La Descente d'Inanna aux Enfers: Récit Sumérien d'Injustice

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 23 février 2011
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Disponible dans ces autres langues: anglais

Le poème sumérien La descente d'Inanna aux Enfers (vers 1900-1600 av. J.-C.) raconte le voyage d'Inanna, la grande déesse et reine du ciel, de son royaume dans le ciel à la terre, puis au monde souterrain pour rendre visite à sa sœur Ereshkigal, la reine des morts, qui vient de perdre son mari. Le poème commence par les vers suivants:

Pour descendre au monde d'En-bas
Inanna quitta ciel et terre
Pour descendre au monde d'En-bas
Elle abandonna ses avantages
Pour descendre au monde d'En-bas!

L'ouvrage décrit ensuite la descente aux enfers d'Inanna, accompagnée en partie par son fidèle serviteur et conseiller Ninshubur.

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Marriage of Inanna and Dumuzi
Le mariage d'Inanna et de Dumuzi
TangLung (Public Domain)

Résumé

Inanna est vêtue de ses plus beaux habits et porte la couronne du ciel sur la tête, des perles autour du cou, sa cuirasse, son anneau d'or et son sceptre, le bâton du pouvoir. Juste avant d'entrer dans le monde souterrain, elle donne à Ninsubur des instructions sur la façon de lui venir en aide si elle ne revient pas à temps. À son arrivée aux portes du monde souterrain, Inanna frappe fort et demande à entrer. Neti, le chef des gardiens, lui demande qui elle est et, lorsqu'Inanna répond : "Je suis Inanna, la reine du ciel", Neti lui demande pourquoi elle souhaite entrer dans le pays "d'où aucun voyageur ne revient". Inanna répond :

C'est pour Ereshkigal, ma soeur aînée,
Dont l'époux, sire Gugalanna, a été tué:
Pour assister aux funérailles
Et prendre part aux libations rituelles!

Neti lui dit alors de rester où elle est pendant qu'il va parler à Ereshkigal.

Lorsque Neti annonce à Ereshkigal qu'Inanna est aux portes, la reine des morts réagit d'une manière qui semble étrange: "Alors, Ereshkigal, en grand souci, se frappa les cuisses de rage,
Et se mordit les lèvres de dépit.". Elle ne semble pas heureuse d'apprendre que sa sœur se trouve à la porte et son mécontentement est encore plus évident lorsqu'elle demande à Neti de verrouiller les sept portes du monde souterrain contre Inanna, puis de la laisser entrer, une porte à la fois, en lui demandant d'enlever un de ses vêtements royaux à chaque porte. Neti s'exécute et, porte après porte, Inanna est dépouillée de sa couronne, de ses perles, de son anneau, de son sceptre et même de ses vêtements :

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Silence, Inanna ! (répondit-on) :
Les Pouvoirs du monde d'En-bas sont irréprochables!
Ne proteste pas contre les rites du monde d'En-bas !

Inanna entre dans la salle du trône d'Ereshkigal "nue et courbée" et commence à marcher vers le trône quand :

Et les Anunna, les Sept Magistrats,
Articulèrent devant elle leur verdict :
Elle porta sur Inanna un regard : un regard meurtrier!
Elle prononça contre elle une parole ; une parole furibonde!
Elle jeta contre elle un cri : un cri de damnation !
La Femme, ainsi maltraitée, fut changée en cadavre,
Et le cadavre suspendu à un clou!

Après avoir attendu sa maîtresse pendant trois jours et trois nuits, Ninshubur suit les ordres qu'Inanna lui a donnés, va demander de l'aide à Enki, le dieu-père d'Inanna, et reçoit deux créatures, deux êtres transgenres créés "ni mâle ni femelle", pour l'aider à ramener Inanna sur la terre. Ils entrent dans le monde souterrain "comme des mouches" et, suivant les instructions spécifiques d'Enki, s'attachent étroitement à Ereshkigal. La reine des morts est vue en détresse :

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Sans vêtement jeté sur ses saintes épaules,...
Sa chevelure rassemblée sur sa tête comme un poireau !

