Le Discours d'Adieu de George Washington fut publié dans un journal de Philadelphie le 19 septembre 1796, près de la fin de son deuxième et dernier mandat présidentiel. Dans ce discours, Washington explique les raisons pour lesquelles il ne brigue pas un troisième mandat et met en garde ses compatriotes contre les divers dangers qui menacent les États-Unis, tels que la désunion, les partis, et les ingérences étrangères.
Initialement, Washington espérait se retirer à la fin de son premier mandat en 1792, mais il fut persuadé d'effectuer un second mandat afin de faire face à une série de crises auxquelles les États-Unis étaient confrontés. Parmi celles-ci figurait la montée des partis politiques au sein même du pays (le Parti Fédéraliste, nationaliste, contre le Parti Républicain-Démocrate, populiste), ainsi que la menace imminente d'être entraîné dans les guerres révolutionnaires françaises en cours en Europe. En 1796, ces crises étaient moins pressantes et ceci amena Washington à décider qu'il était temps de transmettre les rênes du pouvoir exécutif à un successeur. Le discours, initialement rédigé par James Madison, fut largement réécrit par Alexander Hamilton avant sa publication, si bien qu'il ne restait que quelques sections du texte initial de Madison dans la version finale. Le discours ne fut pas prononcé oralement, mais publié dans le journal American Daily Advertiser. Le Discours d'Adieu demeure l'un des discours les plus marquants et les plus cités de l'histoire politique des États-Unis.
Extraits du Discours
Amis et Concitoyens: la période d'une nouvelle élection d'un citoyen pour administrer le gouvernement exécutif des États-Unis n'étant pas très éloignée, et le moment où vos pensées doivent s'employer à désigner la personne qui devra être investie de cette importante responsabilité étant effectivement venu, il me semble approprié, d'autant plus que cela peut conduire à une expression plus distincte de la parole publique, que je vous informe maintenant de la résolution que j'ai prise, celle de refuser d'être considéré au nombre de ceux parmi lesquels un choix doit être fait.
…L'acceptation, et le maintien jusqu'ici dans la fonction à laquelle vos suffrages m'ont appelé à deux reprises, ont été un sacrifice constant de mon inclination au devoir et à la déférence pour ce qui apparaissait comme étant votre désir. Conformément à des motifs que je n'avais pas la liberté de négliger, j'ai constamment espéré qu'il m'eût été possible de retourner bien plus tôt à cette retraite dont j'avais été tiré à contrecœur. La force de mon inclination à le faire, avant la dernière élection, m'avait même conduit à préparer un discours pour vous l'annoncer; mais une mûre réflexion sur la situation alors complexe et critique de nos relations avec les nations étrangères, et l'avis unanime de personnes ayant ma confiance, me pousséèrent à abandonner cette idée.
Je me réjouis que l'état de vos préoccupations, tant extérieures qu'intérieures, ne rende plus la poursuite de mon désir incompatible avec le sentiment du devoir… et que, dans les circonstances actuelles de notre pays, vous ne désapprouverez pas ma détermination à me retirer.
Les impressions avec lesquelles j’ai initialement entrepris cette mission ardue ont été exposées en temps voulu. Dans l'exercice de cette mission, je dirai seulement que, animé de bonnes intentions, j'ai contribué à l'organisation et à l'administration du gouvernement les meilleurs efforts dont un jugement très faillible était capable. N'ignorant pas d'emblée l'infériorité de mes qualifications, l'expérience, à mes propres yeux, et peut-être plus encore aux yeux des autres, a renforcé mes motifs de méfiance envers moi-même; et chaque jour, le poids croissant des années m'avertit davantage que l'ombre de la retraite m'est aussi nécessaire qu'elle sera bienvenue… J'ai la consolation de croire qu'alors que le choix et la prudence m'invitent à quitter la scène politique, le patriotisme ne me l'interdit pas.
