Impôts et Comptage du Bétail en Égypte Antique

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 07 février 2017
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Disponible dans ces autres langues: anglais

Les dieux de l'Égypte ancienne donnaient librement leurs bienfaits aux personnes qui travaillaient la terre, mais cela ne dispensait pas ces agriculteurs de payer des impôts sur ces bontés au gouvernement. L'Égypte était une société sans argent liquide jusqu'à la période perse (c. 525 av. J.-C.), et l'économie dépendait de l'agriculture et du troc.

L'unité monétaire était le deben, environ 90 grammes de cuivre, et le commerce était basé sur un deben "imaginaire" : si cinquante deben permettaient d'acheter une paire de sandales, alors une paire de sandales pouvait être échangée contre l 'équivalent de cinquante deben en blé ou en bière.

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Ancient Egyptian Weight of One Deben
Poids d'un deben en Égypte ancienne
Osama Shukir Muhammed Amin (Copyright)

C'est sur ce système que le gouvernement central s'appuyait pour collecter les impôts. L'expert André Dollinger écrit :

Dans une économie de troc, la manière la plus simple d'exiger des taxes est de saisir une partie des produits, des marchandises ou des biens. Le secteur agricole d'une telle économie est le plus facile à taxer. Un agriculteur ne peut pas refuser la possession d'un champ sans perdre ses droits. Le champ peut être mesuré, le rendement évalué, et le produit est difficile à cacher en raison de sa grande masse. Il n'est pas étonnant que les paysans aient été la partie de la population la plus taxée et la plus constante. (1)

Comptage du bétail

La meilleure façon pour un roi d'évaluer ce qui lui était dû par les régions de son pays était d'aller voir sur place. Dès le règne de Hor-Aha (c. 3100-3050 av. J.-C.), institutionnalisé au cours de la deuxième dynastie (c. 2890 - vers 2670 av. J.-C.), et jusqu'à l'époque de l'Ancien Empire d'Égypte (c. 2613-2181 av. J.-C.), un événement annuel fut institué sous le nom de Shemsu Hor (suite d'Horus), plus connu sous le nom de comptage du bétail égyptien, au cours duquel le roi et sa suite parcouraient le pays, évaluaient la valeur des récoltes des agriculteurs et percevaient un certain montant d'impôts. L'expert Toby Wilkinson commente ce fait en écrivant :

Le Shemsu Hor aurait servi plusieurs objectifs à la fois. Il permettait au monarque d'être une présence visible dans la vie de ses sujets, à ses fonctionnaires de garder un œil sur tout ce qui se passait dans le pays en général, de mettre en œuvre des politiques, de résoudre des conflits et de rendre la justice ; il couvrait les frais d'entretien de la cour et supprimait le fardeau de la maintenir toute l'année en un seul endroit ; enfin, il facilitait l'évaluation et la perception systématiques des impôts. Un peu plus tard, à la deuxième dynastie, la cour reconnaît explicitement le potentiel actuariel de la suite d'Horus. Par la suite, l'événement a été associé à un recensement officiel de la richesse agricole du pays. (44-45)

L'Égypte était divisée en districts, et les champs et les produits de chaque district étaient évalués pour les impôts. Chaque district (nome) était divisé en provinces, avec un nomarque administrant le fonctionnement général du nome, puis des fonctionnaires provinciaux de rang inférieur et des maires de villes opérant dans des sphères d'autorité de plus en plus réduites. Plutôt que de faire confiance à un nomarque pour déclarer avec précision ses richesses au gouvernement, le roi se rendait personnellement dans chaque nome et collectait lui-même les impôts. Le Shemsu Hor est ainsi devenu un événement annuel (puis biannuel) important dans la vie des Égyptiens. L'huile, la bière, les céramiques, le bétail et toutes les autres marchandises étaient taxées, mais la taxe la plus importante était celle sur les céréales.

