Récit de la vie de Sémiramis par Diodore de Sicile

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Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié sur
Disponible dans ces autres langues: anglais
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Sémiramis est la reine guerrière semi-divine d'Assyrie, dont le règne est le mieux documenté par l'historien grec Diodore Sicile (90-30 av. J.-C.) dans son grand ouvrage Bibliotheca Historica écrit sur une période de trente ans, très probablement entre 60 et 30 avant notre ère. Diodore s'inspira des travaux d'auteurs antérieurs, tels que Ctésias de Cnide (vers le Ve siècle av. J.-C.).

Ctésias (dont les œuvres n'existent plus qu'à l'état de fragments) fut raillé par d'autres auteurs anciens pour son manque de précision, mais ses récits sont considérés comme fiables par Diodore, qui le cite sans réserve.

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Semiramis and Nebuchadnezzar Build the Gardens of Babylon
Sémiramis et Nabuchodonosor construisent les jardins de Babylone
RMN (Public Domain)

Alors que les historiens modernes sont divisés sur la question de savoir si un personnage historique nommé Sémiramis a jamais existé, Diodore présente sa vie comme un simple récit biographique du règne d'une grande reine assyrienne. Comme il n'y a qu'une seule reine connue dans l'histoire de l'Assyrie, la régente Sammu-Ramat (r. de 811 à 806 av. J.-C.), c'est à elle que l'on identifie Sémiramis depuis le XIXe siècle, lorsque des fouilles archéologiques ont commencé à mettre au jour des villes assyriennes et à déchiffrer d'anciennes inscriptions mésopotamiennes.

Récit de Diodore

Diodore ne semble jamais avoir permis à la vérité de se mettre en travers d'une bonne histoire.

Il ne se préoccupe pas de savoir quand, ou même si, une telle reine a vécu et consacre son énergie à raconter l'épopée d'une reine intelligente, belle et rusée qui, après des débuts modestes, régna sur toute la Mésopotamie, l'Anatolie et l'Asie centrale. Il semble évident qu'il a emprunté certains événements de la vie de Sémiramis à d'autres récits, qu'ils soient historiques ou mythiques, mais cela ne semble pas l'avoir préoccupé tant que l'histoire était captivante.

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Un exemple dans le texte ci-dessous est l'invasion de l'Inde par Sémiramis, qui est très similaire à celle d'Alexandre le Grand. En 327 avant notre ère, Alexandre envahit l'Inde avec son armée, et l'un de ses plus grands défis lors de la bataille de l'Hydaspe en 326 avant notre ère était les éléphants de guerre du roi Porus de Paurava. Diodore, dans son récit de l'invasion de Sémiramis, ne pouvait pas objectivement donner à son armée des éléphants et on pense donc qu'il aurait ajouté l'histoire des faux éléphants pour égaliser les chances sur le terrain et rendre le récit plus intéressant. L'ajout des faux éléphants par Diodore est toutefois un exemple de ce qui rend ses œuvres si intéressantes à lire: il ne semble jamais avoir permis à la vérité de se mettre en travers d'une bonne histoire.

Diodore et les jardins suspendus de Babylone

Bien qu'au chapitre 20, il affirme n'avoir fait que suivre le récit de Sémiramis écrit par Ctésias de Cnide, les historiens pensent qu'il aurait peut-être enjolivé ce récit pour le rendre plus intéressant. Sa célèbre description des jardins suspendus de Babylone au chapitre 10 (le récit le plus détaillé des jardins suspendus de l'histoire ancienne) en est un autre exemple. Bien qu'il soit possible qu'un tel jardin ait existé à Babylone et que Ctésias l'ait décrit à l'identique de Diodore, on considère généralement qu'il s'agit d'une exagération de la part de Diodore, tout comme la description de Babylone dans les chapitres 7 à 9.

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En fait, des études récentes affirment que les jardins suspendus se seraient trouvés à Ninive. Il est intéressant de noter que, non seulement dans le livre II, mais aussi ailleurs, lorsque Diodore cite à la fois Ctésias et Hérodote, il privilégie généralement Ctésias (comme on peut le voir ci-dessous au chapitre 15.2). Bien qu'Hérodote soit considéré aujourd'hui comme le "père de l'histoire", il fut attaqué à plusieurs reprises par les auteurs anciens pour son manque d'exactitude, mais, semble-t-il, pas autant que Ctésias. On ne peut que supposer que Diodore préféra Ctésias à Hérodote parce qu'il estimait que le premier racontait une meilleure histoire ou, peut-être, parce que la version de Ctésias correspondait mieux à l'histoire que Diodore souhaitait raconter.

Hanging Gardens of Babylon
Jardins Suspendus de Babylone
Martin Heemskerck (Public Domain)

Le texte

Les passages suivants proviennent de l'édition de Librairie de L. Hachette et Cie, 1865, traduite par Ferd. Hoefer, et présentée sur le site de Philippe Remacle. L'histoire commence avec le roi Ninus d'Assyrie qui décide de conquérir toute l'Asie et y parvient, créant pour lui-même une ville nommée Ninus pour célébrer ses victoires. Comme l'écrit Diodore:

Ces succès inspirèrent à Ninus le violent désir de subjuguer toute l'Asie, comprise entre le Tanaïs et le Nil. Tant il est vrai que la prospérité ne fait qu'augmenter l'ambition de l'homme. (2.1-2)

C'est lorsque Ninus fait campagne contre Bactriane qu'il rencontre Sémiramis, dont il tombe amoureux, et que Diodore commence l'histoire de son règne. Voici l'histoire de Sémiramis, tirée du livre II, chapitres 4 à 20 de la Bibliotheca Historica:

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IV. Après la fondation de cette ville, Ninus se mit en marche contre la Bactriane, où il épousa Sémiramis. Comme c'est la plus célèbre de toutes les femmes que nous connaissions, il est nécessaire de nous y arrêter un moment et de raconter comment d'une condition humble elle arriva au faîte de la gloire. Il existe dans la Syrie une ville nominée Ascalon ; dans son voisinage est un vaste lac profond et abondant en poisson.

