Louis XIV et la Révocation de l'Édit de Nantes

Article

Stephen M Davis
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 26 juillet 2022
Disponible dans ces autres langues: anglais, polonais, espagnol
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À partir du XVIe siècle, les protestants de France eurent des difficultés dans leurs rapports avec le pouvoir royal. Les protestants devaient la reconnaissance de leurs droits davantage à des décrets souverains qu'à une véritable tolérance ou à un pluralisme religieux. La prise de conscience du fait que le monarque détenait le pouvoir de révoquer ce qui avait été accordé conduisit à la suspicion et à la méfiance à l'égard des souverains. Sous Louis XIV (r. de 1643 à 1715), ils perdirent les droits acquis sous Henri IV (r. de 1589 à 1610).

L'édit de Nantes remis en cause

Louis XIV, également connu sous le nom de Roi Soleil, est l'un des plus illustres rois de France. Son règne fut marqué par de grandes réalisations culturelles et militaires, mais aussi par des guerres sans fin et l'intolérance religieuse. Sous le règne de son grand-père Henri IV, les effets de l'édit de Nantes en 1598 avaient permis aux catholiques et aux protestants français de cohabiter dans une paix précaire. Après la mort d'Henri IV en 1610, l'Église catholique et la monarchie commencèrent à plannifier l'abolition des protections offertes par l'Édit de Nantes, ce qui a conduisit à sa révocation en 1685.

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Edict of Fontainebleau
Édit de Fontainebleau
Unknown Artist (Public Domain)

Au début du règne de Louis XIV, il y eut une période de tranquillité religieuse pour les protestants. Avec le cardinal Mazarin (1601-1661) à ses côtés, Louis XIV pensait au début que le strict respect des édits précédents et le refus d'accorder des droits supplémentaires était le moyen le plus efficace de réduire le nombre de protestants dans son royaume. Même Mazarin fit preuve de tolérance en accordant des emplois et des postes gouvernementaux aux protestants, et il ne donna pas satisfaction aux plaintes du clergé catholique qui protestait contre la construction de temples protestants. Une déclaration royale de 1652 reconnut la fidélité des protestants à la Couronne et promit le maintien de l'Édit de Nantes avec la jouissance de tous ses avantages. En 1656, cette déclaration fut révoquée et l'exercice de la religion réformée fut interdit dans les lieux où elle avait été récemment établie. Les synodes provinciaux envoyèrent une délégation pour présenter leurs doléances au roi qui les autorisa à tenir un synode général en novembre 1659 à Loudun. Le représentant du roi reprocha aux protestants présents leur insolence et annonça que ce serait leur dernier synode général.

Des mesures furent prises pour démanteler les églises protestantes et intensifier la répression.

Après la mort de Mazarin, Louis XIV fut déterminé à devenir le maître absolu de son royaume. Par des mesures hostiles, il chercha à paralyser la vitalité protestante et à encourager des conversions au catholicisme. Le roi rétablit les Commissions comme principal moyen de répression par lequel il envoyait des commissaires dans les provinces pour enquêter sur les violations déclarées ou supposées de l'édit de Nantes. Les églises réformées étaient placées sur le banc des accusés et devaient justifier leur existence tandis que les représentants de l'Église catholique plaidaient systématiquement pour la fermeture des églises réformées. Des dizaines d'églises furent fermées de force dans les provinces du Bas-Languedoc et des Cévennes où l'on comptait environ 140 000 protestants, ou religionnaires comme on les appelait.

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Révocation de l'édit de Nantes

Le conflit s'envenima à partir de 1679, et l'insécurité juridique des années 1660 et 1670 fut remplacée par des mesures de démantèlement des églises protestantes et d'intensification de la répression. La conversion des catholiques au protestantisme fut interdite, et il fut interdit aux protestants convertis au catholicisme de revenir à leur ancienne religion. Louis XIV ne cherchait plus à saper l'Édit de Nantes mais était désormais déterminé à le contourner. Le roi lança les féroces dragonnades qui contraignaient les protestants à loger les troupes du roi (les dragons) afin d'accélérer les conversions. En l'espace de quelques années seulement, la situation des protestants en France s'inversa de manière radicale et dangereuse. Au milieu du XVIIe siècle, la Réforme était solidement enracinée dans de nombreuses provinces. Les églises réformées avaient bénéficié des conditions favorables créées par l'édit de Nantes. Les églises et les synodes avaient été bien organisés, dirigés par des leaders de qualité, et avaient fait preuve de loyauté envers le pouvoir royal. À présent, les temples les plus importants étaient démolis et le nombre d'adhérents protestants diminuait.

