En mars 1715, Louis XIV (r. de 1643 à 1715) publia une déclaration stipulant que tous les sujets du roi étaient également sujets de l'Église catholique. Au mépris du décret du roi, Antoine Court (1696-1760) réunit un petit groupe de croyants pour jeter de nouvelles bases pour les églises réformées en France. Les croyants protestants continuèrent à se réunir clandestinement dans ce qu'on appelait "l'Église du Désert".
La France chrétienne divisée
Sous l'influence des enseignements des chefs réformateurs Martin Luther (1483-1546) et Jean Calvin (1509-1564), les protestants du XVIe siècle se séparèrent de l'Église catholique et se mirent en quête de liberté de conscience et de religion. L'introduction de la Réforme protestante en France conduisit aux guerres de religion françaises (1562-1598) entre catholiques et protestants. La nation fut dévastée pendant plus de 30 ans par la guerre, la famine et les maladies. Les traités apportèrent de brèves périodes de paix mais ne mirent pas fin à l'effusion de sang. Les guerres prirent fin en 1598 avec Henri IV et l'édit de Nantes. Henri IV (r. de 1598 à 1610) se convertit au catholicisme et promulgua l'édit de Nantes qui accordait aux protestants des droits religieux limités. Après l'assassinat d'Henri IV en 1610, ces droits religieux furent érodés sous Louis XIII (r. de 1610 à 1643), puis abrogés en 1685 par Louis XIV et la révocation de l'édit de Nantes. Le protestantisme fut mis hors la loi.
L'Église du Désert
Après la révocation de l'édit de Nantes, on estime que les trois quarts des protestants avaient renoncé à leur foi. Ceux qui restaient dans les régions du sud de la France pratiquaient leur culte illégalement, certains dans des maisons, d'autres dans des lieux secrets. Cette période est connue sous le nom d'Église du désert. En 1700, la plupart des pasteurs étaient morts ou en exil. En l'absence de pasteurs, les prophètes et prophétesses autoproclamés se multiplièrent et appelèrent à la résistance armée. Pour défendre leurs maisons et leur liberté religieuse, les guerriers paysans lancèrent la guerre des Camisards dans les Cévennes (1702-1705) pour réclamer leurs droits religieux perdus.
Les premiers succès des Camisards étaient en partie dus à leur connaissance du terrain accidenté de la région. Les premières victoires les enhardirent, mais au final, ils ne firent pas le poids face aux forces royales lourdement armées. Un par un, leurs chefs se rendirent ou furent tués. Les survivants furent autorisés à quitter le royaume pour des pays de refuge. En abandonnant la violence, l'Église du Désert entra dans une nouvelle phase en 1715 sous la direction d'Antoine Court. Les années 1715 à 1760 sont connues comme la "période héroïque" de l'Église du Désert, lorsque les rassemblements protestants furent interdits et que les personnes arrêtées furent sévèrement punies.
Les débuts d'Antoine Court
Antoine Court entra en scène après la guerre des Camisards. D'origine modeste, il se fit connaître par de remarquables exploits de foi pendant une longue et douloureuse période de l'histoire de France. Court était né à Villeneuve-de-Berg dans le Vivarais et avait été baptisé dans la foi catholique comme l'exigeait la loi. Il accompagnait sa mère aux assemblées illégales de l'Eglise du Désert où des prophétesses avaient remplacé les pasteurs exilés. Suite à la non-réalisation des prophéties, il rompit avec le mouvement du prophétisme, rejeta la violence précédemment associée aux Camisards, et lutta pour inverser les conséquences de la Révocation de l'Édit de Nantes. Le 21 août 1715, dix jours seulement avant la mort de Louis XIV, le monarque le plus puissant d'Europe, Court organisa le premier synode de l'Église du Désert à Montèze pour replanter l'Église que Louis XIV avait cherché à abolir.
La mort de Louis XIV suscita un grand espoir chez les huguenots, tant dans le royaume qu'en exil, pour le rétablissement de l'Édit de Nantes. Leur espoir ne dura pas longtemps. Après l'arrestation d'un jeune prédicateur, Étienne Arnaud, la Cour s'opposa à un projet de libération d'Arnaud qui fut mis à mort par pendaison à Alès le 22 janvier 1718 en présence d'une foule nombreuse. Sa mort eut un grand impact sur les protestants au-delà de la région des Cévennes ; il devint un martyr de leur cause. Deux ans plus tard, dans la région de Nîmes, une autre assemblée fut convoquée avec Court et d'autres dirigeants de l'Église du Désert. Les troupes du roi intervinrent, Court s'échappa, mais 50 autres personnes furent arrêtées. Pour servir d'exemple, 20 hommes furent d'abord condamnés aux galères du roi à perpétuité. La peine fut commuée en déportation en Louisiane. Ils furent transportés à travers la France jusqu'à La Rochelle où ils furent libérés par les pouvoirs protestants puis ils furent exilés en Angleterre.
