Civilisations Perdues d'Anatolie: Göbekli Tepe

Article

Fiona Richards
de Nicholas Kropacek, traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 08 décembre 2020
X
translations icon
Disponible dans ces autres langues: anglais, Turc

Göbekli Tepe est le plus ancien exemple d'architecture monumentale au monde, un "temple" construit à la fin de la dernière période glaciaire, il y a 12 000 ans environ. Il a été découvert en 1995, à proximité de la ville de Şanliurfa, dans le sud-est de la Turquie, lorsqu'un berger kurde remarqua un certain nombre de grosses pierres encastrées, des pierres qui avaient manifestement été travaillées - et qui se sont avérées être la découverte la plus étonnante.

Göbekli Tepe
Göbekli Tepe
Teomancimit (CC BY-SA)

L'Anatolie est décrite comme un creuset de civilisations et de cultures, un pont entre l'Asie et l'Europe, une fusion de l'Orient et de l'Occident, et bien d'autres descriptions familières et galvaudées, toutes plutôt banales mais néanmoins exactes. Il est certain que l'Anatolie a la fâcheuse habitude de figurer dans les rubriques "Civilisations perdues" et "Cultures disparues".

Supprimer la pub
Advertisement

Cela est déconcertant pour deux raisons : à l'époque moderne, nous avons couvert tellement de terrain, physiquement et intellectuellement, que nous pensons que nous devrions tout savoir maintenant, et il est déconcertant car, intrinsèquement, une civilisation entière est difficile à perdre, surtout dans un endroit qui est censé être un "pont" et qui a été foulé par tant de peuples depuis l'aube de la civilisation.

Supprimer la pub
Advertisement

Mais l'Anatolie continue de le faire. L'histoire de la découverte de Troie par Schliemann en 1870/71 eut l'avantage, dans la culture occidentale et dans le canon littéraire occidental, d'être très bien connue, et sa découverte fut une révélation et une cause de grand émerveillement et d'excitation populaire. La découverte et les fouilles de Boğazkale furent un autre événement révélateur, bien que moins célébré par le grand public. Après tout, les Hittites n'étaient que des acteurs secondaires dans un récit biblique; ils n'étaient pas totalement inconnus, mais plutôt une note de bas de page. Cependant, les universitaires et les experts étaient conscients du fait qu'il manquait à l'histoire du Proche-Orient ancien une composante importante, une lacune à peine évoquée par des découvertes alléchantes faites à la fin du XIXe siècle. La découverte et les fouilles de la capitale hittite, enfermée dans l'immensité des montagnes d'Anatolie centrale, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ont comblé une énorme lacune, une lacune encore réduite par la traduction de la langue hittite par le linguiste tchèque Hrozny en 1915, et par l'abondance de preuves documentaires découvertes lors des fouilles à la bibliothèque royale de Hattusa et qui peuvent désormais être lues. Cependant, la découverte de Göbekli Tepe, elle, n'a été qu'un énorme choc !

REMONTANT À LA FIN DE LA DERNIÈRE PÉRIODE GLACIAIRE ET CONSTRUIT POUR LA PREMIÈRE FOIS VERS 10 000 ANS AVANT NOTRE ÈRE, LE SITE EST CONNU SOUS LE NOM DE GÖBEKLI TEPE, QUI SIGNIFIE COLLINE du VENTRe OU COLLINE DU NOMBRIL.

Et ce qui est apparu depuis ce jour de 1995 n'est rien moins qu'extraordinaire ; un site de taille significative contenant d'abord des "enceintes" circulaires, puis des "salles" rectangulaires dominées par de remarquables monolithes sculptés et décorés. Jusqu'à présent, plus de 25 de ces enceintes ont été identifiées et deux des plus anciennes ont été entièrement fouillées jusqu'au niveau du sol, révélant une culture inconnue et inimaginable qui a bouleversé le monde archéologique.

Supprimer la pub
Advertisement

Le site de Göbekli Tepe

L'aspect le plus surprenant de ce site est son âge. Remontant à la fin de la dernière période glaciaire et construit pour la première fois vers 10 000 av. JC, le site est connu sous le nom de Göbekli Tepe (ou en kurde, Girê Navokê, qui signifie Colline du Ventre, ou plus poétiquement peut-être, la Colline du Nombril).

