de fiançailles, afin de lui demander son aide. Bien qu'il ne soit peut-être jamais entré dans ses intentions d'offrir sa main à Attila, celui-ci choisit d'interpréter son message et la bague qui l'accompagnait comme une promesse de mariage et lui fit immédiatement part de ses conditions : la moitié de l'Empire d'Occident pour sa dot. Lorsqu'il découvrit les agissements de sa sœur, Valentinien envoya des messagers à Attila pour lui expliquer qu'il s'agissait d'une erreur et qu'il n'y avait pas de demande de mariage, ni de dot à négocier. Attila soutint que la demande en mariage était valable, qu'il en avait accepté les termes et qu'il viendrait réclamer sa promise en personne. Il mobilisa alors son armée et entreprit une marche sur la capitale romaine.

Les adversaires en présence

Cependant, le général romain Aetius s'était déjà préparé à une invasion des Huns à grande échelle quelques années avant ces événements. Dans sa jeunesse, Aetius avait été otage des Huns, ce qui lui avait donné une grande compréhension de leur langue et de leur culture. Au fil des ans, il avait recruté des Huns dans son armée à plusieurs reprises et entretenait des relations des plus cordiales avec Attila. La description d'Aetius est souvent conforme à l'affirmation de l'historien romain Procope selon laquelle il 'était le dernier vrai Romain d'Occident' (Kelly, 8). Son contemporain, Rufus Profuturus Frigeridus, le décrit ainsi :

Aetius était de taille moyenne, viril dans ses habitudes corporelles et bien proportionné. Il ne souffrait d'aucune infirmité et jouissait d'une bonne condition physique. Son intelligence était vive, il était plein d'énergie, c'était un cavalier hors pair, un excellent archer et il maniait la lance avec aisance. C'était un combattant d'une grande habileté et un expert dans les arts de la paix. Il n'y avait pas une once d'avarice en lui et encore moins de cupidité. Il était magnanime dans son comportement et ne se laissait jamais influencer dans son jugement par les conseils de conseillers indignes. Il endurait l'adversité avec une grande patience et était toujours préparé à faire face à n'importe quelle situation, aussi exigeante fut-elle ; il faisait fi du danger et était capable d'endurer la faim, la soif et le manque de sommeil. (Devries, 209)

Bien que cette description soit évidemment idéalisée (Aetius pouvait en réalité faire preuve d'une avarice et d'une cupidité considérables), Aetius était tout de même le meilleur candidat pour prendre le commandement d’une armée contre les Huns. En premier lieu, il connaissait leurs tactiques et leur chef, mais c'est son charisme personnel et sa réputation en matière de bravoure et de victoire qui jouèrent un rôle essentiel dans le recrutement d'un nombre de combattants suffisant pour repousser l'invasion. Cependant, en dépit de toutes ses qualités personnelles et professionnelles, Aetius ne réussit probablement qu'à assembler qu'une force de quelque 50 000 hommes et dut s'allier à un ancien adversaire, Théodoric Ier (418-451 après J-C), roi des Wisigoths. Il fut ainsi en mesure de rassembler une troupe d'infanterie composée en grande partie d'Alains, de Burgondes, de Goths ainsi que d'autres peuples.

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Attila the Hun Model
Représentation d'Attila le Hun
Peter D'Aprix (CC BY-SA)

Attila est décrit par l'historien Jordanès (VIe siècle après J-C), auteur du seul récit ancien sur les Goths qui soit parvenu jusqu'à nous et qui inclut l'interaction des Goths avec les Huns. Il décrit Attila sous un jour flatteur, même s'il n'éprouvait aucune sympathie pour les Huns :

C'était un homme venu au monde pour ébranler les nations, le fléau de tous les pays, qui terrifiait en quelque sorte toute l'humanité par les rumeurs qui circulaient à son sujet. Il était d'un abord hautain, promenant son regard sur tout ce qui l'entourait afin que sa puissance fût manifeste à chaque mouvement de son corps altier. Il aimait la guerre, mais il était modéré dans ses actions ; il était puissant dans ses conseils, bienveillant envers ses suppliants et indulgent envers ceux qui bénéficiaient de sa protection. Au physique, il était de courte stature, avec une large poitrine et une grosse tête, de petits yeux, une barbe peu abondante et parsemée de gris. Son nez camus et son teint bronzé dénotaient son origine. (Jordanès, 102)

Dans la plupart des ouvrages romains qui lui sont consacrés, Attila est souvent décrit comme le 'fléau de Dieu' sanguinaire, un barbare dépourvu de toute humanité, mais certains textes, comme le récit de Jordanès et celui de l'écrivain romain Priscus, le présentent comme un observateur perspicace du comportement humain, un chef brillant et charismatique, et un général hors-pair.

