Deux Récits de la Mort de Zwingli

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 19 janvier 2022
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Disponible dans ces autres langues: anglais

Ulrich Zwingli (1484-1531) mourut en 1531 lors de la deuxième guerre de Kappel, un conflit entre les forces catholiques et protestantes. Par la suite, deux récits de sa mort furent publiés, l'un catholique et l'autre protestant; ils diffèrent dans les détails et sont remarquables en tant qu'exemples du schisme entre les deux groupes causé par la réforme de Zwingli.

Zwingli's Death on the Battlefield of Kappel
Mort de Zwingli sur le champ de bataille de Kappel
August Weckesser (Public Domain)

Zwingli, chef de file de la Réforme protestante en Suisse à l'époque, avait déclenché la première guerre de Kappel et accepté un blocus des provinces catholiques entre 1529 et 1531 dans le but de convertir de force les cantons (provinces) catholiques à sa vision réformée du christianisme. Pour les protestants de Zurich, puis des autres cantons qui se convertirent à sa foi, il était un héros inspiré par Dieu et un champion de la vérité chrétienne, tandis que pour les catholiques, il était un dangereux hérétique. Lorsqu'il fut tué au cours de la deuxième guerre de Kappel, une victoire catholique, les deux récits de sa mort résument succinctement les différences entre les deux confessions.

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Le récit catholique fut écrit par le dramaturge et mercenaire Johannes Salat (mort vers 1561), qui assista à la première et à la deuxième guerre de Kappel et qui aurait pu être un témoin oculaire de l'événement. La version protestante est l'œuvre de l'admirateur de Zwingli et de son successeur à Zurich, Heinrich Bullinger (1504-1575), qui se trouvait encore dans sa ville natale de Bremgarten en 1531 et n'aurait pas pu être témoin des événements qu'il décrit.

Après la deuxième guerre de Kappel, les cantons suisses eurent la liberté de choisir entre le catholicisme et le protestantisme et maintinrent une paix précaire qui ne résolut en rien l'animosité que chaque partie ressentait pour l'autre. Les deux récits de la mort de Zwingli comptent parmi les meilleurs documents de l'époque, exprimant la manière dont chaque camp comprenait ses propres croyances et la façon dont il considérait l'autre.

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Les guerres de Kappel

Les guerres de Kappel furent le résultat d'une tension croissante entre les chrétiens protestants et catholiques de Suisse, qui s'était accrue depuis que Zwingli avait commencé à prêcher pour la réforme de l'Église en 1519. La Réforme protestante, bien qu'elle ait eu des partisans plus anciens, commença en 1517 en Allemagne grâce aux efforts du prêtre et théologien Martin Luther (1483-1546), et en 1519, Zwingli rejetait la liturgie de l'Église et appelait à la réforme en Suisse. En 1522, Zwingli remit en question la pratique traditionnelle du carême et, en 1523, lors d'un débat public, les 67 articles de Zwingli exprimaient les principes de sa foi et dénonçaient les politiques de l'Église comme non bibliques.

Zwingli pensait qu'une Suisse protestante unie représenterait la véritable volonté de Dieu pour l'Église sur terre.

Zurich adopta la vision de Zwingli et, en 1529, un certain nombre d'autres cantons en firent de même. Cinq cantons catholiques refusèrent cependant de renoncer à leur foi et Zwingli, auparavant pacifiste, préconisa la guerre pour les faire changer d'avis. Il pensait qu'une Suisse protestante unie représenterait la véritable volonté de Dieu pour l'Église sur terre et que les catholiques qui refusaient de reconnaître cette volonté se dressaient non seulement contre Zwingli et ses enseignements, mais aussi contre Dieu lui-même. En conséquence, il mobilisa les cantons protestants pour attaquer les catholiques lors de la première guerre de Kappel en 1529.

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Cette guerre se termina avant même d'avoir commencé, lorsqu'une délégation du canton protestant de Berne négocia la paix. Bien que la première paix de Kappel ait mis fin aux hostilités, elle ne fit rien pour résoudre les problèmes sous-jacents et, en outre, elle n'était pas claire sur certains points, notamment sur la manière dont les cantons catholiques devaient accueillir - ou autoriser - les prédicateurs protestants dans leurs régions. Pour accélérer la conversion des catholiques, Zwingli appela une seconde fois à la guerre, mais il fut contraint d'accepter la mesure moins sévère d'un blocus des cantons catholiques en mai 1531.

