Réforme et Répression sous l'Évêque de Meaux

Article

Stephen M Davis
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 08 décembre 2022
Disponible dans ces autres langues: anglais
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Alors que la Réforme protestante émergeait en France au début du XVIe siècle, la ville de Meaux devint l'un des premiers centres de controverse. L'évêque Guillaume Briçonnet entreprit une campagne visant à réformer l'Église catholique de l'intérieur et appela Jacques Lefèvre d'Étaples, une figure de proue de l'humanisme français, à diriger des efforts missionnaires. Ils se retrouvèrent bientôt en désaccord avec la hiérarchie catholique.

Bishop Guillaume Briçonnet
Mgr Guillaume Briçonnet
Unknown Artist (Public Domain)

Réforme

Jusqu'au XVIe siècle, les mouvements locaux de réforme et les révoltes paysannes furent facilement réprimés. L'Inquisition, instituée en 1231 par le pape Grégoire IX (en poste de 1227 à 1241), avait largement réussi à éradiquer l'hérésie. Avec l'invention de la presse à imprimer au 15e siècle, il devint plus difficile d'empêcher la circulation d'idées nouvelles. Après la protestation de Wittenberg contre les indulgences en 1517 avec les 95 thèses de Martin Luther, ses enseignements commencèrent à circuler partout en France. Dans la ville de Meaux, Guillaume Farel (1489-1565) et les frères Leclerc contestaient la vénération de Marie et des saints. Ils provoquèrent l'ire de la Faculté de théologie (Sorbonne) de Paris et suscitèrent l'hostilité croissante des parlementaires. Farel était considéré comme particulièrement dangereux en raison de son opposition au dogme du purgatoire. Leurs adeptes furent bientôt appelés luthériens, même s'ils n'avaient que peu de contacts avec la Réforme allemande; on appelait luthérien toute personne suspectée d'hérésie.

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Briçonnet et François Ier

François Ier était favorable à l'esprit de la Renaissance mais opposé au rigorisme moral des réformateurs au sein de l'Eglise.

L'évêque Guillaume Briçonnet (1472-1534) arriva à Meaux en 1516 avec un grand souci des problèmes ecclésiastiques de l'Eglise. Il avait été nommé évêque de Lodève en 1489 à l'âge de 17 ans et avait suivi les traces de son père, le cardinal Briçonnet (1445-1514), qui avait quitté Rome en 1510 avec quatre autres cardinaux pour lancer des réformes dans l'Église en opposition au pape Jules II (en fonction de 1503-1513). Briçonnet fils devint un confident du roi François Ier (r. de 1515 à 1547) dont les positions religieuses fluctuaient entre ses conseillers et sa sœur Marguerite de Navarre, favorable à l'enseignement réformé. François Ier, cependant, était surtout préoccupé par son autorité royale et par le poids de décennies de guerre. Il était favorable à l'esprit de la Renaissance mais opposé au rigorisme moral des réformateurs au sein de l'Église.

Peu après son intronisation en 1515, François Ier envoya Briçonnet à Rome pour négocier le Concordat de Bologne en 1516 avec le pape Léon X (en poste de 1513 à 1521). Le Concordat supprimait les droits traditionnels d'élection de l'Église française et accordait au roi le pouvoir de procéder à des nominations aux principaux postes ecclésiastiques. Le haut clergé et la noblesse furent placés sous le contrôle du roi. Celui-ci fut en mesure de récompenser ses plus fidèles serviteurs en leur offrant des abbayes, des évêchés, des titres et d'autres avantages. Le Concordat rencontra une certaine opposition et aurait pu pousser certains membres du clergé vers la Réforme en raison de nominations douteuses. Cependant, le Concordat atteignit l'objectif de François Ier d'attacher la royauté française à l'Église catholique et garantit une monarchie catholique.

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Francis I of France
François Ier
Jean Clouet  (Public Domain)

Briçonnet hérita d'un évêché semblable à beaucoup d'autres en France. Les gens étaient terrorisés à l'idée de mourir sans les derniers sacrements, et la paysannerie connaîssait mal les Saintes Écritures. La Vierge était sollicitée pour tous leurs besoins, chaque saint avait sa spécialité et les reliques sacrées importées de Terre Sainte après les croisades étaient traitées comme des talismans. La foi naïve du peuple était en grande partie la faute d'un clergé mal formé qui ne dispensait pas une instruction religieuse sérieuse. Le nouvel évêque avait pris note de ces déficiences dans son diocèse et entreprit de les corriger. En 1518, il engagea des prédicateurs et les envoya à travers ses paroisses pour évangéliser les catholiques qui s'étaient éloignés de l'Église dans leur engagement envers les observances religieuses. Un an plus tard, devant les résultats décourageants, Briçonnet décida de former de nouveaux prêtres et de poursuivre son projet de réforme. Il était convaincu que la réforme des coutumes et des mœurs était inutile sans une transformation de la personne intérieure. Pour ce faire, il s'adressa à Jacques Lefèvre d'Étaples de Picardie.