Sur les bords de ce lac se trouve le temple d'une déesse célèbre que les Syriens appellent Dercéto ; elle a le visage d'une femme, et surtout le reste du corps la forme d'un poisson. Voici les motifs de cette représentation : les hommes les plus savants du pays racontent que Vénus, pour se venger d'une offense que cette déesse lui avait faite, lui inspira un violent amour pour un beau jeune homme qui allait lui offrir un sacrifice ; que Dercéto, cédant à sa passion pour ce Syrien, donna naissance à une fille, mais que honteuse de sa faiblesse, elle fit disparaître le jeune homme et exposa l'enfant dans un lieu désert et rocailleux ; enfin, qu'elle-même, accablée de honte et de tristesse, se jeta dans le lac et fut transformée en un poisson. C'est pourquoi les Syriens s'abstiennent encore aujourd'hui de manger des poissons qu'ils vénèrent comme des divinités. Cependant l'enfant fut élevé miraculeusement par des colombes qui avaient niché en grand nombre dans l'endroit où elle avait été exposée ; les unes réchauffaient dans leurs ailes le corps de l'enfant, les autres, épiant le moment où les bouviers et les autres bergers quittaient leurs cabanes, venaient prendre du lait dans leur bec et l'introduisaient goutte à goutte à travers les lèvres de l'enfant qu'elles élevaient ainsi. Quand leur élève eut atteint l'âge d'un an et qu'il eut besoin d'aliments plus solides, les colombes lui apportèrent des parcelles de fromage qui constituaient une nourriture suffisante. Les bergers furent fort étonnés à leur retour de voir leurs fromages becquetés à l'entour. Après quelques recherches, ils en trouvèrent la cause et découvrirent un enfant d'une beauté remarquable ; l'emportant avec eux dans leur cabane, ils le donnèrent aux chefs des bergeries royales, nommé Simma ; celui-ci n'ayant point d'enfants l'éleva comme sa fille avec beaucoup de soins, et lui donna le nom de Sémiramis, qui signifie colombe, dans la langue syrienne. Depuis lors, tous les Syriens accordent à ces oiseaux les honneurs divins.

V. Telle est à peu près l'origine fabuleuse de Sémiramis. Cependant Sémiramis était arrivée à l'âge nubile et surpassait en beauté toutes ses compagnes. Un jour le roi envoya visiter ses bergeries. Menonès, président du conseil royal et administrateur de toute la Syrie, fut chargé de cette mission ; il descendit chez Simma, aperçut Sémiramis et fut épris de ses charmes. Il pria Simma de la lui donner en mariage ; il l'épousa, la mena à Ninive et eut d'elle deux enfants, Hyapate et Hydaspe. Sémiramis, qui joignait à la beauté de son corps toutes les qualités de l'esprit, était maîtresse absolue de son époux qui, ne faisant rien sans la consulter, réussissait dans tout. Vers l'époque où la fondation de Ninive fut achevée, le roi songea à conquérir la Bactriane. Informé du nombre et de la valeur des hommes qu'il allait combattre, ainsi que de la difficulté des contrées dans lesquelles il allait pénétrer, il fit lever des troupes dans toutes les contrées de son empire ; car, ayant échoué dans sa première expédition, il avait résolu d'attaquer les Bactriens avec des forces considérables. Il rassembla donc de tous les points de son empire une armée qui, au rapport de Ctésias, s'éleva à un million sept cent mille fantassins, à plus de deux cent dix mille cavaliers, et à près de dix mille six cents chariots armés de faux. Une armée aussi nombreuse semble incroyable à celui qui en entend parler ; mais elle ne paraît pas impossible à celui qui considère l'étendue de l'Asie et le nombre des nations qui habitent cette région. Et, sans parler de l'armée de huit cent mille hommes que Darius conduisit contre les Scythes, ni des troupes innombrables avec lesquelles Xercès descendit dans la Grèce, si l'on veut seulement jeter un regard sur ce qui s'est passé, pour ainsi dire, hier en Europe, on ajoutera peut-être plus de foi à ce que nous avons dit. Ainsi, dans la Sicile, Denys tira de la seule ville de Syracuse une armée de cent vingt mille hommes de pied et de douze mille cavaliers; d'un seul port il fit sortir quatre cents vaisseaux longs dont quelques-uns à quatre et même à cinq rangs de rames. Un peu avant l'époque d'Annibal, les Romains, prévoyant l'importance de la guerre qu'ils avaient à soutenir, firent en Italie le recensement de tous les citoyens et auxiliaires en état de porter les armes, et le nombre total n'en fut guère moins d'un million. Or, la population entière de l'Italie n'est pas comparable à une seule nation de l'Asie. Cela doit suffire à ceux qui veulent estimer la population ancienne comparativement aux villes actuellement dépeuplées de l'Asie.