En 451 après J-C, Attila entreprit la conquête de la Gaule avec une armée comptant probablement environ 200 000 hommes, bien que certaines sources, comme Jordanès, avancent le chiffre d'un demi-million d'hommes. Il s'empara de la province de Gallia Belgica (la Belgique d'aujourd'hui) sans rencontrer de grande résistance. La réputation d'Attila en tant que force invincible à la tête d'une horde qui ne connaissait pas la pitié suffisait à jeter sur les routes des régions traversées des populations affolées qui n'avaient que le temps d'emporter le strict minimum dans leur fuite. Attila, après avoir pillé villes et villages, poursuivait son avancée tout en ravageant systématiquement la campagne au fur et à mesure de sa progression.

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Visigoth Warriors
Guerriers wisigoths
The Creative Assembly (Copyright)

Le seul échec d'Attila en matière de conquête lui avait été infligé par les Sassanides - un événement ignoré de la majorité du peuple romain - il avançait donc en Gaulle précédé d'une effrayante réputation de cruauté et d'invincibilité. En mai, Attila atteignit la ville d'Orléans, que son souverain Sangiban, roi des Alains, avait prévu de lui céder. Or, Sangiban ne fut jamais en mesure de transmettre son message à Attila et les Huns assiégèrent la ville.

Aetius et Théodoric arrivèrent à Orléans juste à temps pour disperser l'avant-garde d'Attila, briser le siège et obliger Sangiban à se joindre à eux. Attila se retira alors vers le nord afin de trouver un terrain plus propice à ses projets, laissant derrière lui un contingent de 15 000 guerriers Gépides pour couvrir sa retraite. Selon Jordanès, cette armée fut complètement détruite lors d'une attaque nocturne orchestrée par Aetius qui se lança ensuite à la poursuite d'Attila. Un certain nombre de points du récit de Jordanès sur le massacre des forces Gépides ont été contestés, notamment le nombre d'hommes qu'Attila avait laissés derrière lui. Il est toutefois fort probable qu'il ait posté un contingent de son armée pour couvrir son départ d'Orléans et qu'Aetius ait été obligé de s’en débarrasser avant de pouvoir se lancer à la poursuite du roi des Huns.

La bataille des champs Catalauniques

Attila choisit un site près de la Marne, une large plaine sur laquelle il disposa ses hommes, face au nord, son poste de commandement au centre et vers l'arrière. Il plaça ses troupes ostrogothes sur son aile gauche, et ce qui restait de ses troupes Gépides sur son aile droite ; ses guerriers Huns occupèrent le centre. Lorsqu'Aetius arriva sur le terrain, Attila avait déjà pris position et il plaça Théodoric et ses forces en face des Ostrogoths et des Huns, Sangiban et son armée au centre, et s'installa au loin en face des Gépides.

Dispositions - Battle of Catalaunian Fields
Disposition des armées- bataille des champs catalauniques
Dryzen (Public Domain)

Bien qu'Attila soit arrivé le premier sur le champ de bataille, il choisit d'occuper la partie basse du terrain, pensant probablement attirer les forces romaines vers le bas et tirer ainsi le meilleur parti de ses archers et de sa cavalerie. Lanning écrit :

Combinant mobilité et effet de choc, Attila engageait rarement ses troupes dans un combat au corps à corps. Il préférait s'approcher de son ennemi en utilisant le terrain pour dissimuler ses troupes jusqu'à ce qu'il soit à portée de flèches. Tandis qu'une rangée d'archers tirait à des angles élevés pour obliger les défenseurs à lever leurs boucliers, une autre tirait droit sur les lignes ennemies. Une fois qu'ils avaient infligé suffisamment de pertes, les Huns se rapprochaient pour achever les survivants. (62)

La cavalerie hunnique utilisait fréquemment des filets qu'elle jetait sur ses adversaires pour les immobiliser et soit les tuer, soit les laisser à un autre avant de poursuivre son chemin. Il se peut que le terrain en contrebas ait offert le type d'espace et de couverture qui convenait le mieux à Attila, mais comme le lieu exact de la bataille n'a jamais été déterminé, on ne peut pas expliquer avec certitude les raisons de son choix.


