Les Architectes de la Loi de 1901 sur les Associations

Article

Stephen M Davis
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 18 octobre 2022
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Disponible dans ces autres langues: anglais

La loi sur les associations fut adoptée par le Parlement français le 3 juillet 1901 afin de limiter l'influence des ordres d'enseignement catholiques, première étape vers la séparation formelle de l'Église et de l'État qui suivrait en 1905. Sur 16 904 établissements d'enseignement religieux, près de 14 000 furent fermés.

Separation of the Church and the State
Séparation de l'Église et de l'État
Bibliothèque nationale de France (Public Domain)

La religion après la Révolution française

Une crise religieuse occupa la France pendant dix ans avant l'arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte (1769-1821) qui renversa une grande partie des acquis de la Révolution française (1789-1799). Au dire de tous, Napoléon était un homme sans grands penchants religieux. Il était cependant conscient du fait que la majorité des Français étaient catholiques et il chercha donc à contrôler l'Église à des fins politiques. Une alliance avec l'Église devint une nécessité politique. Le Concordat fut signé en 1801 entre Napoléon et le pape Pie VII (1742-1823) et "devait régir les relations entre la France et la papauté pendant plus d'un siècle" (Walker, 669).

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La loi sur les associations ouvrit la voie à la future loi de séparation de l'Église et de l'État qui mettrait fin au Concordat en 1905.

Après la signature du Concordat, il y eut des périodes où l'Église semblait retrouver sa place influente dans la société française. Des crises diplomatiques, des intrigues et des controverses considérables concernant les relations entre l'Église et l'État eurent également lieu au cours des deux dernières décennies du XIXe siècle. Les conflits entre le Vatican et le gouvernement français durcirent l'opposition envers l'Église et firent le jeu des forces anticléricales qui cherchaient à mettre fin au Concordat de 1801. La loi sur les associations de 1901 ovrit la voie pour la future loi de séparation de l'Église et de l'État qui mettrait fin au Concordat en 1905. Parmi les nombreuses personnes qui jouèrent un rôle dans ce histoire, plusieurs méritent une mention spéciale.

René Waldeck-Rousseau

En 1899, René Waldeck-Rousseau (1846-1904) fut appelé à diriger le gouvernement français en tant que président du Conseil à la suite du chaos politique provoqué par l'affaire Dreyfus. Le gouvernement de Waldeck-Rousseau dura trois ans, au cours desquels il occupa également le poste de ministre de l'Intérieur et des Cultes. Considérant le Concordat napoléonien de 1801 comme un moyen de contrôler le clergé, il soutint les propositions de séparation de l'Église et de l'État. Le 28 octobre 1900, il prononça un discours à Toulouse où il exposa un projet de loi sur les associations qui obligerait les ordres d'enseignement religieux à demander une autorisation pour rester ouverts. Cette proposition de loi concernait les associations culturelles et imposait des restrictions aux ordres d'enseignement religieux.

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René Waldeck-Rousseau
René Waldeck-Rousseau
Fréd. Bodinier (Public Domain)

Dans son discours, Waldeck-Rousseau se décrivit comme un homme sans esprit sectaire. Il fit référence au Concordat de 1801, qui régissait les relations entre l'Église et l'État. Sa principale préoccupation et l'objet de la proposition de loi étaient les ordres religieux enseignants de l'Église catholique. Ces ordres avaient grandi en nombre et en militantisme et, selon lui, risquaient de diviser la France en deux groupes en fournissant une instruction religieuse dans leurs écoles. Un groupe deviendrait plus démocratique, tandis que l'autre resterait sous l'influence du dogme religieux qui avait survécu aux mouvements révolutionnaires et intellectuels du 18e siècle.

Waldeck-Rousseau considérait l'influence croissante de l'Église catholique comme un puissant rival de l'État, une influence qui produisait une situation intolérable contre laquelle toutes les mesures administratives avaient été inefficaces. Il considérait le projet de loi sur les associations comme la solution aux problèmes d'éducation en exigeant l'autorisation des ordres d'enseignement par le gouvernement. Il conclut son discours historique en annonçant que la loi sur les associations serait le point de départ de la plus grande et de la plus libre évolution sociale et, en outre, la garantie indispensable des droits les plus nécessaires de la société moderne. Les ordres religieux ne pouvaient plus s'organiser ni subsister sans l'autorisation de l'État, et les enseignants appartenant à ces ordres n'étaient pas autorisés à diriger des établissements d'enseignement.