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Cattle Butchering Scene from Saqqara
Scène d'abattage de bétail de Saqqarah
Osama Shukir Muhammed Amin (Copyright)

Taxe sur les céréales et redistribution

Les céréales ne nourrissaient pas seulement la population égyptienne, mais étaient essentielles pour le commerce avec les autres pays. Toutes les ressources dont l'Égypte manquait pouvaient être achetées par la vente de céréales, et comme l'Égypte disposait de champs fertiles qui produisaient généralement des récoltes abondantes, les céréales étaient très importantes pour le fonctionnement du gouvernement. Non seulement ils utilisaient les céréales dans le commerce, mais ils les stockaient en surplus pour nourrir le peuple les années de mauvaise récolte et pour les distribuer aux communautés qui pouvaient souffrir d'un malheur. L'expert Edward Bleiberg explique le fonctionnement de ce processus :

Le gouvernement de l'Égypte antique répondait à ses besoins en nourriture, en matières premières, en produits manufacturés et en main-d'œuvre par le biais de la fiscalité et de la conscription. L'économie égyptienne pré-marché, essentiellement sans monnaie, était structurée de telle sorte que les habitants de la vallée du Nil apportaient leur soutien au roi et aux autres institutions gouvernementales, tandis que le roi redistribuait ces produits essentiels à chaque classe en fonction de son rang et de son statut dans la société. (cité dans Bard, 761-762)

Les impôts et l'Ancien Empire

Les taxes provenant du comptage du bétail égyptien et le commerce lucratif qui en découlait fournirent au gouvernement central de l'Ancien Empire la grande richesse nécessaire à la construction des pyramides de Gizeh. De nos jours, seules la Grande Pyramide de Khéops et celles de Khéphren et Menkaourê s'élèvent sur le plateau de Gizeh, ainsi que le Grand Sphinx et un certain nombre de monuments de moindre importance, mais à l'époque, chaque pyramide de Gizeh avait son propre complexe pyramidal, il y avait des logements pour les ouvriers, des marchés, des temples séparés, des ateliers, et tout cela coûtait beaucoup d'argent. En outre, une fois les pyramides, les complexes et les temples achevés, il fallait engager du personnel pour les entretenir et présider aux rituels qui assureraient la vie éternelle du roi dans le monde à venir.

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Les taxes provenant du comptage du bétail égyptien et le commerce lucratif qu'il permettait fournirent au gouvernement central de l'Ancien Empire la grande richesse nécessaire à la construction des pyramides de Gizeh.

Tous ces projets de construction et les rituels qui les accompagnaient étaient très coûteux et finirent par contribuer à ce que l'on appelle l'effondrement de l'Ancien Empire sous le règne de Pepi II (2278-2184 av. J.-C.). La pression exercée sur le trésor du gouvernement central, qui payait non seulement la main-d'œuvre, les matériaux et le transport de ces matériaux sur le site, mais aussi le clergé et son personnel pour entretenir les temples, finit par être un trop lourd fardeau.

En outre, en échange de leurs services, les souverains de l'Ancien Empire avaient exempté le sacerdoce de toute imposition à perpétuité. Comme les prêtres avaient, à cette époque, amassé une grande quantité de terres, la perte d'impôts était importante.

Bien que le gouvernement central ait finalement échoué à la sixième dynastie, il était déjà en difficulté vers la fin de la quatrième dynastie (durant laquelle les pyramides de Gizeh ont été construites), sous le règne du successeur de Menkaourê, Chepseskaf (2503-2498 av. J.-C.). Chepseskaf avait suffisamment d'argent et de ressources pour achever le complexe de pyramides et de temples de Menkaourê, mais il fut lui-même enterré dans une modeste tombe à Saqqara.

