Le Domesday Book

Définition

Mark Cartwright
de , traduit par Caroline Martin
publié le 19 novembre 2018
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Disponible dans ces autres langues: anglais, portugais
Great Domesday Book (by UK National Archives, CC BY)
Le Grand Domesday
UK National Archives (CC BY)

Le Domesday Book (« le Livre du Jugement Dernier ») est un relevé exhaustif de tous les propriétaires fonciers, les biens, les locataires et les serfs de l'Angleterre normande médiévale. Il fut compilé en 1086-7 sous les ordres de Guillaume le Conquérant (r. 1066-87). Ce document, unique dans l'histoire européenne, regorge de statistiques et d'extraits qui révèlent des détails de la vie dans l'Angleterre médiévale.

L'objectif précis du Domesday Book n'est pas connu, mais la raison la plus probable était de déterminer qui possédait légalement quelles terres, de régler les conflits de propriété et de mesurer les revenus, en particulier les revenus agricoles, afin d'appliquer un futur impôt. Ce registre reste d'une valeur inestimable pour les historiens modernes de l'Angleterre médiévale. Le Domesday Book, en deux volumes, est actuellement conservé aux Archives nationales du Royaume-Uni, à Londres.

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L'Angleterre normande

Le Domesday Book (le nom apparaît généralement sans article en anglais) révèle exactement ce qu'il advint de la noblesse anglo-saxonne d'Angleterre au cours des deux décennies qui suivirent la bataille de Hastings en 1066 et la conquête normande qui suivit. Guillaume le Conquérant, vainqueur de cette bataille et couronné roi d'Angleterre la même année le jour de Noël, s'appropria 20 % de son nouveau territoire. Les 80 % restants allèrent aux principaux tenanciers (tenentes in capite), 1 100 nouveaux propriétaires terriens, l'ancienne aristocratie terrienne anglo-saxonne (ceux qui n'avaient pas été tués à Hastings) ayant été balayée et remplacée par les Normands. Les terres, et par conséquent la richesse, étaient désormais entre des mains beaucoup moins nombreuses qu'avant la conquête. Parmi ces 1 100 chanceux se trouvaient 200 grands barons et 300 membres supérieurs de la hiérarchie ecclésiastique. Chacun reçut une parcelle de terre ou plutôt un domaine, également appelé « manoir », qui était exploité par des serfs paysans (appelés aussi « villeins » en anglais). Souvent, un grand baron recevait un certain nombre de manoirs qui pouvaient ensuite être distribués individuellement à un sous-locataire qui était un aristocrate de rang inférieur, dont la majorité était des Normands. Les shires (comtés) sont une autre création normande, avec un shérif (autre monopole normand, bien que le poste n'ai pas été héréditaire) nommé dans chacun d'eux pour superviser les affaires judiciaires, financières et militaires de leur juridiction.

Nom et objectif

Le nom Domesday Book, couramment utilisé à partir du 12ème siècle, peut dériver de « doom », terme désignant une loi coutumière en Angleterre anglo-saxonne, ou être une référence au Jour du Jugement, évoqué dans le livre de l'Apocalypse de la Bible, rappelant que les enregistrements du Domesday Book étaient définitifs et ne pouvaient être contestés. Le nom original du 11e siècle semble avoir été plus banal : « le livre du Trésor Public » ou « le grand livre de Winchester ».

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LES INSPECTEURS DE L'ÉTAT ENREGISTRèrent TOUS LES PROPRIÉTAIRES FONCIERS, LES LOCATAIRES, LES PAYSANS, LES BIENS MEUBLES ET LES REVENUS ANNUELS DE CHAQUE MANOIR.