Le poème continue à décrire la reine subissant les douleurs de l'accouchement. Les gala compatissent aux douleurs de la reine et celle-ci, en remerciement, leur offre tous les cadeaux qu'elles demandent. Sur l'ordre d'Enki, les créatures répondent : "Offre-nous plutôt (disaient-ils) le cadavre suspendu au clou! " et Ereshkigal le leur donne. Ils font revivre Inanna avec la nourriture et l'eau de vie et elle se relève d'entre les morts.

Inanna Prefers the Farmer
Inanna préfère le fermier
Osama Shukir Muhammed Amin (Copyright)

Comme dans le mythe grec de Déméter et Perséphone, une personne qui a séjourné dans le monde souterrain ne peut pas le quitter aussi facilement. Il faut trouver quelqu'un pour prendre la place d'Inanna et les démons du monde souterrain l'accompagnent jusqu'à la surface de la terre pour réclamer son remplaçant. Les démons tentent d'abord de s'emparer de Ninshubur, puis des fils d'Inanna, Shara et Lulal, et même de Cara, l'esthéticienne d'Inanna, mais dans tous les cas, Inanna les en empêche parce que Ninshubur, Shara, Lulal et Cara sont tous vêtus de sacs et portent le deuil de sa mort apparente.

Cependant, lorsqu'Inanna rencontre son amant Dumuzi et qu'elle le trouve "vêtu de ses habits brillants... sur son magnifique trône", elle est furieuse qu'il ne porte pas son deuil, contrairement aux autres, et ordonne aux démons de s'emparer de lui. Dumuzi appelle le dieu soleil Utu à l'aide et se transforme en serpent pour s'échapper, mais il est finalement capturé et emporté dans le monde souterrain. La sœur de Dumuzi, Geshtinanna, se porte volontaire pour aller à sa place et il est donc décrété que Dumuzi passera la moitié de l'année aux enfers et Geshtinanna l'autre moitié. C'est ainsi, comme dans le mythe de Déméter et Perséphone, que les saisons ont été expliquées. Mais pourquoi un mythe aussi élaboré simplement pour expliquer les saisons ? Le conte grec de Perséphone (qui ne se limite pas aux changements saisonniers) atteint le même objectif de manière plus succincte.

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Interprétation moderne

Les lecteurs modernes de ce poème ont à leur disposition une multitude d'interprétations grâce à des auteurs qui appliquent une vision psychologique, plus précisément jungienne, au poème en tant que mythe archétypal du voyage que chaque individu doit entreprendre pour atteindre la plénitude. Selon cette interprétation, Inanna n'est pas une "personne entière" jusqu'à ce qu'elle n'apparaisse vulnérable devant sa "moitié sombre", qu'ellene meure et qu'elle ne revienne à la vie. À la fin du poème, cette interprétation affirme qu'Inanna, par sa descente dans les ténèbres, l'abandon des oripeaux de son ancien moi, la confrontation avec son "ombre", la mort de ce qu'elle était, et la renaissance finale, est maintenant un individu complet, pleinement conscient. Les écrivains qui ont popularisé cette interprétation sont si nombreux qu'il serait inutile de les citer tous; tout lecteur connaissant La descente d'Innana aux Enfers aura déjà rencontré, ou rencontrera un jour, l'une ou l'autre version de cette interprétation.

Les archétypes de Carl Jung se sont révélés être des outils éclairants pour comprendre et expliquer les mythes anciens à un public moderne (notamment à travers les travaux de Joseph Campbell). Une telle interprétation d'un texte doit cependant toujours garder à l'esprit le texte lui-même, les mots sur la page, la disposition de ces mots, la caractérisation et le dialogue. Aussi intéressante, et même éclairante, que soit la vision "jungienne" moderne de la Descente d'Inanna aux Enfers, elle n'est pas étayée par le texte. Entre autres omissions flagrantes, cette interprétation moderne de l'histoire ancienne n'explique en rien les derniers vers du poème qui font l'éloge, non pas d'Inanna, mais d'Ereshkigal :

Comme il est doux de te célébrer, Auguste Ereshkigal!

