Chajar ad-Durr

Définition

Khadija Tauseef
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 04 juillet 2022
Disponible dans ces autres langues: anglais
X
Print Article
Mausoleum of Shajara al-Durr (by R Prazeres, CC BY-SA)
Mausolée de Chajar ad-Durr
R Prazeres (CC BY-SA)

Chajar ad-Durr (r. 1250) fut la fondatrice de la dynastie mamelouke en Égypte, et elle fut la première et la seule femme à s'asseoir sur le trône de l'Égypte islamique. Elle ne porta le titre de sultane que pendant 80 jours, mais laissa une empreinte durable à travers les monuments architecturaux, qui portent son symbole : un arbre bordé de nacre et incrusté d'or.

Origines

En raison du manque de sources, la date de naissance de Chajar ad-Durr est incertaine. Toutefois, certains historiens pensent qu'elle serait née peu avant 1230, très probablement dans l'actuelle Arménie. Selon l'auteure Emily Fu, "elle était originaire du peuple Qipchaq des steppes de ce qui est aujourd'hui le sud de la Russie, où elle fut réduite en esclavage"(22). À l'époque de sa naissance, les Mongols déferlaient sur l'Asie occidentale. Au fur et à mesure de leur progression, les Mongols absorbèrent dans leurs rangs certaines des tribus Qipchaq, tout en dispersant certaines autres. Beaucoup furent faits prisonniers et vendus comme esclaves à la classe dirigeante, comme la dynastie ayyoubide d'Égypte par exemple. C'est à cette époque que la jeune Chajar ad-Durr fut arrachée à ses terres et vendue au harem du calife abbasside.

Supprimer la pub
Publicité
À l'âge de 11 ans, elle fut présentée en cadeau au jeune al-Salih Ayyoub.

On ne sait pas exactement à quelle religion elle a pu appartenir, mais comme l'explique l'historien Hossein Kamaly, si elle était d'origine arménienne, elle aurait eu une éducation chrétienne. En revanche, si elle était d'ethnie turque, elle aurait été de confession musulmane. Si nous savons peu de choses sur ses débuts, nous sommes certains qu'en 1239, elle résidait dans le harem du calife de Bagdad. Son nom apparaît dans les listes de filles esclaves dans les quartiers des femmes.

À l'âge de 11 ans, elle fut transportée de Bagdad à Damas ou au Caire, où elle fut offerte au jeune al-Salih Ayyoub (r. 1240 & de 1245 à 1249), qui était alors gouverneur de Hasankeyf. Une concubine était considérée comme un cadeau approprié pour ses alliés. Cependant, la vie de Chajar ad-Durr changea du tout au tout après sa rencontre avec le prince.

Supprimer la pub
Publicité

Mariage avec al-Salih Ayyoub

Chajar développa une relation affectueuse avec al-Salih, et peu à peu elle devint sa concubine préférée. Il lui accorda le titre de Chajar ad-Durr, qui signifie "arbre de perles". Elle donna même naissance à un fils, mais malheureusement, comme beaucoup d'enfants à l'époque, il mourut en bas âge. À l'époque, une concubine assurait sa position en fournissant des héritiers au prince auquel elle appartenait. Cependant, le destin était sur le point de faire son œuvre.

Map of the Ayyubid Empire
Carte de l'Empire ayyoubide
Arab League (Public Domain)

En 1247, le cousin d'al-Salih voulait s'emparer du trône d'Égypte; une fois son objectif atteint, il exila al-Salih dans la forteresse de Kérak. Le prince était accompagné d'une poignée de compagnons ; nous en connaissons deux d'entre eux: Chajar ad-Durr et un esclave turc appelé Baybars. La loyauté et le dévouement de Chajar envers le prince, surtout en cette période éprouvante, lui valurent l'amour et le respect de ce dernier. Il alla à l'encontre de la tradition et épousa Chajar ad-Durr, lui accordant la liberté et le titre de reine. Chajar ne put plus avoir d'enfants, après la mort de son fils. Cependant, son mari avait déjà un héritier de sa première femme, il ne s'inquiétait donc pas pour la succession.

Supprimer la pub
Publicité

Grâce aux racines Qipchaq de Chajar, al-Salih put recruter des troupes mameloukes (hommes Qipchaq). Il se tourna d'abord vers l'Égypte, dont il reprit le contrôle et s'assura de la loyauté de tous ceux qui se trouvaient proches de son domaine.

Croisades

Une fois qu'al-Salih reprit le contrôle, neuf années turbulentes suivirent. Pendant cette période, al-Salih tenta peut-être d'étendre les frontières de son empire. Une source affirme qu'il se tourna vers la Syrie. Dans l'espoir de conquérir de nouveaux territoires, il fit marcher son armée vers la Syrie, laissant Chajar ad-Durr assurer la régence en son absence. Al-Salih devait avoir une grande confiance dans les capacités de sa reine; s'occuper du royaume n'était pas une tâche facile, surtout lorsque la nouvelle arriva que le roi Louis IX de France (alias Saint Louis, r. de 1226 à 1270) approchait très vite du port égyptien, à la tête de la septième croisade. Dès qu'elle apprit l'arrivée du roi français, Chajar ad-Durr envoie le commandant en chef de son mari, Fakhr al-Din, pour repousser les envahisseurs jusqu'au retour du roi. Simultanément, elle envoya des messagers à al-Salih pour l'informer de l'arrivée des croisés et tint l'armée croisée en échec jusqu'au retour de son mari.