Dans l'attente du moment qui doit mettre un terme à ma carrière publique, mes sentiments ne m'empêchent pas pas de différer la profonde reconnaissance de la dette de gratitude que je dois à mon cher pays pour les nombreux honneurs qu'il m'a conférés… Si des bienfaits pour notre pays ont résulté de mes services, qu'il soit toujours rappelé à votre louange et comme un exemple instructif dans nos annales, que… la constance de votre soutien fut le support essentiel de nos efforts et une garantie des plans par lesquels ils furent menés à bien. Profondément pénétré de cette idée, je l'emporterai avec moi dans ma tombe, comme une puissante incitation à des vœux incessants pour que le Ciel continue à vous accorder les plus belles marques de sa bienfaisance; que votre union et votre affection fraternelle soient perpétuelles; que la Constitution libre, qui est l'ouvrage de vos mains, soit maintenue de façon sacrée…
Ici, peut-être devrais-je m'arrêter. Mais une sollicitude pour votre bien-être, qui ne peut prendre fin qu'avec ma vie, et l'appréhension du danger qui lui est naturellement attachée, m'incitent, en une occasion comme celle-ci, à soumettre à votre contemplation solennelle et à recommander à votre examen fréquent, quelques impressions qui sont le fruit de beaucoup de réflexions… et qui me paraissent toutes importantes pour la pérennité de votre bonheur en tant que peuple. Celles-ci vous seront offertes avec d'autant plus de liberté que vous n'y verrez que les avertissements désintéressés d'un ami qui part, et qui ne peut avoir aucun motif personnel pour biaiser ses conseils…
L'unité de gouvernement qui fait de vous un seul peuple vous est désormais chère. Il en justement ainsi, car c'est un pilier essentiel dans l'édifice de votre véritable indépendance, le soutien de votre tranquillité à l'intérieur, de votre paix à l'extérieur; de votre sécurité; de votre prospérité; de cette liberté même à laquelle vous accordez tant de prix. Mais comme il est facile de prévoir que... beaucoup d'efforts seront déployés, de nombreux artifices seront employés pour affaiblir dans vos esprits la conviction de cette vérité; comme c'est le point de votre forteresse politique contre lequel les batteries des ennemis intérieurs et extérieurs seront le plus constamment et activement (bien que souvent secrètement et insidieusement) dirigées, il est d'une importance infinie que vous appréciiez correctement l'immense valeur de votre Union nationale pour votre bonheur collectif et individuel; que vous chérissiez un attachement chaleureux, habituel et inébranlable à celle-ci; que vous vous accoutumant à penser à elle et à parler d'elle comme la garantie de votre sécurité et de votre prospérité politiques… et en fronçant les sourcils avec indignation au premier signe de la moindre tentative visant à aliéner une partie quelconque de notre pays, ou à affaiblir les liens sacrés qui en unissent maintenant les différentes parties.
…Alors que chaque partie de notre pays ressent ainsi un intérêt immédiat et particulier dans l'union, toutes les parties combinées ne peuvent manquer de trouver dans la masse unie de leurs moyens et de leurs efforts une plus grande force, de plus grandes ressources, une sécurité proportionnellement plus grande face aux dangers extérieurs, des interruptions moins fréquentes de leur paix par des nations étrangères; et… elles doivent tirer de l'union d'être épargnées par les querelles et des guerres qui affligent si fréquemment les pays voisins… que leurs propres rivalités suffiraient à produire, mais que des alliances, des attachements et des intrigues étrangères opposés stimuleraient et envenimeraient. Par conséquent, elles éviteront aussi la nécessité de ces établissements militaires surdimensionnés qui, sous quelque forme de gouvernement que ce soit, sont néfastes à la liberté et doivent être considérés comme particulièrement hostiles à la liberté républicaine…
...Regardant les causes susceptibles de troubler notre Union, un sérieux sujet de préoccupation est qu'on ait pu trouver matière pour caractériser les partis par des discriminations géographiques - Nord et Sud, Atlantique et Ouest; à partir de quoi des hommes malintentionnés peuvent s'efforcer de faire croire à l'existence d'une réelle divergence d'intérêts et de points de vue locaux. L'un des expédients employés par les partis pour acquérir de l'influence au sein de certains districts est de déformer les opinions et les objectifs des autres districts. Vous ne sauriez trop vous protéger des jalousies et des ressentiments qui naissent de ces déformations; elles tendent à rendre étrangers les uns aux autres ceux qui devraient être unis par une affection fraternelle…
…Pour l'efficacité et la pérennité de votre Union, un gouvernement pour l'ensemble est indispensable… Conscients de cette vérité capitale, vous avez amélioré votre premier essai en adoptant une constitution gouvernementale mieux conçue que la précédente pour une Union intime et une gestion efficace de vos intérêts communs. Ce gouvernement… a un droit légitime à votre confiance et à votre soutien. Le respect de son autorité, le respect de ses lois, l'acceptation de ses mesures sont des devoirs prescrits par les maximes fondamentales de la véritable liberté. Le fondement de nos systèmes politiques est le droit du peuple d'établir et de modifier ses propres constitutions. Mais la Constitution, qui existe à tout moment, jusqu'à sa modification par un acte explicite et authentique de l'ensemble du peuple, est une obligation sacrée pour tous…
...Toute entrave à l'exécution des lois, toute combinaison ou association, sous quelque caractère plausible que ce soit, dans le but avéré de diriger, contrôler, contrecarrer ou intimider les délibérations et actions régulières des autorités constituées, sont destructrices de ce principe fondamental et ont une tendance fatale. Elles servent à organiser des factions, à leur donner une force artificielle et extraordinaire, à substituer à la volonté déléguée de la nation la volonté d'un parti, souvent une minorité réduite, mais astucieuse et agissante, de la communauté; et, selon les succès alternés des différents partis, à faire de l'administration publique le reflet des projets mal concertés et incongrus des factions, plutôt que l'organe de plans cohérents et sains, élaborés par des conseils communs et modifiés par des intérêts mutuels.
