Châteaux Japonais

Article

Graham Squires
de , traduit par Hervé Tisserand
publié le 17 novembre 2022
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Disponible dans ces autres langues: anglais

Des fortifications de divers types étaient utilisées au Japon depuis l'Antiquité, mais entre 1576 et 1639, des châteaux ayant un style nouveau et typique furent construits. Plutôt que d'être utilisées pour les combats, ces impressionnantes structures étaient destinées à renforcer le pouvoir et le prestige de la personne qui les avait construites. L'exemple le plus célèbre de ce style architectural est le château de Himeji, dans la préfecture de Hyogo.

Himeji Castle Keep
Donjon du château de Himeji
Adrian Grey (CC BY-NC-SA)

Période des États combattants

La période allant du début de la guerre d'Ōnin en 1467 jusqu'à l'effondrement du bakufu (gouvernement militaire) de Muromachi en 1573 est connue sous le nom de période Sengoku (période des États combattants). Comme son nom l'indique, c'était une période de guerre civile. Lorsque l'autorité centrale s'effondra, de puissantes familles de guerriers s'affrontèrent pour des terres et pour le pouvoir. En japonais, on les appelle sengoku daimyo.

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Au fil du temps, le nombre de sengoku daimyo se réduisit progressivement, les plus prospères détruisant les plus faibles. Pour qu'un daimyo devienne puissant, il devait non seulement disposer d'une bonne armée, mais aussi d'un système administratif bien organisé, capable d'exploiter avec succès les ressources humaines et naturelles placées sous son contrôle. Dans les années 1560, Oda Nobunaga (1534-1582) devint le daimyo le plus puissant du Japon. En 1573, il entra dans Heiankyo (Kyoto) et renversa le bakufu de la période Muromachi.

Oda Nobunaga et le château d'Azuchi

LE CHÂTEAU D'AZUCHI NE RESSEMBLAIT À AUCUNE DES FORTIFICATIONS CONSTRUITES AUPARAVANT AU JAPON ; IL SE TROUVAIT AU SOMMET D'UNE PETITE COLLINE ET ÉTAIT DESTINÉ À SERVIR DE RÉSIDENCE.

Afin de renforcer son pouvoir et son prestige, Nobunaga fit construire un grand château à Azuchi, près des rives du lac Biwa, dans le centre du Japon. La construction dura trois ans et fut achevée en 1579. Le château d'Azuchi ne ressemblait à aucune autre fortification construite auparavant au Japon. Les forteresses l'ayant précédé n'étaient guère plus que des murs de pierre et des palissades. Celles-ci étaient généralement situées sur des sommets isolés et stratégiquement avantageux et n'étaient occupées qu'en temps de guerre. En revanche, le château d'Azuchi était situé au sommet d'une petite colline et était destiné à servir de résidence.

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Le château d'Azuchi présentait plusieurs particularités qui allaient plus tard caractériser tous les châteaux construits à cette époque. Tout d'abord, il possédait des murs massifs de cinq à six mètres d'épaisseur, constitués d'énormes pierres de granit soigneusement assemblées sans l'utilisation de mortier. On peut encore en voir les vestiges aujourd'hui. Ensuite, le bâtiment principal était beaucoup plus haut que dans toutes les fortifications antérieures. En japonais, le bâtiment principal d'un château est appelé tenshu. Ce terme est généralement traduit en français par "donjon" ou "tour principale". Cependant, les tenshu étaient très différents des structures des châteaux européens. À Azuchi, le tenshu était un bâtiment de sept étages en bois dont les murs extérieurs étaient recouverts de plâtre. L'étage supérieur était octogonal. Une série d'avant-toits et de pignons en surplomb protègeaient les murs de la pluie. Il y avait une alternance de pignons arrondis et de pignons pointus, des fenêtres à cuspides, des pendentifs suspendus aux avant-toits et des dauphins ornementaux montés sur le toit tels des charmes contre le feu. L'intérieur comprenait des salles d'audience, des chambres privées, des bureaux et un trésor. Il était somptueusement décoré, avec notamment de peintures du célèbre artiste Kano Eitoku (1543-1590). Malheureusement, les bâtiments du château furent détruits après l'assassinat de Nobunaga en 1582, et les historiens modernes ont beaucoup débattu concernant l'apparence réelle du château d'Azuchi.