Bien que le blocus ait été levé plus tard, les catholiques estimèrent qu'ils devaient réagir avant que Zwingli ne suggère une nouvelle tentative, et ils décidèrent donc de marcher sur Zurich en octobre 1531, prenant la ville par surprise. Les protestants étaient en infériorité numérique, mal mobilisés et manquaient d'un leadership fort, ce qui conduisit à leur défaite en moins d'une heure. Zwingli faisait partie des 500 victimes des forces protestantes.

The Battle of Kappel
La bataille de Kappel
Wikipedia (Public Domain)

Salat et Bullinger

Johannes Salat était un dramaturge et historien à temps partiel, cordonnier de métier, qui, comme beaucoup d'hommes en Suisse à l'époque, se mettait au service de diverses causes en tant que mercenaire. Ces mercenaires n'avaient aucune allégeance au roi ou au prince pour lequel ils se battaient, ils n'étaient que des soldats payés, mais ce n'était pas le cas pour les guerres de Kappel. Les troupes catholiques mobilisées pour ces deux batailles comprenaient qu'elles se battaient pour leur liberté de pratiquer leur religion comme elles l'avaient toujours fait et, en outre, elles pensaient avoir Dieu de leur côté puisqu'elles considéraient l'Église catholique comme le véritable représentant de la volonté divine sur terre.

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Des pratiques et des valeurs de longue date furent remises en question, rejetées et réimaginées selon un nouveau paradigme que beaucoup rejetèrent comme étant anti-chrétien.

Salat avait attaqué Zwingli par écrit avant 1531 et s'en prendrait plus tard à Bullinger et à d'autres protestants. Pour Salat, et pour les catholiques en général, ces hommes n'étaient pas des héros à admirer, mais des hérétiques, des antéchrists et des antichrétiens dont les travaux ne visaient qu'à détruire l'Église de Dieu. Pendant des siècles, l'Église avait été considérée comme la seule autorité spirituelle, ordonnée par Jésus-Christ lui-même et fondée par saint Pierre, et les enseignements de l'Église médiévale avaient complètement influencé la société européenne. La rupture avec l'Église était considérée non seulement comme un affront à la famille, à la communauté et aux ancêtres, mais aussi comme un manquement à la loyauté envers le prince et un acte de rébellion contre Dieu.

Une fois le mouvement de la Réforme enclenché, les pratiques, les valeurs et même la structure sociale de longue date furent remises en question, rejetées et réimaginées selon un nouveau paradigme que beaucoup rejetaient comme étant anti-chrétien. L'expert Randolph C. Head commente:

Dans ce contexte, de nombreuses hypothèses médiévales sur la hiérarchie, l'orthodoxie et l'autorité ne s'appliquaient plus, semblait-il à de nombreux contemporains, alors même que les réalités de la différence et de la coexistence religieuses soulevaient de nouveaux problèmes et de nouvelles possibilités... Le plus difficile, peut-être, était les défis à l'autorité que le succès du mouvement évangélique mettait en avant. Ainsi, Zwingli et ses pairs ont justifié leurs prétentions à dire la vérité sacrée en partie en faisant appel à l'autorité de la conscience, des textes et des communautés; en rejetant l'autorité de l'Église existante pour parler définitivement, ils ont développé d'autres idées existantes pour justifier leurs nouveaux mouvements. (Rublack, 179)

Zwingli, comme Luther, prêchait la Bible comme seule autorité spirituelle et dénonçait l'Église comme une entité égoïste plus engagée dans les affaires du monde que dans la cause du salut spirituel. L'insistance de Zwingli sur la primauté de l'interprétation individuelle de la Bible et le rejet de tout enseignement ou pratique non étayé par les Écritures séduisit de nombreux ecclésiastiques et théologiens, dont le jeune pasteur luthérien Heinrich Bullinger.

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Maximilian Simonischek as Zwingli
Maximilian Simonischek dans le rôle de Zwingli
Ascot Elite (Copyright)

Bullinger était un érudit et un théologien qui fut d'abord influencé par les efforts de Luther et les travaux de Philippe Mélanchthon (1497-1560), puis par Zwingli. Il accompagna Zwingli à la dispute de Berne en 1528 et prêcha la vision réformée dans son église de Bremgarten, en Argovie, contestant la politique de l'Église sur les icônes. Il conserva son poste de curé jusqu'à ce que Bremgarten ne devienne catholique après la deuxième guerre de Kappel. Il s'installa alors à Zurich et reprit le poste de Zwingli en tant que prêtre du peuple à la Grossmünster (grande église) de la ville.

