Est-il possible d'avoir un cœur plus léger qu'une plume? Pour les Égyptiens de l’ancienne Égypte, ce n'était pas seulement possible, c'était aussi très souhaitable. L'après-vie des Égyptiens était connue sous le nom de «champ des roseaux», un territoire semblable à celui que l'on connaîssait, à ceci près qu'il n'y avait pas de maladie, pas de déception et, bien sûr, pas de mort.
On vivait éternellement au bord des ruisseaux et sous les arbres que l'on avait si bien aimés pendant sa vie sur terre. Une inscription de tombeau égyptien datant de 1400 av. J.-C., concernant la vie après la mort, se lit comme suit:
Que je marche chaque jour sans relâche sur les rives de mon eau, que mon âme repose sur les branches des arbres que j'ai plantés, que je me rafraîchisse à l'ombre de mon sycomore. (Nardo, 10)
Pour atteindre le paradis éternel du Champ des roseaux, il fallait cependant passer par l'épreuve d'Osiris, Seigneur des Enfers et juste juge des morts, dans la Salle de la Vérité (également connue sous le nom de Salle des Deux Vérités), et cette épreuve consistait à peser le cœur de l'individu contre la plume de la vérité.
Le Poids du Cœur Cupide
On conservait un cœur léger en adoptant la gratitude pour tout ce qui nous avait été donné dans la vie et en rejetant les pensées et les énergies négatives. L'ingratitude était considérée comme un péché d'entrée qui entraînait l'individu sur la voie sombre de l'égoïsme et du péché. Les péchés étaient considérés comme des pensées et des actions contraires à la valeur de Maât (ou Ma'at) - l'harmonie - que la plume blanche symbolisait, et qui séparaient l'individu des autres et des dieux. Le pire de ces péchés était la convoitise, car elle exprimait l'ingratitude pour les dons reçus et le désir illicite pour les dons d'autrui.
L'ouvrage connu sous le nom d'Enseignement de Ptahhotep (également connu sous le nom de Maximes de Ptahhotep, 2375-2350 av. J.-C. environ), l'un des plus anciens textes de sagesse de l'Égypte ancienne, met expressément en garde contre la convoitise, en citant ses dangers et ses conséquences:
Si tu veux que ta conduite soit bonne, que tu te libères de tout mal, alors méfies-toi de la convoitise qui est une maladie incurable. Il est impossible d'être intime avec elle; elle rend amer le bon ami, elle éloigne de son maître l'employé de confiance, elle rend mauvais le père et la mère, ainsi que les frères de la mère, et elle fait divorcer la femme d'un homme... Ne sois pas cupide en ce qui concerne le partage [lorsque la nourriture ou les biens sont distribués entre toi et les autres] et ne sois pas exigeant en ce qui concerne ce qui t'est dû. Ne sois pas cupide envers ta famille. (David, 132)
La convoitise alourdit l'âme de péché car elle favorise la mesquinerie, la jalousie, l'apitoiement sur soi et, surtout, elle exprime l'ingratitude. Ces péchés laissent des traces dans l'âme qui alourdissent le «cœur» de l'âme et rendent impossible le passage dans la salle de la Vérité et l'accès au paradis. C'était une préoccupation majeure pour les Égyptiens de l’Égypte ancienne, qui comprenaient que leur vie sur terre n'était qu'une partie d'un voyage beaucoup plus long et grandiose.
L'Âme, les Textes Sacrés et les Prières
L'âme d'une personne était considérée comme immortelle, un être éternel dont le séjour sur terre n'était qu'une partie d'un voyage beaucoup plus vaste et grandiose. Cette âme était censée se composer de neuf parties distinctes:
- Khat, le corps physique.
- Ka était la double forme de l'individu.
- Ba était un oiseau à tête humaine qui pouvait se déplacer à toute vitesse entre la terre et les cieux.
- Shuyet était le moi de l'ombre.
- Akh était le moi immortel et transformé.
- Sahu et Sechem étaient des aspects de l'Akh.
- Jb était le cœur, la source du bien et du mal.
- Ren était le nom secret d'une personne.
Ces neuf aspects faisaient partie de l'existence terrestre et, à la mort, l'Akh (avec le Sahu et le Sechem) se présentait devant Osiris dans la salle de la vérité, en présence des quarante-deux juges pour que son cœur (Jb) soit pesé sur une balance en or contre la plume blanche de la vérité.
Les Égyptiens de l’ancienne Égypte savaient que lorsque l'âme se réveillait pour la première fois dans l'au-delà, elle était désorientée et ne se souvenait peut-être pas de sa vie sur terre, de sa mort ou de ce qu'elle devait faire ensuite. Afin d'aider l'âme à poursuivre son voyage, des artistes et des scribes créaient des peintures et des textes relatifs à la vie de l'individu sur les murs de sa tombe (connus aujourd'hui sous le nom de Textes des pyramides), qui ont ensuite donné naissance aux Textes des sarcophages et au célèbre Livre des morts égyptien.
