Témoignages Relatifs au Front de l'Est de la Seconde Guerre Mondiale

Article

Mark Cartwright
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié sur
Disponible dans ces autres langues: anglais, espagnol
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Le front oriental (1941-45), appelé front occidental ou Grande Guerre patriotique par les Soviétiques, fut de loin le plus meurtrier de la Seconde Guerre mondiale (1939-45). Cet article présente les souvenirs de ceux qui ont vécu le conflit de près, tant du côté allemand que du côté soviétique. Sont également présentés les souvenirs de civils qui ont été pris à leur insu sous les projecteurs ardents de ce théâtre de guerre des plus terribles.

Tending the Wounded, Kursk
Soins aux blessés, Koursk
Pavel Troshkin (Public Domain)

Opération Barbarossa

De nombreux soldats allemands et de l'Axe entamèrent la campagne avec optimisme, croyant Hitler qui affirmait que l'Armée rouge de l'URSS était en piètre état et qu'elle s'effondrerait très vite. Un soldat allemand, Bernhard Bechler, rassura sa sœur lors de son départ pour le front de l'Est:

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Je lui ai dit: "Écoute, nous allons nous séparer maintenant. Dans quelques semaines, je t'appellerai de Moscou'... J'étais totalement convaincu que cela se produirait, et j'étais en fait fier de nos projets.

(Rees, 40)

La propagande nazie fit également passer le message que l'Armée rouge était une force de combat brutale et sans principes à laquelle il ne fallait pas faire de quartier. Ce point de vue fut renforcé dans la pratique par de nombreux soldats allemands. Walter Schaefer-Kehnert, officier d'artillerie dans une division de panzers, se souvient d'un épisode:

Lorsqu'ils [les Soviétiques] ont contre-attaqué et que nous avons dû laisser les blessés derrière nous, puis que nous sommes revenus, nous avons découvert que tous les blessés avaient eu la tête fendue par de courtes lames d'infanterie. Vous pouvez imaginer nos soldats, quand vous voyez que votre ami blessé a été brutalement tué, ils étaient furieux.

(Rees, 50-1)

Map of Operation Barbarossa
Carte de l'opération Barbarossa
Simeon Netchev (CC BY-NC-ND)

Les soldats de l'Axe avaient également été prévenus qu'ils menaient une guerre contre le bolchevisme, principal ennemi du nazisme, et avaient donc reçu l'ordre d'abattre les officiers politiques (commissaires) servant dans l'Armée rouge. Walter Traphöner se souvient:

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...lorsque nous en attrapions un, il fallait le tuer. Nous n'avons jamais vraiment demandé les raisons de quoi que ce soit. Je veux dire que ce n'étaient que des gars qui soutenaient leur système, tout comme nous. Les commissaires devaient simplement être tués [...] nous voulions empêcher les bolcheviks de conquérir le monde.

(Rees, 51)

Le nouveau front se déroula bien pour les envahisseurs au cours de l'été 1941. L'Armée rouge de la Seconde Guerre mondiale avait entamé le conflit en ordre dispersé. Les Soviétiques étaient mal organisés, mal équipés et surpris par l'ampleur de l'offensive de l'Axe. Viktor Strazdovski, alors âgé de 18 ans, se souvient:

Les canons de 60 millimètres qu'on nous a donnés étaient des trophées de la Première Guerre mondiale - ils n'étaient pas équipés de dispositifs de visée modernes. Et nous n'avions qu'un seul fusil pour cinq soldats... Lorsque j'ai été envoyé à l'endroit où les Allemands ont brisé notre ligne de défense, vous pouvez imaginer ce que nous avons ressenti: nous nous sentions condamnés. Nous étions quatre, avec deux fusils entre nous, et nous ne savions pas dans quelle direction nous allions tomber sur les Allemands. Les bois autour de nous étaient en feu. D'un côté, nous ne pouvions pas désobéir aux ordres, mais d'un autre côté, nous nous sentions condamnés.

