
John Tyler (1790-1862) était un avocat et homme politique américain qui fut le dixième président des États-Unis. Sa présidence fut mouvementée: initialement élu vice-président, il entra en fonction après la mort de son prédécesseur, William Henry Harrison (1773-1841), ce qui conduisit ses adversaires politiques à le surnommer "His Accidency" (Son Accidence). Après avoir opposé son veto à deux projets de loi visant à créer une banque nationale, il fut exclu du parti whig, ce qui l'isola politiquement. Dans l'espoir de sauver sa popularité déclinante, il orienta son administration vers l'annexion du Texas, ce qui fut finalement réalisé en 1845. Après son unique mandat, il soutint le Sud pendant la crise qui précéda la guerre de Sécession (1861-1865). Lorsque la Virginie vota la sécession de l'Union, Tyler fut élu au Congrès confédéré, mais il n'avait pas encore pris son siège lorsqu'il mourut en janvier 1862.
Jeunesse et carrière
John Tyler vit le jour le 29 mars 1790 à Greenway Plantation, un domaine de 1 200 acres construit par son père dans le comté de Charles City, en Virginie. Il était issu d'une famille riche et esclavagiste dont les origines remontaient à la première colonie anglaise de Virginie. Son père, John Tyler Sr, était un important planteur et un fonctionnaire public; ami et collègue de Thomas Jefferson (1743-1826), l'aîné des Tyler avait été président de la Chambre des délégués de Virginie dans les années 1780 et deviendrait plus tard gouverneur de Virginie de 1808 à 1811. Sa mère, Mary Marot Armistead Tyler, était elle aussi issue d'une riche famille virginienne; elle mourut tragiquement d'une attaque cérébrale en 1797, alors que Tyler n'avait que 7 ans. Ayant grandi dans la plantation avec ses deux frères et ses cinq sœurs, Tyler était un enfant maladif, maigrelet et sujet à la diarrhée. À l'âge de 12 ans, il entra au College of William and Mary. Il obtint son diplôme en 1807, après quoi il commença à étudier le droit sous la supervision de son père. En 1809, il fut admis au barreau de Virginie; n'ayant que 19 ans, il était techniquement trop jeune pour y être admis, mais le juge chargé de l'admission n'en tint pas compte.
En décembre 1811, Tyler suivit les traces de son père lorsqu'il fut élu à la Chambre des délégués de Virginie, entamant le premier de ses cinq mandats consécutifs d'un an. À la fin de son premier mandat, il commença à développer certaines des convictions politiques qu'il conserverait tout au long de sa carrière, telles que son soutien résolu aux droits des États et son aversion pour les banques nationales. Il soutint la guerre de 1812 (1812-1815) contre le Royaume-Uni et leva même une compagnie de miliciens, les Charles City Rifles, pour défendre Richmond en cas d'attaque britannique; en 1813, lorsqu'il devint évident qu'aucune attaque n'était prévue, la compagnie fut dissoute. L'année 1813 fut marquée par deux événements majeurs dans la vie personnelle de Tyler. Le premier fut la mort de son père, le 6 janvier, à la suite de laquelle il hérita de la plantation Greenway ainsi que de treize esclaves afro-américains. Le second fut son mariage avec Letitia Christian, le 29 mars. Les parents de Letitia étaient décédés peu de temps avant le mariage, laissant au couple de jeunes mariés d'importants héritages des deux côtés de la famille. Le mariage donnerait naissance à neuf enfants, dont sept survivraient à l'enfance.
En 1816, Tyler remporta une élection pour occuper un siège vacant à la Chambre des représentants des États-Unis. Au Congrès, nombre de ses positions étaient guidées par une interprétation constructionniste stricte de la Constitution américaine. Par exemple, il s'opposa à l'affectation de fonds fédéraux à des projets d'amélioration interne tels que des ports, des canaux et des routes, car il estimait que le gouvernement fédéral n'avait pas le pouvoir d'approuver de tels projets. De même, il s'opposa à la deuxième banque des États-Unis, qu'il considérait comme une institution corrompue ayant trop de pouvoir. En 1818, il se joignit à plusieurs de ses collègues pour dénoncer le général Andrew Jackson (1767-1845) pour ses actions en Floride espagnole, notamment l'exécution illégale de deux sujets britanniques - bien que Tyler ait admis qu'il admirait le caractère de Jackson, il ne pouvait cautionner de telles actions. En 1820, Tyler vota à contrecœur en faveur du Compromis du Missouri, qui admit le Missouri dans l'Union en tant qu'"État esclavagiste" en échange de l'entrée du Maine en tant qu'"État libre" ainsi que de l'interdiction de l'esclavage au nord du 36°30′ parallèle. Il regretterait plus tard d'avoir voté en faveur de ce compromis, estimant qu'il n'avait fait qu'attiser le clivage entre le Nord et le Sud sur la question de l'esclavage.