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Taxes pendant la première période intermédiaire

Le déclin de l'Ancien Empire conduisit à la Première Période Intermédiaire de l'Égypte (2181-2040 av. J.-C.) au cours de laquelle les nomarques individuels avaient plus de pouvoir que le gouvernement central. La pratique du comptage annuel du bétail fut abandonnée, mais pas les impôts. Le roi n'était plus en mesure d'ordonner la collecte des impôts, mais les nomarques individuels l'étaient et le faisaient. L'experte Rosalie David écrit:

En théorie, le roi était propriétaire de toutes les terres et possessions. En réalité, bien qu'il ait été le plus grand propriétaire foncier et qu'il ait possédé des zones dans chaque nome, les temples et même les particuliers possédaient des biens immobiliers importants. (95)

On pensait que le roi possédait toutes les terres parce que sa position lui avait été accordée par les dieux, qui avaient créé le monde et l'avaient donné au peuple, mais tout au long de l'histoire de l'Égypte, le roi luttait avec le clergé, en particulier les prêtres d'Amon, pour le pouvoir parce que les temples et leurs terres et champs fertiles avaient été déclarés exonérés d'impôts. Cette situation permit au clergé d'amasser beaucoup de richesses et de pouvoir aux dépens du gouvernement central.

Stela of Sobeki
Stèle de Sobeki
Osama Shukir Muhammed Amin (Copyright)

Les nomarques gardaient désormais pour eux la plus grande partie des impôts collectés, même si une partie continuait à être envoyée à la capitale comme auparavant. C'est la raison pour laquelle on ne trouve pas de grands monuments comme les pyramides de Gizeh construites pendant la première période intermédiaire, mais on trouve des tombes personnelles élaborées de nomarques et d'autres nobles. Cette période se termina lorsque le prince Montouhotep II de Thèbes (c. 2061-2010 av.J.-C.) unifia le pays sous son règne et inaugura l'ère du Moyen Empire d'Égypte (2040-1782 av. J.-C.). Une fois de plus, un gouvernement central fort dirigeait l'Égypte et les taxes permettaient aux souverains de s'offrir de grands projets de construction. L'imposant temple de Karnak, près de Thèbes, fut construit à cette époque, sous le règne de Senousert Ier (c. 1971-1926 avant notre ère).

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Calcul des impôts au cours du Nouvel Empire

Les impôts étaient désormais évalués et collectés par des fonctionnaires chargés de cette tâche. Cette pratique d'envoyer des collecteurs d'impôts avait en fait commencé vers la fin de l'Ancien Empire, lorsque la pratique du compte de bétail avait commencé à décliner. Les collecteurs d'impôts qui ne payaient pas la totalité de la somme due au gouvernement étaient sévèrement punis. Le Moyen Empire, considéré comme un âge classique dans l'histoire de l'Égypte, déclina au cours de la 13e dynastie, permettant aux Hyksôs, un peuple étranger, de prendre pied dans la région du Delta de la Basse-Égypte. L'époque des Hyksôs est connue sous le nom de deuxième période intermédiaire de l'Égypte (vers 1782 - vers 1570 av. J.-C.) au cours de laquelle, une fois encore, les nomarques individuels bénéficiaient surtout de l'impôt et faisaient travailler ceux qui ne pouvaient pas payer.

Threshing of Grain in Egypt
Battage des céréales en Égypte
The Yorck Project Gesellschaft für Bildarchivierung GmbH (GNU FDL)

La deuxième période intermédiaire céda la place à l'époque du Nouvel Empire (1570-1069 av. J.-C.), lorsque Ahmôsis Ier (c. 1570-1544 av. J.-C.) chassa les Hyksôs d'Égypte et fonda la 18e dynastie. Le Nouvel Empire est la période de l'empire égyptien et l'époque d'une armée professionnelle pour le répandre et le maintenir. C'est aussi l'époque la plus connue pour ses souverains et les monuments qu'ils firent construire. Hatchepsout, Thoutmôsis III, Amenhotep III, Akhenaton, Néfertiti, Toutânkhamon, Horemheb, Séthi Ier, Ramsès le Grand, Mérenptah, Ramsès III, tous régnèrent pendant le Nouvel Empire et tous apportèrent leurs propres monuments impressionnants à la culture, financés en grande partie par les impôts. Rosalie David écrit :