(Rees, 65)

German Armoured Vehicles, Belarus, 1941
Véhicules blindés allemands, Biélorussie, 1941
National Digital Archives, Poland (Public Domain)

L'immensité de la Russie

Le plus grand ennemi des envahisseurs, alors que la campagne entrait dans sa deuxième année, s'avéra être la terre elle-même. Les soldats de l'Axe souffrirent de mélancolie face à l'immensité de l'URSS. Pour les responsables de la logistique, les grandes distances à parcourir et l'absence de bonnes routes étaient un véritable cauchemar. Comme l'a noté le général Hasso von Manteuffel (1897-1978):

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Les espaces semblaient infinis, l'horizon nébuleux. Nous étions déprimés par la monotonie du paysage et l'immensité des étendues de forêts, de marais et de plaines.

(Stone, 146)

Les pluies du printemps et de l'automne transformèrent les routes en pistes boueuses, comme l'explique le major Hans Hinrichs, ingénieur de l'armée allemande:

C'était complètement différent de la France et, bien sûr, de la zone désertique. En France, le réseau routier était très dense, il n'y avait que quelques bois et la population était plutôt indifférente. Il n'y avait pas d'embuscades... En Russie, nous avions très peu de routes et celles-ci devenaient assez boueuses dès le mois de septembre. En Russie, on ne pouvait pas s'écarter un seul instant à cause des grandes forêts et, bien sûr, des nombreuses rivières et ruisseaux que l'on devait traverser sans ponts ni installations de franchissement. Avec ma compagnie du génie, j'ai construit plus d'une centaine de ponts sur la route de Moscou.

(Holmes, 186)

German Soldiers, Sevastopol
Soldats allemands, Sébastopol
Unknown Photographer (Public Domain)

Un autre ennemi arriva quelques mois plus tard: l'hiver extrêmement rigoureux de la région. Walter Schaefer-Kehnert se souvient:

Lorsque la température descendait en dessous de moins 30 degrés Celsius, nos mitrailleuses ne tiraient plus. Nos mitrailleuses étaient des instruments de précision, mais lorsque l'huile devenait épaisse, elles ne tiraient plus correctement - cela fait vraiment peur... Nous avons subi d'énormes pertes à cause des orteils et des doigts gelés pendant la nuit. Et lorsque l'infanterie devait dormir à la belle étoile, on essayait de faire un trou dans la neige. Ensuite, il y a eu un ordre selon lequel un garde devait faire le tour toutes les deux heures pour regarder, parce qu'on pouvait mourir de froid sans s'en rendre compte.

(Rees, 79)

Un soldat allemand, Albrecht Schimpf, se souvient du paysage désolé et gelé:

En Russie, il n'y avait pas de panneaux indicateurs, pas de rues comme en Europe occidentale, et pour trouver notre chemin, nous devions placer les corps gelés des chevaux le long des routes enneigées afin de trouver notre chemin dans les congères. C'était certainement un spectacle très macabre, mais c'était seulement pour trouver les routes parce qu'il n'y avait pas de points de repères, pas de maison, pas de chalet, pas d'arbre, toujours des terres en friche, de la neige et de la neige.

(Holmes, 281)

Red Army at Leningrad
L'Armée Rouge à Léningrad
RIA Novosti archive, image #58228 / Vsevolod Tarasevich (CC BY-SA)

L'Armée rouge riposte

En 1942, l'Armée rouge s'était remise de sa série de défaites de l'année précédente. Mieux commandés et mieux approvisionnés, les soldats furent incités à se battre lorsque Staline ordonna que toute personne battant en retraite sans ordre soit fusillée. Fiodor Sverdlov, commandant d'infanterie lors de la bataille de Moscou, confirme que ces ordres furent bel et bien exécutés:

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Cela s'est produit une fois au cours d'une attaque réussie. Il y avait un soldat, je ne sais pas comment il s'appelait, mais à cause de sa lâcheté et parce que le combat était très dur, il s'est effondré et a commencé à courir, et je l'ai tué sans y réfléchir à deux fois. Et ce fut une bonne leçon pour tous les autres.

(Rees, 84).