VI. Ninus, s'étant donc mis en marche contre la Bactriane avec une aussi puissante armée, fut obligé de partager celle-ci en plusieurs corps à cause des défilés qu'il avait à traverser. Parmi les grandes et nombreuses villes dont la Bactriane est remplie, on remarquait surtout celle qui servait de résidence royale ; elle se nommait Bactres et se distinguait de toutes les autres par sa grandeur et ses fortifications. Oxyarte, qui était alors roi, appela sous les armes tous les hommes adultes, qui s'élevaient au nombre de quatre cent mille. Avec cette armée, il s'avança à la rencontre de l'ennemi, vers les défilés qui défendent l'entrée du pays ; il y laissa s'engager une partie des troupes de Ninus ; et lorsqu'il pensa que l'ennemi était arrivé dans la plaine en nombre suffisant, il se rangea en bataille. Après un combat acharné, les Bactriens mirent en fuite les Assyriens, et les poursuivant jusqu'aux montagnes qui les dominaient, ils tuèrent jusqu'à cent mille hommes. Mais, peu à peu tout le reste de l'armée de Ninus pénétra dans le pays ; accablés par le nombre, les Bactriens se retirèrent dans les villes, et chacun ne songea qu'à défendre ses foyers. Ninus s'empara facilement de toutes ces villes ; mais il ne put prendre d'assaut Bactres, à cause de ses fortifications et des munitions de guerre dont cette ville était pourvue. Comme le siège traînait en longueur, l'époux de Sémiramis, qui se trouvait dans l'armée du roi, envoya chercher sa femme qu'il était impatient de revoir. Douée d'intelligence, de hardiesse et d'autres qualités brillantes, Sémiramis saisit cette occasion pour faire briller de si rares avantages. Comme son voyage devait être de plusieurs jours, elle se fit faire un vêtement, par lequel il était impossible de juger si c'était un homme ou une femme qui le portait. Ce vêtement la garantissait contre la chaleur du soleil ; il était propre à conserver la blancheur de la peau, ainsi que la liberté de tous les mouvements et il seyait à une jeune personne ; il avait d'ailleurs tant de grâce, qu'il fut adopté d'abord par les Mèdes lorsqu'ils se rendirent maîtres de l'Asie, et plus tard par les Perses. A son arrivée dans la Bactriane, elle examina l'état du siège ; elle vit que les attaques se faisaient du côté de la plaine et des points d'un accès facile, tandis que l'on n'en dirigeait aucune vers la citadelle, défendue par sa position ; elle reconnut que les assiégés, ayant en conséquence abandonné ce dernier poste, se portaient tous au secours des leurs qui étaient en danger à l'endroit des fortifications basses. Cette reconnaissance faite, elle prit avec elle quelques soldats habitués à gravir les rochers : par un sentier difficile, elle pénétra dans une partie de la citadelle, et donna le signal convenu à ceux qui attaquaient les assiégés du côté des murailles de la plaine. Epouvantés de la prise de la citadelle, les assiégés désertent leurs fortifications et désespèrent de leur salut. Toute la ville tomba ainsi au pouvoir des Assyriens. Le roi, admirant le courage de Sémiramis, la combla d'abord de magnifiques présents ; puis, épris de sa beauté, il pria son époux de la lui céder, en promettant de lui donner en retour, sa propre fille, Sosane. Menonès ne voulant pas se résoudre à ce sacrifice, le roi le menaça de lui faire crever les yeux, s'il n'obéissait pas promptement à ses ordres. Tourmenté de ces menaces, saisi tout à la fois de chagrin et de fureur, ce malheureux époux se pendit. Sémiramis parvint aux honneurs de la royauté.

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VII. Ninus s'empara des trésors de Bactres, consistant en une grande masse d'argent et d'or; et, après avoir réglé le gouvernement de la Bactriane, il congédia ses troupes. Ninus eut de Sémiramis un fils, Ninyas ; en mourant il laissa sa femme souveraine de l'empire. Sémiramis fit ensevelir Ninus dans le palais des rois, et fit élever sur sa tombe une terrasse immense qui avait, au rapport de Ctésias, neuf stades de haut et dix de large. Comme la ville est située dans une plaine sur les rives de l'Euphrate, cette terrasse s'aperçoit de très loin, semblable à une citadelle ; elle existe, dit-on, encore aujourd'hui, bien que la ville de Ninus eût été détruite par les Mèdes, lorsqu'ils mirent fin à l'empire des Assyriens. Sémiramis, dont l'esprit était porté vers les grandes entreprises, jalouse de surpasser en gloire son prédécesseur, résolut de fonder une ville dans la Babylonie ; elle fit venir de tous côtés des architectes et des ouvriers au nombre de deux millions, et fit préparer tous les matériaux nécessaires. Elle entoura cette nouvelle ville, traversée par l'Euphrate, d'un mur de trois cent soixante stades, fortifié, selon Ctésias de Cnide, de distance en distance par de grandes et fortes tours. La masse de ces ouvrages était telle que la largeur des murs suffisait au passage de six chariots de front, et leur hauteur paraissait incroyable. Au rapport de Clitarque et de quelques autres, qui suivirent plus tard Alexandre en Asie, le mur était d'une étendue de trois cent soixante-cinq stades qui devaient représenter le nombre des jours de l'année. Il était construit avec des briques cuites et enduites d'asphalte. Son élévation était, d'après Ctésias, de cinquante orgyes; mais selon des historiens plus récents, elle n'était que de cinquante coudées, et sa largeur était de plus de deux chariots attelés ; on y voyait deux cent cinquante tours d'une hauteur et d'une épaisseur proportionnées à la nasse de la muraille. Il ne faut pas s'étonner si le nombre des tours est si petit comparativement à l'étendue de l'enceinte ; car, dans plusieurs endroits, la ville était bordée de marais, en sorte que la nature rendait inutile la fortification de main d'homme. On avait laissé un espace de deux plèthres entre les maisons et le mur d'enceinte.