Peu à peu, les protestants perdirent pratiquement tous les droits accordés par l'Édit de Nantes.

Les interdictions se multipliaient : Les protestants n'avaient pas le droit de se réunir en dehors de leurs lieux de culte autorisés et ne pouvaient pratiquer leur culte qu'à des heures précises ; il leur fut interdit de chanter les psaumes pendant le culte ; il fut interdit aux pasteurs de rester plus de trois ans au même endroit ; les mariages entre catholiques et protestants furent interdits ; les cérémonies de baptême ou de mariage étaient limitées à douze personnes ; les enterrements étaient interdits pendant la journée et seules dix personnes étaient autorisées à se réunir ; il était interdit aux pasteurs de critiquer l'Église catholique de quelque manière que ce soit et il leur était interdit d'accueillir de nouveaux convertis dans les églises sous peine de bannissement et de confiscation des biens. Les personnes hospitalisées subissaient des pressions pour se convertir et recevaient la visite de magistrats pour obtenir une renonciation au protestantisme. La plupart des écoles protestantes furent fermées et les parents ne furent pas autorisés à envoyer leurs fils étudier à l'étranger. Petit à petit, les protestants perdirent pratiquement tous les droits qui l'Édit de Nantes leur avait accordés.

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Edict of Nantes
Édit de Nantes
National Archives of France (Public Domain)

Le clergé catholique persuada le roi que le succès de ces mesures avait diminué la religion réformée au point qu'il ne restait que très peu de protestants en France. Lorsqu'il découvrit que cela était faux, le clergé rejeta la faute sur l'obstination des protestants et l'incapacité des prêtres à combattre l'hérésie. Le 18 octobre 1685, Louis XIV finit par céder à la pression du clergé qui souhaitait obtenir la révocation de l'édit de Nantes; avec l'édit de Fontainebleau, les sujets du roi furent contraints d'adopter la religion du roi.

Les articles de la révocation

Les articles de l'édit de révocation révèlent les mesures drastiques prises pour éliminer la religion protestante de France. L'article premier ordonne la démolition des temples protestants. Les articles deux et trois interdisent toute assemblée religieuse sous peine de prison. Les articles quatre, cinq et six ordonnent l'expulsion dans les 15 jours de tous les pasteurs protestants qui refusent de se convertir au catholicisme et l'octroi d'une pension à vie à ceux qui se convertissent. L'article sept interdit les écoles protestantes. L'article huit oblige tous les enfants en bas âge à être baptisés dans l'Église catholique et à recevoir l'instruction religieuse des prêtres de village. Les articles neuf et dix ordonnent la confiscation des biens de ceux qui ont déjà émigré, à moins qu'ils ne reviennent dans un délai déterminé, et interdisent l'émigration des protestants sous peine de galères pour les hommes et d'emprisonnement pour les femmes. L'article onze stipule la punition des nouveaux convertis qui refusent les sacrements de l'Église. L'article douze accorde le droit de rester dans le royaume aux protestants non encore éclairés à condition d'interdire les assemblées pour le culte ou la prière. L'Église catholique ouvre des maisons de conversion et le protestantisme n'a plus le droit d'exister dans le royaume.

Conversion et confiscation

La peur des dragons entraîna des vagues de conversions dans des villages entiers et accéléra la disparition des protestants. En quelques mois seulement, des centaines de milliers de protestants se convertirent au catholicisme. Ils furent appelés N.C. (Nouveaux convertis ou Nouveaux catholiques), et furent placés sous haute surveillance. De 1685 à 1715, plus de 200 000 protestants s'échappèrent et émigrèrent vers des lieux de refuge comme Genève, l'Angleterre, l'Allemagne et la Hollande. Parmi eux, des soldats, des marins, des magistrats, des intellectuels, des marchands et des artisans dont le départ appauvrit la France et enrichit ses voisins. Sur environ 780 pasteurs encore présents en France en 1685, 620 s'exilèrent et 160 abjurèrent, bien que certains soient revenus plus tard à la foi réformée.