Louis IX Departing for the Seventh Crusade
Louis IX part pour la septième croisade
Unknown Artist (Public Domain)

Selon une autre source, al-Salih n'aurait jamais quitté l'Égypte après avoir reconquis son royaume car il était malade. Sa maladie pourrait être la raison qui aurait enhardi le roi français à prendre les armes contre l'Égypte. Quelle que soit la réalité, une chose est sûre, c'est la mort d'al-Salih au beau milieu du conflit. Qu'il se soit agi d'une maladie ou d'une blessure, la disparition d'al-Salih à un moment aussi crucial aurait pu avoir un impact profond sur l'armée égyptienne; cependant, Chajar ad-Durr était déterminée à remporter la victoire.

Supprimer la pub
Publicité

Elle était consciente que les croisés avaient déjà capturé d'importantes villes portuaires et que la nouvelle de la mort du roi démoraliserait davantage les troupes. Ainsi, elle le garda pour elle pendant les trois mois suivants. Elle fit venir un médecin dans sa tente, de la nourriture était apportée quotidiennement et elle fit même jouer de la musique à l'extérieur de la tente. Alors que seuls quelques alliés fidèles étaient au courant de la vérité, pendant ce temps, Chajar dirigeait les armées du sultanat et imitait la signature de son mari sur les décrets. Ses efforts portèrent leurs fruits lorsque les forces égyptiennes commencèrent à repousser les croisés et finirent par capturer le roi Louis.

Chajar ad-Durr sultane

Une fois la menace des croisés apaisée et la nouvelle de la mort du roi répandue, Chajar ad-Durr et ses conseillers mamelouks invitèrent Tûrân Châh, l'héritier de son mari, à monter sur le trône. Tûrân Châh revint de Diyarbakir (aujourd'hui en Turquie) et, avec sa femme à ses côtés, ils prirent le contrôle du sultanat. Tûrân Châh prit rapidement des décisions désastreuses et s'éloigna de Chajar ad-Durr et des Mamelouks, qui finiront par causer sa perte. La goutte d'eau qui fit déborder le vase, c'est lorsque Tûrân tenta de menacer Chajara et de saisir ses biens. Chajar se tourna vers les Mamelouks pour obtenir de l'aide, les implorant pour leur protection. Ils avaient été témoins de ses capacités en tant que souveraine et étaient heureux de remplacer Tûrân Châh par Chajar. Le 2 mai 1250, Tûrân Châh fut assassiné.

Dans son article, Tom Verde cite l'historien du 13ème siècle Ibn Wasil :

Les Mamelouks décidèrent que "les fonctions de sultan et de dirigeant [de l'Égypte] devaient être assumées par Chajar al-Durr", rapporte Ibn Wasil, ajoutant que "les décrets devaient être émis sur son ordre et... [à partir de] ce moment-là, elle devint le chef titulaire de tout l'État ; un timbre royal fut émis à son nom avec la formule "mère de Khalil" et la khutba [sermon du vendredi] fut prononcée en son nom en tant que sultane du Caire et de toute l'Égypte".

La khutba est essentielle pour présenter le monarque à son peuple ; l'imam (chef de la mosquée) annonce le nom du souverain. Dans l'histoire islamique, il y eut d'autres femmes monarques, comme Razia Sultana, sultane de Delhi (r. de 1236 à 1240) et d'autres qui ne furent pas autorisées à faire réciter la khutba pour leur ascension.

Supprimer la pub
Publicité

Le premier acte de Chajar ad-Durr en tant que monarque fut de négocier la rançon du roi français Louis IX et de conclure un traité de paix avec les croisés. Chajar négocia avec son homologue française, la reine Marguerite de Provence (1221-1295). On peut donc dire que la diplomatie de deux reines (une musulmane et une chrétienne) permit de mettre fin à la septième croisade. Chajar reçut une énorme rançon pour Louis IX et commença son règne avec un grand triomphe, remplissant au passage les coffres du royaume.

Coin of Shajara al-Durr
Pièce de Chajar ad-Durr
The Trustees of the British Museum (CC BY-NC-SA)

Elle émit des pièces de monnaie à son nom et commença la construction du tombeau de son mari et d'autres projets architecturaux. Malheureusement, tout le monde ne soutint pas l'idée d'une femme sultan; le calife de Bagdad refusa de reconnaître l'autorité de Chajar. Son refus créa un problème pour Chajar et ses partisans, et 80 jours seulement après le début de son règne, sous la menace d'une révolte, Chajar ad-Durr épousa Izz ad-Dîn 'Aybak (r. de 1250 à 1257). La condition de ce mariage était qu'Aybak devait divorcer de sa première femme, ce qu'il fit.