Azuchi Castle
Le château d'Azuchi
投稿者がファイル作成 (Public Domain)

Il a souvent été avancé que ce nouveau type de château avait été construit en raison de l'introduction d'armes à feu en provenance d'Europe au Japon au XVIe siècle. Toutefois, cela ne semble pas être le cas. Les armes à feu disponibles à cette époque n'étaient tout simplement pas assez efficaces pour changer la nature de la guerre. Il semble que Nobunaga ait construit le château d'Azuchi principalement pour des raisons politiques, afin d'affirmer sa volonté de devenir le souverain du Japon. Bien que le château ait été doté de fortifications très étendues, celles-ci n'étaient pas vraiment destinées à un usage militaire. Elles avaient pour but de montrer sa puissance. Cet objectif se reflète également dans l'emplacement du château, juste à l'est de Kyoto, à un endroit où se trouvaient trois routes importantes reliant la capitale à l'est du Japon.

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Après la mort de Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), l'un de ses daimyo subordonnés, acheva en grande partie la réunification du Japon. Hideyoshi construisit également un certain nombre de grands châteaux, notamment à Osaka et à Fushimi (Momoyama), près de Kyoto. Hideyoshi mourut en 1598 mais, avant son décès, il nomma un Conseil des Cinq Anciens pour assurer la régence jusqu'à ce que son fils Hideyori, âgé de huit ans, n'atteigne la majorité. Mais rapidement, les membres du conseil se divisèrent en deux groupes. L'un soutenait Hideyori, l'autre un daimyo rival nommé Tokugawa Ieyasu (1543-1616). Des combats éclatèrent en 1600 et Ieyasu sortit victorieux de la bataille de Sekigahara. En 1603, il se fit nommer shogun par l'empereur, ce qui lui permit de mettre en place son propre gouvernement. La période de l'histoire japonaise allant de 1573 à 1600 est appelée l'époque Azuchi-Momoyama. Elle tire son nom des châteaux construits par Oda Nobunaga et Toyotomi Hideyoshi.

Tokugawa Ieyasu et le château d'Edo

La deuxième période de l'histoire de la construction des châteaux japonais commença en 1600 avec la bataille de Sekigahara et se termina en 1615 avec la mort de Toyotomi Hideyori et la destruction du château d'Osaka.

En 1590, alors qu'il était encore subordonné à Hideyoshi, Ieyasu déplaça son quartier général du centre du Japon vers la région du Kanto. Il y entreprit la construction d'un château dans un petit village de pêcheurs appelé Edo (l'actuel Tokyo). Après être devenu shogun, il étendit rapidement la construction et bâtit le plus grand château de l'histoire du Japon. Le château d'Edo n'était pas seulement vaste, il était aussi très élaboré. Le terrain fut divisé en plusieurs citadelles entourées de douves et de grands murs de pierre. Sur ces derniers, plusieurs tours et postes de garde furent construits. Chaque citadelle était accessible par des ponts en bois avec des portes de chaque côté. La circonférence du périmètre extérieur était d'environ 16 kilomètres. La ville d'Edo se développa autour du château. Après le renversement du shogunat Tokugawa en 1868, le château d'Edo devint la résidence de la famille impériale et fut rebaptisé Palais impérial. Le parc du palais impérial actuel ne représente qu'environ un tiers de la superficie du terrain du château d'origine. Ses douves et ses murs de pierre rappellent toutefois l'étendue que devait avoir le château d'Edo.

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Model of Edo Castle during the Tokugawa Period
Maquette du château d'Edo durant la période Tokugawa
Daderot (CC BY-NC-SA)

Outre le château d'Edo, Ieyasu construisit également un certain nombre d'autres châteaux, tels que ceux de Nagoya et de Nijojo à Kyoto. À cette époque, d'autres daimyo bâtirent également des châteaux. Parmi eux, Kato Kiyomasa (1562-1611) qui construisit le château de Kumamoto, Ikeda Terumasu (1565-1613) qui bâtit le château de Himeji et Mori Terumoto (1553-1625) qui construisit le château de Hagi. Des villes développèrent autour des châteaux et les "villes-châteaux"(jokamachi) devinrent l'une des caractéristiques du développement urbain de la période Edo.