VIII. Pour hâter l'exécution de ces travaux, la reine avait assigné l'espace d'un stade à chacun de ses amis, et leur fournissait les matériaux nécessaires avec l'ordre d'achever leur tâche dans l'année. Pendant qu'ils s'acquittaient de leur devoir avec zèle, elle construisit dans la partie la plus étroite du fleuve, un pont de cinq stades de longueur, reposant sur des piles enfoncées à une grande profondeur et à un intervalle de douze pieds l'une de l'autre ; les pierres étaient assujetties par des crampons de fer, et les jointures souciées avec du plomb fondu. Les faces de chaque pile, exposées au courant de l'eau, étaient construites sous forme de saillies anguleuses qui, coupant les flots et amortissant leur impétuosité, contribuaient à la solidité de la construction. Le pont était recouvert de planches de cèdre et de cyprès, placées sur d'immenses madriers de palmiers ; il avait trente pieds de large, et n'était pas le moins beau des ouvrages de Sémiramis. De chaque côté du fleuve elle éleva des quais magnifiques, presque aussi larges que les murailles, dans une étendue de cent soixante stades. Elle fit construire à chaque extrémité du pont, un palais d'où elle pouvait voir toute la ville. Ces deux palais étaient, pour ainsi dire, les clefs des deux quartiers les plus importants; comme l'Euphrate, traversant Babylone, coule vers le Midi, l'un de ces palais regardait l'Orient, l'autre l'Occident, et tous deux étaient d'une grande magnificence. Celui qui était situé au couchant, avait soixante stades de circuit ; il était fortifié par de beaux murs, très élevés et construits en briques cuites. En dedans de ce mur était une autre enceinte, faite avec des briques crues, sur lesquelles étaient imprimées des figures de toutes sortes d'animaux ; ces figures étaient peintes avec tant d'art qu'elles semblaient être vivantes. Cette enceinte avait quarante stades de longueur. Son épaisseur était de trois cents briques, et sa hauteur, suivant Ctésias, de cinquante orgyes; la hauteur des tours était de soixante et dix orgyes. Enfin, en dedans de cette seconde enceinte, il y eut une troisième qui entourait la citadelle, dont le périmètre était de vingt stades et qui dépassait en hauteur le mur intermédiaire. Sur les tours et les murailles, on avait représenté toutes sortes d'animaux, parfaitement imités par les couleurs et le relief. On y voyait une chasse, composée de différents animaux qui avaient plus de quatre coudées de haut (29). Dans cette chasse, Sémiramis était figurée à cheval, lançant un javelot sur une panthère ; auprès d'elle était Ninus son époux, frappant un lion d'un coup de lance. On pénétrait dans la citadelle par une triple porte, derrière laquelle étaient des chambres d'airain, s'ouvrant par une machine ; enfin, ce palais l'emportait de beaucoup en étendue et en beauté sur celui qui était situé sur la rive opposée. Ce dernier n'avait qu'un mur d'enceinte en briques cuites, de trente stades de circuit. Au lieu de figures d'animaux, on y voyait les statues d'airain de Ninus, de Sémiramis, des gouverneurs de province et la statue de Jupiter que les Babyloniens appellent Bélus. On y remarquait, cependant, des représentations de combats et de chasses très agréables à la vue.

IX. Sémiramis choisit ensuite le lieu le plus bas des environs de Babylone pour y construire un réservoir carré, dont chaque côté était de trois cents stades. Ce réservoir était fait de briques cuites et d'asphalte ; sa profondeur était de trente-cinq pieds. Elle fit détourner le fleuve pour le conduire dans ce réservoir, et construire une paierie souterraine, communiquant avec les palais situés sur chaque rive ; les voûtes de cette galerie étaient bâties en briques cuites de quatre coudées d'épaisseur et enduites d'une couche d'asphalte bouilli. Les parois de la galerie avaient vingt briques d'épaisseur, douze pieds de haut, jusqu'à l'arc de la voûte, et la largeur de la galerie était de quinze pieds. Cet ouvrage fut terminé en sept jours; elle fit rentrer le fleuve dans son lit, de telle façon qu'au moyen de la galerie souterraine, elle pouvait se rendre d'un palais à l'autre sans traverser l'eau. Les deux extrémités de la galerie étaient fermées par des portes qui ont subsisté jusqu'à la domination des Perses. Après cela, Sémiramis éleva au milieu de la ville un temple consacré à Jupiter que les Babyloniens nomment Bélus, ainsi que nous l'avons dit. Comme les historiens ne sont pas d'accord sur ce monument, et qu'il est tombé en ruines par la suite des temps, il est impossible d'en donner ici une description exacte. On convient, cependant, qu'il était extraordinairement élevé, et qu'à cause de son élévation, les Chaldéens y faisaient leurs travaux astronomiques, en observant soigneusement le lever et le coucher des astres. Tout l'édifice était construit avec beaucoup d'art, en asphalte et en brique ; sur son sommet se trouvaient les statues de Jupiter, de Junon et de Rhéa, recouvertes de lames d'or. Celle de Jupiter représentait ce dieu debout et dans la disposition de marcher ; elle avait quarante pieds de haut et pesait mille talents babyloniens. Celle de Rhéa, figurée assise sur un char d'or, avait le même poids que la précédente ; sur ses genoux étaient placés deux lions, et à côté d'elle étaient figurés d'énormes serpents en argent, dont chacun pesait trente talents. La statue de Junon, représentée debout, pesait huit cents talents ; elle tenait dans la main droite un serpent par la tête, et dans la main gauche un sceptre garni de pierreries. Devant ces trois statues était placée une table d'or plaqué, de quarante pieds de long, sur quinze de large, et pesant cinq cents talents. Sur cette table étaient posées deux urnes du poids de trente talents ; il y avait aussi deux vases à briller des parfums, dont chacun pesait trois cents talents ; et trois cratères d'or, dont l'un, consacré à Jupiter, pesait douze cents talents babyloniens, et les autres, chacun six cents. Tous ces trésors furent plus tard pillés par les rois des Perses. Quant aux résidences royales et autres édifices, ils disparurent par l'injure du temps, ou ils tombèrent en ruines. Aujourd'hui, une petite partie seulement de Babylone est habitée ; le reste de l'espace compris dans ses murs est converti en champs cultivés.

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X. Il y avait dans la citadelle le jardin suspendu, ouvrage, non pas de Sémiramis, mais d'un roi syrien postérieur à celle-ci: il l'avait fait construire pour plaire à une concubine. On raconte que cette femme, originaire de la Perse, regrettant les prés de ses montagnes, avait engagé le roi à lui rappeler par des plantations artificielles la Perse, son pays natal. Ce jardin, de forme carrée, avait chaque côté de quatre plèthres; on y montait, par des degrés, sur des terrasses posées les unes sur les autres, en sorte que le tout présentait l'aspect d'un amphithéâtre. Ces terrasses ou plates-formes, sur lesquelles on montait, étaient soutenues par des colonnes qui, s'élevant graduellement de distance à distance, supportaient tout le poids des plantations ; la colonne la plus élevée, de cinquante coudées de haut, supportait le sommet du jardin, et était de niveau avec les balustrades de l'enceinte. Les murs, solidement construits à grands frais, avaient vingt-deux pieds d'épaisseur, et chaque issue dix pieds de largeur. Les plates-formes des terrasses étaient composées de blocs de pierres dont la longueur, y compris la saillie, était de seize pieds sur quatre de largeur. Ces blocs étaient recouverts d'une couche de roseaux mêlés de beaucoup d'asphalte ; sur cette couche reposait une double rangée de briques cuites, cimentées avec du plâtre ; celles-ci étaient, à leur tour, recouvertes de lames de plomb, afin d'empêcher l'eau de filtrer à travers les atterrissements artificiels, et de pénétrer dans les fondations. Sur cette couverture se trouvait répandue une masse de terre suffisante pour recevoir les racines des plus grands arbres. Ce sol artificiel était rempli d'arbres de toute espèce, capables de charmer la vue par leur dimension et leur beauté. Les colonnes s'élevaient graduellement, laissaient par leurs interstices pénétrer la lumière, et donnaient accès aux appartements royaux, nombreux et diversement ornés. Une seule de ces colonnes était creuse depuis le sommet jusqu'à sa base ; elle contenait des machines hydrauliques qui faisaient monter du fleuve une grande quantité d'eau, sans que personne pût rien voir à l'extérieur. Tel était ce jardin qui, comme nous l'avons dit, fut construit plus tard.