L'Armée rouge disposait d'un avantage numérique considérable en matière de chars et, à partir de 1942, les chars T34, plus performants, furent utilisés dans des attaques massives beaucoup plus efficaces qui commencèrent à repousser les envahisseurs vers l'ouest. Un fantassin allemand, Hans von Tettau, se souvient:

Un chaos indescriptible. Les colonnes motorisées et l'infanterie battaient en retraite précipitamment. Nous avions vu de nos propres yeux quelle fuite en avant, quelle agitation et quelle horreur sont provoquées par ce seul mot: chars d'assaut... Leurs chenilles écrasent tout, font de la chair à pâté des motocyclistes et de leurs machines, roulent sur les canons, les affûts, les équipages de canons et les chevaux. On dit que deux bataillons ont été complètement réduits en poussière.

(Trigg, 133)

Son compatriote allemand Heinz Fielder se souvient qu'il était parfois difficile de laisser les blessés derrière soi lors d'une attaque:

Il y avait un soldat, un jeune garçon, qui était assis près d'un bouleau avec ses intestins qui coulaient de son estomac, et qui criait "Tirez moi dessus !". Et tout le monde passait devant lui en courant. J'ai été obligé de m'arrêter, mais je n'ai pas pu le tuer. C'est alors qu'un jeune sous-lieutenant des sapeurs est arrivé et lui a donné le coup de grâce avec un pistolet sur la tempe. C'est alors que j'ai pleuré amèrement. Je me suis dit que si sa mère savait comment son fils avait fini... au lieu de cela, elle a reçu une lettre de l'escadron disant: "Votre fils est tombé au champ d'honneur pour la Grande Allemagne".

(Rees, 219)

German Troops, Smolensk, 1941
Troupes allemandes, Smolensk, 1941
Imperial War Museums (CC BY-NC-SA)

Parfois, les soldats du front de l'Est ne pouvaient se résoudre à consigner dans leur journal ou leur lettre ce qu'ils avaient vécu, comme c'est le cas ici avec Harald Henry:

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La journée d'hier a été si sanglante, si pleine de morts et de blessés, si dévastée par les salves crépitantes, les éclats d'obus, les gémissements et les cris des blessés, que je ne peux pas encore l'écrire... Comme par miracle, j'ai été écarté des combats les plus violents dans l'après-midi et je suis resté indemne jusqu'à présent.

(Stahel, 413)

L'approvisionnement des troupes était difficile, mais il y avait très peu de possibilités de vivre de la terre (souvent un euphémisme pour décrire le pillage des civils), car les habitants étaient eux-mêmes très pauvres, comme l'explique ici un soldat allemand, Martin Meier:

La faim. Aujourd'hui, je ne me souviens plus que du nom de la graisse ou du beurre. Nous ne recevons que trois tranches de pain par jour, la plupart moisies. Nous nous faufilons dans les champs et déterrons des pommes de terre qui ne sont pas encore mûres... Ensuite, nous continuons à manger des pommes vertes, pas mûres, pour essayer de satisfaire notre faim. Le résultat est très clair: la diarrhée. De plus, l'eau est imbuvable....Je n'aurais jamais imaginé la Russie aussi pauvre. C'est encore pire que ce qu'on nous a dit et répété.

(Trigg, 142)

Burning Russian Village, Operation Barbarossa
Village russe en feu, opération Barbarossa
Imperial War Museums (CC BY-NC-SA)

Implication des civils

Les civils étaient bien évidemment impliqués dans la guerre, que ce soit dans les campagnes où le front s'était établi ou dans les villes qui étaient bombardées ou assiégées. Albert Burkovski avait 14 ans lorsque sa maison fut bombardée pendant la bataille de Stalingrad:

Lorsque les bombardements ont commencé, c'était vraiment horrible. Je me souviens encore des avions, du bruit qu'ils faisaient, et c'est devenu un véritable enfer. Je ne sais pas comment les gens faisaient pour supporter cela. Une fois que nous sommes revenus [dans sa propre maison], il n'y avait que des gémissements et encore des gémissements qui venaient de sous les ruines. Ma grand-mère s'était cachée dans le sous-sol de la maison, mais tout était enfoui sous les ruines - tous ceux qui s'y trouvaient étaient écrasés. Pendant un certain temps, j'ai pensé qu'il valait mieux me tuer, tant mon chagrin et ma misère étaient grands, parce que j'étais tout seul.