Les textes

Comme nous l'avons vu, Salat participa aux deux guerres de Kappel, alors que Bullinger n'y participa pas. Néanmoins, ce ne sont pas les détails de la mort de Zwingli qui donnent leur valeur aux documents, mais ce que les récits révèlent sur la façon dont les catholiques et les protestants se voyaient eux-mêmes et se comprenaient les uns les autres à l'époque. La version de Salat dépeint Zwingli comme un vil fauteur de troubles qui n'avait eu que ce qu'il méritait et avait été tué à juste titre par la volonté divine, tandis que pour Bullinger, Zwingli était un représentant de la "vraie foi du Christ" qui avait été maltraité par ses assassins et plus tard calomnié par ceux qui ne l'avaient jamais connu ou qui l'avaient accusé d'avoir incité aux guerres.

Les textes suivants sont extraits de A Reformation Reader : Primary Texts with Introductions de Denis R. Janz. Les passages ont été divisés en paragraphes distincts et la ponctuation a été modifiée pour plus de clarté.

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Le récit catholique de Salat

Zwingli fut trouvé sur la ligne de front où les forces zurichoises avaient été rassemblées. Il était couché sur son visage, qui n'avait été ni griffé ni blessé. Un soldat catholique, ne sachant pas qui il était, le retourna et le secoua pour qu'il ait de l'air et puisse respirer. Il ouvrit les yeux et regarda autour de lui. On lui demanda alors s'il voulait confesser ses péchés. Il secoua la tête et indiqua qu'il ne voulait pas le faire. C'est alors qu'un autre guerrier, qui se trouvait à proximité, porta à Zwingli un coup mortel sur le cou, sous le menton, à l'aide de son épée.

Plusieurs hommes arrivèrent alors, qui avaient connu Zwingli de son vivant, l'examinèrent et cherchèrent des marques d'identification sur son corps. Ils constatèrent qu'il s'agissait bien de Zwingli. Ils eurent alors beaucoup de choses à dire, se réjouissant de sa mort et l'affublant de nombreux noms tout à fait indécents. Ils remercièrent à plusieurs reprises le Dieu tout-puissant dont la vengeance se trouvait là, dans le sang du mécréant qui avait été le véritable fondateur, l'initiateur, le créateur et l'initiateur de tous leurs maux, calamités et alarmes. Pourtant, Dieu avait gracieusement permis qu'il meure en présence et entouré d'hommes bons et honorables, peut-être parce qu'il avait été prêtre. Il n'aurait pas été étonnant qu'il y ait eu plus de démons auprès de lui à sa fin que de soldats en campagne.

Pendant toute la soirée, les catholiques furent de plus en plus nombreux à venir voir le cadavre de celui qui avait été responsable de plus de mécontentement, de désordre, d'ennuis, de besoins et d'anxiété que tous les princes, les seigneurs, les peuples et les villes. Il gisait là, remis entre leurs mains par l'intermédiaire de Dieu, et il avait payé le prix de sa méchanceté. Il était enfin le représentant de tous les Confédérés et, par la grâce de Dieu, tous ses projets disparurent avec lui. (198)

Le récit protestant de Bullinger

Sur le champ de bataille, non loin de la ligne d'attaque, M. Ulrich Zwingli gisait parmi les morts et les blessés. Pendant que les hommes pillaient... il était encore vivant, couché sur le dos, les mains jointes comme s'il priait, et les yeux tournés vers le ciel. Alors, des gens qui ne le connaissaient pas s'approchèrent et lui demandèrent, puisqu'il était si faible et si proche de la mort (car il était tombé au combat et avait été frappé d'une blessure mortelle), s'il fallait faire venir un prêtre pour entendre sa confession. Zwingli secoua la tête, ne dit rien et leva les yeux au ciel.

Plus tard, ils lui dirent que s'il n'était plus capable de parler ou de se confesser, il devait néanmoins avoir la mère de Dieu dans son cœur et appeler les saints bien-aimés à implorer la grâce de Dieu en sa faveur. Zwingli secoua à nouveau la tête et continua à regarder le ciel. Les catholiques s'impatientèrent, le maudirent et dirent qu'il faisait partie des hérétiques obstinés et acariâtres et qu'il n'avait que ce qu'il méritait. C'est alors qu'apparut le capitaine Fockinger d'Unterwalden qui, exaspéré, tira son épée et donna à Zwingli un coup dont il mourut aussitôt.

