Bière en Égypte Ancienne

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 16 mars 2017
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Disponible dans ces autres langues: anglais

Compte tenu de l'importance que les Égyptiens de l'Antiquité accordaient à la joie de vivre, il n'est pas surprenant qu'ils soient connus comme la première civilisation à avoir perfectionné l'art du brassage de la bière. En fait, les Égyptiens étaient tellement connus comme brasseurs que leur renommée a éclipsé les véritables inventeurs du processus, les Sumériens, même dans l'Antiquité.

Beer Brewing in Ancient Egypt
Brassage de la bière dans l’Égypte ancienne
The Trustees of the British Museum (Copyright)

Les Grecs, qui n'étaient pas de grands amateurs de cette boisson, ont écrit sur l'habileté des Égyptiens tout en ignorant largement les Mésopotamiens. Le général et écrivain grec Xénophon (430 - c. 354 av. J.-C.) critique cependant la version mésopotamienne qu'il avait goûtée dans la région de l'Arménie dans son Anabase, notant que "le breuvage sans adjonction d'eau était très fort et d'une saveur délicieuse pour certains palais, mais le goût doit être acquis" (4.5.27).

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Le breuvage mésopotamien décrit dans le récit de Xénophon était servi dans de grands bols, et on le buvait à l'aide d'une paille pour éviter que le malt ne flotte à la surface, ce qui était la manière habituelle de boire la bière en Mésopotamie. En fait, la paille fut inventée par les Sumériens spécifiquement pour boire de la bière. La bière mésopotamienne était épaisse, de la consistance d'une bouillie moderne, et ne pouvait pas être simplement bue à petites gorgées.

Les Égyptiens modifièrent les méthodes de brassage sumériennes pour créer un breuvage plus doux et plus léger, qui pouvait être versé dans une tasse ou un verre pour être consommé. La bière égyptienne est donc le plus souvent citée comme la "première bière" du monde parce qu'elle a plus de points communs avec le breuvage moderne qu'avec la recette mésopotamienne, même si peu d'amateurs de bière d'aujourd'hui reconnaîtraient l'ancien breuvage comme leur boisson préférée.

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La boisson des dieux

La bière faisait partie des nombreux dons des dieux accordés à l'humanité aux premiers balbutiements du monde. Selon le mythe, c'est le dieu Osiris lui-même qui aurait donné à l'humanité les dons de la culture et lui aurait enseigné l'art de l'agriculture; à la même époque, il l'initia également au brassage de la bière. Aucun récit ne relate cet événement, et l'origine de la bière en Égypte est souvent citée - à tort - comme étant l'histoire connue sous le nom de " Destruction de l'humanité". Ce récit, qui date du Nouvel Empire d'Égypte (c. 1570-1069 av. J.-C.), indique clairement que les dieux connaissaient déjà la bière. Il n'est pas fait mention de la création de l'alcool par les dieux dans ce récit - il est évident que l'alcool existe déjà - ils lui trouvent simplement un bon usage.

Dans La destruction de l'humanité, qui fait partie du texte du Livre de la vache céleste, le grand dieu Râ s'indigne lorsqu'il entend parler d'un complot de l'humanité visant à le renverser et décide de détruire tous les habitants de la terre. Il envoie sa fille, la déesse Hathor, s'acquitter de cette tâche pour lui et semble plutôt satisfait tandis qu'elle se déchaîne d'une communauté à l'autre, mettant les gens en pièces et buvant leur sang. Comme elle tue de plus en plus de gens, elle se transforme en la vengeresse sauvage Sekhmet et son chemin de destruction s'élargit. Râ se repent de sa décision et les autres dieux lui font remarquer que si Sekhmet persiste, il n'y aura plus d'humains pour offrir des sacrifices ou vénérer les dieux et, en outre, plus personne pour transmettre la leçon que le châtiment de Râ devait enseigner.