Le monument nous vient d'un passé lointain et d'une époque où, selon le récit historique existant, il n'aurait tout simplement pas dû être là. Il s'agit d'une architecture monumentale à grande échelle, préservée à un degré extraordinaire, mais silencieuse. Si nous pouvons décrire le site dans ses moindres détails et étudier ses attributs physiques avec tous les outils de la science moderne, nous ne pouvons que spéculer sur les motivations des bâtisseurs ou la culture des habitants ; tout cela fut accompli 6 000 ans ou plus avant l'invention de l'écriture.

Et il y existe une énigme supplémentaire dans ce lieu énigmatique et obsédant. Les grandes enceintes, après avoir été utilisées pendant des centaines d'années, ont été simplement enterrées. Le reste du site a continué d'être utilisé avec des structures plus petites et plus modestes construites sur le monticule créé par l'enterrement des monuments originaux, puis, après une période d'utilisation comme site de rassemblement et lieu de rituel qui dura peut-être 2 500 ans, le lieu fut tout simplement abandonné.

Supprimer la pub
Advertisement

Göbekli Tepe, Turkey
Göbekli Tepe, Turquie
Zhengan (CC BY-SA)

Sa période de construction initiale est appelée "Néolithique pré-poterie A" (NPPA), ce qui signifie qu'elle date d'une période antérieure à l'invention de la poterie et à l'écriture. Göbekli Tepe existe dans une partie de l'histoire de l'humanité qui se situe à une distance inimaginable, à la fin de la dernière période glaciaire.

Plus important encore, il s'agit selon toute vraisemblance d'un site religieux ou cultuel, et non d'un site d'habitation ; il n'y a aucune preuve que quelqu'un ait vécu ici, bien que des vestiges de préparation de nourriture démontrent une occupation à certaines périodes.

La construction dut représenter un effort énorme et le professeur Schmidt, l'archéologue allemand qui a fouillé le site, pense que des centaines de personnes venaient de très loin pour des rituels culturels ou religieux spécifiques sur une longue période, puis s'en retournaient à leurs territoires ou à leurs terrains de chasse et à leur vie quotidienne. Le site n'était utilisé que pour des événements très importants et aucune trace de sépulture n'a été retrouvée. Le professeur Schmidt a déclaré que celles-ci pourraient se trouver derrière les murs ; "nous devons être patients pour répondre à ces questions et ne fouiller que ce dont nous avons besoin."

Supprimer la pub
Advertisement

Comment donner au site un contexte culturel et historique ? En l'absence de poterie et d'écriture, rien ne peut indiquer comment ces anciens peuples se voyaient eux-mêmes. L'équipe d'archéologues a dû comparer différents sites archéologiques, en prenant des matériaux de Göbekli Tepe et d'autres sites liés par l'archéologie et pouvant être datés au carbone, et comparer les résultats. La pratique de l'enfouissement du site donne également une indication de l'âge puisque le matériau utilisé pour remblayer l'enceinte principale contenait des quantités importantes de matériel animal (qui lui peut être daté au carbone).

T-shaped Pillars at Göbekli Tepe
Piliers en T, Göbekli Tepe
yepyep (CC BY-NC-ND)

Les pierres monumentales en forme de T, souvent disposées en cercle, sont une caractéristique de Göbekli Tepe. Depuis le début des années 1990, on a découvert un certain nombre de sites dans le sud-est de la Turquie (essentiellement l'arc nord du Croissant fertile), qui présentent ces monolithes anthropomorphes en forme de T. Ils ont également été trouvés dans d'autres parties de la région de Şanliurfa et dans le centre de Şanliurfa lui-même. Il semblerait qu'un certain nombre de pierres en forme de T qui se trouvent à l'intérieur des cercles de pierres représentent clairement des figures humaines et un certain nombre d'entre elles possèdent des bras, des vêtements et des ornements, mais elles n'ont pas de traits de visage.

Les autres sites contemporains de la région, qui comprennent des "rassemblements" de ces piliers anthropomorphes en forme de T, font tous partie de ce qui est probablement un environnement mixte domestique et professionnel, faisant de la sphère rituelle une partie de la vie quotidienne. Göbekli Tepe était à l'écart de tout site domestique et sa construction, mais aussi sa visite, auraient demandé un certain effort. Il se distingue également, surtout dans sa phase initiale, par la taille et la monumentalité de ses piliers en forme de T.