Opposition à Jackson
En 1821, Tyler ne se représenta pas aux élections législatives, invoquant sa mauvaise santé. Il retourna en Virginie, mais ne put se tenir trop longtemps loin de la vie publique. En 1823, il redevint membre de la Chambre des délégués de Virginie et, en 1825, il fut élu gouverneur de Virginie pour deux mandats d'un an. En octobre 1829, il participa à une convention visant à réviser la constitution de l'État, votant contre un grand nombre des changements démocratiques proposés qui auraient enlevé du pouvoir à l'élite de l'Est; la constitution révisée de l'État, ratifiée en 1830, n'inclut aucune des réformes auxquelles Tyler et son bloc de vote s'étaient opposés. En 1827, Tyler fut renvoyé à Washington, cette fois en tant que sénateur américain. Il soutint à contrecœur la campagne présidentielle d'Andrew Jackson en 1828, espérant que ce dernier ne dépenserait pas autant d'argent fédéral pour les améliorations internes que son adversaire, le président sortant John Quincy Adams (1767-1848), l'avait déjà fait. "En me tournant vers lui", déclara Tyler à propos de Jackson, "je peux au moins me laisser aller à l'espoir; en regardant Adams, je dois désespérer" (cité dans Crapol, 41). Jackson, cependant, allait donner à Tyler de nombreuses raisons de désespérer. Après sa victoire aux élections, Jackson récompensa nombre de ses amis et partisans en leur attribuant des postes; Tyler condamna le système de favoritisme politique du nouveau président en le qualifiant d'"arme électorale" et vota contre la plupart des nominations de Jackson.
Tyler s'éloigna encore plus de Jackson en raison de sa gestion de la crise de la nulllification (1832-33). Cette crise débuta lorsque l'État de Caroline du Sud fit valoir son droit de déclarer une loi fédérale - en l'occurrence l'impopulaire "Tariff of Abominations" (tarif dit des Abominations) - nulle et non avenue à l'intérieur de ses propres frontières. Jackson répondit à la menace de nullification en signant le Force Bill, qui autorisait le gouvernement fédéral à recourir à l'action militaire pour faire respecter ses lois, ce qui fit faire marche arrière aux nullifieurs de Caroline du Sud. Tyler, partisan des droits des États, se rangea du côté de la Caroline du Sud et fut le seul sénateur américain à voter contre le Force Bill. Il s'opposa également à la "guerre des banques", au cours de laquelle l'administration Jackson tenta de mettre fin aux activités de la deuxième banque des États-Unis (BUS). Bien qu'il n'ait certainement pas aimé la banque nationale, Tyler considérait le plan de Jackson visant à transférer des fonds fédéraux de la BUS vers des banques d'État comme un abus de pouvoir de la part de la branche exécutive. En 1834, il rompit définitivement avec le parti démocrate de Jackson en votant pour des résolutions de censure à l'encontre du président. Ce faisant, il se rallia au parti whig, une vague coalition d'éléments anti-Jacksoniens au sein du gouvernement, centrée sur le leadership de Henry Clay (1777-1852).
En 1835, les démocrates prirent le contrôle de la législature de Virginie. Ils adoptèrent une motion exigeant que Tyler annule son vote en faveur de la censure de Jackson. Plutôt que d'acquiescer, Tyler démissionna du Sénat américain en mars 1836, ce qui renforça sa notoriété au sein du parti whig. Cela lui permit de se présenter à la vice-présidence cette année-là en tant que colistier du candidat whig Hugh L. White. Les Whigs n'étaient cependant pas encore un parti unifié et présentèrent quatre candidats distincts lors de l'élection présidentielle américaine de 1836. En partie à cause de cette désunion, ils perdirent l'élection face au candidat démocrate Martin Van Buren (1782-1862), vice-président de Jackson et successeur trié sur le volet. Mais peu après l'entrée en fonction de Van Buren, la nation fut frappée par une dépression économique connue sous le nom de "panique de 1837". Les Whigs profitèrent de l'occasion pour accuser les démocrates d'être responsables de la crise, un message qui trouva un écho auprès des électeurs. En décembre 1839, Tyler fut à nouveau choisi comme candidat à la vice-présidence du parti, dans l'espoir qu'il séduise les électeurs du Sud. Cette fois, Tyler avait pour co-listier William Henry Harrison, un héros de guerre célébré pour sa victoire à la bataille de Tippecanoe (7 novembre 1811). Ayant suscité l'enthousiasme des électeurs avec des défilés aux flambeaux, des discours éblouissants et des chansons de campagne mémorables - dont la célèbre "Tippecanoe and Tyler Too !" - Harrison remporta facilement les élections de 1840, les Whigs obtenant la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat.