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Râ veut rappeler Sekhmet, mais elle est dévorée par la soif de sang et il semble qu'il n'y ait aucun moyen de l'arrêter. Râ ordonne donc qu'une grande quantité de bière soit teinte en rouge et livrée à Dendérah, directement sur le chemin de Sekhmet. La déesse trouve la bière et, pensant qu'il s'agit de sang, la boit. Elle s'enivre alors, s'endort et se réveille sous les traits d'Hathor, la gentille amie de l'humanité. La fête de Tekh, l'une des plus populaires d'Égypte, commémorait cet événement.

Statue of a Sitting figure of Goddess Sekhmet
Statue d'une figure assise de la déesse Sekhmet
Osama Shukir Muhammed Amin (Copyright)

La fête de Tekh, connue sous le nom de "fête de l'ivresse", fut célébrée pour la première fois au Moyen Empire d'Égypte (2040-1782 av. J.-C.), mais ses origines pourraient être plus anciennes. C'est au cours du Nouvel Empire qu'elle fut la plus populaire, l'histoire du déchaînement et de la transformation de Sekhmet ayant été retrouvée gravée dans les tombes de Séti Ier, de Ramsès II et d'autres. Lors de ce festival, dédié à Hathor, les participants buvaient à l'excès, s'endormaient dans une certaine salle et se réveillaient soudainement au son des tambours.

L'alcool atténuait les inhibitions et le sens critique et permettait d'apercevoir la déesse lorsque les participants étaient réveillés par les tambours. Il semble que la fête ait également revêtu un aspect sexuel puisque, selon l'égyptologue Carolyn Graves-Brown, certaines scènes de célébration sur les murs des temples "associent l'ivresse au "voyage à travers les marais", un euphémisme possible pour désigner l'activité sexuelle" (169). Cela n'a rien de surprenant puisque la sexualité était non seulement considérée comme un aspect naturel de la vie humaine, mais aussi associée à Hathor et à Mout, une déesse de la fertilité qui était également étroitement liée à la fête.

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La bière est mentionnée dans presque toutes les grandes fêtes de l'Égypte ancienne et était souvent fournie par l'État, comme dans le cas de la fête d'Opet et de la Belle fête de la vallée. Les fêtes de Bastet, d'Hathor et de Sekhmet, en particulier, impliquaient toutes de grandes quantités de bière et encourageaient les excès. Graves-Brown écrit:

Si la consommation d'alcool était souvent déconseillée dans l'Égypte ancienne, il semble qu'elle ait parfois été célébrée par les deux sexes. Une peinture de tombeau de l'Égypte ancienne montre une femme de l'élite vomissant à cause d'une consommation excessive d'alcool. Lors d'une fête où l'on boit, une femme demande 18 tasses de vin parce qu'elle a la gorge sèche comme une paille. (3)

Bien que la bière ait été appréciée lors de ces célébrations, elle n'était certainement pas réservée aux seules occasions spéciales. La bière était un aliment de base du régime alimentaire quotidien des Égyptiens, ainsi qu'une forme courante de compensation pour le travail, et elle était fréquemment prescrite pour la santé.

La bière dans la vie quotidienne

Les femmes furent les premières brasseuses en Égypte. L'égyptologue Helen Strudwick écrit que "la brasserie et la boulangerie étaient des activités féminines et de nombreuses statuettes trouvées dans les tombes montrent des femmes en train de moudre du grain dans des moulins ou de tamiser la farine obtenue" (408). La bière fut tout d'abord brassée à la maison par des femmes et ne devint que plus tard une industrie financée par l'État et présidée par des hommes.

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L'influence féminine précoce sur le brassage est peut-être indiquée par la divinité qui présidait à l'activité: Tenenet, la déesse de la bière. Comme la déesse Ninkasi des Sumériens, Tenenet veillait sur les brasseurs et s'assurait que la recette était respectée pour obtenir la meilleure qualité de bière. Les Sumériens avaient l'Hymne à Ninkasi, qui était en fait la recette de la bière chantée par les brasseurs pour qu'ils la mémorisent, mais aucune trace d'une chanson similaire n'a été trouvée en Égypte.

Les hommes, les femmes et les enfants buvaient tous de la bière, car elle était considérée comme une source de nutrition et non comme une simple boisson alcoolisée.