Le texte du poème indique clairement l'intention d'Inanna de se rendre aux Enfers pour assister aux funérailles de son beau-frère, précise le mécontentement de sa sœur face à sa visite, spécifie comment les Annuna des morts jugent Inanna et comment, après cela, elle est tuée par Ereshkigal par la "parole de colère" et le "cri de culpabilité" et un coup, après quoi Inanna est pendue à un crochet, "un morceau de viande en décomposition". L'histoire continue en détaillant comment Inanna est sauvée par son dieu-père Enki et comment, finalement, deux personnes, Dumuzi et Geshtinanna, qui n'avaient rien à voir avec la décision d'Inanna de visiter le monde souterrain, finissent par en payer le prix.

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Toile de fond de l'œuvre

Si le lecteur connaît l'histoire de Gilgamesh, la Descente d'Inanna sera plus facilement comprise dans le contexte et la culture de l'ancienne Mésopotamie.

Toute personne connaissant l'œuvre sumérienne L'épopée de Gilgamesh (c. 2150-1400 av. J.-C.), qui, si elle existait sous forme écrite à l'époque de la composition de La descente d'Inanna aux Enfers, était certainement connue par transmission orale, pourra mieux comprendre la Descente d'Inanna aux Enfers.

Dans l'épopée, après que les grands héros Gilgamesh et Enkidu eurent tué le démon Humbaba dans la forêt des Cèdres, leur renommée est grande et Gilgamesh, après s'être lavé et habillé de robes royales, attire l'attention d'Inanna (qui, dans l'épopée, est connue sous son nom akkadien/babylonien, Ishtar). Inanna tente de séduire Gilgamesh pour qu'il devienne son amant, lui promettant toutes sortes de bonnes choses, mais Gilgamesh la repousse, citant les nombreux amants qu'elle avait eus dans le passé et dont elle s'était débarrassée lorsqu'ils ne l'intéressaient plus, et qui avaient tous connu une fin tragique. Il lui dit:

Toi, tu n'es qu'un foyer qui s'éteint en hiver tu es la porte ouverte qui ne protège ni du vent, ni de la tempête tu es un palais qui extermine les héros tu es le turban qui étrangle celui qui s'en coiffe tu es du bitume qui souille celui qui le touche tu es une outre qui inonde son porteur tu es de la chaux qui disjoint le mur tu es une amulette de jade qui attire et séduit l'ennemi,

Puis, après avoir détaillé les malheurs que ses amants ont endurés entre ses mains, Gilgamesh conclut en disant : "Si je deviens ton amant mon destin ne sera-l-il pas semblable? ". Inanna, en entendant cela, entre dans une "rage amère" et fait appel à son dieu-père Anu (comme Ninshubur l'avait fait pour Enki dans la Descente d'Innana aux Enfers) en larmes pour les insultes que Gilgamesh a proférées à son égard. La réponse d'Anu est qu'elle n'a eu que ce qu'elle méritait par ses "provocations".

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Inanna, nullement apaisée par cette réponse, exige qu'Anu lui donne Gugalanna, le taureau du ciel, afin qu'elle puisse se venger de Gilgamesh et menace, si elle n'obtient pas ce qu'elle veut, de briser les portes du monde souterrain, "il y aura confusion entre les gens, ceux d'en haut et ceux des profondeurs inférieures. J'élèverai les morts pour qu'ils mangent comme les vivants, et les hôtes des morts seront plus nombreux que les vivants " (Sandars, 87). Gugalanna, le taureau du ciel, est l'époux d'Ereshkigal, la sœur d'Inanna.

Lorsqu'Anu consent à lui donner le taureau du ciel, elle fait descendre Gugalanna dans la ville d'Uruk pour détruire Gilgamesh. Le taureau s'ébroue, la terre s'ouvre et "cent hommes, deux cents puis trois cents hommes tombent".

Gilgamesh et Enkidu se battent alors contre le taureau du ciel et le tuent. Inanna, encore plus furieuse, apparaît sur les murs d'Uruk et maudit les héros, ce qui incite Enkidu à arracher la cuisse droite du taureau et à la lui lancer. Cette présomption, de la part d'un mortel, ne peut être supportée par les dieux et ils décrètent qu'Enkidu doit mourir, de peur que d'autres mortels n'en viennent à avoir une plus haute opinion d'eux-mêmes qu'ils ne le devraient. Enkidu est frappé par la maladie et souffre pendant des jours avant de mourir.

