Insei: Gouvernement Retiré dans le Japon Ancien

Article

Mark Cartwright
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 21 juillet 2017
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Disponible dans ces autres langues: anglais

Insei ou "gouvernement retiré" décrit la stratégie des empereurs de la fin de la période Heian (794-1185) dans l'ancien Japon, qui consistait à abdiquer en faveur d'un héritier choisi tout en continuant à régner d'une manière ou d'une autre, généralement après s'être retiré dans un monastère bouddhiste, d'où la référence dans le nom. Les empereurs prenaient de telles mesures pour éviter qu'eux-mêmes et leur successeur ne soient dominés par les puissantes familles régnantes de l'époque, en particulier les membres du clan Fujiwara, qui cherchaient à placer leurs propres partisans sur le trône impérial. Bien que cette stratégie ait été utilisée avec succès par plusieurs empereurs, elle eut deux conséquences malheureuses: les provinces devinrent plus éloignées du contrôle du gouvernement et les rivalités pour le pouvoir au Japon s'exacerbèrent à tel point qu'une plus grande militarisation de la politique finit par conduire à un renversement complet du gouvernement et à un règne de longue durée des shoguns à l'époque médiévale.

Emperor Toba
Empereur Toba
Unknown Artist (Public Domain)

Contrôle de Fujiwara

Au cours de la période Heian dans l'ancien Japon, le gouvernement fut dominé par un clan familial en particulier, les Fujiwara. Ils réussirent à monopoliser les postes clés du gouvernement, à marier leurs filles à des empereurs et, dans de nombreux cas, à agir en tant que régents et à contrôler directement les affaires de l'État. Les Fujiwara réussirent à usurper le pouvoir de l'empereur et le réduire à une simple figure de proue, non seulement parce qu'ils étaient soutenus par une puissante milice privée alors que la maison royale ne disposait pas d'une telle armée, mais aussi parce que les Fujiwara choisissaient à dessein les nouveaux empereurs alors qu'ils étaient encore des enfants. Le jeune empereur devait donc être conseillé par un régent (Sessho) qui était presque toujours un représentant de la famille Fujiwara. Au total, il y aurait 21 régents Fujiwara de 804 à 1238.

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Les membres de la famille Fujiwara pouvaient assurer la régence de trois ou quatre empereurs successifs au cours de leur propre vie.

Même lorsqu'un empereur atteignait l'âge adulte, il était toujours conseillé par une personne à un poste nouvellement créé, le Kampaku, qui permettait aux Fujiwara de maintenir leur emprise sur le pouvoir. Pour garantir la pérennité de cette situation, les nouveaux empereurs étaient nommés non pas sur la base de leur naissance mais par leurs parrains et étaient encouragés ou forcés à abdiquer lorsqu'ils avaient atteint la trentaine en faveur d'un successeur plus jeune. Tout empereur adulte qui se montrait trop peu coopératif était soit contraint d'abdiquer, soit commodément destitué, parfois dans des circonstances mystérieuses. Ainsi, par exemple, entre 858 et 956, il y eut 10 empereurs différents. Par conséquent, les membres clés de Fujiwara pouvaient agir en tant que régents pour trois ou quatre empereurs successifs au cours de leur propre vie. Ce fut le cas de Fujiwara no Yoshifusa (804-872), chef de clan (uji nochoja) à partir de 858. Il plaça son petit-fils de sept ans sur le trône en 858 et devint officiellement son régent en 866. C'était la première fois qu'un régent n'était pas de sang royal et cela établit une tendance qui se poursuivit jusqu'au 11e siècle.

Les empereurs ripostent

L'une des premières tentatives des empereurs pour réaffirmer leur pouvoir et leur indépendance fut celle de l'empereur Uda. Il chercha à briser le monopole des Fujiwara en promouvant un certain Sugawara Michizane (845-903), un outsider de rang social inférieur, au poste élevé de ministre de la droite et de membre du Conseil d'État en 899. En 901, les Fujiwara ripostèrent et concoctèrent une accusation de trahison à l'encontre de Sugawara, ce qui lui valut d'être exilé. Sugawara prit sa revanche lorsque certains désastres s'abattirent sur le palais et l'État après sa mort, et il fut même officiellement divinisé en tant que dieu shinto Tenjin. En dehors de l'affaire Sugawara, les Fujiwara conservèrent leur mainmise sur le pouvoir.