XI. Sémiramis fonda, sur les rives de l'Euphrate et du Tigre, beaucoup d'autres villes, dans lesquelles elle établissait des entrepôts pour les marchandises venant de la Médie, de la Parétacène et des pays voisins. Après le Nil et le Gange, les fleuves les plus célèbres de l'Asie sont l'Euphrate et le Tigre; ils ont leurs sources dans les montagnes de l'Arménie, et sont à la distance de deux mille cinq cents stades l'un de l'autre. Après avoir arrosé la Médie et la Parétacène, ils entrent dans la Mésopotamie, contrée qu'ils embrassent et qui doit son none à cette circonstance. Traversant ensuite la Babylonie, ils se jettent dans la mer Erythrée. Comme ces fleuves sont considérables, et qu'ils parcourent une vaste étendue de pays, ils offrent de grandes facilités pour les relations commerciales ; aussi voit-on sur leurs rives de riches entrepôts qui ne contribuent pas peu à la splendeur de Babylone. Sémiramis fit extraire des montagnes de l'Arménie et tailler un bloc de pierre de cent trente pieds de longueur sur vingt-cinq d'épaisseur ; l'ayant fait traîner par un grand nombre d'attelages de mulets et de boeufs, sur les rives de l'Euphrate, elle l'embarqua sur un radeau, et le conduisit, en descendant le fleuve, jusqu'à Babylone, où elle le dressa dans la rue la plus fréquentée. Ce monument, admiré de tous les voyageurs, et que quelques-uns nomment obélisque, en raison de sa forme, est compté au nombre des sept merveilles du monde.

XII. Parmi les curiosités de la Babylonie, ou remarque surtout la quantité d'asphalte qui s'y produit. Cette quantité est telle, qu'elle suffit non seulement pour des constructions aussi 127 immenses que nombreuses, mais encore le peuple recueille cette matière en abondance et la brûle en guise de bois, après l'avoir desséchée. Un nombre infini d'habitants la puise dans une grande source qui reste intarissable. Dans le voisinage de cette source se trouve une fontaine jaillissante qui, quoique petite, présente un phénomène extraordinaire : elle jette une épaisse vapeur sulfureuse qui tue sur-le-champ tout animal qui s'en approche, car la violence des vapeurs arrête la respiration et produit l'asphyxie : aussitôt le corps enfle et devient enflammé, surtout autour des poumons. On montre au delà du fleuve un lac, environné d'un terrain parfaitement solide ; si un homme, ignorant la localité y descend, il y nage d'abord quelque temps, et s'avançant vers le milieu, se sent entraîné en bas comme par une force inconnue; et s'il cherche à se sauver en revenant sur ses pas, il lui semble que quelqu'un l'entraîne ; d'abord les pieds, puis les jambes et les cuisses sont paralysés jusqu'aux hanches ; enfin, tout le corps, atteint de torpeur, plonge au fond, expire et revient un moment après à la surface. Voilà ce que nous avions à dire des curiosités de la Babylonie.

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XIII. Sémiramis, après avoir achevé ces ouvrages, entreprit, à la tête d'une armée considérable, une expédition contre les Mèdes. Arrivée en face du mont Bagistan, elle y établit son camp et construisit un parc de douze stades de circonférence ; il était situé dans une plaine, et renfermait une source considérable qui fournissait de l'eau pour les plantations. Le mont Bagistan, qui est consacré à Jupiter, forme une des faces de ce parc par des rochers escarpés taillés à pic, de dix-sept stades de hauteur. Sémiramis fit tailler le pied de ces rochers et y sculpta son image entourée de cent gardes. Elle grava sur ces rochers une inscription en caractères syriens, signifiant que Sémiramis, ayant réuni tous les bagages et tous les trains de son armée en un monceau, s'en était servie comme d'une échelle pour monter depuis la plaine jusqu'au sommet de la montagne. En partant de là elle arriva devant Chavon, ville de la Médie, et aperçut dans une vaste plaine une pierre d'une hauteur et d'une grosseur prodigieuses. Elle bâtit dans ce lieu un immense parc au milieu duquel cette pierre fut placée. Elle y construisit de riches palais de plaisance, d'où elle pouvait voir les plantations de son jardin et son armée campée dans la plaine. Sémiramis séjourna longtemps dans cet endroit, en se livrant à toutes sortes de réjouissances. Elle ne voulut jamais se marier légitimement, afin de ne pas être privée de la souveraineté ; mais elle choisissait les plus beaux hommes de son armée, et après leur avoir accordé ses faveurs, elle les faisait disparaître. Elle se mit ensuite en marche pour Ecbatane et arriva au pied du mont Zarkée. Cette montagne, occupant une étendue de plusieurs stades, est remplie de gouffres et de précipices, et nécessite un long détour. Jalouse de laisser un monument immortel de son passage, et pressée d'abréger sa route, Sémiramis fit sauter les rochers, combler les précipices, et établit une route très belle, qui porte encore aujourd'hui le nom de cette reine. Arrivée à Ecbatane, ville située dans une plaine, elle y fonda une résidence royale et s'occupa avec un soin particulier de l'administration du pays. Comme la ville manquait d'eau et qu'il n'y avait aucune fontaine dans le voisinage, elle amena, avec beaucoup de travail et à grands frais, de l'eau pure et abondante dans tous les quartiers. A douze stades environ d'Ecbatane est une montagne appelée Oronte, taillée à pic et d'une hauteur remarquable; car elle a, mesurée en ligne droite de la base au sommet, vingt-cinq stades ; sur le revers opposé se trouvait un grand lac qui communiquait avec une rivière. Elle perça la racine de cette montagne, y creusa un canal de quinze pieds de largeur sur quarante de profondeur ; ce canal servait à conduire dans la ville les eaux du lac et de la rivière. Tels sont les travaux que Sémiramis fit exécuter dans la Médie.