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Émile Combes

En juin 1902, Émile Combes (1835-1921) remplaça Waldeck-Rousseau à la présidence du Conseil. Ni le président Émile Loubet ni son secrétaire général Abel Combarieu (1856=1944) ne manifestaient d'enthousiasme pour Combes. Dans des extraits de ses Souvenirs, publiés pour rendre compte de l'atmosphère politique de ces années cruciales de la Troisième République, Combarieu écrit que parmi les politiques essentielles du cabinet de Combes figuraient l'application ferme de la récente loi sur les associations et le maintien du Concordat.

Combes trouva dans les écrits du célèbre poète et romancier Anatole France (1844-1924) une défense de sa stricte application de la loi sur les associations. Anatole France, dans la préface du livre de Combes, Une compagne laïque, évoque l'affaire Dreyfus et l'antisémitisme prétendument orchestré par l'Église catholique. Il décrit l'agitation que provoqua la loi de 1901, la surprise et l'indignation des clercs devant la fermeture des établissements d'enseignement non autorisés, la résistance organisée à la loi en Bretagne, les exhortations de l'Église qui conduisirent à la violence. Les parlementaires affirmèrent que l'Église catholique avait constamment violé le Concordat et avait poussé le parti républicain à ses limites, et lorsque le parti républicain se retourna contre l'Église et demanda des comptes sur les actions de l'Église, celle-ci ne demanda qu'une chose : le maintien du Concordat.

Émile Combes
Emile Combes
Bibliothèque nationale de France (Public Domain)

Les politiques de Combes ne restèrent pas incontestées. Combarieu fut le témoin oculaire des intrigues et des tensions de l'été 1902 produites par l'application de la loi de 1901 et la fermeture des établissements religieux. La nouvelle de l'expulsion des religieuses des couvents non autorisés aurait chagriné le président Émile Loubet et son épouse qui déplorait la tâche entreprise par Combes comme dommageable pour son mari et néfaste pour la France. La politique de Combes, cependant, semblait avoir le soutien d'une majorité au Parlement, et le président se trouvait impuissant à intervenir. Waldeck-Rousseau fit remarquer au président que Combes menait une politique irréfléchie et contraire à ce qui avait été compris au moment de l'adoption de la loi de 1901. Il réaffirma que l'objet de la loi était d'empêcher la multiplication des établissements d'enseignement religieux et ne concernait pas les établissements existants.

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L'opposition à Combes fut renforcée par l'intellectuel juif Bernard Lazare (1865-1903). Dans une lettre datée du 6 août 1902, Lazare exprima son opposition à Combes et aux lois promulguées sous le couvert de la liberté d'enseignement. Il contesta l'exploitation partisane de l'affaire Dreyfus pour démolir les ordres d'enseignement religieux et l'Église. Lazare précisa qu'il ne défendait pas l'Église contre laquelle il s'était battu dans le passé. Pourtant, il refusait d'accepter les dogmes formulés par l'État ou les dogmes de l'Église. Il insista sur une chose - la liberté totale de la raison - qui n'avait pas besoin de la force pour triompher.

Bien qu'Émile Combes ait appliqué sévèrement la loi sur les associations de 1901, il continua à défendre le Concordat, même si la porte était laissée ouverte à son abrogation ultérieure. Son soutien précoce au maintien du Concordat fut évident lors d'un débat en janvier 1903 sur les fonds d'État alloués pour soutenir les églises concordataires selon les termes du Concordat. Il pensait que la suppression de ces fonds destinés aux églises entraînerait la confusion. Combes affirma qu'à son arrivée au pouvoir, il avait promis de soutenir le maintien des dispositions du Concordat. Il avoua que philosophiquement, et dans sa sensibilité politique de gauche, il souhaitait que la libre pensée soutenue par la seule raison puisse conduire les gens tout au long de leur vie, mais il réalisait que ce moment n'était pas encore arrivé. En attendant ce moment, il devait repousser la volonté de la gauche de séparer l'Église et l'État et l'abrogation du Concordat.