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Portrait of Louis XIV of France
Portrait de Louis XIV de France
Hyacinthe Rigaud (Public Domain)

La Révocation rétablit l'union de l'Église et de la monarchie et procura des avantages matériels à la monarchie. Avant le règne de Louis XIV, Anne d'Autriche (1601-1666), l'épouse de Louis XIII de France (r. de 1610 à 1643), vivait somptueusement et avait accordé des privilèges et des monopoles à ses admirateurs et à ses courtisans. Louis XIV hérita des dettes qui pesaient lourdement sur les finances de la cour. Plus de 600 temples protestants furent saccagés et détruits. Les Jésuites suggérèrent que le butin soit remis au roi. Les possessions des particuliers furent également visées pour être distribuées aux fidèles du roi, religieux ou non. La population étant décimée par des famines périodiques et mourant de faim, Louis XIV quitta le palais royal du Louvre à Paris et s'installa, lui et sa cour, à Versailles en 1682. Versailles devint sa résidence principale et fut agrandi et embelli à des coûts exorbitants, symbole ostentatoire de son pouvoir et de son influence en Europe. Lui et ses courtisans y menèrent une vie somptueuse grâce au produit de la confiscation de biens. Parmi les bénéficiaires, on compte des abbés et des évêques de l'Église catholique, qui n'avaient aucunement honte de profiter du pillage des protestants, désormais fugitifs et exilés.

L'exil

40% des protestants des provinces du nord du royaume franchirent les frontières de la France pour se mettre à l'abri, tandis que seuls 16% dans le Midi et 2% dans les Cévennes fuirent le pays. La majorité de ceux qui restèrent, les deux tiers des réformés, ne se convertirent pas au catholicisme et commencèrent à s'organiser, d'abord en petits groupes, puis en grandes assemblées dans des lieux isolés. Moins d'un mois après la Révocation, l'édit de Potsdam de Frédéric-Guillaume, électeur de Brandebourg et duc de Prusse, encouragea les réfugiés protestants à s'installer dans le Brandebourg et leur accorda les mêmes droits et privilèges que ceux qui y étaient nés. Les pertes subies par la France à la suite de la Révocation ne se limitèrent pas à la perte d'argent et de personnes. Aussi fragile et compliquée qu'ait été la paix depuis 1598, les avantages sociétaux de la stabilité étaient réels en créant des écoles et des entreprises. Lorsque Louis XIV commença à réduire l'espace protestant, ces bénéfices furent sacrifiés et la France perdit tout espoir de coexistence pacifique.

Conclusion

La révocation de l'édit de Nantes offrit un semblant d'unité. Par le biais de la violence étatique, la France crut faussement qu'elle avait retrouvé une unité spirituelle. Les historiens observent à juste titre un lien entre la terreur religieuse de 1685 et la terreur révolutionnaire de 1793. En 1685, Louis XIV avait traité les maudits protestants en tant que hors-la-loi. Cent ans plus tard, la monarchie et le clergé français payèrent très cher leur tyrannie. Les vainqueurs de la Révocation devinrent les victimes de la Révolution. Louis XVI de France (1754-1793) et sa famille furent massacrés par leurs sujets. Les prêtres furent contraints à l'exil et trouvèrent refuge chez les descendants de ceux que leurs prédécesseurs avaient persécutés.

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Paul Deschanel (1855-1922), député d'Eure-et-Loir, puis président de la République française, qualifia la révocation de l'édit de Nantes comme l'un des plus grands crimes jamais commis contre la conscience humaine. La persécution religieuse des protestants à la suite de la Révocation fit d'eux les représentants de la grande cause de la liberté de conscience. Leurs demandes répétées de justice et leurs serments d'allégeance à la Couronne avaient tous échoué au pied du trône des despotes. Ce n'est qu'en 1787, avec l'édit de tolérance, que les protestants français seraient enfin considérés comme des Français à part entière, avec le droit de se marier devant un officier civil, d'enregistrer la naissance de leurs enfants et d'enterrer leurs morts. La pleine reconnaissance des protestants en tant que Français authentiques et légaux n'interviendrait qu'avec la Révolution française de 1789 tant décriée, et l'égalité des protestants avec le catholicisme serait finalement réalisée par le Concordat napoléonien et les articles organiques en 1801 et 1802.

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Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Stephen M Davis
Docteur Stephen M. Davis est doyen de Grace Church à Philadelphie. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont "Rise of French Laïcité" et "The French Huguenots and Wars of Religion".

Citer cette ressource

Style APA

Davis, S. M. (2022, juillet 26). Louis XIV et la Révocation de l'Édit de Nantes [Louis XIV and the Revocation of the Edict of Nantes]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2046/louis-xiv-et-la-revocation-de-ledit-de-nantes/

Style Chicago

Davis, Stephen M. "Louis XIV et la Révocation de l'Édit de Nantes." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le juillet 26, 2022. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2046/louis-xiv-et-la-revocation-de-ledit-de-nantes/.

Style MLA

Davis, Stephen M. "Louis XIV et la Révocation de l'Édit de Nantes." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 26 juil. 2022. Web. 05 oct. 2024.

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