Flood Tablet of the Epic of Gilgamesh
Tablette du déluge de l'Épopée de Gilgamesh
Osama Shukir Muhammed Amin (Copyright)

Une interprétation plus claire

Si le lecteur connaît l'histoire de Gilgamesh, la Descente d'Inanna aux Enfers se comprend plus facilement dans le contexte et la culture de l'ancienne Mésopotamie. Inanna, ne se souciant pas plus des sentiments de sa sœur que des trois cents jeunes hommes innocents qu'elle a tués avec le Taureau du Ciel, décide d'assister aux funérailles de son beau-frère, dont elle est responsable de la mort.

Une fois que le lecteur a compris qu'Inanna a causé la mort de Gugalanna, le mari d'Ereshkigal, la réaction de la reine des morts à l'annonce de son arrivée est tout à fait compréhensible, tout comme le jugement ultérieur d'Inanna par l'Annuna et sa mort aux mains d'Ereshkigal. La "parole de colère" et le "cri de culpabilité" prennent tout leur sens dans ce contexte, car Ereshkigal est confrontée à la responsable de son chagrin actuel, un chagrin rendu encore plus grand par sa grossesse et la naissance imminente d'un enfant qui n'aura pas de père.

Comme dans l'Épopée de Gilgamesh, Inanna parvient cependant à manipuler la figure du dieu-père pour obtenir ce qu'elle veut, en l'occurrence le taureau du ciel et, dans le cas présent, un retour à la vie. Inanna est ressuscitée et, de la même manière qu'Enkidu et les trois cents jeunes hommes ont payé le prix de l'indignation d'Inanna, Dumuzi et Geshtinnana paient pour l'insensibilité et la témérité dont elle a fait preuve en décidant d'assister aux funérailles de Gugalanna.

La morale qu'un auditeur "ancien" de La descente d'Inanna aux Enfers pourrait en tirer, loin d'un "voyage symbolique du moi vers la plénitude", est la leçon qu'il y a des conséquences à ses actes et, de plus, il pourrait aussi se consoler en se disant que si de mauvaises choses sont arrivées aux dieux et aux héros en raison de l'imprévisibilité de la vie, pourquoi un mortel devrait-il se lamenter sur un destin malheureux?

Conclusion

Dans l'ancienne Mésopotamie, les hommes se considéraient comme des collaborateurs des dieux et les dieux vivaient parmi eux; Inanna vivait dans la ville d'Uruk, Enki à Eridu, etc. Les dieux n'étaient pas des êtres lointains, mais ils étaient intimement liés à la vie quotidienne des habitants du pays et ce qui affectait un dieu affectait invariablement ces habitants directement.

Même si l'un des dieux pouvait avoir les meilleures intentions, un autre dieu pouvait contrecarrer tout espoir de bien. Ereshkigal est louée à la fin du poème parce qu'elle a cherché la justice en tuant Inanna. Le fait que cette justice ait été refusée, même à une déesse aussi puissante que la Reine des morts, aurait atténué la douleur des injustices et des déceptions quotidiennes subies par le peuple qui entend le récit.

La Descente d'Inanna aux Enfers, qui raconte le mauvais comportement de l'un des dieux et le fait que d'autres dieux et mortels doivent souffrir de ce comportement, aurait donc permis aux auditeurs de l'Antiquité de comprendre la même chose que ce qu'ils comprendraient aujourd'hui en lisant le récit d'un accident tragique causé par la négligence ou le manque de jugement de quelqu'un: la vie est parfois injuste.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2011, février 23). La Descente d'Inanna aux Enfers: Récit Sumérien d'Injustice [Inanna's Descent: A Sumerian Tale of Injustice]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-215/la-descente-dinanna-aux-enfers-recit-sumerien-dinj/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "La Descente d'Inanna aux Enfers: Récit Sumérien d'Injustice." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le février 23, 2011. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-215/la-descente-dinanna-aux-enfers-recit-sumerien-dinj/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "La Descente d'Inanna aux Enfers: Récit Sumérien d'Injustice." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 23 févr. 2011. Web. 19 avril 2024.

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