
La Confession d'Augsbourg est la profession de foi de l'Église luthérienne, écrite par Philippe Mélanchthon (1497-1560) et présentée à la Diète d'Augsbourg le 25 juin 1530. Le document tentait de concilier les différents entre les Luthériens et l'Église catholique en 28 articles: 21 énonçant les principes de la foi luthérienne, et 7 rejetant les enseignements catholiques.
Mélanchthon était l'ami et le bras droit du réformateur Martin Luther (1483-1546), initiateur de la Réforme protestante en 1517. Les 95 thèses de Luther, initialement destinées à discuter des abus liés à la vente des indulgences, encouragèrent le rejet généralisé de l'autorité ecclésiastique en Allemagne, et après leur traduction et leur publication, dans d'autres régions. Après son apparition spectaculaire à la Diète de Worms en 1521, Luther fut déclaré hors-la-loi, mais le système de croyances qu'il avait fondé fut finalement reconnu à contrecœur par la hiérarchie catholique en 1530, puisqu’elle n’avait pas réussi à le réduire au silence.
À la même époque, vers 1521-1530, Ulrich Zwingli (1484-1531) avait instauré la Réforme en Suisse, provoquant de nouvelles divisions. En 1530, Charles Quint, empereur du Saint-Empire romain germanique (règne 1519-1556), convoqua une assemblée à Augsbourg pour traiter le problème de la désunion des Chrétiens car il craignait une invasion de la région par les Turcs ottomans et avait besoin de l'union de ses sujets contre eux. Mélanchthon rédigea la Confession d'Augsbourg (en latin et en allemand) afin de clarifier les croyances luthériennes, notamment le rejet par Luther de certains principes catholiques, en termes acceptables pour les deux parties.
Le document fut approuvé par les princes protestants présents, mais rejeté par Charles Quint et l'Église catholique avec leur Réfutation Pontificale de la Confession d'Augsbourg. Malgré cela, la Confession et les autres documents qui s'y rapportaient devinrent l'affirmation centrale du mouvement luthérien, finalement reconnu comme entité religieuse légitime lors de la paix d'Augsbourg en 1555. La Confession d'Augsbourg devint un point de ralliement pour les princes luthériens d'Allemagne, inspira la création d'autres confessions de foi, et elle demeure aujourd'hui l'affirmation de l'Église luthérienne.
Réforme, Division, & Diète d'Augsbourg
L'Église catholique romaine était la seule autorité chrétienne en Europe avant la Réforme protestante, et les tentatives antérieures de réforme avaient toujours été réduites au silence le plus rapidement possible. Luther put éviter de subir le même sort grâce à la protection de puissants nobles, notamment Frédéric III de Saxe, le Sage (1463-1525), et à son utilisation efficace de l'imprimerie pour diffuser ses convictions et ses critiques de la politique de l'Église. En Suisse, Zwingli réussit à faire de même grâce au soutien du conseil municipal de Zurich et à son habile manipulation de la presse. En conséquence, il n'existait plus en 1530 d'Église chrétienne unique et unifiée en Europe, mais plutôt des sectes fragmentées luttant pour établir leur propre vision du Christianisme.
Les Catholiques continuèrent de persécuter les membres de ces différentes sectes, les qualifiant d'hérétiques, tandis qu'elles-mêmes se disputaient entre elles. Le mouvement de Zwingli avait encouragé la secte anabaptiste, plus radicale, qu'il condamna ensuite. Les Anabaptistes furent alors persécutés par les Protestants et les Catholiques, alors même que ces deux partis s'affrontaient, parfois lors de conflits armés comme les guerres de Kappel (Suisse alémanique). La secte luthérienne peinait aussi à former un front uni, plusieurs membres se séparant de Luther sur l'interprétation des Écritures et les pratiques liturgiques.
Charles Quint, catholique, comprit que la situation avait déjà largement échappé à tout contrôle et que tout espoir de faire taire les réformateurs était perdu. Il mit de côté ses sentiments personnels à l’égard des Protestants pour protéger son territoire d'une invasion des Turcs ottomans et envoya dans tout le pays des invitations pour une assemblée de la Diète impériale à Augsbourg, devant se tenir en avril 1530.
Luther et ses collègues furent méfiants de ces invitations, pensant que Charles Quint préparait une sorte de piège, mais ils furent encouragés à s’y rendre par l'Électeur (un noble qui élisait l'empereur du Saint-Empire romain germanique) Jean 1er de Saxe, qui pensait que les soucis d'unité de l'empereur étaient légitimes et qu’il fallait y répondre. Luther, Mélanchthon et deux autres réformateurs, Johannes Bugenhagen (1485-1558) et Justus Jonas (1493-1555), rencontrèrent Jean de Saxe à Torgau (Allemagne) où ils rédigèrent la première ébauche de la Confession (les Articles de Torgau), puis l'entourage continua jusqu'à Cobourg où Luther resta, car hors-la-loi depuis la Diète de Worms, il aurait pu être arrêté à Augsbourg.