Vous aimez l'Histoire?

Abonnez-vous à notre newsletter hebdomadaire gratuite!

Göbekli Tepe: Pillar
Pilier, Göbekli Tepe
Ronnie Jones III (CC BY-NC-SA)

C'est particulièrement vrai pour la phase la plus ancienne de la construction et de l'utilisation, où la plupart des piliers ont une décoration sculptée sophistiquée et des reliefs ; certains d'entre eux mesurent jusqu'à 5,5 m et pèsent jusqu'à 20 tonnes. La carrière qui produisit les pierres se trouve à quelques centaines de mètres de là, où l'on peut encore voir quelques piliers, partiellement excavés, mais demeurant in situ et attachés au socle rocheux, mais abandonnés en raison de défauts.

Le site en détail

La chronologie du site peut être décomposée en trois niveaux, I, II et III, qui représentent les principales phases de construction et d'utilisation ; I étant le plus récent et III étant le plus ancien et donc le niveau le plus profond. La couche III est également le niveau le plus sophistiqué de Göbekli Tepe, un fait qui pose des questions intéressantes : c'est un site qui, en termes d'effort artistique, de construction et de concept, semble reculer plutôt que progresser avec le temps.

Göbekli Tepe Infographic
Infographie, Göbekli Tepe
Emine Sonnur Özcan (CC BY-NC-SA)

Le niveau II est beaucoup plus basique tandis que le niveau I représente les milliers d'années d'abandon ou d'utilisation agricole beaucoup plus tardive. Les facteurs qui interviennent dans ces changements peuvent inclure l'évolution des structures sociales, de l'économie, des pratiques religieuses, etc. Le niveau I produit encore de nombreuses découvertes pertinentes, mais celles-ci auront été repositionnées par l'érosion et l'agriculture.

Si la taille globale du site de Göbekli Tepe est assez considérable, le noyau ancien actuellement fouillé est de taille plus modeste et est représenté par quatre enceintes identifiées par des lettres : A-D ; ainsi désignées par l'ordre de leur découverte. Dans le niveau III, le plus ancien, chaque enceinte est caractérisée par des composantes thématiques et des représentations artistiques différentes, et les premiers groupes d'enceintes sont de forme à peu près circulaire.

Les Enceintes (Niveau III)

La première zone à être fouillée fut l'enceinte A, également appelée "l'enceinte des serpents", car les représentations de serpents dominent les sculptures sur les piliers en T. Celles-ci sont, par endroits, extrêmement complexes, notamment l'une d'entre elles (pilier n° 1) qui représente un groupe de serpents serrés dans ce qui semble être un filet ou un panier en osier, au-dessus d'un mouton ou d'un bélier sauvage. Le bord avant de la stèle présente trois serpents sculptés se déplaçant vers le bas et un serpent se déplaçant vers le haut. Tous les serpents sculptés à Göbekli Tepe sont sculptés dans un mouvement descendant, à l'exception de cet unique exemple. Les serpents sont représentés comme des créatures courtes et épaisses à la tête large et aplatie, typiques des serpents qui habitent aujourd'hui la région d'Urfa, notamment la vipère levantine.

Il est intéressant de noter que le serpent occupe une position très puissante dans la mythologie de l'Anatolie, même aujourd'hui. Avec le serpent, les images de renards sont une caractéristique constante et il est possible que le renard ait une certaine valeur totémique pour les membres importants de cette culture, bien que, contrairement au serpent, le renard ne semble pas avoir de rôle folklorique important dans la région aujourd'hui.