Lefèvre d'Étaples

Lefèvre était passionné par l'idée d'apporter les Écritures à chacun dans sa langue.

Jacques Lefèvre d'Étaples (dit Faber, 1450-1537) avait enseigné la philosophie à l'Université de Paris de 1490 à 1508 où il entra en contact avec la famille Briçonnet. En 1521, Briçonnet l'invita à Meaux pour mener des initiatives de réforme au sein de l'Église catholique. Grâce aux activités et à l'enseignement de Lefèvre, Meaux devint le principal lieu d'activité des "évangéliques" et d'un groupe connu sous le nom de Cercle de Meaux (alias Cénacle de Meaux). Lefèvre était passionné par l'idée d'apporter les Écritures à chacun dans sa langue. Aux yeux de certains, cependant, il semblait factieux et dangereux et était surveillé par ses adversaires. Il souleva la question sur laquelle tous les futurs réformateurs allaient prendre position - la relation entre la foi et les œuvres dans la justification des pécheurs. Il exhorta les chrétiens à lire et à méditer les Évangiles et s'opposa à la position de l'Église selon laquelle les roturiers ne pourraient jamais sonder les profondeurs sublimes des Écritures. Sur ce point essentiel, l'Église catholique et les différents courants de pensée de la Réforme divergeaient radicalement. Pour l'Église, la vérité doctrinale résidait dans l'Écriture et les dogmes établis par la tradition. Pour les réformateurs, la vérité doctrinale résidait dans les seules Écritures et chaque croyant avait le droit et le devoir d'en rechercher et d'en comprendre les vérités.

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Bien que les adversaires de la Faculté de théologie de Paris aient traité Lefèvre avec mépris, cette opposition n'empêcha pas les étudiants parisiens de visiter Meaux. Il y avait d'autres visiteurs notables à Meaux, comme Marguerite d'Alençon (1492-1549) et sa mère, la reine Louise de Savoie. Marguerite, sœur de François Ier, qui deviendrait reine de Navarre en 1527, était connue comme l'ange gardien des évangéliques. Sa poésie témoignait de sa sensibilité spirituelle et s'accompagnait de ses œuvres de charité. Elle désirait ardemment la réforme de l'Église qu'elle aimait tant. Même lorsqu'elle était critiquée par la Faculté de théologie, elle gardait l'espoir d'une réforme opérée à l'intérieur de l'Église.

Portrait of Marguerite de Navarre
Portrait de Marguerite de Navarre
Jean Clouet (Public Domain)

Malgré les entraves de la Faculté de théologie, et sous la protection royale de Marguerite, les écrits de Lefèvre furent largement diffusés. Lui et le Cercle de Meaux s'engagèrent dans leur travail missionnaire dans toute la région. Ils plaidèrent pour un retour à l'enseignement apostolique et dénoncèrent la vénération des saints et la vente des indulgences. Ses Commentaires sur les quatre évangiles parurent vers 1522. Il traduisit également le Nouveau et l'Ancien Testament en français. Les enseignements luthériens furent condamnés par la Faculté de théologie en 1521, ce qui rendit l'école de Meauxn suspecte et ouvrit la voie à une ère de violence.

Dilemme de Briçonnet

L'évêque Briçonnet ne put ignorer l'excommunication de Luther par le pape Léon X en 1521. Il comprit qu'il devait prendre ses distances avec les personnes et les événements associés à la Réforme allemande. Des amis de Lefèvre firent défection et revinrent à l'enseignement de l'Église. Bien que Briçonnet n'ait pas souhaité mettre fin à ses efforts de réforme et ait poursuivi sa mission d'impression et de distribution des Écritures en français, il décida de condamner publiquement Luther pour éviter sa propre condamnation. En octobre 1523, pour apaiser la faculté de théologie, Briçonnet publia des édits qui interdisaient la vente, la possession ou la lecture des écrits de Luther. Les habitants de Meaux ne furent pas découragés par ces mesures répressives et montrèrent encore plus d'intérêt pour les nouveaux enseignements. En réponse, les adversaires de Briçonnet entamèrent une violente campagne contre l'évêque en 1524. Des affiches attaquant Briçonnet en tant que luthérien furent accrochées à la cathédrale et placardées sur les murs de Meaux.