Les Textes des pyramides sont les plus anciens ouvrages religieux de l'Égypte ancienne, datés de 2400 à 2300 av. J.-C.. Les Textes des sarcophages furent élaborés à partir des Textes des pyramides vers 2134-2040 av. J.-C., tandis que le Livre des morts égyptien (connu en réalité sous le nom de Livre pour sortir le jour) fut créé vers 1550-1070 av. J.-C. Ces trois ouvrages avaient le même objectif: rappeler à l'âme sa vie sur terre, la réconforter dans sa détresse et sa désorientation, et lui indiquer la marche à suivre dans l'au-delà.
Parallèlement à ces indications, des prières étaient inscrites sur les murs des tombes pour demander à Osiris (et à d'autres dieux) de faire preuve de clémence envers l'âme. Deux prières partiellement conservées proviennent de la tombe de la mère du vizir Antefoqer, qui servit sous le roi Sésostris Ier (r. de 1971 à 1926 environ av. J.-C.) au cours de la période du Moyen Empire. Les deux prières demandent aux dieux d'intercéder en sa faveur et la dernière, adressée à Osiris, lui demande spécifiquement de l'écouter et de l'entendre avant de juger trop vite:
Salut à toi, ô Or !
Puisses-tu me favoriser, puisque c'est à toi que mon occupation a parlé!
Je serai vieille et comme une misérable [si on ne m'écoute pas].
Ô Puissant de ma connaissance
Ô Or, à ton heure d'écoute, à ton heure d'audition!
Tu es vert pour la demande que je te fais!
Puisses-tu libérer pour moi un vizir juste en parole!
C'est toi qui façonneras l'étendard...
C'est moi qui donnerai une bonne traversée de l'éternité. (Parkinson, 128)
Le suppliant s'adresse à Osiris en l'appelant «ô Or» parce qu'on pensait que les dieux avaient une peau dorée et le vers «Tu es vert pour la demande que je te fais» fait référence à la peau verte d'Osiris (signifiant la fertilité et la vie) dans le monde souterrain. La suppliante demande qu'un «vizir juste en parole» soit libéré en elle afin qu'elle puisse défendre avec éloquence ses actions dans la vie lorsqu'elle arrivera devant Osiris dans la Salle de la Vérité.
La Salle de la Vérité
Le Livre des morts égyptien indique qu'après la mort, l'âme est accueillie par le dieu Anubis qui la conduit de sa dernière demeure à la salle de la vérité. Des images montrent une file d'âmes se tenant dans la salle et l'une d'entre elles se joignait à cette file pour attendre le jugement. Pendant cette attente, des déesses telles que Qébéhout, fille d'Anubis, personnification de l'eau fraîche et rafraîchissante, s'occupaient de l'âme. Qébéhout était rejointe par d'autres déesses, telles que Nephtys et Serket, pour réconforter les âmes et subvenir à leurs besoins.
Lorsque venait le tour d'une âme, Anubis la conduisait devant Osiris et le scribe des dieux, Thot, devant la balance d'or. La déesse Maât, personnification de la valeur culturelle de Maât (harmonie et équilibre), était également présente, entourée des quarante-deux juges qui consultaient ces dieux sur le sort éternel de l'âme.
L'âme récitait ensuite les Confessions négatives dans lesquelles il fallait pouvoir affirmer, en toute honnêteté, que l'on n'avait pas commis certains péchés. Ces confessions commençaient parfois par la prière «Je n'ai pas appris les choses qui ne sont pas», ce qui signifiait que l'âme s'efforçait dans sa vie de se consacrer à des questions d'importance durable plutôt qu'aux questions triviales de la vie quotidienne. Il n'existait cependant pas de liste unique de confessions négatives, tout comme il n'existait pas de liste de «péchés» applicable à tout le monde. Un commandant militaire avait une liste de péchés différente de celle d'un juge ou d’un boulanger, par exemple.
Les déclarations négatives, commençant toujours par «Je n'ai pas...» ou «Je n'ai pas fait...», après la prière d'ouverture, visaient à assurer Osiris de la pureté de l'âme et se terminaient, en fait, par l'affirmation «Je suis pur» répétée un certain nombre de fois. Chaque péché énuméré était considéré comme ayant perturbé l'harmonie et l'équilibre d'une personne au cours de sa vie et l'avait éloignée de son but sur terre, tel qu'il avait été ordonné par les dieux. En revendiquant la pureté de l'âme, on affirmait que son cœur n'était pas alourdi par le péché. Cependant, ce n'est pas la pureté revendiquée par l'âme qui l'emportait sur Osiris, mais plutôt le poids du cœur de l'âme.