Mélanchthon révisa les Articles de Torgau lors du voyage vers le sud, pour Augsbourg, et en renvoya une copie à Luther, qui l'approuva. Il révisa ensuite le document grâce aux contributions de Jonas et d'autres. La délégation remit la Confession à Charles Quint le 25 juin, et elle fut lue à voix haute en allemand. Charles Quint et la délégation catholique avaient pris des mesures pour limiter le public susceptible d'entendre le document en déplaçant la réunion du grand Hôtel de Ville à une petite chapelle. Le chancelier saxon et avocat protestant Christian Beyer (1482-1535) lut cependant la Confession à voix haute et l'énonça clairement afin qu'avec les fenêtres ouvertes en raison de la chaleur, chaque mot puisse être entendu par la foule rassemblée à l'extérieur.
Confession d'Augsbourg & Autres
Le début de la Confession abordait la conception luthérienne de la nature de Dieu, que Mélanchthon avait soigneusement rédigée pour qu'elle soit acceptable par la délégation catholique et Charles Quint. Il avait préparé deux documents, l'un en latin et l'autre en allemand, car Charles Quint ne parlait pas allemand. Mélanchthon centra l'article Ier de la Confession sur les croyances similaires des Luthériens et des Catholiques, comme la croyance au Credo de Nicée, citant l‘usage identique par les Luthériens et les Pères de l'Église du terme "Personne", et énumérant les mêmes groupes considérés comme ennemis de la foi par les deux partis. L'article Ier déclare ainsi:
Nos Églises, d'un commun accord, enseignent que le décret du Concile de Nicée concernant l'Unicité de l'Être Divin et les Trois Personnes (la Trinité) est vrai, et doit être cru sans aucun doute. Autrement dit, il existe un seul Être Divin qui est appelé et qui est véritablement Dieu; éternel, sans corps, indivisible, d'une puissance, d'une sagesse et d'une bonté infinies, Créateur et Conservateur de toutes choses, visibles et invisibles. Et cependant, il existe trois Personnes, de même essence et de même puissance, également coéternelles: le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et ils emploient le terme « personne » comme le firent les Pères, pour signifier non pas une partie ou une qualité dans une autre, mais comme ce qui subsiste de lui-même. Nous condamnons toutes les hérésies qui s’élevèrent contre cet article, comme les Manichéens, qui supposaient deux principes, le Bien et le Mal, de même que les Valentiniens, les Ariens, les Eunomiens, les Musulmans, et autres. Nous condamnons également les Samosatéens, anciens et nouveaux, qui, soutenant qu'il n'y a qu'une seule Personne, prétendent de manière sophistique et impie que le Verbe et le Saint-Esprit ne sont pas des Personnes distinctes, mais que « Verbe » signifie une parole prononcée, et « Esprit » le mouvement dans les créatures.
L'ensemble de la Confession d'Augsbourg fut rédigé pour aborder tous les aspects de la foi luthérienne, et, Mélanchthon l'espérait, pour être acceptable tant par les Protestants que par les Catholiques, même s'il était déjà entendu que Charles Quint et la délégation catholique la rejetteraient presque certainement. L'ensemble du document comprend 28 articles, répartis entre 21 thèses sur la foi luthérienne, et 7 antithèses critiquant la doctrine catholique :
Art. I. De Dieu
Art. II. Du Péché Originel
Art. III. Du Fils de Dieu
Art. IV. De la Justification
Art. V. Du Ministère
Art. VI. De la Nouvelle Obéissance
Art. VII. De l'Église
Art. VIII. Ce qu'est l'Église
Art. IX. Du Baptême
Art. X. De la Cène
Art. XI. De la Confession
Art. XII. De la Repentance
Art. XIII. De l'Usage des Sacrements
Art. XIV. De l'Ordre Ecclésiastique
Art. XV. Des Rites Ecclésiastiques
Art. XVI. Des Affaires Civiles
Art. XVII. Du Retour du Christ pour le Jugement
Art. XVIII. Du Libre Arbitre
Art. XIX. De l’Origine du Péché
Art. XX. Des Bonnes Œuvres
Art. XXI. Du Culte des Saints
Art. XXII. Des Deux Espèces dans le Sacrement
Art. XXIII. Du Mariage des Prêtres
Art. XXIV. De la Messe
Art. XXV. De la Confession
Art. XXVI. De la Distinction des Aliments
Art. XXVII. Des Vœux Monastiques
Art. XXVIII. Du Pouvoir Ecclésiastique
L'article XXII initia la critique et le rejet des principes catholiques. Mélanchthon ajouta une conclusion dans laquelle il invitait à la contribution et à la discussion des articles, déclarant: « Si quelqu'un souhaitait quelque chose dans cette Confession, nous serions prêts, si Dieu le veut, à présenter plus amples informations, conformément aux Écritures.» Les copies allemande et latine de la Confession furent acceptées par Charles Quint et la Diète après la lecture du document.