Attila attendit la neuvième heure (14 h 30) pour engager la bataille, afin que son armée puisse se rePLIer SOUS COUVERT de l'obscurité au cas où la bataille eût mal tourné pour lui.

Les forces romaines étaient installées sur le haut terrain, et entre elles et les Huns s’élevait une crête qui aurait conféré un avantage stratégique important au parti qui l'aurait tenue. Selon Jordanès, Attila attendit la neuvième heure (14 h 30) pour engager la bataille, afin que son armée puisse se replier sous couvert de l'obscurité au cas où la bataille eût mal tourné pour lui. Si cette hypothèse est parfaitement plausible, il est également possible qu'Aetius et ses forces n'aient pas été en place avant cette heure.

Les Huns avaient tenté de s'emparer de la crête située au centre du champ de bataille plus tôt dans la journée (les rapports indiquent seulement 'le matin', sans préciser l'heure), mais ils furent repoussés par les Wisigoths commandés par Thorismond, fils de Théodoric. Les Wisigoths tenaient la crête lorsque les Huns lancèrent leur attaque dans l'après-midi. Sangiban et les Alains occupaient le centre contre les Huns tandis que les Wisigoths combattaient et refoulaient les Ostrogoths. Théodoric perdit la vie lors de cet affrontement, toutefois, contrairement aux espoirs des Huns, cette mort ne démoralisa pas les Wisigoths, mais les incita au contraire à combattre avec plus d'ardeur.

Roman Army Reenactment
Hommes de l'armée romaine, reconstitution
Hans Splinter (CC BY-ND)

L'historien Kelly Devries cite le récit de Jordanès selon lequel la bataille 'devint féroce, confuse, monstrueuse, implacable - un combat tel que même l'antiquité n'en a jamais connu' (214). Jordanès poursuit en rapportant les témoignages des anciens selon lesquels 'le ruisseau qui coulait à travers le champ de bataille vit son lit considérablement augmenté par le sang des soldats blessés qui s'y déversait' (Devries, 214). Aetius et ses forces étaient contenus par les Gépides mais ils parvinrent à les séparer du gros de l'armée des Huns. Pendant ce temps, après avoir enfoncé les Ostrogoths sur l'aile gauche, les Wisigoths fondirent sur les Huns au centre de la bataille. Dans l'incapacité de faire appel à sa cavalerie ou à ses archers, son flanc gauche en déroute et son flanc droit subissant les assauts d'Aetius, Attila se rendit compte de la précarité de sa position et ordonna une retraite vers son camp. Les Gépides les accompagnèrent dans leur retraite et l'ensemble des forces hunniques recula pas à pas sous les coups des Romains, jusqu'à être chassés du champ de bataille ; ils n'atteignirent leur camp de base qu'après la tombée de la nuit. Une fois retranchés dans leur camp, les archers Huns parvinrent à repousser les assaillants et le combat s'équilibra.

Cette nuit-là, selon plusieurs sources, la confusion la plus totale régnait dans les rangs romains, les soldats - dont Aetius - errant dans l'obscurité sans savoir qui avait remporté la victoire ni ce qu'ils étaient censés faire ensuite. On raconte qu'Aetius était tellement désorienté par les évènements de la journée qu'il se perdit et faillit s'égarer dans le campement des Huns. Le lendemain, à l'aube, l'ampleur de la bataille et le nombre considérable de victimes se firent évidents. Comme l'écrit l'historien Paul K. Davis, 'Aux premières lueurs du jour, les deux camps purent constater l’étendue du carnage issu des combats de la veille et aucun ne semblait désireux de les renouveler' (90). Les archers huns continuèrent de tenir leurs adversaires en respect et effectuèrent quelques simulacres d'attaque mais ne quittèrent jamais leur camp. Aetius et Thorismond comprirent que les Huns étaient acculés et que les forces romaines pouvaient les maintenir indéfiniment dans leur position jusqu'à ce qu'ils ne se rendent ; ils entreprirent donc les préparatifs d'un siège autour du camp.