Les brasseurs égyptiens de l'Antiquité ne semblent pas avoir beaucoup souffert de cette situation, car leur produit était immensément populaire. Le nom commun de la bière était heqet (également appelé hecht et henket) ou tenemu (nom donné à la déesse Tenenet), mais il existait également des noms pour des types de bière spécifiques. La bière était classée en fonction de son degré d'alcool et de sa saveur. La bière moyenne avait une teneur en alcool de 3 à 4 %, tandis que la bière utilisée lors des festivals ou des cérémonies religieuses avait une teneur en alcool plus élevée et était considérée comme étant de meilleure qualité.

Les hommes, les femmes et les enfants buvaient tous de la bière, car elle était considérée comme une source de nutrition et non comme une simple boisson alcoolisée. La bière était régulièrement utilisée comme compensation pour le travail (appelée hemu) et les travailleurs du plateau de Gizeh, par exemple, recevaient des rations de bière trois fois par jour en guise de paiement. Les traces de paiement par la bière sur différents sites d'Égypte constituent en fait l'une des meilleures preuves que les grands monuments ne furent pas construits par des esclaves, mais par une main-d'œuvre égyptienne rémunérée.

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La bière était également fréquemment prescrite dans les textes médicaux. Plus d'une centaine de recettes de médicaments incluaient de la bière, et même lorsque la bière ne figurait pas dans la liste des ingrédients, il était suggéré au patient de prendre la prescription avec une tasse de bière qui, pensait-on, "réjouissait le cœur". La bière était également censée désorienter les mauvais esprits, considérés comme la cause de nombreuses maladies. Un sort jeté pour guérir une maladie sans nom demande à la personne d'invoquer le dieu Set qui donnera à la bière le pouvoir de rendre les esprits perplexes et désorientés et de les faire quitter le corps. Les recettes précises de ces brassins n'ont jamais été écrites, mais la méthode générale utilisée est assez claire d'après les textes et les petits modèles de brasseurs trouvés dans les tombes.

Brassage et banquets

Les exemples les plus connus de ces modèles proviennent de la tombe de Méketrê, au début du Moyen Empire. Il s'agit de petits dioramas qui détaillent le processus de brassage de l'époque. Les modèles viennent en complément de lettres, de reçus et d'autres documents écrits en décrivant comment la bière était brassée et par qui. Strudwick note que "bien que la bière ait été produite quotidiennement dans la plupart des foyers de l'Égypte ancienne, il y avait également une production à grande échelle dans les brasseries pour distribuer des rations aux citadins, aux tavernes ou aux "maisons de bière", aux riches individus et aux employés de l'État" (410).

Chaque brasseur avait sa propre spécialité, certaines bières étant connues pour leur forte teneur en alcool et d'autres pour leur goût particulier. Selon Strudwick, "le type de bière le plus courant était une bière riche et légèrement sucrée, un peu comme la bière ambrée, mais des bières plus légères, semblables à la blonde moderne, étaient créées pour les occasions spéciales" (411). Dans les deux cas, comme de nos jours, les brasseurs suivaient essentiellement la même procédure.

Egyptian Brewery
Brasserie égyptienne
The Trustees of the British Museum (Copyright)

Au début, à l'époque de l'Ancien Empire d'Égypte, la bière était brassée en mélangeant des pains cuits à de l'eau et en plaçant le mélange dans des jarres chauffées pour qu'il fermente. L'utilisation du houblon était inconnue des Égyptiens, tout comme le processus de carbonatation. Pour un buveur de bière moderne, une bière égyptienne ressemblerait davantage à une boisson aux fruits qu'à la boisson que nous connaissons. Des dattes et du miel étaient ajoutés pour le sucre, le goût et la teneur en alcool, puis de la levure pour augmenter la fermentation. Cette bière était épaisse et d'un rouge foncé qui évoquait peut-être la bière teintée à l'origine par Râ pour calmer et transformer Sekhmet.