(Rees, 143)

Les civils souffrirent lorsque les envahisseurs s'emparèrent de leurs villes et villages, volèrent leurs biens et leur nourriture, et souvent, brûlèrent leurs maisons au cas où elles abriteraient des partisans ou des soldats. Les Juifs, les communistes, les personnes soupçonnées de soutenir les partisans et bien d'autres encore étaient recherchés et exécutés. D'autres furent emmenés dans les territoires contrôlés par l'Axe pour y être réduits en esclavage ou détenus dans des camps de concentration. Un soldat SS, Heinrich Wulfes, se souvient de sa participation au terrible travail des Einsatzgruppen, les escouades secrètes de tueurs mobiles nazis, qui exécutaient des cibles spécifiques dans les territoires nouvellement occupés:

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Nous sommes arrivés dans une ville d'environ 3 à 4 000 habitants et on nous a dit de rassembler les Juifs - la milice locale nous les a indiqués, ils étaient quelques centaines - puis nous les avons emmenés dans une carrière, entourée de grandes falaises pour qu'ils ne puissent pas s'échapper. Puis l'Einsatzgruppe est arrivé, ils n'étaient pas nombreux, peut-être 40 à 50, ils étaient trop petits pour faire ce genre de choses tout seuls.

(Trigg, 165)

Collecting the Dead, Leningrad
Collecte des corps, Léningrad
RIA Novosti archive, image #216 / Boris Kudoyarov (CC BY-SA)

Les viols étaient fréquents, comme en témoigne Albert Schneider, mécanicien dans un bataillon allemand de canons d'assaut:

Il y a eu plusieurs cas dans ce village [russe non nommé] en particulier où des femmes ont été violées [...] il était de notoriété publique dans les rangs que des choses comme ça se passaient. Un jour, j'ai demandé à un sergent pourquoi rien n'était fait à ce sujet. Il m'a répondu: "Parce que la moitié de l'armée serait jugée!". À mon avis, cela en dit long.

(Rees, 106-7)

Même dans les derniers jours de la guerre, les civils ont été soumis aux horreurs de la guerre. Après la chute de Berlin en mai 1945 et la victoire totale de l'URSS, les soldats de l'Armée rouge à Demmin se sont livrés à des viols et à des pillages pour célébrer l'événement. Waltraud Reski avait 11 ans à l'époque et se souvient:

Demmin allait brûler pendant trois jours... Et les femmes étaient des proies faciles pendant trois jours - livrées à tous les sévices. Toutes les femmes étaient déguisées, mais on peut toujours voir si une femme a une bonne silhouette, et d'une manière ou d'une autre, ils ont trouvé ma mère à plusieurs reprises et l'ont traitée de manière terrible. Elle ne s'est jamais vraiment remise... Il est impossible d'imaginer ce que c'est que d'être violée 10 ou 20 fois par jour, au point de ne plus être humaine... Ma sœur, qui a quatre ans de moins que moi, et moi-même avons essayé de protéger notre mère et avons crié... Ce sentiment d'impuissance et de cruauté, même aujourd'hui, je ne trouve pas de mots pour l'exprimer.

(Rees, 229-30)

Le front de l'Est causa la mort d'au moins 25 millions de militaires et de civils, soit peut-être la moitié du nombre total de victimes de la Seconde Guerre mondiale.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Mark Cartwright
Mark est un auteur, chercheur, historien et éditeur, à plein temps. Il s'intéresse particulièrement à l'art, à l'architecture et à la découverte des idées que partagent toutes les civilisations. Il est titulaire d'un Master en Philosophie politique et est le Directeur de Publication de WHE.

Citer cette ressource

Style APA

Cartwright, M. (2025, mai 02). Témoignages Relatifs au Front de l'Est de la Seconde Guerre Mondiale [Eyewitness Accounts of WWII's Eastern Front]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2716/temoignages-relatifs-au-front-de-lest-de-la-second/

Style Chicago

Cartwright, Mark. "Témoignages Relatifs au Front de l'Est de la Seconde Guerre Mondiale." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le mai 02, 2025. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2716/temoignages-relatifs-au-front-de-lest-de-la-second/.

Style MLA

Cartwright, Mark. "Témoignages Relatifs au Front de l'Est de la Seconde Guerre Mondiale." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 02 mai 2025, https://www.worldhistory.org/article/2716/eyewitness-accounts-of-wwiis-eastern-front/. Web. 05 juil. 2025.

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