Émile Zola

Le dernier roman d'Émile Zola (1840-1902), Vérité, fut publié à titre posthume en 1903. Il y évoque le conflit de l'affaire Dreyfus et la lutte contre les écoles religieuses. Il affirme que Rome est la cause de la souffrance de la nation et de sa division en deux France en guerre l'une contre l'autre. Zola décrit la France comme la dernière des grandes puissances catholiques qui, seules, disposent des hommes, de l'argent et du pouvoir nécessaires pour imposer le catholicisme dans le monde. Il soutient que Rome a choisi la France comme terrain de lutte dans son désir de reconquérir le pouvoir temporel et de lui permettre de réaliser son rêve séculaire de domination universelle. Zola affirme également que sous la politique du pape Léon XIII (1810-1902), la République avait été acceptée pour être envahie par l'Église catholique. Il attribue la faute aux Jésuites et autres ordres enseignants qui, en 30 ans, avaient triplé le nombre d'étudiants et étendu leur influence à tout le pays.

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Émile Zola
Emile Zola
Paul Nadar (Public Domain)

Louis Méjan

Pour certains, la loi sur les associations préfigurait une inévitable séparation de l'Eglise et de l'Etat. Louis Méjan (1874-1955), fils d'un pasteur calviniste, fut l'un des premiers à voir la séparation à l'horizon. Il rapporta des conversations avec des hommes politiques à qui il avait fait part de sa crainte que la loi sur les associations ne conduise à la séparation de l'Église et de l'État. Dans une conversation avec Henri Brisson (1835-1912) en 1902, l'un des fondateurs de la Troisième République, Brisson dit à Méjan : "Avant de pouvoir réaliser la séparation de l'Église et de l'État, il faut que la France vive quarante ans de bonheur" (Bruley, 82). À une autre occasion, lors d'une conversation avec Charles Dumay, directeur des cultes, poste occupé plus tard par Méjan, Dumay estimait que la séparation de l'Église et de l'État serait une folie semblable à celle d'un gouvernement ouvrant les cages de bêtes féroces dans un lieu public pour dévorer la foule. Que la séparation soit une folie ou non, la France ne connaîtrait jamais 40 ans de bonheur et la séparation deviendrait bientôt une réalité.

Alphonse Aulard

L'historien Alphonse Aulard (1849-1928), spécialiste reconnu de la Révolution française, se prononça en faveur d'une séparation nécessaire dans des articles publiés dans La Dépêche de Toulouse en avril 1903. Aulard s'adressait à ceux qui se trouvaient des deux côtés de la question - ceux qui prônaient la séparation et ceux qui soutenaient le maintien du Concordat de 1801. Sur un ton humoristique, il nomma les deux groupes respectivement Tant-Mieux et Tant-Pis pour expliquer les arguments pour et contre la séparation. Tant-Pis accusait Combes de chercher des représailles contre le pape suite à une querelle sur l'interprétation du Concordat dans la nomination des évêques. Tant-Pis soutenait le Concordat afin d'avoir les moyens de contrôler l'Église catholique par un soutien financier. Tant-Pis craignait également qu'une Église libre dans un État libre ne conduise rapidement à l'Église comme maîtresse et l'État comme esclave. Tant-Mieux ne comprenait pas comment l'Église serait plus libre si le clergé ne recevait plus son salaire de l'État et affirmait que sans le soutien de l'État, l'Église n'aurait plus les moyens de faire la guerre à la civilisation moderne. Tant-Mieux ne craignait pas la perte des relations diplomatiques puisque le pape conseillait au clergé de faire de la France une République catholique. Tant-Pis concluait qu'il serait plus facile de maintenir le Concordat. Tant-Mieux répondait que le Concordat était dépassé et qu'il fallait changer le régime en conformité avec les principes de la République française actuelle.

Alphonse Aulard
Alphonse Aulard
Bibliothèque nationale de France (Public Domain)

Lors d'un discours au Vatican pour contrer la position agressive du gouvernement de Combes, le pape Pie X (1835-1914) s'immisca dans le débat en novembre 1903. Il déclara qu'il était de son devoir d'intervenir dans les affaires de pouvoir, de justice et d'équité. Ce devoir s'étendait à la fois à la vie privée et publique, aux questions sociales et politiques, et non seulement à ceux qui obéissaient mais aussi à ceux qui commandaient. En tant que chef suprême de l'Église, le pape souhaitait entretenir de bonnes relations avec les princes et les gouverneurs. Mais il déclara clairement qu'il était nécessaire que l'Église s'occupe de politique et que personne ne pouvait séparer les questions politiques de la foi et de la morale.