Cependant, Aetius se retrouvait dans une position inconfortable. En effet, les Wisigoths de Théodoric n'avaient rejoint ses rangs que parce qu'ils estimaient que les Huns représentaient une plus grande menace que Rome. Si les Huns étaient éliminés, l'alliance n'avait plus de raison d'être, et Aetius craignait que Thorismond et ses forces beaucoup plus puissantes ne se retournent contre lui, ne l'emportent facilement et de là se dirigent vers Ravenne. Il suggéra donc à Thorismond que lui, Aetius, pourrait s'occuper de ce qui restait des forces hunniques tandis qu'il était dans son intérêt de rentrer chez lui avec ses troupes en tant que nouveau roi des Wisigoths, afin de consolider son pouvoir et d'empêcher ses frères d'essayer d'usurper le trône en son absence. Thorismond se laissa convaincre et quitta le champ de bataille. Aetius, désormais seul avec ses forces passablement désorganisées, les rassembla sous son commandement et quitta à son tour discrètement le champ de bataille. Attila et ses forces, toujours retranchées dans leur camp, attendirent une attaque qui ne viendrait jamais, jusqu'au moment où des éclaireurs les informèrent que l'ennemi avait levé le camp.

Visigoth warriors
Guerriers wisigoths
The Creative Assembly (CC BY-NC-SA)

Bien que n'ayant désormais plus personne pour s'opposer à lui, Attila décida de quitter la Gaule et rentra chez lui. Aucune réponse satisfaisante n'a jamais été apportée pour expliquer cette série d'événements, mais certains chercheurs, comme J.F.C. Fuller, pensent qu'Aetius et Attila étaient parvenus à un accord. Fuller écrit :

Les conditions de la vie politique à Ravenne étaient telles qu'Aetius ne pouvait se sentir en sécurité que tant qu'il était indispensable, or pour qu’il le reste, il était indispensable qu'Attila ne soit pas complètement anéanti... Toute l'histoire concernant l'évasion d'Attila est si étrange qu'il est même possible qu'Aetius ne se soit jamais réellement égaré dans la nuit du 20 au 21 juin ; mais que bien au contraire, il ait rendu une visite secrète à Attila et ait tout arrangé avec lui. Autrement, comment expliquer qu'Attila ne l'ait pas attaqué après le départ de Thorismond, ou qu'Aetius n'ait pas coupé la retraite d'Attila ni interrompu son approvisionnement en vivres ? (297)

Quelles qu'aient pu être les modalités des négociations entre Aetius et Attila, les sources indiquent clairement que les forces romaines quittèrent le champ de bataille après avoir repoussé les Huns dans leur campement. Bien que la bataille soit traditionnellement considérée comme une victoire romaine, le fait que les Huns aient été laissés en paix dans leur campement - sans qu'aucune condition ne soit donnée, acceptée ou refusée, et donc techniquement invaincus - a conduit certains spécialistes à penser que la bataille des champs Catalauniques était en fait une victoire ou un match nul pour les Huns. Cette affirmation est cependant contredite par le fait qu'Attila se réfugia dans ses territoires d'origine le plus vite possible après avoir constaté qu'Aetius avait cessé d'être une menace. L'interprétation traditionnelle de la bataille en tant que victoire romaine est la plus logique dans la mesure où Attila n'avait pas atteint son objectif qui était de forcer Rome à se soumettre à sa volonté même si, comme le fait remarquer Devries, il put quitter le champ de bataille 'sans subir de nouvelles pertes humaines et avec ses chariots de butin intacts' (215). En outre, c'est Attila qui se retira du champ de bataille, pas les Romains, et tout semble indiquer que les forces romaines auraient poursuivi la bataille si la nuit n'était pas tombée.

Postérité

Trois ans plus tard, Aetius et Attila étaient morts tous les deux. Aetius avait été assassiné par Valentinien lors d'un soudain accès de colère en 454 après J-C, tandis qu'Attila était mort l'année précédente d'une rupture de vaisseau sanguin après une nuit de débauche. L'empire qu'Attila avait établi passa à ses fils qui, en moins de vingt ans, le détruisirent par d'incessantes querelles de pouvoir. Les valeurs romaines pour lesquelles Aetius s'était tant battu ne devaient plus durer très longtemps. En effet, en 476 après J-C, l'Empire romain d'Occident s'effondrait et était remplacé par des royaumes germaniques tels que celui du roi Odoacre d'Italie. L'Empire romain d'Orient survivrait sous le nom d'Empire byzantin jusqu'en 1453, date à laquelle il serait finalement conquis par l'Empire Ottoman, mais à ce moment-là, cela faisait déjà bien longtemps qu'il n'avait plus grand chose de 'Romain'.