Le Jugement d'Osiris
Le «cœur» de l'âme était remis à Osiris qui le plaçait sur une grande balance d'or en équilibre avec la plume blanche de Maât, la plume de la vérité, de l'autre côté. Si le cœur de l'âme était plus léger que la plume, les dieux se concertaient avec les quarante-deux juges et, s'ils convenaient que l'âme était justifiée, la personne pouvait s'en aller vers la félicité du Champ des roseaux.
Selon certains textes anciens, l'âme entamait alors un dangereux voyage dans l'au-delà pour atteindre le paradis et elle avait besoin d'un exemplaire du Livre des morts égyptien pour la guider et l'aider à réciter des formules magiques en cas de problème. Selon d'autres, cependant, après la justification, il n'y avait qu'un court voyage de la salle de la vérité au paradis.
L'âme quittait la salle du jugement, traversait le Lac des Lys (également connu sous le nom de Lac des Fleurs) à la rame et entrait dans le paradis éternel du Champ des roseaux, où l'on récupérait tout ce qui avait été pris par la mort. L'érudite Rosalie David décrit ce royaume de l'au-delà:
Le royaume souterrain d'Osiris était considéré comme un lieu à la végétation luxuriante, avec un printemps éternel, des récoltes ininterrompues et l'absence de douleur ou de souffrance. Parfois appelé le «champ des roseaux», il était considéré comme une «image miroir» de la zone cultivée en Égypte, où riches et pauvres recevaient des parcelles de terre sur lesquelles ils étaient censés cultiver. L'emplacement de ce royaume était fixé soit sous l'horizon occidental, soit sur un groupe d'îles à l'ouest. (160)
Pour l'âme au cœur plus léger qu'une plume, les personnes décédées plus tôt attendaient avec leur maison, leurs objets et leurs livres préférés, et même leurs animaux de compagnie perdus depuis longtemps.
Si le cœur s’avérait plus lourd, il était jeté sur le sol de la Salle de la Vérité où il était dévoré par Âmmout, une divinité au visage de crocodile, au front de léopard et au dos de rhinocéros, connu sous le nom de «dévoreuse des morts». Une fois qu'Âmmout avait dévoré le cœur d'une personne, l'âme individuelle cessait d'exister. Pour les Égyptiens de l’ancienne Égypte, il n'y avait pas d' «enfer» ; leur «sort pire que la mort» était la non-existence.
Champ des Roseaux et Amour de la Vie chez les Égyptiens
On croit souvent à tort que les Égyptiens de l’ancienne Égypte étaient obsédés par la mort, alors qu'en réalité, ils aimaient la vie et souhaitaient donc naturellement qu'elle se poursuive après la mort corporelle. Les Égyptiens aimaient chanter, danser, faire du bateau, chasser, pêcher et se réunir en famille, tout comme nous le faisons aujourd'hui.
La boisson la plus populaire dans l'Égypte ancienne était la bière qui, bien que considérée comme un aliment consommé à des fins nutritionnelles, était également appréciée lors des nombreuses célébrations que les Égyptiens observaient tout au long de l'année. L'ivresse n'était pas considérée comme un péché tant que l'on consommait de l'alcool à un moment approprié et pour une raison appropriée. Le sexe, dans le cadre du mariage ou en dehors, était également considéré comme une activité naturelle et agréable.
Les rites funéraires élaborés, la momification et la mise en place de figurines chaouabtis n'étaient pas destinés à rendre hommage à la finalité de la vie, mais à sa continuité et à l'espoir que l'âme serait admise au champ des roseaux lorsque le moment serait venu de se présenter devant la balance d'Osiris. Les rites funéraires et la momification préservaient le corps afin que l'âme dispose d'un réceptacle d'où elle pourrait émerger après la mort et où elle pourrait revenir dans le futur si elle choisissait de visiter la terre.
La tombe et les statues représentant le défunt servaient de maison éternelle pour la même raison - afin que l'âme puisse revenir sur terre pour la visiter - et les figurines chaouabtis étaient placées dans une tombe pour faire le travail dans l'au-delà, de sorte que l'on pouvait se détendre quand on le souhaitait. Lorsque les funérailles étaient terminées et que toutes les prières avaient été dites pour que le défunt voyage en toute sécurité, les survivants pouvaient rentrer chez eux, consolés par l'idée que leur proche était justifié et qu'il trouverait la joie au paradis. Cependant, toutes les prières, tous les espoirs et les rites les plus élaborés ne pouvaient aider l'âme dont le cœur était plus lourd que la plume blanche de la vérité.