À l'époque du Nouvel Empire, on utilisait de l'orge et de l'emmer (blé) que l'on mélangeait à de l'eau pour obtenir un moût que l'on versait ensuite dans des cuves et que l'on chauffait pour qu'il fermente. Ce mélange était ensuite filtré et des herbes et des fruits étaient ajoutés pour aromatiser les différents types de bière. Selon Strudwick, "la fermentation de la bière de tous les jours prenait quelques jours, produisant un mélange assez pauvre en alcool" et "le résultat était un liquide épais et mousseux qui devait être filtré dans un panier avant d'être bu" (410). Une fois filtrée, la bière était enfermée dans des cruches en céramique et stockée, souvent sous terre, selon un processus similaire à celui de la lagerisation.

Au Nouvel Empire, où l'on utilisait l'emmer et l'orge, l'usage des dattes et du miel diminua dans la production de la bière courante et ne fut utilisé que pour les bières de qualité supérieure destinées aux occasions spéciales. La bière à forte teneur en alcool était privilégiée pour les banquets et les fêtes et, en fait, la réussite d'une fête dépendait du degré d'ivresse des participants et de la quantité de bière consommée. La bière de la plus haute qualité était bien sûr brassée pour le roi et la noblesse et aromatisée au miel, associé aux dieux. La bière retrouvée dans la tombe du pharaon Toutânkhamon, par exemple, était une bière au miel semblable à l'hydromel européen plus tardif.

À partir du Moyen Empire, la bière fut de plus en plus gérée par l'État, même si les gens continuaient de la brasser chez eux. Cette bière était toujours ambrée, mais moins épaisse, comme le montrent les résidus trouvés au fond des cuves, ainsi que la bière trouvée dans la tombe de Toutânkhamon et dans d'autres tombes. De même que la bière était considérée comme un aliment de base pour les Égyptiens dans la vie, elle était considérée comme une offrande nécessaire pour les morts; la bière devint donc l'un des objets funéraires les plus couramment placés dans les tombes pour ceux qui pouvaient se permettre de s'en séparer. La bière étant un moyen de paiement courant, placer des jarres de bière dans une tombe équivalait à enterrer son salaire avec le défunt.

Stela of Renefseneb
Stèle de Renefseneb
The Trustees of the British Museum (Copyright)

Outre l'utilisation de la bière dans le cadre des repas quotidiens et des fêtes, cette boisson occupait une place importante dans les banquets et les funérailles. Les funérailles étaient une célébration de la vie du défunt et un départ pour l'âme qui poursuivait son voyage dans l'au-delà. Une fois le rituel formel des funérailles achevé, la famille et les invités se réunissaient, souvent à l'extérieur de la tombe sous une tente, pour un pique-nique-banquet au cours duquel la nourriture que le défunt avait appréciée dans sa vie était servie avec une certaine quantité de bière et, parfois, de vin.

La bière était servie dans des pichets et versée dans des tasses en céramique dans lesquelles les convives buvaient sans utiliser de paille ni de filtre. Strudwick note que "la qualité de la bière dépendait à la fois de l'habileté du brasseur et de la teneur en sucre: plus on ajoutait de sucre à la fermentation, plus la bière était forte" (411). La bière servie lors des funérailles devait avoir une teneur en alcool plus élevée qu'une bière ordinaire. Cette même bière dégustée par les invités aurait été, au préalable, placée dans la tombe du défunt.

Tout comme la bière était offerte aux âmes des morts, elle était considérée comme la meilleure offrande aux dieux. Les temples brassaient leur propre bière qui était offerte à la statue du dieu dans le sanctuaire intérieur pour réjouir son cœur comme celui de l'humanité. La nourriture et les boissons étaient déposées devant la statue de la divinité, qui contenait son esprit, et les nutriments étaient absorbés de manière surnaturelle. Le repas était ensuite emporté et remis au personnel du temple. Osiris avait donné au peuple la connaissance de la bière, et le peuple montrait sa gratitude en offrant en retour les fruits de cette connaissance: la bière, la boisson des dieux.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2017, mars 16). Bière en Égypte Ancienne [Beer in Ancient Egypt]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1033/biere-en-egypte-ancienne/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Bière en Égypte Ancienne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le mars 16, 2017. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1033/biere-en-egypte-ancienne/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Bière en Égypte Ancienne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 16 mars 2017. Web. 29 avril 2024.

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