XIV. De là elle se dirigea vers la Perse et parcourut toutes les contrées qu'elle possédait en Asie. Perçant partout les montagnes et brisant les rochers, elle pratiquait de belles routes. Dans les plaines, elle érigeait des collines qui servaient, soit de tombeaux à ses généraux morts pendant l'expédition, soit de fondements à de nouvelles villes. Dans ses campements, elle avait l'habitude d'élever des tertres considérables sur lesquels elle plaçait sa tente, et d'où elle pouvait apercevoir toute son armée rangée à l'entour. On voit encore aujourd'hui en Asie des tertres de ce genre ; on leur donne le nom d'ouvrages de Sémiramis.

Elle passa ensuite en Egypte, soumit presque toute la Libye et se rendit au temple d'Ammon pour interroger l'oracle sur le temps de sa mort. Elle reçut, dit-on, pour réponse, qu'elle disparaîtrait du séjour des hommes, et que plusieurs peuples de l'Asie lui rendraient des honneurs divins, du moment où son fils Ninyas conspirerait contre elle. De là, Sémiramis marcha vers l'Ethiopie, dont elle réduisit la plus grande partie. Elle s'arrêta dans ce pays pour en examiner les curiosités. On y voit, à ce que l'on raconte, un lac quadrangulaire, de près de cent soixante pieds de tour ; son eau est de la couleur du cinabre, et d'une odeur extrêmement agréable, analogue à celle du vin vieux ; elle a une propriété singulière: celui qui en boit est atteint d'une manie étrange: il s'accuse publiquement de tous les délits qu'il avait auparavant intérêt à cacher. Il est cependant difficile d'ajouter foi à un pareil récit.

XV. Les funérailles se pratiquent d'une façon particulière chez les Ethiopiens. Après avoir embaumé les corps, ils font couler à l'entour une grande quantité de verre, et les placent sur un cippe ; de cette manière les passants peuvent apercevoir le corps du défunt à travers le verre, comme l'a dit Hérodote; mais Ctésias de Cnide démontre que cet historien se trompe ; il soutient que le corps est en effet d'abord embaumé, mais qu'on ne fait pas fondre du verre autour du corps nu ; car celui-ci serait brûlé, entièrement défiguré, et ne conserverait plus aucune trace de ressemblance. On fabrique donc, ajouta-t-il, une image d'or creuse, dans laquelle on met le cadavre ; c'est cette statue qu'on enveloppe d'une couche de verre fondu ; on place ensuite le tout dans un tombeau, et on voit à travers le verre l'image en or du défunt. Ctésias ajoute encore que ce mode de sépulture n'est employé que par les riches ; ceux qui sont moins fortunés reçoivent une image d'argent, et les pauvres l'ont en terre de poterie. Au reste, il y a du verre pour tout le monde ; car il existe abondamment en Ethiopie, et les indigènes le ramassent presque à la surface du sol. Nous traiterons des coutumes, des institutions, et d'autres choses remarquables de l'Ethiopie, lorsque nous parlerons de la mythologie et de l'histoire de ce pays.

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XVI. Après avoir réglé le gouvernement de l'Ethiopie et de l'Egypte, Sémiramis retourna, avec son armée, à Bactres en Asie. Possédant d'immenses troupes, elle était impatiente, après une longue paix, de se signaler par de nouveaux exploits. Informée que les Indiens sont une des plus grandes nations de la terre, et qu'ils habitent les régions les plus vastes et les plus belles, elle résolut d'y diriger une expédition. Stabrobatès était alors roi de l'Inde ; il avait à sa disposition une armée innombrable et un grand nombre d'éléphants, magnifiquement équipés et armés de tout l'attirail de la guerre. L'Inde est un pays admirable de beauté ; il est arrosé par de nombreux fleuves et le sol produit annuellement une double récolte. Aussi y trouve-t-on beaucoup de vivres et les habitants jouissent de la plus grande abondance. On assure qu'il n'y a jamais eu de famine ni de disette dans ce pays si fertile. Il y existe une quantité incroyable d'éléphants, qui surpassent de beaucoup ceux de la Libye en courage et en force. On y trouve également de l'or, de l'argent, du fer, du cuivre, et, en outre, un grand nombre de pierres précieuses de différentes sortes, ainsi que beaucoup d'autres objets appartenant au luxe et à la richesse. Ces renseignements décidèrent Sémiramis à déclarer, sans provocation, la guerre aux Indiens. Sentant la nécessité de déployer de grandes forces, elle dépêcha des messagers dans tous les camps, avec l'ordre, adressé à tous les commandants, de faire enrôler l'élite de la jeunesse en raison du nombre de la population. Au bout d'un terme de trois ans, toutes ces troupes, munies d'armures nouvelles et magnifiquement équipées, devaient se rassembler à Bactres. Elle fit aussi venir de la Phénicie, de la Syrie, de Cypre, et de la contrée littorale, des constructeurs de navires, auxquels elle fournissait d'immenses matériaux, avec l'ordre de construire des bateaux propres à naviguer sur des fleuves et qui pussent se démonter.