Göbekli Tepe - Layer III, Enclosure A, Pillar 2
Göbekli Tepe: Niveau III, enceinte A, Pilier 2
Teomancimit (CC BY-SA)

Un autre pilier représente un groupe composé d'un auroch (un très grand bovin aujourd'hui disparu), d'un renard et d'une grue, placés l'un au-dessus de l'autre dans ce qui pourrait représenter une sorte de récit. Il s'agit d'un récit qui donne à réfléchir, car la représentation de la grue est anatomiquement incorrecte si le sculpteur décrivait ce qu'il voyait réellement dans la nature, car les genoux de la grue s'articulent vers l'arrière de la même manière qu'un genou humain. Tout membre d'une société de chasseurs -cueilleurs aurait su depuis son plus jeune âge que le genou d'un oiseau s'articule vers l'avant, et dans le cas d'un oiseau à longues pattes comme la grue, ce mouvement vers l'avant est très marqué. En fait, ce qui est peut-être représenté ici, c'est un humain déguisé en grue. S'agirait-il d'une scène de chasse ou d'une représentation d'une danse visant à invoquer les attributs des créatures représentées?

Cette énigme anatomique se répète ailleurs. Les piliers centraux de l'enceinte A n'ont pas les caractéristiques anatomiques telles que les bras que nous voyons sur d'autres piliers sur ce site et ailleurs, mais les représentations d'animaux sont particulièrement saisissantes. Les piliers n'ont pas non plus de fonction structurelle évidente.

L'enceinte B a la forme d'un ovale grossier mesurant environ 10-15 m (nord/sud) et environ 9 m (est/ouest) et possède un sol en terrazzo. Cette enceinte est appelée " bâtiment aux piliers à renards " car l'image du renard prédomine. Les deux piliers centraux portent chacun un renard grandeur nature sculpté, tous deux tournés vers l'intérieur et, étant donné leur posture, en plein saut. Mais, fait intéressant, sur l'une des pierres, le renard semble bondir sur une petite créature ressemblant à un rongeur qui fut gravée sur le pilier à une date ultérieure.

Göbekli Tepe, Pillar with Sculpture of a Fox
Pilier avec sculpture de renard, Göbekli Tepe
Zhengan (CC BY-SA)

L'enceinte C est dominée par de superbes représentations de sangliers et d'oiseaux. Curieusement, les serpents sont totalement absents de cet enclos et semblent avoir été remplacés en termes d'utilisation et de positionnement par des images de sanglier. Outre les deux piliers centraux, il y en a 11 dans le cercle intérieur et, jusqu'à présent, huit dans le cercle extérieur ; plusieurs d'entre eux ont peut-être été retirés avant l'enfouissement du site.

APRÈS L'ENsevelissement DE L'ENCEINTE C, UNE GRANDE FOSSE fut CREUSÉE DANS LA ZONE CENTRALE DE L'ENCEINTE et LES DEUX PIERRES dressées CENTRALES furent BRISÉES EN PLUSIEURS MORCEAUX.

Cette construction est un peu différente dans la mesure où l'enceinte est construite en une série de trois cercles concentriques, on pourrait même la décrire comme une sorte de spirale. A un moment donné après l'enterrement de l'enclos C (peut-être après le Néolithique, mais cela reste incertain), une grande fosse de 10 m de diamètre fut creusée dans la zone centrale de l'enclos et les deux pierres centrales debout furent brisées en plusieurs morceaux. Il est impossible de connaître les circonstances de cet épisode de vandalisme iconoclaste, qui se répète ailleurs à Göbekli Tepe. Il a été établi que la violence de cette attaque était considérable car le pilier oriental fut fendu par un feu intense.

Nous avons, bien sûr, de nombreux exemples dans notre propre histoire plus récente auxquels nous pouvons nous référer pour illustrer le fait que les changements religieux sont à l'origine de forces destructrices : la violence exercée par les puritains anglais contre les éléments décoratifs des grandes cathédrales et églises médiévales d'Angleterre, la destruction des bouddhas de Bamiyan par les iconoclastes talibans en Afghanistan et les atrocités culturelles commises par ISIS ne sont que trois exemples parmi tant d'autres.

La reconstruction du pilier occidental à partir de fragments de l'original est ornée d'un renard en relief, de grandeur nature, sur la face intérieure, à mi-chemin vers l'entrée. Le pilier oriental, dont la majeure partie a disparu, était orné d'un taureau sur sa face intérieure. Il est heureux que la violence n'ait été dirigée que vers les piliers centraux, car autour du mur d'enceinte de l'enceinte C se trouvent certains des ouvrages en pierre de la plus haute qualité, notamment un extraordinaire haut-relief (pilier 27) représentant un félin dressé au-dessus d'un sanglier. L'enceinte est construite sur la surface du plateau sur le substrat rocheux naturel.