D'autres confessions furent également présentées à Charles Quint à Augsbourg, telles que la Confession Tétrapolitaine (ou Confession de Strasbourg), rédigée par les réformateurs Martin Bucer (1491-1551) et Wolfgang Capiton (env. 1478-1541), qui cherchait à unifier les croyances luthériennes et zwingliennes, et la Confession à l'Empereur Charles, écrite par Zwingli lui-même. Ces deux textes furent ignorés par la Diète, car ils semblent avoir été considérés comme des versions moins bonnes de l'œuvre de Mélanchthon, et dans le cas de Zwingli, comme des sources de division délibérées. Le prêtre et théologien catholique Johann Eck (1486-1543), qui avait débattu avec Luther à Leipzig en 1519, rédigea une réfutation de la Confession de Zwingli, la rejetant comme une menace pour l'unité chrétienne qui avait déjà causé plus de tort que les Turcs ou les Huns. La Confession Tétrapolitaine (« des quatre villes ») ne reçut aucune réponse.
Réaction de Luther & de l'Église
Luther, toujours à Cobourg, ne recevant aucune nouvelle de Mélanchthon et des autres avant la présentation de la Confession, devint de plus en plus soucieux. Lorsqu'il en eut enfin, il critiqua Mélanchthon pour son compromis. L'historienne Lyndal Roper commente :
Luther ne reçut la confession qu'après qu'elle eut été présentée à l'empereur, et il dit que s'il l'avait écrite, il n'aurait pas fait autant de concessions. Il rédigea une lettre qui commençait par féliciter Mélanchthon, mais il objecta ensuite qu'il allait à l'encontre des Saintes Écritures, car le Christ est la pierre que les bâtisseurs rejetèrent; c'est à dire qu'il devait s'attendre à être méprisé et rejeté. Il [Luther] ne pouvait plus faire grand chose maintenant. Il se voyait comme un héros de guerre non reconnu. (Roper, 321-322)
Charles Quint commanda à la délégation catholique, dont Johannes Eck, une réfutation de la Confession d'Augsbourg qui fut lue à la Diète impériale le 3 août, mais seulement aux participants laïques; les protestants évangéliques, et en particulier la délégation de Luther, n'en reçurent pas copie. Comme le note Roper, "le camp impérial cherchait à empêcher à tout prix une dispute théologique que Luther pourrait gagner" (Roper, 322). Par la suite, les deux parties entamèrent des négociations afin de parvenir à un accord mutuel et d'établir l'unité pour laquelle Charles Quint avait convoqué l'assemblée. Mélanchthon écrivit à plusieurs reprises à Luther pour lui demander conseil, mais ne reçut aucune réponse. Roper précise :
[La délégation] avait un besoin urgent de savoir sur quels points ils pouvaient faire des compromis. Tout avait été discuté à l'avance lors de la rencontre entre Luther et ses compagnons à Torgau, concéda Mélanchthon, mais les rencontres réelles étaient toujours imprévisibles. Qu’y avait-il d’essentiel et que pouvait-on négocier? Luther, irrité par le sentiment d'avoir été ignoré pendant plusieurs semaines, saisit alors l'occasion pour bouder. Il fit savoir qu'il était furieux contre la délégation de Wittenberg, mais refusa de répondre sur le reste. (Roper, 322)
Mélanchthon avait intégré les suggestions de Luther concernant la Confession, mais il était maintenant contraint de la réviser et de la corriger lui-même. Luther semble s'être senti marginalisé dans le mouvement qu'il avait lui-même fondé et dirigé, et lorsqu'il répondit finalement aux lettres de Mélanchthon, ce fut surtout pour lui reprocher sa faiblesse à défendre la foi. Il encouragea Mélanchthon à "rester ferme, à être un homme, et à agir de manière virile", comme Luther disait qu'il le ferait lui-même s'il était à Augsbourg (Roper, 327). Mélanchthon n’avait pas seulement à faire face aux négociations et aux révisions de la Confession, mais aussi à des histoires de "signes et de présages" que chaque camp interprétait comme des messages divins favorisant son point de vue et condamnant ses opposants.