Attila the Hun by Delacroix
Attila le Hun par Delacroix
Eugene Delacroix (Public Domain)

En tout état de cause, la bataille des champs Catalauniques est toujours considérée de nos jours comme un événement de grande importance dans la mesure où elle a sauvé la culture européenne de l'extinction - ou, du moins, d'un grave compromis - qui aurait suivi la victoire des Huns. Davis écrit :

En portant un coup d'arrêt à l'expansion des Huns, la bataille de Châlons a empêché Attila d'asseoir sa domination sur l'Europe occidentale. En effet, si l'armée qu'Aetius avait mise sur pied au dernier moment avait été vaincue, aucune autre forme de résistance organisée n'aurait pu tenir tête aux Huns. Bien qu'elle cela n'ait que provisoirement enrayé l'effondrement total de l'Empire romain, elle a permis de préserver la culture germanique, qui a fini par dominer l'Europe une fois que Rome s'est retrouvée politiquement impuissante. C'est la société germanique qui a survécu au Moyen Âge, en adaptant les mœurs latines à son propre usage plutôt que de se laisser submerger par elles. Ainsi, l'Europe du Moyen Âge était dominée par diverses cultures germaniques, s'étendant de la Scandinavie aux îles britanniques en passant par l'Europe centrale. (91)

Bien qu'il semble que les chercheurs modernes aient de plus en plus tendance à attribuer à Attila une certaine noblesse et une certaine culture, aucun récit ancien ne fait état d'une quelconque civilisation hunnique digne de ce nom. Même si l'histoire d'Attila et des Huns est écrite par leurs ennemis, aucune preuve archéologique, ni aucun document écrit d'aucune sorte, n'a été découvert pour contredire les récits selon lesquels les Huns avaient détruit les civilisations qu'ils avaient rencontrées sans rien offrir en guise de remplacement. Arguant en faveur des ennemis de Rome, l'historien Philip Matyszak écrit :

Jusqu'à une époque récente, on supposait automatiquement que la civilisation romaine était une bonne chose. Rome apportait la lumière de la civilisation au cœur des ténèbres barbares, et après les désagréments de la conquête, Rome apportait le droit, l'architecture, la littérature ainsi que d'autres avantages similaires aux peuples conquis... Il existe aujourd'hui un autre point de vue, qui suggère que Rome est devenue la seule civilisation du bassin méditerranéen au prix de la destruction d'une demi-douzaine d'autres civilisations. (2)

Bien que des chercheurs comme Matyszak aient certainement raison, suggérer que les Huns proposaient une culture meilleure que la culture romaine est une thèse intenable. Les Huns ont en effet envahi d'autres régions à plusieurs reprises et ont détruit les populations et les cultures qu'elles avaient adoptées, ne laissant que des ruines dans leur sillage. Aucun récit sur les Huns ne suggère qu'ils aient jamais éprouvé le moindre désir d'améliorer l’existence d’autrui ou d'élever d'autres régions par un quelconque progrès culturel ; ils n'apportaient à leur suite que mort et destruction. Aetius et son armée ont tenu tête à un ennemi qui n'avait jamais connu la défaite face aux forces romaines, une armée de plus grande taille et certainement beaucoup plus réputée pour sa sauvagerie, et ont su l'empêcher d'atteindre son objectif de massacre et de carnage. La bataille des champs Catalauniques résonne encore puissamment aujourd'hui car elle incarne le triomphe de l'ordre sur les forces du chaos, une valeur culturelle partagée par d’innombrables personnes dans le monde entier.

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Traducteur

Yves Palisse
Linguiste passionné d'Histoire, Yves P Palisse est un traducteur indépendant possédant des années d’expérience dans les domaines de la traduction, de l’analyse des médias et du service à la clientèle. Après avoir beaucoup voyagé dans toute l'Europe, Il a fini par poser ses bagages à londres en 1999. Il a une passion pour les sciences humaines, le droit et la justice sociale.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2016, décembre 20). Bataille des champs Catalauniques [The Battle of the Catalaunian Fields]. (Y. Palisse, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-995/bataille-des-champs-catalauniques/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Bataille des champs Catalauniques." Traduit par Yves Palisse. World History Encyclopedia. modifié le décembre 20, 2016. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-995/bataille-des-champs-catalauniques/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Bataille des champs Catalauniques." Traduit par Yves Palisse. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 20 déc. 2016. Web. 24 avril 2024.

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