Göbekli Tepe Pillar 27, Enclosure C, Layer III
Göbekli Tepe: Niveau III, enceinte C, pilier 27
Erkcan (Public Domain)

L'enclos D est appelé le Zoo de l'âge de pierre en raison de la grande variété d'images d'animaux. L'élément dominant de cet enclos est la paire massive de stèles centrales en forme de T, clairement destinées à représenter des figures humaines et de taille monumentale. Elles sont orientées vers le sud et reposent sur un piédestal ornemental, dont l'un est décoré de ce qui semble être des canards, et elles se dressent à une hauteur impressionnante de 5,5 mètres.

Les deux piliers encore debout ont des bras croisés au niveau du ventre, juste au-dessus d'une ceinture décorée et d'un pagne en peau de renard dont la queue pend sur le devant. Le pilier orienté vers l'est a un renard grandeur nature, dans le creux de son bras droit, qui bondit vers le sud. Mais, de manière significative, il n'y a pas de traits de visage. En dehors de la ceinture et du pagne, les deux personnages ont ce que l'on pourrait décrire comme des ornements de cou qui sont clairement symboliques.

Cette enceinte possède également, sur l'une de ses pierres de périmètre, l'ensemble d'images de Göbekli Tepe le plus discuté et peut-être le plus inquiétant de tous. Il s'agit du pilier no. 43, la "pierre du vautour". Les étranges images de ce pilier comprennent, sur le côté gauche, un vautour tenant un orbe ou un œuf dans son aile déployée. Plus bas, on trouve un scorpion, et l'imagerie est encore compliquée par la représentation d'un homme ithyphallique sans tête. L'enceinte est également construite sur une roche naturelle qui fut nivelée et lissée pour permettre la construction des piédestaux des piliers centraux et du sol.

Vulture Stone, Göbekli Tepe
Pierre du vautour, Göbekli Tepe
Sue Fleckney (CC BY-SA)

Il y a un autre enclos, l'enclos E, qui se trouve à environ 100 mètres à l'est et légèrement au sud de ce groupe d'enclos. Il ne reste que le plan du sol et les socles des piliers centraux. Le sol est taillé directement dans la roche-mère. Juste à côté de l'enceinte, il y a quelques dépressions sculptées qui pourraient être de petites citernes taillées dans la roche ; on en trouve d'autres plus grandes le long de la crête de Göbekli Tepe. Il n'y a pas de sources dans les environs, l'approvisionnement en eau aurait donc été un problème. Il y a aussi un groupe de dépressions en forme de coupes taillées dans la roche qui sont répétées sur d'autres sites néolithiques de la région, mais il n'y a pas de réelles théories sur ce à quoi elles pouvaient servir.

Destruction et réutilisation

Tous les enclos du niveau III furent remplis avant les constructions du niveau II. La raison de cette opération n'est pas claire, mais il semble qu'il y ait eu un " démantèlement " conscient des structures du niveau III, car certains piliers furent endommagés ou déplacés de manière organisée et contrôlée, tandis que d'autres piliers semblent avoir été entièrement retirés. De petits artefacts et des statues furent laissés sur place mais les statues furent renversées. Certains sommets des piliers de l'enceinte C sont complètement brisés.

Les sommets des piliers centraux intacts présentent des dépressions sculptées en forme de coupe. Il semble que lorsque les structures du Niveau III furent ensevelies, seuls les sommets restètent en surface et que ces dépressions en forme de coupe furent sculptées une fois l'enfouissement terminé.

IL SEMBLERAIT QUE LE NIVEAU III, CONSTRUIT À L'ORIGINE VERS 9 500 AV. JC, AIT ÉTÉ ENTERRÉ PAR PHASES APRÈS DES CENTAINES D'ANNÉES D'UTILISATION.