Présidence
Le 4 mars 1841, Harrison prononça son discours d'investiture, parlant pendant près de deux heures dans le froid et sans manteau. Les semaines suivantes furent consacrées à des rencontres avec une pléthore de candidats à des postes au sein de l'administration et d'hommes politiques whigs. Épuisé et surmené, Harrison tomba malade, atteint d'une pneumonie, et mourut le 4 avril, un mois exactement après son entrée en fonction. Comme aucun président américain n'était mort dans l'exercice de ses fonctions auparavant, cela déclencha une sorte de crise constitutionnelle. La Constitution stipule qu'en cas de décès, de démission ou d'incapacité du président, les "pouvoirs et devoirs" de cette fonction reviennent au vice-président - ce qui n'est pas clair, c'est si le vice-président accède à la présidence dans cette situation ou s'il reste simplement "président par intérim". Après que les membres du cabinet de Harrison eurent tenté de lui refuser cette fonction, Tyler insista sur le fait qu'il était président de plein droit, s'installa à la Maison Blanche et prêta serment le 6 avril 1841. Tyler devint ainsi le dixième président des États-Unis, bien que sa légitimité ait constamment été remise en question par ses opposants politiques, qui l'appellaient "Son Accidence". Néanmoins, la question de la succession était résolue: il était désormais admis qu'un vice-président succède à un président frappé d'incapacité, procédure qui serait finalement codifiée en 1967, avec le 25e amendement.
Au début de sa présidence, Tyler était donc déjà sur la corde raide et ne tarda pas à se faire encore plus d'ennemis. Henry Clay, le chef du parti whig, avait espéré contrôler dans l'ombre l'administration Harrison, afin de pouvoir enfin mettre en œuvre son Système américain, un plan économique qui s'appuyait sur des améliorations internes et des banques nationales. Tyler, bien sûr, détestait ces deux institutions et n'était pas prêt à se laisser contrôler par Clay. Aussi, lorsque le Congrès adopta un projet de loi visant à relancer la Banque des États-Unis, il y opposa son veto. Après avoir surmonté le choc initial de voir leur propre président opposer son veto à un projet de loi aussi important pour le programme de leur parti, les Whigs du Congrès élaborèrent un second projet de loi qui, selon eux, serait plus acceptable pour Tyler. Cette fois, le président attendit dix jours avant d'opposer à nouveau son veto au projet de loi, réduisant ainsi à néant ses chances d'être adopté. Furieux, Clay encouragea chacun des secrétaires du cabinet de Tyler à démissionner, espérant ainsi faire pression sur Tyler en personne afin qu'il démissionne. À l'exception du secrétaire d'État Daniel Webster (1782-1852), qui négociait un accord important avec le Royaume-Uni, les membres du cabinet whig de Tyler entrèrent dans son bureau l'un après l'autre pour présenter leur démission. Tyler resta cependant sur ses positions et refusa de démissionner. Le 13 septembre 1841, les Whigs l'expulsèrent de leur parti. Ce serait la seule fois dans toute l'histoire des États-Unis qu'un président serait chassé de son propre parti.
Désormais isolée politiquement, la présidence de Tyler semblait sur le point de s'éteindre. En juillet 1842, la Chambre des représentants entama une procédure de destitution au motif que Tyler avait outrepassé son autorité en faisant un usage excessif de son droit de veto. Pour ne rien arranger, la première dame, Letitia Tyler, mourut d'une attaque cérébrale le 10 septembre 1842, ce qui isola également le président dans sa vie privée. Mais Tyler n'était pas prêt à s'avouer vaincu. En 1842, son administration remporta plusieurs succès importants: grâce aux efforts de Webster, elle régla le différend frontalier entre le Maine et le Canada par le traité Webster-Ashburton (1842), elle étouffa sans effusion de sang la rébellion Dorr au Rhode Island (1842) et elle mit fin à la deuxième guerre séminole (1835-1842) en Floride. Malgré ces réalisations, Tyler resta ostracisé à Washington. Il savait que s'il voulait sauver sa présidence - et peut-être ouvrir la voie à une candidature victorieuse en 1844 - il devait remporter une victoire politique majeure. Il décida de se concentrer sur l'annexion du Texas.