Il fallait un grand nombre de ces bateaux, tant pour traverser l'Indus, le fleuve le plus considérable de ces régions, et servant de limite à l'empire de Sémiramis, que pour se défendre contre les Indiens qui auraient voulu s'opposer à ce passage. Et comme il n'y avait pas de matériaux aux environs du fleuve, il était nécessaire de faire venir ces barques de la Bactriane, en les transportant par terre. Se voyant dépourvue d'éléphants, Sémiramis eut l'idée de faire imiter la figure de ces animaux, dans l'espérance d'épouvanter les Indiens, qui s'imaginaient qu'il n'y avait d'éléphants que dans leur pays. Elle choisit donc trois cent mille boeufs noirs, dont la chair fut distribuée aux ouvriers chargés d'exécuter le plan de la reine ; elle fit coudre ensemble plusieurs peaux, et remplir l'intérieur de foin, de manière à représenter parfaitement l'image d'un éléphant. Chaque mannequin contenait un homme pour le diriger, et était porté par un chameau ; vu de loin, il présentait l'aspect d'un véritable éléphant. Les ouvriers, auxquels était commis le soin de ces travaux, étaient renfermés dans une enceinte murée ; les portes étaient étroitement gardées, afin qu'aucun d'eux n'en pût sortir, et que personne du dehors ne pût y entrer. La reine avait pris cette précaution pour que son plan ne fût pas divulgué et que la nouvelle n'en parvint pas jusqu'aux Indiens.

XVII. Après avoir employé deux ans à la construction des barques et de ces figures d'éléphants, elle assembla, dans le cours de la troisième année, toutes ses troupes dans la Bactriane. La force de son armée se composait, suivant Ctésias de Cnide, de trois millions de fantassins, de cinq cent mille cavaliers et de cent mille chars de guerre. Il y avait, de plus, cent mimé hommes montés sur des chameaux et armés d'épées de quatre coudées de long. Les barques qu'elle avait fait construire et qui pouvaient se démonter, étaient au nombre de deux mille, et transportées jusqu'au fleuve sur des chameaux. Les figures d'éléphants étaient également portées sur des chameaux ; les cavaliers marchaient à côté, afin d'accoutumer leurs chevaux à la vue des éléphants, qui auraient pu les effrayer. Beaucoup d'années après, Persée, roi des Macédoniens, usa d'un stratagème semblable, pendant la guerre contre les Romains qui avaient dans leur armée des éléphants de Libye. Mais il ne fut pas plus heureux que Sémiramis, comme nous le dirons plus loin en détail.

Stabrobatès, roi des Indiens, instruit des immenses préparatifs de Sémiramis, songea de son côté à les surpasser. Il commença d'abord par construire quatre mille barques de roseaux. L'Inde produit, aux environs des fleuves et des endroits marécageux, une grande quantité de roseaux d'une telle épaisseur qu'un homme peut à peine en embrasser une tige ; et les navires bâtis avec ces roseaux passent pour être d'un excellent usage, ces matériaux ne pourrissant pas. Il fit ensuite fabriquer des armes avec beaucoup de soin ; et, parcourant toute l'Inde, il assembla une armée de beaucoup supérieure à celle de Sémiramis. Il ordonna des chasses d'éléphants sauvages, afin d'augmenter le nombre de ceux qu'il possédait déjà ; et il les équipa tous magnifiquement d'un terrible attirail guerrier. C'était un spectacle inouï de voir ces animaux se mettre en marche, ornés de tout leur appareil de guerre.

XVIII. Après ces préparatifs, il envoya des messagers à Sémiramis qui s'était déjà mise en marche, pour lui rappeler qu'elle commençait une guerre injuste, et sans y avoir été provoquée. Il lui reprochait aussi, dans une lettre, les débauches de sa vie privée, et il la menaça, en prenant les dieux pour témoins, de la mettre en croix dans le cas où il serait vainqueur. Sémiramis se mit à rire à la lecture de cette lettre, en disant qu'elle ferait bientôt savoir à l'Indien si elle a de la vertu. Arrivée avec ses troupes sur les rives de l'Indus, elle y trouva la flotte ennemie prête à combattre. Faisant aussitôt mettre les barques en état, et les monter par les meilleurs soldats de marine, elle engagea un combat naval auquel prenaient part les fantassins, occupant les rives du fleuve. Le combat dura longtemps et fut vaillamment soutenu de part et d'autre. Enfin, Sémiramis remporta la victoire ; elle détruisit plus de mille navires et fit mn grand nombre de prisonniers. Enhardie par ce succès, elle réduisit en esclavage les îles de ce fleuve et les villes qui y étaient situées, et réunit plus de cent mille captifs. Le roi des Indiens éloigna ses troupes du fleuve, simulant une fuite, dans le dessein d'engager l'ennemi à passer l'Indus. Voyant que tout allait à son 134 gré, Sémiramis fit jeter sur le fleuve un pont immense et beau, sur lequel elle fit passer toute son armée. Elle laissa soixante mille hommes à la garde de ce pont, et se mit à la poursuite des Indiens avec le reste de ses troupes, en les faisant précéder des images d'éléphants, afin que les espions annonçassent au roi le grand nombre de ces animaux se trouvant dans l'armée ennemie. En effet, elle ne se trompa point : les espions firent ce rapport et personne ne pouvait comprendre d'où l'ennemi avait tiré un si grand nombre d'éléphants. Mais la supercherie se découvrit bientôt. Quelques soldats de Sémiramis, accusés de faire mauvaise garde pendant la nuit et pris en flagrant délit, désertèrent à l'ennemi pour se soustraire au châtiment mérité et dénoncèrent le stratagème. Là-dessus, le roi des Indiens reprit courage, fit connaître cette nouvelle à toute son armée, et marcha, en ordre de bataille, contre les Assyriens.