Cependant, même si les combinaisons ou associations décrites ci-dessus peuvent parfois répondre à des fins populaires, elles sont susceptibles, avec le temps et des évènements, de devenir de puissants moteurs, permettant à des hommes rusés, ambitieux et sans principes seront en mesure de renverser le pouvoir du peuple et de s'emparer des rênes du gouvernement, détruisant ensuite les mêmes moteurs qui les portèrent à une domination injuste.
…Je vous ai déjà fait part du danger que représentent les partis dans l'État, notamment lorsqu'ils sont fondés sur des discriminations géographiques. Permettez-moi maintenant d'adopter une perspective plus globale et de vous mettre en garde de la manière la plus solennelle contre les effets néfastes de l'esprit de parti en général.
Cet esprit, malheureusement, est indissociable de la nature, puisant ses racines dans les passions les plus fortes de l'esprit humain. Il existe sous différentes formes, plus ou moins étouffé, contrôlé ou réprimé dans tous les gouvernements; mais, dans les gouvernements populaires, cet esprit de parti se manifeste sous ses plus grands excès et constitue véritablement leur pire ennemi.
La domination alternée d'une faction sur une autre, aiguisée par l'esprit de vengeance propre aux dissensions partisanes, qui, à différentes époques et dans différents pays, a perpétré les plus horribles énormités, est en soi un despotisme effroyable. Mais cela conduit finalement à un despotisme plus formel et permanent. Les désordres et les misères qui en résultent inclinent progressivement les esprits à rechercher la sécurité et le repos dans le pouvoir absolu d'un individu; et tôt ou tard, le chef de quelque faction dominante, plus capable ou plus fortuné que ses concurrents, transforme cette disposition à des fins de promotion personnelle, sur les ruines de la liberté publique.
Sans attendre une extrémité de ce genre (qui ne devrait néanmoins pas être entièrement hors de vue), les maux communs et continuels de l'esprit de parti suffisent pour qu'il soit de l'intérêt et du devoir d'un peuple sage de le décourager et de le contenir.
Il sert toujours à distraire les conseils publics et à affaiblir l'administration publique. Il agite la communauté par des jalousies infondées et de fausses alertes, il attise l'animosité d'une partie contre l'autre, fomente occasionnellement des émeutes et des insurrections. Il ouvre la porte à l'influence étrangère et à la corruption, qui trouvent un accès facilité au gouvernement lui-même par le canal des passions partisanes. Ainsi, la politique et la volonté d'un pays se trouvent soumises à celles d'un autre.
Certains pensent que, dans les pays libres, les partis constituent des contrôles utiles à l'administration du gouvernement et qu'ils serviront à maintenir vivant l'esprit de liberté. Ceci est probablement vrai dans certaines limites - et dans les gouvernements de tendance monarchique, le patriotisme peut considérer avec indulgence, sinon avec faveur, l'esprit de parti. Mais dans ceux de caractère populaire, les gouvernements purement électifs, cet esprit ne doit pas être encouragé...
…De même, il est important que… ceux qui sont chargés de l'administration [gouvernementale], se limitent à leurs sphères constitutionnelles respectives, évitant ainsi, dans l'exercice des pouvoirs d'un département, d'empiéter sur un autre. L'esprit d'empiétement tend à consolider les pouvoirs de tous les départements en un seul, et ainsi à créer… un véritable despotisme… La nécessité de contrôles réciproques dans l'exercice du pouvoir politique… a été démontrée par des expériences anciennes et modernes, certaines dans notre pays et sous nos propres yeux. Les préserver est aussi nécessaire que les instituer…
… De toutes les dispositions et habitudes qui conduisent à la prospérité politique, la religion et la morale sont des soutiens indispensables. En vain l’homme qui s’efforcerait de renverser ces grands piliers du bonheur humain pourrait-il prétendre au tribut du patriotisme… Qu'on se demande simplement: où est la sécurité de la propriété, de la réputation, de la vie, si le sens du devoir religieux déserte les serments… et laissons-nous avec prudence céder à la supposition que la moralité peut être maintenue sans religion.