Le Domesday Book fut compilé en tant que « description de toute l'Angleterre » (ou de toute l'Angleterre sous contrôle normand), mais les spécialistes ne se sont toujours pas mis d'accord sur un motif plus précis. L'une des suggestions les plus populaires quant à son objectif est qu'il était destiné à créer un registre permettant de lever des impôts pour la défense du pays, car une invasion du Danemark semblait alors imminente. Une autre raison possible était de s'assurer que les terres étaient détenues par leur propriétaire légal légitime après le chaos de la conquête normande qui entraîna la mort de seigneurs saxons au combat, des confiscations de terres, des dons de domaines du roi aux Normands loyaux et l'appropriation de domaines par tous les Normands assez audacieux pour les prendre. Il est peut-être significatif que les archives du Domesday Book soient organisées en fonction des propriétaires terriens et non des parcelles de terre qui produisent des revenus, ce qui rend très long le calcul de l'obligation fiscale d'un individu particulier - si tel était le seul objectif de l'enregistrement. Enfin, le Domesday Book fut peut-être compilé simplement pour que Guillaume sache exactement qui possédait quoi dans son royaume. Comme le dit l'historien M. Morris, le roi disposait désormais d'une arme politique qui lui permettait de soumettre n'importe quel baron rebelle. En effet, en un instant, Guillaume pouvait ordonner la confiscation de toutes les terres que ce baron possédait selon le Domesday Book.

Map of Domesday Book Circuits
Carte des circuits du Domesday Book
XrysD (CC BY-SA)

Rassembler les chiffres

Selon les souhaits de Guillaume, des inspecteurs, probablement sous la supervision de Guillaume de Saint-Calais, évêque de Durham, furent envoyés pour couvrir des groupes de comtés appelés des circuits. Là, les inspecteurs enregistrèrent tous les propriétaires fonciers, les locataires, les paysans, les biens meubles et les revenus annuels de chaque manoir. Quelque 30 000 manoirs figurent dans le document final et chacun d'entre eux fut soumis à une liste de questions posées par les inspecteurs en personne ou a fait l'objet d'une auto-évaluation écrite. Des témoins furent appelés en séance publique pour vérifier toutes les affirmations et des documents existants furent consultés pour vérifier deux ou trois fois l'exactitude des chiffres. Les inspecteurs étaient assistés dans toutes ces activités par des shérifs et des jurys locaux, composés à parts égales d'Anglais et de Normands, afin de garantir l'équité des affirmations contestées ou douteuses, qui furent au nombre de plusieurs milliers. Il y eut même une deuxième série d'inspections pour s'assurer que le premier groupe d'inspecteurs n'avait pas été corrompu de quelque façon que ce soit. De telles mesures suggèrent que le Domesday Book n'était pas seulement un recensement à des fins fiscales, mais qu'il était également conçu pour résoudre la délicate question de savoir qui possédait légitimement quelle terre.

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LES 832 PAGES OU LES FOLIOS MANUSCRITS DU DOCUMENT SONT COUVERTS DES DEUX CÔTÉS D'UNE ÉCRITURE SERRÉE ET SIMPLE, ÉCRITE À L'ENCRE NOIRE.

Les préposés finirent par remettre leur rapport à Winchester et firent rédiger leurs conclusions dans le bureau d'écriture royal (scriptorium) de cette ville. Grâce à tous ces efforts, le roi disposa, en l'espace d'un an, d'un registre raisonnablement précis et actualisé de tous les biens du pays - essentiellement une liste de ceux qui possédaient quoi et où dans son royaume nouvellement redistribué, qui comptait alors jusqu'à 2 millions de personnes. Le Domesday Book est donc le plus ancien recensement national subsistant en Europe, même si les classes inférieures n'y étaient pas représentées nommément.