Louis XV
Louis XV (r. de 1715 à 1774) réaffirma l'édit de révocation en 1724 par un texte unique déclarant la France nation catholique. Les protestants qui s'étaient convertis au catholicisme puis étaient revenus au protestantisme étaient considérés comme des "relaps" et étaient soumis à de lourdes peines. Bien que l'ordonnance royale ait été appliquée de manière sporadique et jamais de manière uniforme dans tout le royaume, la consternation fut grande chez les protestants. La soumission était impensable, une nouvelle émigration pourrait annoncer la fin du protestantisme français, et une révolte armée annulerait la décision prise dix ans plus tôt lorsque les protestants avaient choisi une stratégie de non-violence. Leur réponse comporta deux volets. D'une part, ils avaient prévu d'organiser des rassemblements publics pacifiques pour démontrer aux autorités que les protestants français existaient toujours dans le royaume. Ces assemblées se disperseraient à l'annonce de l'arrivée des troupes. D'autre part, ils refuseraient de participer aux cérémonies catholiques, notamment le baptême, le mariage et l'extrême-onction. Il revint à Antoine Court, lors d'un synode en 1725, de convaincre les protestants du bien-fondé de ces actions. Il rappela à ses auditeurs la tentative de Louis XIV de détruire le protestantisme et comment, au fil des ans, Dieu avait élevé des dirigeants pour soutenir son peuple.
Les écrits de Court
Dans ses œuvres, Court aborda ce qu'il croyait être le plus grand problème de la réorganisation des églises réformées - la guerre des Camisards. Il souligna la distinction entre les assemblées actuelles de l'Église du désert organisées par des pasteurs et les assemblées du passé caractérisées par la violence et les prophéties. Bien qu'il n'ait jamais été Camisard lui-même, il admit qu'à l'âge de 18 ans, il tomba sous l'influence de prophétesses. A cette époque, il avait écrit des lettres aux prêtres dans lesquelles il menaçait d'un nouveau soulèvement si la persécution continuait. Dans son rejet des prophètes et prophétesses autoproclamés, son objectif était le retour des églises au modèle pastoral de direction d'avant la Révocation, l'abstention de la violence et la soumission à l'autorité politique. Ce changement de stratégie avait pour but de gagner la bataille de l'opinion publique en France et parmi ceux qui étaient en exil. Bien qu'il se soit séparé de ceux qui se réclamaient de l'inspiration prophétique, il resta entouré de ceux qui avaient participé à la guerre des Camisards. Pour ceux qui avaient connu la persécution systématique, la conversion à la résistance non violente était difficile à accepter.
Dans son livre, Histoire des troubles des Cévennes, Court montra comment l'intolérance et le manque de leadership spirituel avaient contribué à l'impossibilité de contrôler les processus qui avaient conduit à la violence instiguée par les propos prophétiques des chefs camisards. Il insista sur le fait que la situation qui suivit la rébellion avait influencé sa stratégie de non-violence qui était plus conforme aux principes évangéliques. D'autres affirmèrent que Court était incapable d'admettre que la menace d'insurrection empêchait souvent les autorités d'exercer une répression sévère. Pour ses adversaires, Court restait prisonnier d'une mentalité qui accordait une révérence imméritée à la monarchie.
En 1729, Court quitta définitivement la France pour trouver refuge à Lausanne. Il y fonda un séminaire et continua, par ses écrits, à défendre les protestants contre les accusations de trahison de la monarchie. Dans ses derniers écrits, il chercha à concilier la période de violence des premiers Camisards avec la réorganisation non violente de l'Église du Désert sous sa direction. Il semble cependant qu'il ne put jamais admettre que l'insurrection des Camisards ait facilité le passage à la non-violence et que la crainte d'un nouveau soulèvement ait tenu les autorités en échec. Ses 118 volumes de témoignages et de lettres de galériens et d'exilés constituent la source la plus importante et la plus variée de l'histoire de l'Eglise du Désert.
Antoine Court se trouva confronté à des questions qui dépassaient son époque et résonnent encore au XXIe siècle. Y a-t-il une frontière claire entre la violence et la non-violence ? Dans les situations extrêmes, comment articuler et différencier la légalité et la légitimité ? Qu'est-ce qui soutient les gens en temps de persécution ? Même si Court n'avait pas toujours la bonne réponse, il posait les bonnes questions. Bien qu'il ait adopté une stratégie de non-violence et de soumission à l'autorité politique, son objectif resta le même que celui des Camisards : obtenir la liberté de conscience, la liberté de naître, de vivre et de mourir en dehors d'une religion d'État. Ses écrits et sa position sur les relations entre la religion et l'État ainsi que la crainte d'un nouveau soulèvement des Camisards ont sans doute contribué à la tolérance religieuse qui finit par s'imposer en Languedoc et dans toute la France.