Le début de la fin

Beaucoup pensent que Chajar ad-Durr a peut-être assassiné son mari parce qu'il menaçait son autorité.

Si Aybak était la figure de proue qui représentait le sultanat d'Égypte, la véritable autorité restait celle de Chajar ad-Durr. Le pouvoir de décision et les questions administratives étaient tous gérés par Chajar, mais Aybak voulait plus que le rôle mineur qu'il était obligé de jouer, se querellant même avec sa femme au sujet du trésor qu'al-Salih avait laissé derrière lui. Beaucoup pensent que Chajar avait caché les précieuses richesses à Aybak pour l'empêcher de comploter contre elle.

Vous aimez l'Histoire?

Abonnez-vous à notre newsletter hebdomadaire gratuite!

En 1257, Aybak, frustré, décida de prendre une autre épouse dans le but d'accroître son pouvoir à la cour. Il voulait arranger un mariage politique avec une princesse de Mossoul, mais son complot fut découvert, et ses actions furent considérées comme un acte de trahison. Aybak fut transféré dans le pavillon qui surplombait les terrains de polo, et c'est dans ce pavillon qu'il fut retrouvé assassiné. Beaucoup pensent que Chajar ad-Durr a peut-être assassiné son mari parce qu'il menaçait son autorité, mais il n'y a pas de preuve solide pour prouver qui était derrière cet acte.

Décès

Finalement, Aybak obtint ce qu'il avait souhaité: son fils de 15 ans, Al-Mansur Ali ( Al-Mansur Nur ad-Dîn Ali ben Aybak, r. de 1257 à 1259), prit le pouvoir avec l'aide des Mamelouks. L'assassinat d'Aybak diminua le statut de Chajar ad-Durr qui perdit le respect de ses partisans. À l'instar de Marie, reine d'Écosse (r. de 1542 à 1567) qui pourrait avoir joué un rôle dans le meurtre de son mari et qui fut contrainte d'abdiquer en faveur de son fils cadet, Jacques Ier d'Angleterre, Chajar sous-estima le degré de tolérance de ses nobles, et cette erreur lui coûta la vie.

Mansur remit Chajar ad-Durr à sa mère ; c'est elle qui jugerait l'ancienne sultane. L'ancienne épouse d'Aybak exerça une terrible vengeance : Chajara ad-Durr fut battue à mort à l'aide de chaussures en bois, puis son corps fut traîné par les pieds jusqu'au sommet de la citadelle d'où elle fut précipitée. Le corps de Chajar fut déchiqueté par des chiens avant que ces tortionnaires, par pitié, n'enterrent sa dépouille dans le mausolée qu'elle avait elle-même fait construire.

Le monument est situé dans la rue al-Khalifa au Caire. L'intérieur est une petite chambre en forme de dôme avec des entrées sur trois côtés. Peint avec des décorations élégantes, la pièce maîtresse du monument est la conque en mosaïque de verre du mihrab qui représente un arbre bordé de gouttelettes de nacre, sur fond d'or.

Chajar ad-Durr, également connue sous le nom de "reine des perles", ne régna pas longtemps, mais il est indéniable qu'elle laissa une empreinte durable sur l'Égypte. Cette esclave, qui devint une reine redoutable, remporta la victoire contre les croisés et fonda la dynastie mamelouke qui devint l'une des plus puissantes de la région. Elle fut la première et la seule femme à s'asseoir sur le trône de l'Égypte islamique et à régner avec le soutien des nobles mamelouks.

Supprimer la pub
Publicité

Questions & Réponses

Qui était Chajar ad-Durr?

Chajar ad-Durr (r. 1250) fut la fondatrice de la dynastie mamelouke en Égypte, la première et la seule femme à régner sur l'Égypte islamique avec le soutien de ses nobles.

Pour quoi Chajar ad-Durr est-elle connue ?

Chajar ad-Durr est surtout connue pour ses monuments architecturaux qui portent son symbole, un arbre bordé de nacre et incrusté d'or, et pour le rôle qu'elle joua dans la septième croisade, la capture et la libération de Louis IX de France.

Bibliographie

World History Encyclopedia est un associé d'Amazon et perçoit une commission sur les achats de livres sélectionnés.

Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Khadija Tauseef
History is my passion and chosen career, I wish to learn as much as I can and share the knowledge for future generations. It is a story of the past that I would love to unravel.

Citer cette ressource

Style APA

Tauseef, K. (2022, juillet 04). Chajar ad-Durr [Shajara al-Durr]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-20894/chajar-ad-durr/

Style Chicago

Tauseef, Khadija. "Chajar ad-Durr." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le juillet 04, 2022. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-20894/chajar-ad-durr/.

Style MLA

Tauseef, Khadija. "Chajar ad-Durr." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 04 juil. 2022. Web. 09 oct. 2024.

Adhésion