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En décembre de cette même année, Briçonnet fut appelé à afficher les bulles papales du pape Clément VII (en poste de 1523 à 1534) qui comprenaient l'annonce de nouvelles indulgences et un jeûne de trois jours pour le pardon. Les habitants de Meaux déchirèrent les bulles papales et accusèrent le pape d'être l'Antéchrist. La ville entra en état de rébellion contre l'Église et les fonctionnaires royaux avaient désormais un prétexte pour justifier la répression. En l'absence de François Ier, prisonnier de Charles Quint, empereur du Saint Empire romain germanique (r. de 1519 à 1558), après la défaite de la France à la bataille de Pavie en février 1525, les premières persécutions furent lancées. A Meaux, Briçonnet tenta en vain de calmer les esprits. Il demanda aux prêtres de lire à nouveau des prières pour les morts, d'invoquer la Vierge et les saints, et prit sous sa protection les statues et les images des saints. Les avertissements de l'évêque ne furent plus respectés par le peuple; le temps des martyrs était arrivé, et avec lui, celui de la révolte.

Répression

Jean Leclerc fut arrêté à Metz pour avoir détruit des statues, on lui coupa la main droite, il subit d'autres tortures avant d'être brûlé vif alors qu'il récitait des psaumes (Miquel, 58). La nouvelle se répandit, la recherche des hérétiques s'intensifia, et le Cercle de Meaux fut averti qu'il ne bénéficiait plus de la protection officielle. D'autres arrestations suivirent, et Lefèvre s'exila à Strasbourg. À Meaux, la rébellion se poursuivit et les histoires de martyrs servirent à alimenter les sermons. En 1528, une foule nombreuse se réunit à la cathédrale et afficha une bulle prétendument signée par le pape à la gloire de Luther. Briçonnet fut scandalisé par cette provocation et se mit à la recherche des auteurs de cet outrage. Huit hommes et femmes lui furent livrés. Six d'entre eux reconnurent publiquement leur faute, furent condamnés, marqués au fer rouge de la fleur de lys sur le front, et conduits à travers les rues pour l'exemple. Un récalcitrant, Denys de Rieux, cria à haute voix que la messe était une négation de la mort et de la passion du Christ. Il fut traîné dans les rues sur une claie avant d'être brûlé vif.

Lefèvre d’Étaples
Jacques Lefèvre d'Étaples, dit Faber
Jean de Laon (Public Domain)

Briçonnet lui-même n'échappa pas à la censure du Parlement pour avoir permis à l'hérésie de se propager à Meaux. D'autres évêques jugèrent sévèrement les événements de Meaux et lui en firent porter la responsabilité. Bien que Briçonnet n'ait pas protégé les extrémistes qui cherchaient à abolir la hiérarchie, à remettre en question les sacrements et à détruire les statues, il fut accusé d'avoir permis aux soi-disant luthériens de s'organiser et d'exprimer librement leurs opinions. Les évêques se réunirent en 1528 au concile de Sens et demandèrent la condamnation et le châtiment des hérétiques de Meaux. Ils réaffirmèrent la valeur absolue de tous les sacrements, l'adoration de Marie et la vénération des saints, ainsi que la nécessité des bonnes œuvres pour le salut. Les évêques rappelèrent au roi que ses prédécesseurs n'avaient pas hésité à utiliser l'épée pour exterminer les hérésies. Cet appel à la répression ne tarda pas à trouver une réponse le 31 mai 1528. Un Parisien anonyme et iconoclaste coupa la tête d'une statue de Marie portant l'enfant Jésus dans ses bras. Le roi mit à prix la tête de l'auteur de cet acte. Le coupable ne fut pas retrouvé. Au lieu de cela, l'éminent humaniste Louis Berquin (1490-1529), qui avait déjà été épargné deux fois de la condamnation de la Faculté de théologie par l'intervention du roi, fut arrêté et brûlé sur le bûcher. Ce fut la première exécution d'une personne de renom.

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Lefèvre et Briçonnet n'avaient pas su préserver l'illusion qu'il était possible d'évangéliser d'une manière qui remettait en cause l'ordre du royaume. Briçonnet mourut en 1534 sans avoir assisté au martyre des derniers membres du Cercle de Meaux. Lefèvre, quant à lui, trouva refuge auprès de Marguerite, reine de Navarre. Il mourut dans son sommeil, affligé de n'avoir pas mérité le sort de ceux qui furent tués pour l'Évangile qu'il leur enseignait.

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Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Stephen M Davis
Docteur Stephen M. Davis est doyen de Grace Church à Philadelphie. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont "Rise of French Laïcité" et "The French Huguenots and Wars of Religion".

Citer cette ressource

Style APA

Davis, S. M. (2022, décembre 08). Réforme et Répression sous l'Évêque de Meaux [Reformation & Repression under Bishop Briçonnet of Meaux]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2123/reforme-et-repression-sous-leveque-de-meaux/

Style Chicago

Davis, Stephen M. "Réforme et Répression sous l'Évêque de Meaux." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le décembre 08, 2022. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2123/reforme-et-repression-sous-leveque-de-meaux/.

Style MLA

Davis, Stephen M. "Réforme et Répression sous l'Évêque de Meaux." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 08 déc. 2022. Web. 14 mai 2024.

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