C'est ainsi que le célèbre M. Ulrich Zwingli, véritable ministre et serviteur des églises de Zurich, se retrouva blessé sur le champ de bataille avec son troupeau (avec lequel il resta jusqu'à sa mort). Là, à cause de sa confession de la vraie foi en Christ, notre seul sauveur, médiateur et avocat de tous les croyants, il fut tué par un capitaine, l'un de ceux contre lesquels il avait toujours prêché avec tant d'éloquence...

La foule répandit alors [le 12 octobre] dans tout le camp que quiconque voulait dénoncer Zwingli comme hérétique et traître à une pieuse confédération devait venir sur le champ de bataille. Là, avec un grand mépris, ils établirent un tribunal d'injustice sur Zwingli qui décida que son corps serait écartelé et que les morceaux seraient brûlés. Le bourreau de Lucerne exécuta cette décision avec une abondance d'injures; il déclara notamment que, bien que certains aient affirmé que Zwingli était un homme malade, il n'avait jamais vu un corps d'apparence plus saine.

Ils jetèrent dans le feu les entrailles de quelques porcs qui avaient été abattus la nuit précédente, puis ils retournèrent les braises de manière à ce que les abats du porc soient mélangés aux cendres de Zwingli. Cela se passa près de la route principale de Scheuren. Les jugements portés sur Zwingli par les érudits et les ignorants furent variés. Tous ceux qui l'avaient connu ne tarissaient pas d'éloges à son sujet. Mais il y en avait encore d'autres qui le critiquaient, soit parce qu'ils ne le connaissaient pas vraiment, soit parce que, s'ils l'avaient un peu connu, ils étaient déterminés à manifester leur ressentiment et à dire du mal de lui. (199)

The Murder of Zwingli
Le meurtre de Zwingli
Karl Jauslin (Public Domain)

Conclusion

Après la deuxième guerre de Kappel, Salat écrivit des tracts et des pamphlets attaquant Bullinger, qui lui répondit en retour. On sait peu de choses de la vie de Salat après 1540, et même la date de sa mort a été contestée, mais la vie de Bullinger fut bien documentée alors qu'il devenait le successeur de Zwingli, le défendant contre les détracteurs qui le rendaient responsable de cette guerre coûteuse. La source du récit de Bullinger sur la mort de Zwingli est inconnue, mais l'ouvrage s'inscrit dans sa défense ultérieure de Zwingli en tant que visionnaire appelé par Dieu à illuminer le peuple à une époque de ténèbres. Ces ténèbres, bien sûr, étaient considérées comme la lumière du salut par les catholiques, et le compromis entre les deux visions du christianisme était donc difficile, voire impossible.

Bullinger adopta une position plus modérée que Zwingli, rédigea les Confessions helvétiques, qui servirent à l'Église réformée de Suisse que Zwingli avait fondée, ainsi qu'à d'autres, et servit de pont entre les efforts de réforme radicale de Zwingli et la théologie pleinement développée de Jean Calvin (1509-1564), qui allait achever la Réforme suisse et systématiser la Réforme dans son ensemble. Malgré cela, la modération de Bullinger et la justification théologique de Calvin ne réussirent pas à réconcilier les différentes sectes chrétiennes.

Le récit de Salat représente le point de vue des traditionalistes qui rejetaient l'appel au changement de la Réforme et considéraient Zwingli comme un collaborateur de Satan, tandis que le récit de Bullinger le présente comme un martyr mort au service de la vraie foi. Ces points de vue opposés sur les réformateurs comme Zwingli, ainsi que sur les visions respectives du christianisme, perdureraient longtemps après la deuxième guerre de Kappel et seraient en partie à l'origine de la guerre de Trente Ans (1618-1648), l'un des conflits les plus destructeurs et les plus coûteux de l'histoire de l'Europe.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2022, janvier 19). Deux Récits de la Mort de Zwingli [Two Accounts of Zwingli's Death]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1928/deux-recits-de-la-mort-de-zwingli/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Deux Récits de la Mort de Zwingli." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le janvier 19, 2022. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1928/deux-recits-de-la-mort-de-zwingli/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Deux Récits de la Mort de Zwingli." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 19 janv. 2022. Web. 01 mai 2024.

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