Une fois de plus, l'objectif de cette utilisation est spéculatif, mais des réceptacles pour des offrandes votives ou des bougies sont une suggestion raisonnable. Avec la construction et l'utilisation du niveau II, les gens utilisaient clairement le site et auraient été conscients des enceintes enterrées, dont les sommets dépassaient juste de la surface, preuve du rassemblement des pierres dressées juste en dessous. Il est également raisonnable de conclure que, bien qu'enterrés, les anciens enclos jouaient toujours un rôle dans la vie rituelle des gens qui continuaient à construire et à se rassembler sur le site.

On ne peut être absolument précis, mais il semblerait que le niveau III, construit à l'origine vers 9 500 av. JC, ait été enterré par phases après des centaines d'années d'utilisation. Le contenu du matériau utilisé pour remplir les enceintes est une énorme source de données concrètes. La composition des matériaux de remplissage est simplement constituée de déchets produits par la chasse, la préparation et la consommation de nourriture, mélangés à des matériaux de remplissage comprenant des résidus de construction, de travail de la pierre, des milliers d'outils en silex et des restes de fabrication d'outils. Les trouvailles nous apprennent des choses importantes sur ces gens. Les outils eux-mêmes, en l'absence d'instrument de datation de base de l'archéologue, la poterie, peuvent être utilisés pour produire un large contexte culturel et chronologique dans lequel les données d'autres sites peuvent être utilisées pour produire des dates approximatives.

Le niveau II est un environnement différent, tant sur le plan conceptuel qu'artistique. Il est évident que la société et la culture subirent une importante série de changements, mais que d'importants marqueurs culturels demeurèrent. Les enceintes sont beaucoup plus petites et beaucoup plus modestes, tandis que les décorations sont plus simples et sont exécutées avec moins d'habileté. Elles sont également beaucoup plus nombreuses et sont construites, presque pêle-mêle, sur le niveau III et parfois même à l'intérieur du niveau III. Elles sont certainement beaucoup moins ambitieuses et monumentales qu'auparavant. Il s'agit peut-être d'une société qui s'est épuisée, tant économiquement que spirituellement, avec le niveau III. C'est peut-être la preuve d'une période de transition avant l'abandon de Göbekli Tepe et l'évolution de sociétés plus sédentaires, comme celle de Çatalhöyük dans la plaine de Konya, datée d'environ 7 500 avant notre ère.

Göbekli Tepe: Site
Site de Göbekli Tepe
Ronnie Jones III (CC BY-NC-SA)

Cependant, toute spéculation mise à part, la plus élaborée de ces enceintes rectangulaires, aujourd'hui plus modestes, est le "bâtiment du lion", identifié par la gravure sur l'une de ses pierres principales. Bien qu'il s'agisse probablement encore d'un site purement cultuel ou religieux sans aucune trace de domesticité, les enclos sont petits et ressemblent à bien des égards aux bâtiments domestiques d'autres lieux tels que Nevali Çori. Il se pourrait que les changements économiques et culturels se reflètent dans les modèles de construction à cet endroit précis.

Au cours de la saison 2013/14, les archéologues ont mis au jour une autre enceinte, l'enceinte " H ", à environ 250 m des fouilles initiales de niveau III et de l'autre côté de la colline, vers le nord-ouest. C'est ce qu'on appelle la " dépression nord-ouest " et, à première vue, elle semble presque refléter l'excavation originale existante. Également construit au niveau III, cet enclos possède une stèle centrale de bonne taille placée dans une structure de forme ovale. Comme pour l'enclos C, les représentations de sangliers semblent prééminentes. Cet enclos, comme tous les autres, fut enterré après sa vie utile. Cependant, quelqu'un, comme pour l'enceinte C, prit le temps et l'effort de creuser une fosse, de localiser les stèles centrales... et d'en détruire une (l'autre attend toujours d'être examinée).

Pourquoi ? Il est clair que ce qui relie les enceintes C et H, et peut-être d'autres enceintes encore à découvrir, sont la conception (ovale et avec un escalier d'accès), le niveau (âge), et l'œuvre d'art, mais surtout, ces deux enceintes sont reliées par des actes identiques de profanation effectués longtemps après que les enceintes aient été enterrées!