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Emperor Shirakawa
Empereur Shirakawa
Unknown Artist (Public Domain)

Le défi suivant vint de l'empereur Shirakawa (r. de 1073 à 1087) qui tenta d'affirmer son indépendance vis-à-vis des Fujiwara en abdiquant en 1087 et en permettant à son fils Horikawa de régner sous sa supervision. Le propre père de Shirakawa, l'empereur Go-Sanjo (r. de 1068 à 1073), le premier empereur depuis de nombreux règnes à ne pas avoir de mère Fujiwara, avait fait exactement la même chose mais était mort un an après avoir abdiqué. Les conseillers des deux souverains appartenaient au clan Minamoto, et les Fujiwara ne pouvaient pas les voir. Les fissures dans la politique japonaise commençaient à s'élargir.

Depuis son cabinet privé (in) dans un monastère bouddhiste, Shirakawa mena la politique (sei) et gouverna dans l'ombre pendant plus de quatre décennies. La stratégie de l'insei, ou "gouvernement retiré", fut alors pleinement mise en œuvre. L'idée d'une retraite anticipée de ses fonctions sociales et cérémonielles, souvent trépidantes, était assez courante chez les chefs de famille de l'ancien Japon (et l'est encore aujourd'hui dans une certaine mesure). Connu sous le nom d'Inkyo, il permettait à un chef de famille ou à un homme responsable d'une institution importante de consacrer plus de temps à l'étude et aux affaires religieuses, et d'échapper au fardeau des responsabilités sociales. Par conséquent, la stratégie des empereurs consistant à gouverner à distance était l'adoption d'une tradition existante pour leur propre confort politique. Libérés du fardeau des fonctions cérémonielles en grande partie insignifiantes, ils pouvaient désormais se concentrer sur l'exercice d'un véritable pouvoir politique. Shirakawa poursuivit la politique de son père en réorganisant les domaines provinciaux, en plaçant des partisans dans les ministères clés et dans l'organe décisionnel toujours influent qu'était le Conseil d'État, en accordant des droits lucratifs de collecte d'impôts aux partisans et en supervisant le retour au système selon lequel les empereurs nommaient les gouverneurs pour un mandat de quatre ans.

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Enfin, les empereurs trouvèrent un moyen de récupérer une partie de leur pouvoir et de réduire le recours des Fujiwara au mécénat pour maintenir leur position. La stratégie du "gouvernement retiré", outre le fait d'échapper aux cérémonies sans conséquence liées au trône, permit également à l'empereur de se soustraire aux intrigues politiques de la capitale et d'avoir la liberté de s'entourer de ses propres conseillers et non de ceux proposés par les Fujiwara. Cette stratégie se poursuivit avec les successeurs de Shirakawa qui créèrent également leur propre bureaucratie (l'In-no-Cho) semblable à celle du clan Fujiwara, créant ainsi une structure de pouvoir parallèle. L'In-no-Cho s'occupait des droits fiscaux et fonciers liés au trône, et certains de ses fonctionnaires travaillaient même dans la bureaucratie gouvernementale.

Le petit-fils de Shirakawa, Toba, abdiqua et régna depuis sa retraite de 1123 à 1156. Son fils, Go-Toba, fit de même et régna depuis son cloître de 1158 à 1192. À quatre reprises, deux empereurs se retirèrent en même temps, mais dans ce cas, l'un d'entre eux, le premier à s'être retiré, était considéré comme l'empereur retraité le plus ancien. La politique du "gouvernement retiré" fonctionnait, mais elle n'était pas un substitut légal et formel au gouvernement centralisé et, par conséquent, elle n'était pas sans poser de problèmes. La multiplicité des sources d'autorité au sein du gouvernement japonais dut créer une certaine confusion, comme le résume l'historien G. Cameron Hurst III:

...la souveraineté est restée largement entre les mains de l'empereur - ne serait-ce que parce qu'il fallait qu'il y ait un empereur, alors qu'un empereur abdiqué n'était pas une nécessité politique... [dans certains cas] il n'y avait pas de distinction entre l'empereur et l'empereur en retraite, et donc les documents de l'empereur en retraite étaient équivalents aux édits impériaux... [Cependant] d'autres documents indiquent que pendant pratiquement toute la période Heian, les édits impériaux avaient, à proprement parler, plus d'autorité, plus d'orthodoxie que les documents de l'ex-souverain. Mais il est évident que l'incertitude régnait dans de nombreux milieux, et la distinction est peut-être plus claire pour nous aujourd'hui qu'elle ne l'était à l'époque. Ce que les historiens appellent l'insei n'était pas un système de contrôle politique fondé sur la loi, mais un ordre d'organisation plus informel, qui cherchait à utiliser le système politique existant. (dans Whitney Hall, 640)

Problèmes et déclin

Le maintien au pouvoir des empereurs retirés avait un prix à payer. Après avoir réorganisé et décentralisé certains éléments du gouvernement, notamment en termes de mécénat, les Fujiwara et l'empereur ne pouvaient plus contrôler totalement les détenteurs du pouvoir dans les régions. Les partisans royaux à qui l'on accordait les faveurs de la collecte des impôts régionaux ne quittaient généralement jamais la capitale Heiankyo, mais confiaient ce rôle à des hommes forts locaux. L'accroissement de l'indépendance vis-à-vis des affaires régionales et de la capitale qui en résulta conduisit les seigneurs de la guerre à exploiter l'absence de contrôle. Des rébellions éclatèrent dans les provinces, notamment en 1031 sous la conduite de Taira no Tadatsune, puis en 1051 et 1135. L'ensemble du Japon se militarisa peu à peu, et même les monastères bouddhistes se dotèrent de leurs propres armées privées pour protéger leurs intérêts fonciers, marcher sur la capitale lorsque de nouvelles lois défavorables étaient introduites, et lutter contre les monastères rivaux.

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Une autre conséquence du gouvernement dit retiré fut la diminution des recettes fiscales régulières provenant de la division des domaines royaux pour créer de nouveaux domaines exempts d'impôts (shoen) pour de loyaux partisans. À cela s'ajoutèrent les coûts de plus en plus élevés du somptueux train de vie de la cour. La double nature de l'appareil gouvernemental obligeait les aristocrates à choisir le camp qu'ils voulaient soutenir, ce qui ne faisait qu'accroître les manœuvres politiques, les trahisons et les risques de corruption. Tous ces facteurs, ajoutés au grand nombre de guerriers professionnels à la disposition de tous ceux qui avaient des ambitions politiques, signifiaient que le gouvernement risquait sérieusement de s'effondrer. En effet, la fin arriva avec l'arrivée de la période Kamakura (1185-1333) et la domination des shoguns. Le pouvoir impérial déclina à nouveau après la défaite militaire de l'empereur Go-Daigo (r. de 1318 à 1339), bien que celui-ci ait déjà démis son propre père de son poste en 1321. L'armée dominait désormais le gouvernement, et le trône impérial ne retrouverait un peu de sa gloire passée qu'avec la restauration de Meiji de 1867.

This content was made possible with generous support from the Great Britain Sasakawa Foundation.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Mark Cartwright
Mark est un auteur, chercheur, historien et éditeur à plein temps. Il s'intéresse particulièrement à l'art, à l'architecture et à la découverte des idées que toutes les civilisations peuvent nous offrir. Il est titulaire d'un Master en Philosophie politique et est le Directeur de Publication de WHE.

Citer cette ressource

Style APA

Cartwright, M. (2017, juillet 21). Insei: Gouvernement Retiré dans le Japon Ancien [Insei: Cloistered Government in Ancient Japan]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1106/insei-gouvernement-retire-dans-le-japon-ancien/

Style Chicago

Cartwright, Mark. "Insei: Gouvernement Retiré dans le Japon Ancien." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le juillet 21, 2017. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1106/insei-gouvernement-retire-dans-le-japon-ancien/.

Style MLA

Cartwright, Mark. "Insei: Gouvernement Retiré dans le Japon Ancien." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 21 juil. 2017. Web. 27 avril 2024.

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