Aï Khanoum, Capitale d'Eucratidès

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Antoine Simonin
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 12 octobre 2010
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Disponible dans ces autres langues: anglais

Aï Khanoum (également orthographié Ay-Khanum, littéralement "Dame Lune" en ouzbek), fut fondée au IVe siècle avant J.-C., à la suite des conquêtes d'Alexandre le Grand, et fut l'une des principales villes du royaume gréco-bactrien.

Le site est situé dans la partie nord de l'Afghanistan moderne, dans une petite plaine entre l'Amou-Daria et le Kokcha. En 1961, le roi afghan Mohammad Zaher Shah, chasseur amateur, découvrit ce qui semble être l'une des plus belles cités grecques d'Asie centrale. Trois ans plus tard, les fouilles commencèrent sous la direction du Français Paul Bernard, de 1964 à 1978. La guerre russo-afghane, puis la guerre civile et l'occupation talibane ont forcé l'arrêt des fouilles, et même si depuis 2006 les archéologues français peuvent prudemment retourner à Aï Khanoum, le site a été gravement endommagé par les pillards et les combats entre Talibans et forces de Massoud.

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Le nom de la ville demeure encore incertain aujourd'hui. Il a été proposé qu'Aï Khanoum soit le site d'Alexandrie de l'Oxus (l'Oxus étant plus ou moins l'actuel Amou-Daria), mais Claude Rapin a récemment démontré que Ptolémée avait confondu Oxus et Occhus (son confluent), de sorte qu'Alexandrie était probablement Termez. La ville porta le nom d'Eucratidia pendant un certain temps, mais Eucratidès (170-c.138 av. J.-C.) fut le dernier roi gréco-bactrien à la gouverner, il pourrait donc s'agir d'un second nom pour une refondation symbolique. Peut-être que la ville d'Oskobora, mentionnée par Ptolémée, aurait pu être son nom, mais c'est incertain.

La ville mesure 2 km de long et 1,5 km de large, divisée entre la ville haute et la ville basse, comme la plupart des villes grecques. Il y a une rue principale et la plupart des bâtiments publics sont de style grec, mais le plan n'est pas strictement hippodamien (rues à angle droit avec des îlots carrés ou rectangulaires). En fait, la ville montre beaucoup de style grec mais aussi quelques influences iraniennes.

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La construction de la ville se déroula en quatre phases principales:

  1. La première est presque inconnue aujourd'hui, en raison de la fin des fouilles. Il s'agit probablement de la première phase de la ville, mais peut-être pas de la première phase d'occupation. Cette phase couvre probablement les débuts de la ville, les dernières décennies du IVe siècle avant J.-C., sachant que la ville fut probablement construite par l'un des généraux d'Alexandre ou de Perdiccas.
  2. La deuxième phase commença quelque part dans les premières décennies du IIIe siècle avant J.-C., probablement liée à l'expédition d'Antiochos Ier contre les nomades de la région. C'est la première véritable phase de développement de la ville, dans le cadre de l'hellénisation du monde hellénistique oriental.
  3. La troisième phase commença vers 170 av. J.-C., lorsque Eucratidès (alias Eucratide), peut-être d'abord en tant que général puis en tant que roi, y installa sa capitale. Des bâtiments tels que le palais ou le splendide gymnase en témoignent.
  4. La quatrième phase commença vers 145 avant J.-C., lorsque la ville tomba aux mains des envahisseurs sakas (saces). La ville fut endommagée, mais les Sakas s'y installèrent pour une dizaine d'années tout au plus, puis les Yuezhi détruisirent la ville.

L'état des fouilles ne nous permet pas d'avoir une vue d'ensemble claire de la ville, mais certains bâtiments, en particulier ceux de la troisième phase, sont suffisamment connus pour que l'on puisse en dire quelque chose.

Plan of Ai Khanum
Plan d'Aï Khanoum
Claude Rapin (Public Domain)

Au centre de la ville basse se trouve l'Hérôon de Kinéas. Il s'agit d'un sanctuaire probablement dédié au fondateur de la ville. Cet Hérôon était d'abord (phase 1) de petite taille, puis un pronaos et une terrasse lui furent ajoutés. Il était fait de briques crues moulées par de la terre grise ou rougeâtre, avec un style gréco-oriental marqué par la présence d'une cella. L'édifice ne fut probablement jamais somptueux, ce n'était pas le but recherché. Sur celui-ci était inscrite une partie des maximes de Delphes, une série de proverbes autant que de conseils pour la vie des citoyens. Il s'agissait de citations d'un certain Cléarque, peut-être le Cléarque de Soles, un philosophe grec de l'école péripatéticienne.

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Quelques temples ont été découverts près de cet Hérôon, et un autre à l'extérieur de la ville. Un mausolée à voûte de pierre se trouve près de l'Hérôon. À une centaine de mètres au sud se trouve un temple avec des niches, dans lequel on a trouvé une plaque avec l'image de la déesse phrygienne Cybèle. Dans ce temple majeur de la ville, un pied géant de Zeus a été trouvé (identifié par le tonnerre sur sa sandale). En comparant ce pied (3x la longueur humaine) et la hauteur du temple, nous savons qu'il faisait partie d'une statue assise. Or, une pièce de monnaie du roi indo-grec Hermaios montre un dieu (de type Zeus) trônant, avec des rayons de soleil autour de la tête, ce qui est typique de Mithra. Un lien a été établi entre les deux et il est probable qu'un culte à Zeus-Mithra, un dieu syncrétique, ait eu lieu ici sous la domination gréco-bactrienne. L'architecture de ces temples est presque entièrement orientaliste, avec un podium et une terrasse en degrés par exemple.