Contenu du Domesday Book

Le Domesday Book était en fait composé de deux volumes. Le premier et le plus grand volume du recensement, connu sous le nom de Great Domesday (« le Grand Domesday »), traite des comtés d'Angleterre situés au sud de la rivière Tees et des fells du Westmorland. Trois comtés manquent et apparaissent dans le second volume, plus mince mais plus détaillé : Norfolk, Suffolk et Essex. Ce deuxième volume, le Little Domesday (« le Petit Domesday »), devait probablement être réduit et ses informations ajoutées au premier volume plus important, mais le travail ne fut jamais achevé en raison de la mort inattendue de Guillaume en septembre 1087. Les 832 pages ou folios manuscrits du document sont couverts des deux côtés d'une écriture serrée et simple, écrite à l'encre noire, la seule couleur étant l'encre rouge utilisée pour les groupes de propriétés ou pour souligner les points importants.

Catalogué en fonction des shires et de leurs subdivisions (appelées hundreds), le Domesday Book décrit de manière exhaustive les domaines royaux qu'ils contiennent, dresse la liste de tous les propriétaires fonciers et des sous-locataires, et indique qui jouait un rôle dans les conseils locaux des bourgs et des villes. Le comté de Suffolk, par exemple, voyait ses terres réparties entre 76 propriétaires fonciers, tous nommés depuis le roi Guillaume jusqu'aux hommes libres, dont des comtes, une comtesse, des évêques, des abbés, des prêtres, de nombreux aristocrates oubliés depuis longtemps et même des arbalétriers (bénéficiaires de la gratitude du roi après les batailles, peut-être). Les châteaux et les églises n'étaient mentionnés qu'accessoirement, l'enquête étant clairement axée sur les biens agricoles, les moyens d'en tirer un revenu et les propriétaires de ces biens. Les châteaux, à quelques rares exceptions près, étaient considérés comme un coût et non comme une source de revenus, tandis que les terres ecclésiastiques auraient été largement exemptes d'impôts d'État. Chaque manoir est traité séparément avec un enregistrement de ses moyens de production, du nombre de paysans (paysans libres et serfs), du bétail et des équipements tels que les charrues et les moulins. Il y a également, pour chaque manoir, une estimation des revenus annuels.

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Yorkshire Folio, Domesday Book
Folio du Yorkshire, Domesday Book
Open Doomsday (Copyright, fair use)

Dans l'extrait suivant du volume 2 de l'enquête, nous avons une description typique d'une propriété et de ses biens, dans ce cas les terres d'un certain Robert Malet dans le Suffolk. Les biens actuels de Robert sont continuellement comparés à ceux du propriétaire précédent, Edric de Laxfield.

Eye Edric possédait 12 carucates de terre (120 acres ou 48.5 ha) au temps du roi Édouard [le Confesseur, r. 1042-1066]. Aujourd'hui, Robert les détient en domaine ; et sa mère détient 100 acres (40.5 ha) et 1 villein et 3 bordars [rang supérieur à celui de serf mais inférieur à celui d'homme libre] et 9 sokemen [catégorie d'homme libre] avec 16 acres (6.5 ha), puis 2 charrues, maintenant 1, valant 20s. Puis 39 villeins, aujourd'hui 20. Puis et après 9 bordars, maintenant 16. Puis 12 serfs, aujourd'hui aucun. Puis et après 8 charrues sur le domaine, maintenant 5. Puis et après 15 charrues appartenant aux hommes, maintenant 6. Et les autres charrues peuvent être reconstituées. Et 50 acres de prairie (20.25 ha). Puis des bois [territoire] pour 120 porcs, maintenant pour 60. Un moulin, comme aujourd'hui. Et une pêcherie. Puis 7 roncins [type de cheval], maintenant 1. Puis 24 bêtes, maintenant aucune. Puis 50 porcs, aujourd'hui 17. Puis 80 moutons, aujourd'hui 90. Et maintenant 1 marché. Et un parc.