Totem Statue - Göbekli Tepe
Totem, Göbekli Tepe
Ronnie Jones III (CC BY-NC-SA)

Ces actes de profanation suggèrent un certain nombre de scénarios possibles dont aucun n'exclut pas nécessairement les autres. Il est clair que l'acte d'enfouissement des enceintes du niveau III et l'évolution des changements de conception structurelle observés au niveau II indiquent la fin d'un cycle de vie pour ces structures, et un changement des fondements politiques et économiques, mais pas culturels ni religieux. La question de la destruction délibérée et ciblée dans les enceintes mais la poursuite de l'utilisation du site suggère une continuité de la croyance pendant une période de temps considérable mais avec des changements majeurs en terme de dynamique du pouvoir de la société représentée sur et par cet extraordinaire site.

Les origines de Göbekli Tepe

Les auteurs non universitaires et les auteurs "alternatifs" de livres populaires ont formulé de nombreuses théories sur les origines de Göbekli Tepe et de ses bâtisseurs, la plupart d'entre eux s'intéressant naturellement aux vestiges étonnants et très photogéniques du niveau III. Ils vont d'une "civilisation ancienne d'une étonnante complexité" à des références vaguement bibliques en passant par les étoiles, littéralement. En ce qui concerne les alignements stellaires, l'équipe archéologique, qui est prudente et qui s'appuie sur des preuves lentement accumulées et évaluées, n'exclut pas cette possibilité mais souligne gentiment qu'il n'y a aucune preuve d'alignement avec une étoile ou une constellation.

Le site est clairement orienté, mais les enceintes de niveau III sont orientées vers le sud et vers le bas de la plaine d'Harran d'où les gens auraient pu s'approcher, et non par rapport au ciel nocturne ou à une quelconque caractéristique astronomique apparente ; au vu de la topographie de la région, cela semble raisonnable. Même aujourd'hui, l'approche la plus logique se fait par le sud. Il est possible que cet alignement sud fasse face à une approche processionnelle.

The plains of Göbekli Tepe
Les plaines de Göbekli Tepe
Ronnie Jones III (CC BY-NC-SA)

Il est vrai que les processions figurent en bonne place dans la vie rituelle des peuples anciens, comme en témoignent des sites anciens tels que la transition proposée entre Woodhenge et Stonehenge ou la ménagerie gravée dans les plaines de Nazca jusqu'à l'époque moderne avec des rites religieux tels que le chemin de croix ou la cérémonie d'État telle que l'ouverture officielle du Parlement au Royaume-Uni. Les enceintes du niveau II ne présentent aucun schéma d'alignement particulier.

Après l'abandon du niveau II, nous ne voyons rien d'autre se produire à Göbekli Tepe que la lente évolution du niveau I, qui représente l'établissement d'une vie agricole et semi-nomade rude dans l'environnement que nous voyons aujourd'hui, avec des contributions mineures pendant les périodes romaine, byzantine et islamique et qui cachait le drame des nombreux et silencieux rassemblements d'êtres monolithiques juste sous la surface.

Le nom de Göbekli Tepe, ou Colline du Nombril, pourrait bien être un faible écho culturel de ces temps très lointains. Il est certainement vrai que de nombreuses cultures néolithiques se caractérisaient par une connexion symbolique à la terre via un nombril ou un cordon ombilical magique. Aujourd'hui encore, ce lieu est respecté et vénéré, comme en témoigne l'arbre à souhaits orné au sommet du monticule.

Nous ne pouvons que spéculer sur la nature précise des changements qui se produisirent à cette époque et qui sont représentés de manière surprenante dans ce lieu étonnant. Mais pour paraphraser un avertissement populaire que nous entendons aujourd'hui dans notre propre culture en évolution rapide... veuillez spéculer de manière responsable.

Supprimer la pub
Publicité

Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Citer cette ressource

Style APA

Kropacek, N. (2020, décembre 08). Civilisations Perdues d'Anatolie: Göbekli Tepe [Lost Civilisations of Anatolia: Göbekli Tepe]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1580/civilisations-perdues-danatolie-gobekli-tepe/

Style Chicago

Kropacek, Nicholas. "Civilisations Perdues d'Anatolie: Göbekli Tepe." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le décembre 08, 2020. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1580/civilisations-perdues-danatolie-gobekli-tepe/.

Style MLA

Kropacek, Nicholas. "Civilisations Perdues d'Anatolie: Göbekli Tepe." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 08 déc. 2020. Web. 22 avril 2024.

Adhésion