Lors de la révolution de 1835-1836, le Texas avait déclaré son indépendance vis-à-vis du Mexique. Cependant, de nombreux Texans souhaitaient rejoindre les États-Unis, un désir partagé par de nombreux démocrates du Sud, qui voyaient dans l'acquisition du Texas un moyen d'étendre l'institution de l'esclavage. En 1843, Tyler poussa le secrétaire d'État Webster, un fervent opposant à l'annexion, à la démission et le remplaça par le plus sympathique Abel P. Upshur. Ensemble, Tyler et Upshur ouvrirent discrètement des négociations avec le Texas, promettant une protection militaire contre le Mexique en échange du lancement du processus d'annexion. Entre-temps, Upshur commença à faire courir le bruit que la Grande-Bretagne avait des vues sur le Texas, dans l'espoir de transformer le sentiment anti-britannique en soutien à l'admission du Texas dans l'Union. Le 27 février 1844, un traité d'annexion fut finalement conclu. Le lendemain, Tyler, Upshur et 400 invités célébrèrent ce traité lors d'une croisière sur le Potomac à bord du tout nouveau USS Princeton. Dans la soirée, l'un des gigantesques canons du navire - surnommé "le Pacificateur" - explosa, tuant six personnes, dont Upshur, le secrétaire à la marine Thomas Walker Gilmer et le serviteur de Tyler, Armistead, et en blessant plusieurs autres. Le président, lui, qui se trouvait sous le pont lors de l'explosion, en sortit indemne.
Pour faciliter l'adoption du traité d'annexion par le Congrès, Tyler remplaça Upshur par John C. Calhoun (1782-1850), connu pour son soutien aux droits des États et à l'expansion de l'esclavage. L'implication de Calhoun conduisit de nombreux Américains à associer l'admission du Texas dans l'Union à l'esclavage, ce qui conduisit le Congrès à rejeter le traité d'annexion en juin 1844. Battu une nouvelle fois et rejeté par les partis whig et démocrate, Tyler décida de se retirer de la course à la présidence en août 1844, le fait que ses partisans aient fondé un troisième parti, le Tyler Party, n'ayant guère contribué à améliorer ses chances. En février 1845, pendant la période de vacance de sa présidence, le Congrès adopta une résolution commune visant à annexer le Texas, que Tyler signa quelques jours seulement avant de quitter ses fonctions en mars. Le Texas entrerait finalement dans l'Union en tant que 28e État le 29 décembre 1845, ce qui constituerait une cause majeure de la guerre américano-mexicaine (1846-1848).
L'après-présidence
Après avoir quitté Washington, Tyler retourna dans sa plantation de Walnut Grove, en Virginie, avec sa nouvelle épouse. En juin 1844, il avait épousé la belle Julia Gardener, la fille de 24 ans d'un membre du Congrès tué dans l'explosion du Princeton. Le couple aurait sept enfants. Depuis sa retraite, Tyler suivait la politique nationale, commentant fréquemment la division croissante entre les "États esclavagistes" du Sud et les "États libres" du Nord; Tyler soutint les États du Sud et se prononça en faveur de l'expansion de l'institution de l'esclavage dans l'Ouest. Il soutint le compromis de 1850 et la loi Kansas-Nebraska de 1854, ainsi que la décision Dred Scott de 1857. Après la victoire d'Abraham Lincoln (1809-1865) aux élections présidentielles américaines de 1860, la Caroline du Sud fit sécession de l'Union, et de nombreux autres États du Sud menacèrent de faire de même. Tout en espérant que l'Union puisse être préservée, Tyler estimait que la sécession était préférable à toute violation des droits des États (ce qui signifiait, bien entendu, l'esclavage).
En février 1861, Tyler fut élu président de la Conférence de paix de Washington, une réunion de 131 hommes politiques américains de premier plan qui espéraient désamorcer le conflit et éviter la guerre civile en parvenant à un compromis. Bien qu'il ait accepté de jouer un rôle de premier plan à la conférence, Tyler ne semblait pas disposé à parvenir à un accord et rejeta finalement les résolutions finales de la conférence. Le même mois, Tyler fut élu pour superviser la convention de sécession de la Virginie. Le 17 avril, après l'attaque de Fort Sumter qui donna le coup d'envoi de la guerre civile américaine, Tyler vota avec la majorité pour la sécession de l'Union. Il participa à la négociation des conditions d'entrée de la Virginie dans les États confédérés d'Amérique et, en juin, il fut élu au Congrès confédéré provisoire. Il n'avait pas encore pris place à la Chambre des représentants confédérés lorsque, le 12 janvier 1862, il s'évanouit après s'être plaint de vertiges. Il mourut moins d'une semaine plus tard, le 18 janvier 1862, à l'âge de 71 ans.