(cité dans Allen Brown, 162)

En dehors de ces listes de propriétés plutôt arides, le Domesday Book contient souvent des apartés plus intéressants tels que des descriptions de coutumes locales ou, comme dans cet extrait, le système féodal qui exigeait des propriétaires terriens locaux qu'ils se présentent au service militaire et/ou qu’ils fournissent des guerriers à l'armée du roi :

Si quelqu'un convoqué pour une expédition ne s'y rend pas, il perd toutes ses terres au profit du roi. Et si quelqu'un ayant une raison de rester en arrière promet d'envoyer un autre à sa place, et que ce substitut ne part pas, son seigneur est libéré par le paiement de 50 shillings.

(Vol. I, folio 56)

L'héritage

Comme le dit l'historien Maurice Keen, « la direction normande, travaillant dans le cadre des traditions anglo-saxonnes d'administration locale, produisit dans le Domesday Book le recensement le plus complet jamais réalisé sur les ressources en hommes et en richesses d'un royaume médiéval » (107). Ou, comme le dit plus crûment la Chronique anglo-saxonne : « Pas un seul mètre de terre, pas un seul bœuf, pas une seule vache, pas un seul porc n'a été oublié et n'a échappé à l'inscription dans son registre (celui de Guillaume) » (1085, cité par Keen, 110). L'Angleterre ne connaîtra pas d'autre relevé aussi détaillé avant le 19e siècle. Le Domesday Book fut conservé dans le Trésor royal de Winchester jusqu'au 13e siècle, date à laquelle il fut transféré à Londres. Les documents qu'il contenait furent consultés et cités dans des affaires juridiques tout au long du Moyen Âge et même plus tard, à tel point que le nom même de Domesday Book acquit un pouvoir propre, car il en vint à représenter une autorité ultime en matière de tenue de registres.

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Le Domesday Book est une mine d'informations pour les historiens et il révèle beaucoup de choses sur l'Angleterre du 11e siècle. L'étude de ses chiffres révèle, entre autres, des informations telles que :

  • Les noms de 13 000 villages.
  • Que 90% de la population vivait alors à la campagne.
  • Que 75% de la population était constituée de serfs.
  • L'emplacement de 50 châteaux, le nombre de propriétés détruites pour leur construction, et leur association avec les marchés.
  • Que de nombreux seigneurs anglais ont dû racheter leurs terres à Guillaume après la conquête.
  • Que William aurait pu rassembler une armée d'environ 16 000 guerriers entièrement armés si nécessaire.

Certains termes techniques contenus dans les documents restent inconnus, mais en tant qu'aperçu d'une population médiévale, il est inégalé en termes de détails. Depuis la première reliure au 17e siècle, les folios du manuscrit ont été reliés à plusieurs reprises. En 1859, le Domesday Book a été déplacé une nouvelle fois vers son emplacement actuel au Royaume-Uni, aux Archives nationales, à Kew, à Londres, qui propose une version en ligne pour ceux qui désirent le consulter.

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Traducteur

Caroline Martin
Française, ayant vécu au Royaume Uni pendant 20 ans, Caroline Martin est totalement bilingue. Lectrice passionnée depuis son plus jeune âge, elle a développé un amour de l'histoire qui remonte a ses années sur les bancs de l’école. Elle s'intéresse maintenant beaucoup à l'histoire en général et à la géopolitique.

Auteur

Mark Cartwright
Mark est un auteur, chercheur, historien et éditeur à plein temps. Il s'intéresse particulièrement à l'art, à l'architecture et à la découverte des idées que toutes les civilisations peuvent nous offrir. Il est titulaire d'un Master en Philosophie politique et est le Directeur de Publication de WHE.

Citer cette ressource

Style APA

Cartwright, M. (2018, novembre 19). Le Domesday Book [Domesday Book]. (C. Martin, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-17586/le-domesday-book/

Style Chicago

Cartwright, Mark. "Le Domesday Book." Traduit par Caroline Martin. World History Encyclopedia. modifié le novembre 19, 2018. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-17586/le-domesday-book/.

Style MLA

Cartwright, Mark. "Le Domesday Book." Traduit par Caroline Martin. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 19 nov. 2018. Web. 18 avril 2024.

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