Dans les années 1610, Tokugawa Ieyasu prit diverses mesures pour consolider son contrôle sur le pays. Il estimait cependant que la survie de Toyotomi Hideyori constituait une menace. En 1614, il décida de lancer une attaque contre le château d'Osaka afin de le tuer. La campagne initiale fut indécise, mais lors des négociations qui suivirent, Hideyori accepta que les douves extérieures du château soient comblées et qu'une partie des murs soit démantelée en échange de la levée du siège et d'une promesse de paix. L'année suivante, cependant, Ieyasu revint sur son accord et reprit les hostilités. Il détruisit le château et anéantit définitivement le clan Toyotomi. Ce fut la seule fois où l'un de ces grands châteaux fut réellement attaqué.

Fin de la construction des châteaux

AU COURS DE CETTE PÉRIODE, LES SEULES CONSTRUCTIONS DE CHÂTEAUX QUI EURENT LIEU FURENT DES PROJETS MENÉS PAR LE CLAN TOKUGAWA LUI-MÊME.

La dernière période de construction de châteaux dura de 1615 à 1638. Immédiatement après la destruction du château d'Osaka, Ieyasu mit en œuvre un certain nombre de mesures politiques visant à renforcer le contrôle des Tokugawa sur le pays. Certaines d'entre elles eurent un impact direct sur la construction des châteaux. Dès lors, les daimyo n'eurent plus le droit de posséder qu'un seul château sur leur territoire et tous les autres devaient être démantelés. Les châteaux existants ne pouvaient être réparés qu'avec l'approbation des Tokugawa, et il était interdit d'en construire de nouveaux. Cela signifie qu'à cette époque, les seules constructions de châteaux furent des projets menés par le clan Tokugawa lui-même. Ceux-ci concernèrent notamment la reconstruction du château d'Osaka et de la poursuite du développement du château d'Edo, qui fut finalement achevé en 1638.

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Déclin des châteaux

Avec l'avènement de la paix et l'interdiction de toute nouvelle construction, les châteaux connurent un déclin. Au cours de la période Edo, de nombreux daimyo connurent des difficultés financières alors que les châteaux étaient coûteux à entretenir et n'avaient que peu d'utilité. Au fil du temps, les tremblements de terre, l'érosion, la foudre, les typhons et les incendies détruisirent des dizaines de tenshu et des centaines de portes et de tours de guet. En 1657, par exemple, un incendie détruisit le tenshu du château d'Edo. En 1660, la foudre mit le feu à l'entrepôt de poudre à canon du château d'Osaka et le château prit feu. En 1665, la foudre frappa à nouveau et brûla le tenshu. La même chose se produisit au château de Nijojo en 1750 et un incendie touchant toute la ville détruisit de nombreux autres bâtiments en 1788. Lorsque les châteaux étaient ainsi endommagés, ils n'étaient généralement pas reconstruits.

Edo Castle Watchtower
Tour de guet du château d'Edo
jpellgen (CC BY-NC-SA)

Dans les années 1860, un mouvement visant à renverser les Tokugawa et à rétablir un régime impérial direct se développa. Cela provoqua de véritables combats lors de la guerre de Boshin, mais les châteaux n'y jouèrent qu'un rôle mineur. Comme pour le château d'Edo, les défenseurs se rendirent presque toujours sans combattre ou après une brève résistance. Les quelques régions où les châteaux furent sérieusement défendus étaient généralement éloignées du conflit principal et ils ne devaient résister qu'à des forces attaquantes limitées. Malgré cela, certains châteaux furent détruits au cours des combats. Par exemple, le tenshu du château d'Osaka fut incendié après sa reddition.