On dispose de plus d'informations sur la fiscalité au Nouvel Empire que pour les périodes antérieures ; par exemple, sous le règne de Thoutmôsis III, on sait que les impôts étaient collectés sous forme de céréales, de bétail, de fruits et de provisions, ainsi que d'anneaux et de bijoux en or et en argent. Les gouverneurs évaluaient annuellement les céréales à payer pour l'année en cours, en se basant sur la superficie de chaque nome et la hauteur de la crue du Nil. Les niveaux d'inondation étaient enregistrés sur des nilomètres ; construits au bord du fleuve, les nilomètres étaient conçus pour mesurer la hauteur annuelle de l'inondation. En cas d'étiage du Nil, lorsque l'eau n'atteignait pas le niveau habituel, l'impôt à payer cette année-là était réduit en conséquence. (95)

La troisième période intermédiaire et la période tardive

Le Nouvel Empire fut suivi par la Troisième Période Intermédiaire de l'Égypte (c. 1069-525 av. J.-C.) au cours de laquelle le pouvoir sur le pays fut initialement partagé entre les villes de Tanis et de Thèbes. Les nomarques individuels pouvaient à nouveau acquérir un pouvoir substantiel, et des terres étaient données à des soldats professionnels qui servaient bien et ils pouvaient garder pour eux une part importante de leurs produits sans payer d'impôts. Les prêtres d'Amon, en particulier à Thèbes, détenaient d'énormes superficies de terres exemptes d'impôts, tandis que les fermiers qui les exploitaient continuaient à leur payer ce qui équivalait à un impôt qu'ils utilisaient ensuite à leur guise.

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Egyptian Cattle Herd
Troupeau de bovins égyptiens
Jan van der Crabben (CC BY-NC-SA)

Les impôts étaient si lourds que de nombreuses personnes s'endettaient et, pendant la dernière période de l'Égypte ancienne (c. 525-332 avant J.-C.), les gens vendaient leur temps et leur travail afin de payer leurs impôts. L'incapacité de payer ces impôts, ou les prêts accordés à une personne qui étaient alors exigibles, amenait les gens à se vendre pour être officiellement reconnus comme le fils d'une autre personne. L'adoptant payait alors la dette et le "fils" s'acquittait de ce qui lui était dû. Dans de nombreux cas, cet arrangement fonctionnait bien pour toutes les parties concernées puisqu'un couple sans enfant pouvait adopter quelqu'un qui s'assurait ensuite qu'il était enterré correctement avec tous les rites et que le fils adoptif héritait de leurs terres après leur décès.

L'ancienne tradition du comptage de bétail, selon laquelle le roi se déplaçait parmi son peuple pour évaluer un impôt équitable sur la terre, avait été oubliée depuis longtemps à cette époque. Le comptage du bétail s'est avéré important pour les historiens ultérieurs, car les registres de ce comptage indiquent clairement les dates auxquelles il fut effectué et fournissent un rapport annuel (plus tard biannuel) de l'histoire de l'époque. Au début du 20e siècle, le comptage du bétail devint l'un des moyens plus ou moins précis de dater l'histoire égyptienne.

Pour les gens de l'époque, cependant, le rituel du comptage du bétail était considéré de la même manière que l'heure des impôts dans de nombreux pays du monde. Personne n'aimait payer des impôts dans l'Égypte ancienne, pas plus qu'aujourd'hui, mais le comptage du bétail offrait au moins un semblant de participation à son gouvernement. Le roi et sa cour visitaient personnellement les districts et évaluaient les terres, et même si les détails précis de cette pratique sont inconnus, cet effort était très probablement apprécié bien plus que les visites ultérieures des collecteurs d'impôts.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2017, février 07). Impôts et Comptage du Bétail en Égypte Antique [Ancient Egyptian Taxes & the Cattle Count]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1012/impots-et-comptage-du-betail-en-egypte-antique/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Impôts et Comptage du Bétail en Égypte Antique." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le février 07, 2017. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1012/impots-et-comptage-du-betail-en-egypte-antique/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Impôts et Comptage du Bétail en Égypte Antique." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 07 févr. 2017. Web. 19 avril 2024.

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