Cybele Plate
Assiette représentant Cybèle
Museé Guimet (Public Domain)

Le palais est une œuvre architecturale impressionnante. Il est situé au centre de la ville, près des temples. Il fut construit au cours de la troisième phase, même s'il y avait probablement quelque chose à cet endroit auparavant. Le palais lui-même est un carré de 200 mètres de côté, inclus dans un système structurel plus large. Dans son entrée principale se trouvaient 160 colonnes à triple rangée de 10 mètres de haut. Le palais est construit dans une splendeur architecturale typique des bâtiments orientalistes et post-lexandrins, semblable à certains égards au palais de Darius à Suse. Dans ce complexe de temples, on a trouvé un trésor qui a livré de nombreux ostraca inscrits (tessons de poterie).

Un gymnase a également été découvert, avec une statue du dieu Hermès, dieu des marchands mais aussi des orateurs et des athlètes. Les salles étaient disposées autour d'une cour centrale, comme les modèles d'école actuels.

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La ville était entourée de murs de 12 mètres de haut, même au bord des rivières. La ville occupait une position stratégique, à proximité d'une route passant sur la rivière Occhus, ligne de front naturelle entre les nomades au nord et le royaume gréco-bactrien au sud.

En dehors des autres bâtiments, des objets très intéressants ont été découverts. Les ostraca du trésor concernaient surtout les pièces de monnaie, et de nombreuses pièces ont été trouvées juste à l'extérieur de la ville. Dans ces ostraca, il y avait des pièces de monnaie standard, mais aussi des pièces indo-grecques et des karshapana, des pièces typiquement indiennes. La concentration de ces trois types de pièces montre la situation de cette ville, entre deux zones culturelles.

Un autre exemple est un riche pendentif composé de corail de la Méditerranée, de perles du Golfe Persique, de lapis-lazuli de Bactriane et de rubis de Birmanie. Il semble qu'Aï Khanoum ait été une ville cosmopolite, dirigée par une élite grecque mais peuplée de nombreux locaux, Bactriens et Indiens. Le syncrétisme culturel y était probablement une réalité, avec des dieux gréco-iraniens, des échanges commerciaux et des produits provenant de toutes les parties de l'Asie centrale. La ville était bien située sur la vaste route commerciale entre l'Inde, la Chine et les nomades qui détenaient l'or des montagnes de l'Altaï, et le monde méditerranéen via l'empire parthe.

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Après avoir été construite au tout début de la période hellénistique, la ville dut être agrandie et embellie par les Séleucides puis les premiers rois gréco-bactriens. Même si, à cette époque, la capitale royale était Bactra, la ville était probablement le chef-lieu de cette région. Lorsqu'Eucratidès fit carrière comme général en Sogdiane, il assit probablement son pouvoir à Aï Khanoum, et entama la deuxième grande phase d'embellissement; elle se poursuivit lorsqu'Eucratidès devint roi, en construisant le palais tel qu'il a été découvert dans les fouilles.

Cependant, Eucratidès eut de nombreux combats à mener, contre les Grecs, son propre fils et les nomades du Nord. Les nomades Sakas prirent Aï Khanoum entre 145 et 138 av. J.-C. Ils s'étaient à peine installés dans la ville que d'autres nomades, les Yuezhei, les repoussèrent et finirent par détruire la ville.

Ai Khanoum est un parfait exemple de ce qu'aurait pu être une ville grecque dans cet Extrême-Orient grec. Elle illustre parfaitement un mélange de style grec et de conceptions orientales, avec des produits provenant de toute l'Asie et des dieux issus de toutes les cultures voisines. Elle en dit long sur l'acculturation qui semble s'être faite dans les deux sens selon les populations afin de créer une culture originale. Immodestement, c'est aussi l'exemple parfait de ce que devient le patrimoine historique d'un état théologique dans ses régions et du fléau qui peut sévir sur la connaissance de son propre passé.

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Bibliographie

  • Bernard, P. "Alexandre et Aï Khanoum." Journal des Savants, Vol.2 1982, pp. 125-138.
  • Bernard, P. Fouilles d'Ai Khanoum I (Campagnes 1965, 1966, 1967, 1968). Memoires de la Delegation Archeologique Francaise en Afghanistan 21.), 1973
  • Bernard, P. et alii. "Campagne de fouille 1978 à Aï Khanoum (Afghanistan)." Bulletin de l'Ecole Française d'Extrême-Orient, vol.68.
  • Cabouat, P., Moreau, A. Eurasia - L'Alexandrie oubliée. NHK - France 5 - Point du Jour, 2004, (Documentary).
  • François Widemann. Les successeurs d'Alexandre en Asie centrale et leur héritage culturel. Riveneuve, 2009.
  • Rapin, C. Fouilles d'Ai Khanoum VIII. Le tresorerie du palais hellenistique d'Ai Khanoum. L'apogee et la chute du royaume grec de Bactriane. (Memoires de la Delegation Archeologique Francaise en Afghanistan 33.), 1992
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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Antoine Simonin
Passionné par l'Asie centrale ancienne, il gère le site From Bactria to Taxila (De la Bactriane à Taxila). Il participe également au projet Europa Barbarorum.

Citer cette ressource

Style APA

Simonin, A. (2010, octobre 12). Aï Khanoum, Capitale d'Eucratidès [Ai Khanum, the Capital of Eucratides]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-165/ai-khanoum-capitale-deucratides/

Style Chicago

Simonin, Antoine. "Aï Khanoum, Capitale d'Eucratidès." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le octobre 12, 2010. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-165/ai-khanoum-capitale-deucratides/.

Style MLA

Simonin, Antoine. "Aï Khanoum, Capitale d'Eucratidès." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 12 oct. 2010. Web. 28 avril 2024.

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