XIX. Sémiramis était préparée à recevoir l'ennemi. Les deux armées étant en présence, Stabrobatès détacha de son corps d'armée ses cavaliers et ses chars. Sémiramis soutint courageusement le choc ; elle avait placé les faux éléphants en tête de sa phalange et à des intervalles égaux ; cette disposition frappa de terreur la cavalerie indienne. Ces mannequins ressemblant de loin à de véritables éléphants, les chevaux indiens, familiarisés avec ces animaux, s'en approchèrent sans s'effrayer ; mais l'odeur inaccoutumée des chameaux et d'autres différences qui les frappaient, les mirent dans un désordre complet. Ainsi, les uns jetèrent par terre leurs cavaliers ; les autres, n'obéissant plus à la bride, les emportèrent avec eux, au hasard, dans les rangs ennemis. Sémiramis profita habilement de cet avantage ; elle se précipita au combat avec l'élite de ses soldats et mit les Indiens en déroute. Le roi Stabrobatès, sans s'épouvanter de cet échec, fit avancer ses fantassins, précédés de ses éléphants ; lui-même, à la tête de l'aile droite et monté sur l'éléphant le plus beau, inspira de la terreur à la reine que le hasard avait amenée devant lui. Les autres éléphants suivirent celui du roi : Sémiramis ne soutint pas longtemps le choc de ces animaux qui, fiers de leur force, renversaient tout ce qui leur résistait. Ce fut un carnage universel : les éléphants foulaient sous leurs pieds les ennemis, les éventraient avec leurs défenses, et les lançaient en l'air avec leurs trompes. Les cadavres jonchaient le sol, tout le monde était saisi d'épouvante, et personne n'osait garder les rangs. Toute l'armée étant mise en fuite, le roi des Indiens s'attaqua à Sémiramis ; il tira d'abord une flèche et l'atteignit au bras ; ensuite il lança un javelot qui, ayant porté obliquement, la blessa au dos ; mais sa blessure n'étant pas grave, elle se sauva promptement sur un cheval qui laissa bientôt en arrière l'animal qui le poursuivait. Toute l'armée fuyait vers le pont de l'Indus, et les soldats de la reine se pressaient dans un si grand désordre au milieu d'un passage étroit, qu'ils périssaient pêle-mêle, se foulant aux pieds les uns les autres, fantassins et cavaliers. Connue les Indiens les serraient de près, la mêlée devint si affreuse sur le pont, qu'un grand nombre d'hommes fut, des deux côtés, précipité dans le fleuve. Voyant les débris de sou armée en sûreté au delà du fleuve, Sémiramis fit couper les liens qui retenaient le pont. Celui-ci s'écroula et entraîna dans sa chute un grand nombre d'Indiens, trop ardents à la poursuite de l'ennemi, et qui furent tous noyés par la rapidité du courant. La rupture de ce pont donna du répit aux Assyriens et mit Sémiramis hors de danger. Le roi des Indiens, averti par des signes parus au ciel, qui, selon l'interprétation des devins, lui interdisaient le passage du fleuve, cessa la poursuite. Sémiramis échangea ses prisonniers, et revint à Bactres, après avoir perdu les deux tiers de son armée.

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XX. Quelque temps après, son fils Ninyas conspira contre elle, par l'entremise d'un eunuque. Sémiramis se rappela alors la réponse de l'oracle d'Ammon, et, loin de punir le conspirateur, elle lui remit l'empire, ordonnant à tous les gouverneurs d'obéir au nouveau souverain, et disparut subitement, comme si elle avait été, suivant l'oracle, reçue au nombre des dieux. Quelques mythologues racontent, qu'elle fut changée en colombe et qu'elle s'envola avec plusieurs de ces oiseaux qui étaient descendus dans son palais. C'est pourquoi les Assyriens, immortalisant Sémiramis, vénèrent la colombe comme une divinité. Souveraine de toute l'Asie, à l'exception de l'Inde, elle termina sa vie, de la façon indiquée, à l'âge de soixante-deux ans et après un règne de quarante-deux. Voilà ce que Ctésias de Cnide rapporte de Sémiramis. Athénée et quelques autres historiens prétendent, que Sémiramis était une belle courtisane dont les charmes avaient captivé le roi des Assyriens ; qu'elle n'avait d'abord qu'une influence médiocre dans le palais ; mais que, devenue ensuite épouse légitime, elle avait prié le roi de lui céder l'empire pendant cinq jours. S'étant alors revêtue du sceptre et du manteau royal, Sémiramis employa le premier jour à donner des festins magnifiques, auxquels elle invita les chefs de l'armée et les personnages les plus considérables de l'Etat, afin de les mettre dans ses intérêts. Le second jour, au moment on le peuple et les grands lui rendaient leurs hommages en qualité de reine, elle fit jeter son mari en prison ; et comme elle était naturellement faite pour les grandes entreprises et pleine d'audace, elle s'empara de l'empire, et régnant jusqu'à sa vieillesse, elle accomplit beaucoup de grandes choses. C'est ainsi que les récits des historiens varient au sujet de Sémiramis.

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Questions & Réponses

Le récit de Sémiramis par Diodore de Sicile est-il exact?

Le récit de Sémiramis par Diodore de Sicile est considéré comme légendaire bien qu'il le présente comme historique.

Sur quels ouvrages Diodore s'est-il basé pour raconter l'histoire de Sémiramis?

Diodore prétend utiliser les travaux des historiens Ctésias de Cnide et Hérodote.

La description des jardins suspendus de Babylone faite par Diodore est-elle exacte?

Les études modernes affirment de plus en plus que les jardins suspendus de Babylone se trouvaient en fait à Ninive, connue pour ses somptueux jardins. Diodore a peut-être confondu Babylone et Ninive.

Sémiramis a-t-elle réellement existé?

On pense que Sémiramis est une version exagérée de l'impressionnante reine régente assyrienne Sammu-Ramat, qui régna de 811 à 806 avant notre ère.

Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Joshua J. Mark est cofondateur et Directeur de Contenu de la World History Encyclopedia. Il était auparavant professeur au Marist College (NY) où il a enseigné l'histoire, la philosophie, la littérature et l'écriture. Il a beaucoup voyagé et a vécu en Grèce et en Allemagne.

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Mark, J. J. (2014, septembre 01). Récit de la vie de Sémiramis par Diodore de Sicile [Diodorus Siculus' Account of the Life of Semiramis]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-744/recit-de-la-vie-de-semiramis-par-diodore-de-sicile/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Récit de la vie de Sémiramis par Diodore de Sicile." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le septembre 01, 2014. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-744/recit-de-la-vie-de-semiramis-par-diodore-de-sicile/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Récit de la vie de Sémiramis par Diodore de Sicile." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 01 sept. 2014, https://www.worldhistory.org/article/744/diodorus-siculus-account-of-the-life-of-semiramis/. Web. 30 juin 2025.

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