En tant que source importante de force et de sécurité, chérissez le trésor public. Une méthode pour le préserver est de l'utiliser avec la plus grande parcimonie possible… en évitant aussi l'accumulation de dettes, non seulement en évitant les occasions de dépenses, mais par des efforts vigoureux en temps de paix pour régler les dettes que des guerres inévitables ont pu engendrer, sans, de manière ingrate, rejeter sur la postérité le fardeau que nous devrions nous-mêmes supporter…
Observez la bonne foi et la justice envers toutes les nations; cultivez la paix et l'harmonie avec toutes… Il sera digne d'une nation libre, éclairée et, dans un avenir proche, d'une grande nation, de donner à l'humanité l'exemple magnanime et tellement nouveau d'un peuple toujours guidé par une justice et une bienveillance exaltées. Qui peut douter qu'avec le temps et les événements, les fruits d'un tel plan devraient compenser largement les quelques avantages temporaires qui pourraient avoir été perdus par une adhésion constante à celui-ci?
… Dans l'exécution d'un tel plan, rien n'est plus essentiel que d'exclure les antipathies permanentes et invétérées contre certaines nations, ainsi que les attachements passionnés pour d'autres, et de cultiver, à leur place, des sentiments justes et amicaux à l'égard de tous. La nation qui nourrit à l'égard d'une autre une haine ou une affection habituelle est, dans une certaine mesure, une esclave. Elle est esclave de son animosité ou de son affection, l'une ou l'autre suffisant à la détourner de son devoir et de son intérêt… La nation, entraînée par la rancune et le ressentiment, pousse parfois le gouvernement à la guerre, contrairement aux meilleurs calculs de la politique…
...De même, l'attachement passionné d'une nation à une autre engendre divers maux. La sympathie pour la nation favorite, en facilitant l'illusion d'un intérêt commun imaginaire dabs des cas où il n'en existe pas réellement, et en insufflant à celle-ci les inimitiés de l'autre, la trahit et la pousse à participer aux querelles et aux guerres de la seconde sans motivation ni justification adéquates…
Contre les ruses insidieuses de l'influence étrangère (je vous conjure de me croire, chers concitoyens), la jalousie d'un peuple libre doit être constamment en éveil, car l'histoire et l'expérience prouvent que l'influence étrangère est l'un des ennemis les plus pernicieux du gouvernement républicain. Mais pour être utile, cette jalousie doit être impartiale; sinon, elle devient l'instrument de l'influence même à éviter, au lieu d'être une défense contre elle…
...Notre grande règle de conduite à l'égard des nations étrangères est, en étendant nos relations commerciales, d'avoir avec ces nations le moins de liens politiques possible. Dans la mesure où nous avons déjà formé des engagements, qu'ils soient remplis avec une parfaite bonne foi. Arrêtons-nous là…
...En vous offrant, mes compatriotes, ces conseils d'un vieil et affectueux ami, je n'ose espérer qu'ils produiront l'impression forte et durable que je souhaiterais, qu'ils maîtriseront le courant habituel des passions, ou empêcheront notre nation de suivre le cours qui a jusqu'à présent marqué le destin des nations. Mais, si je puis me flatter qu'ils puissent produire quelque bénéfice partiel, quelque bien occasionnel, qu'ils puissent de temps en temps revenir pour modérer la fureur de l'esprit de parti, pour mettre en garde contre les méfaits des intrigues étrangères, pour nous protéger des impostures du prétendu patriotisme - cet espoir sera une pleine récompense pour la sollicitude pour votre bien-être par laquelle ils ont été dictés.
Bien qu'en passant en revue les événements de mon administration, je n'aie pas conscience d'erreurs intentionnelles, je suis néanmoins trop conscient de mes défauts pour ne pas penser qu'il est probable que j'aie pu commettre de nombreuses erreurs. Quelles qu'elles soient, j'implore avec ferveur le Tout-Puissant de prévenir ou d'atténuer les maux auxquels elles peuvent conduire. J'emporterai aussi avec moi l'espoir que mon pays ne cessera jamais de les considérer avec indulgence, et qu'après quarante-cinq ans de vie consacrée à son service avec un zèle intègre, les défauts de mon incompétence seront relégués à l'oubli, comme je le serai bientôt moi-même dans les demeures du repos.
Comptant sur sa bonté en ceci comme en d'autres choses, et animé par cet amour fervent qu'un homme éprouve naturellement envers la terre natale de lui-même et de ses ancêtres depuis plusieurs générations, j'anticipe dans une agréable attente cette retraite dans laquelle je me promets de goûter, sans mélange, la douce jouissance de partager, au milieu de mes concitoyens, l'influence bienfaisante de bonnes lois sous un gouvernement libre - l'objet toujours favori de mon cœur, et l'heureuse récompense, j'en suis convaincu, de nos soins, travaux et dangers communs.
Geo. Washington
États-Unis
19 Septembre 1796