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Georges Clemenceau

Le même mois, l'homme d'État Georges Clemenceau (1841-1929) dénonça la tyrannie de l'État laïque et de l'Église catholique. Le contexte était celui du débat sur l'abrogation de la loi Falloux de 1850, promulguée sous la Seconde République. Cette loi profitait à l'Église catholique en lui accordant une plus grande liberté dans l'enseignement primaire et secondaire. Clemenceau qualifia les catholiques de citoyens d'une société romaine engluée dans la société française révolutionnaire et de membres d'une corporation internationale soumise à un souverain étranger. Il reconnaissait également les dangers d'un État laïque et craignait les tendances totalitaires du socialisme. Dans son discours, l'État était décrit en ces termes :

L'État, je le connais bien. Il a une longue histoire de meurtre et de sang. Tous les crimes qui ont eu lieu dans le monde - les massacres, les guerres, les bûchers, les tortures - tous ont été justifiés dans l'intérêt de l'État, pour des raisons d'État. . . . Parce que je suis l'ennemi du roi, de l'empereur et du pape, je suis l'ennemi de l'État tout-puissant, le maître souverain de l'humanité.

(Clemenceau, 42)

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Questions & Réponses

Qu'est-ce que la loi de 1901 sur les associations ?

La loi sur les associations, adoptée par le Parlement français le 3 juillet 1901, limitait l'influence des ordres d'enseignement catholique en France.

Pourquoi la loi de 1901 sur les associations est-elle importante ?

La loi sur les associations de 1901 était le premier pas vers la séparation formelle de l'Église et de l'État qui allait suivre en France en 1905.

Bibliographie

  • Aulard, Alphonse. Polémique et Histoire. Paris: Édouard Cornély, 1904., http://classiques.uqac. ca/classiques/aulard_alphonse/polemique_et_histoire/polemique_et_histoire.html.
  • Bruley, Yves, ed. . 1905, la séparation des Églises et de l’État: Les textes fondateurs. Paris: Éditions Perrin, 2004.
  • Clemenceau, George. "Discours pour la liberté". Cahiers de la Quinzaine, December 1903, 5-56.
  • Combarieu, Abel. Sept ans à l'Élysée avec le président Émile Loubet: De l'affaire Dreyfus à la conférence d'Algésiras, 1899–1906. Paris: Librairie Hachette, 1932.
  • Combes, Émile. Une campagne laïque (1902–1903). Paris: Simonis Empis, 1904.
  • Davis, Stephen M. Rise of French Laicite. Eugene, OR: Pickwick Publications, 2020.
  • Méjan, L. V. La Séparation des Églises et de l’État. Presses Universitaires de France, 1959.
  • Waldeck-Rousseau, Pierre. La défense républicaine. Paris: Bibliothèque-Charpentier, 1902.
  • Williston Walker & Richard A. Norris & David W. Lotz & Robert T. Handy. A History of the Christian Church. New York: Scribner, 1985.
  • Zola, Émile. Vérité. Paris: Bibliothèque-Charpentier, 1903., https://archive.org/details/verite00zola.
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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Stephen M Davis
Docteur Stephen M. Davis est doyen de Grace Church à Philadelphie. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont "Rise of French Laïcité" et "The French Huguenots and Wars of Religion".

Citer cette ressource

Style APA

Davis, S. M. (2022, octobre 18). Les Architectes de la Loi de 1901 sur les Associations [Architects of France's 1901 Law of Associations]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2083/les-architectes-de-la-loi-de-1901-sur-les-associat/

Style Chicago

Davis, Stephen M. "Les Architectes de la Loi de 1901 sur les Associations." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le octobre 18, 2022. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2083/les-architectes-de-la-loi-de-1901-sur-les-associat/.

Style MLA

Davis, Stephen M. "Les Architectes de la Loi de 1901 sur les Associations." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 18 oct. 2022. Web. 24 avril 2024.

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