Les négociations finalement échouèrent complètement en septembre, et l'empereur ajourna la Diète d'Augsbourg le 23. Les deux côtés étaient prêts à faire des compromis pour assurer à Charles Quint l'unité religieuse qu'il recherchait, mais aucun ne faisait confiance à l'autre pour tenir parole. Roper explique :
L'absence de confiance sur le mariage, les sacrements et d'autres questions, maintint finalement les deux camps séparés; les évangéliques ne croyaient tout simplement pas que les Catholiques étaient sincères ou qu’ils tiendraient parole. Ils craignaient que des concessions ne les conduisent à être écrasés lors d'un concile organisé hors d'Allemagne pour les vaincre. Le résultat n'était pas inévitable, mais plutôt une occasion manquée de peu pour empêcher la scission de l'Église catholique. C'est pourquoi les négociations se poursuivirent si longtemps, les commissions se succédant les unes aux autres, et pourquoi Charles était disposé à multiplier les tentatives d'accord. (Roper, 330)
Roper, entre autres chercheurs, note que si les négociations avaient été entièrement confiées à Mélanchthon, un accord aurait pu être trouvé. Mélanchthon devait cependant répondre à Luther, qui insistait sur le fait qu'il n'y avait pas de place pour le compromis et que les principes luthériens, représentant le véritable Christianisme, devaient triompher des faux enseignements et des politiques de l'Église catholique. Mélanchthon quitta Augsbourg avec l'échec de la Confession par rapport à ses objectifs. Les récits ultérieurs de la "rupture" entre Luther et Mélanchthon, exagérés au fil des ans, et même jusqu'à aujourd’hui, datent de cet événement.
Conclusion
L'échec des tentatives de compromis et d'unité à Augsbourg et l'inquiétude des Protestants face à une attaque des villes allemandes par Charles Quint et une coalition catholique conduisirent les princes luthériens à la création de la Ligue de Smalkalde en 1531. La Ligue était une alliance militaire admettant tout prince ou entité politique ayant signé ou accepté la légitimité de la Confession d'Augsbourg. Il était entendu qu‘en cas d'hostilités déclenchées par Charles Quint, des forces armées seraient fournies à tout membre de la Ligue, indépendamment de ses liens personnels ou politiques.
La Ligue contribua à l'établissement du Luthéranisme dans toute l'Allemagne, en démantelant au même moment les établissements catholiques, en confisquant les terres appartenant aux églises, monastères et couvents catholiques, et en assurant la stabilité nécessaire au développement de la vision de Luther. Luther rédigea (en partie) ses Articles de Smalcalde, une confession luthérienne plus concise que la Confession d'Augsbourg, afin d'aider la Ligue à atteindre ses objectifs. La préface de Luther aux Articles de Smalkalde illustre sa vision de l'Église catholique et son refus de tout compromis. Il accuse le pape de "mensonge et de tricherie", dit que les Catholiques ont "terriblement peur" d'un concile chrétien libre et ouvert, et soutient que le pape préférerait damner les gens plutôt que d'admettre la nécessité de tout besoin de réforme.
La Ligue de Smalkalde, agissait sur la base de la condamnation de l'Église par Luther, elle persista pendant 15 ans, alors que Charles Quint était occupé à mener des guerres à l'étranger. Mais en 1546, Charles revint de nouveau vers les Protestants d'Allemagne et lança une offensive. La Ligue s'était habituée à fonctionner sans opposition, et chaque prince se considérait comme supérieur aux autres, si bien que lorsqu’il fallut mobiliser les forces pour une action militaire, on manqua d'unité de direction et donc de possibilité de s'accorder sur une stratégie ou une tactique cohérente. Charles Quint remporta la guerre de Smalkalde (1546-1547), non seulement grâce à son habileté à saisir les opportunités, mais aussi du fait du manque de confiance et de coopération entre les princes protestants.
La Confession d'Augsbourg demeura cependant l'affirmation de la foi luthérienne et, malgré les efforts de Charles Quint, le Luthéranisme devint si fermement ancré dans toute l'Europe qu'il ne put être fait rien d’autre que de le légitimer lors de la paix d'Augsbourg en 1555. La Confession d'Augsbourg avait influencé les autres confessions présentées en 1530, et devait continuer d'exercer la même influence sur les confessions ultérieures. Elle est encore récitée aujourd'hui par les Luthériens comme leur confession officielle, et l’on peut entendre des échos de l'œuvre de Mélanchthon dans d'autres sectes protestantes à travers le monde.