Les châteaux après la restauration Meiji

Après la restauration Meiji, le système politique des Tokugawa fut aboli, les daimyo perdirent leur position et la propriété de nombreux châteaux fut transférée au nouveau gouvernement central. Les châteaux n’ayant plus aucune fonction, ils en vinrent à être considérés comme le symbole d’une époque révolue et nombre d’entre eux furent démolis ou simplement abandonnés. En 1872, le gouvernement mena une inspection pour déterminer ceux qui méritaient d'être conservés et ceux qui pouvaient être démolis. Le nouveau ministère de l'Armée prit possession d'un certain nombre de châteaux, convaincu qu'ils pourraient à l'avenir être utilisés à des fins militaires. Certains quartiers généraux régimentaires furent installés dans l'enceinte des châteaux. Ce lien avec les châteaux fut utilisé à des fins de propagande car il contribuait à promouvoir l'idée que l'armée japonaise moderne avait directement hérité des traditions guerrières du pays alors que ce n'était pas réellement le cas.

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Main Tower, Osaka Castle
Tour principale du château d'Osaka
Ang Yz (CC BY-NC-SA)

Le temps passant, les personnes nées avant la restauration Meiji s'éteignirent progressivement et la période Edo finit par être considérée comme une période historique sans grande signification politique contemporaine. C'est ainsi que les châteaux en sont venus à être considérés comme un élément important du patrimoine culturel japonais. Les historiens commencèrent à effectuer des recherches à leur sujet et un mouvement se créa pour préserver les châteaux qui subsistaient. Reflétant ce nouvel état d'esprit, en 1931, le tenshu du château d'Osaka fut reconstruit en béton.

Les tenshu des châteaux de Hiroshima et de Nagoya furent détruits pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Cependant, à mesure que l'économie japonaise se redressait dans la période d'après-guerre, on décida de reconstruire davantage de tenshu. De plus, les châteaux, notamment ceux ayant conservé des bâtiments d'origine, sont devenus des sources de fierté locale et des attractions touristiques populaires. Pour les touristes étrangers, aucun voyage au Japon n'est complet sans la visite d'un château. Les plus faciles d'accès sont ceux situés dans les grandes villes, mais les tenshu des châteaux de Nagoya et d'Osaka sont des reconstructions. Il existe douze châteaux avec des tenshu d'origine. Il s'agit de:

  • Maruoka (1576, préfecture de Fukui)
  • Matsumoto (1596, préfecture de Nagano)
  • Inuyama (1601, 1620, préfecture d'Aichi)
  • Hikone (1606, préfecture de Shiga)
  • Himeji (1609, préfecture de Hyogo)
  • Matsue (1611, préfecture de Shimane)
  • Marugame (1660, préfecture de Kagawa)
  • Uwakima (1665, préfecture d'Ehime)
  • Bitchu-Matsuyama (1684, préfecture d'Ehime)
  • Kochi (1747, préfecture de Kochi)
  • Hirosaki (1810, préfecture d'Aomori)
  • Matsuyama (1854, préfecture d'Ehime)

Parmi ceux-ci, Himeji et Matsumoto sont généralement considérés comme les plus impressionnants.

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Questions & Réponses

Quel est le château le plus célèbre du Japon ?

Les châteaux japonais célèbres incluent les châteaux de Nagoya et d'Osaka, mais les tenshu (donjons) sont des reconstructions. Il existe douze châteaux survivants avec des tenshu d'origine ; Himeji et Matsumoto sont généralement considérés comme les plus impressionnants.

Quel était la raison d'être des châteaux japonais ?

Plutôt que d'être utilisés pour les combats, les châteaux japonais étaient des structures impressionnantes destinées à accroître le pouvoir et le prestige de celui qui les bâtissait.

Traducteur

Hervé Tisserand
Né à Lyon mais résidant au Japon depuis plus de 20 ans, je suis passionné d'histoire depuis mon enfance et je pense que connaître le passé est très important pour une meilleure compréhension interculturelle.

Auteur

Graham Squires
Graham Squires est maître de conférences en études japonaises à l'université de Newcastle, en Australie.

Citer cette ressource

Style APA

Squires, G. (2022, novembre 17). Châteaux Japonais [Japanese Castles]. (H. Tisserand, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2112/chateaux-japonais/

Style Chicago

Squires, Graham. "Châteaux Japonais." Traduit par Hervé Tisserand. World History Encyclopedia. modifié le novembre 17, 2022. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2112/chateaux-japonais/.

Style MLA

Squires, Graham. "Châteaux Japonais." Traduit par Hervé Tisserand. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 17 nov. 2022. Web. 01 mai 2024.

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