Temples Grecs de Sicile

Article

Wanda Marcussen
de Heinrich Hall, traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 25 juin 2019
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Disponible dans ces autres langues: anglais, grec, espagnol

Il y a au moins mille raisons de visiter la Sicile, en fait la plus grande île de la Méditerranée, qui forme le ballon triangulaire pour la botte qu'est la péninsule italienne. Ce sont toutes d'excellentes raisons, notamment des paysages étonnants, une cuisine unique, complexe et délicieuse, une histoire diversifiée et multiforme, d'excellents vins, un grand nombre de sites archéologiques et un nombre encore plus grand de villes et de villages historiques. Mais une raison essentielle de visiter l'île est absente de la liste ci-dessus: Les temples grecs !

Doric Temple, Segesta
Temple dorique de Ségeste
Heinrich Hall (CC BY-NC-SA)

Les temples grecs sont l'une des premières expressions bien définies de ce que nous reconnaissons aujourd'hui comme la tradition occidentale de l'architecture, et l'une des plus influentes à ce jour. Ils remontent au 8e ou 7e siècle av. J.-C. et, comme leur nom l'indique, ils constituent une réalisation majeure des Grecs de l'antiquité. Ils proviennent de ce qui est le sud de la Grèce moderne, à savoir le Péloponnèse et la Grèce centrale, où l'architecture des temples grecs semble avoir ses principales racines, probablement dérivées des prédécesseurs locaux en bois.

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Le style architectural de la Grèce continentale est le style dorique, considéré comme le plus austère et le plus "masculin". L'est de la mer Égée et l'Asie mineure étaient célèbres pour leur propre style, le style ionique, plus élégant et plus "féminin", conçu environ un siècle après le style dorique. Ses exemples les plus marquants à Samos, Éphèse et Didymes (bien mieux conservée que les deux autres) sont également marqués par leur taille monumentale. Qu'y a-t-il donc de si remarquable dans les temples grecs de Sicile ?

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La réponse est simplement que la Sicile possédait un plus grand nombre de temples monumentaux que n'importe quelle autre région de la Méditerranée et qu'elle peut vanter aujourd'hui plus d'exemples bien préservés que partout ailleurs. Non seulement ils constituent un ensemble exceptionnellement riche de monuments antiques particulièrement impressionnants, mais, en outre, chacun d'entre eux a son propre caractère distinctif et ses particularités, sa propre histoire et son cadre particulier en arrière-plan, une ville ou un paysage.

Colonisation grecque

La raison de la richesse de la Sicile en ce type spécifique de monuments réside dans l'histoire ancienne de l'île. Au VIIIe siècle avant notre ère, la Sicile devint la cible du mouvement connu sous le nom de colonisation grecque qui toucha une grande partie de la Méditerranée et de la mer Noire. Les colons grecs, pour la plupart originaires des cités-états du sud de la Grèce continentale, se mirent à fonder toute une série de nouvelles villes sur l'île, dont Syrakousai (l'actuelle Syracuse), Akragas (Agrigente), Messène (Messine) et Selinus (Sélinonte). En fait, la Sicile (et le sud du continent italien) reçut tant de colonies grecques que la région fut appelée plus tard Megale Hellas ou Magna Graecia ("Grande Grèce").

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Temple of Juno, Agrigento
Temple d'Héra (ou Junon), Agrigente
Mark Cartwright (CC BY-NC-SA)

Ces colons apportèrent avec eux leur identité grecque, leur mode de vie, leur culture et leurs traditions, tout un ensemble de choses qui comprenait également leur religion. Les grands temples de Sicile sont l'expression la plus frappante de cet ensemble. Tout d'abord, ils répondaient au besoin pratique de fournir un lieu de culte ou un sanctuaire avec une maison pour la statue du dieu ou de la déesse vénéré en ce lieu. En même temps, le choix d'un type architectural typique de la "mère patrie", le temple dorique, était une indication claire de l'origine et de l'alignement culturel des colons. Bientôt, la taille, le format et les caractéristiques individuelles commencèrent également à exprimer la richesse, l'ambition et les identités siciliennes spécifiques des "nouvelles" villes.

Syracuse

Syracuse (Syrakousai), fondée par les Corinthiens en 733 avant notre ère, se limitait à l'origine à la petite île d'Ortygie, qui constitue toujours le cœur de sa vieille ville et sur laquelle se trouvent deux temples majeurs.

Le temple d'Apollon est l'un des plus anciens parmi les temples grecs de Sicile, construit avant 550 av. J.-C. Bien qu'il ne soit que partiellement préservé, son caractère monumental est encore appréciable grâce aux épaisses colonnes placées très près les unes des autres, tout comme son plan déjà très sicilien, avec un adyton, un saint des saints intérieur, abritant la statue d'Apollon à l'arrière du sanctuaire intérieur. Une inscription sur les marches de la façade désigne Cléomène comme architecte et Épiclès comme créateur des colonnes - une commémoration aussi fière des bâtisseurs aurait été impensable en Grèce continentale à cette époque.

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Ce qui rend le temple d'Athéna unique, c'est le fait qu'il sert toujours de lieu de culte pour la ville après près de 2 500 ans.

Pour le visiteur moderne, le temple d'Apollon à Syracuse est éclipsé par celui d'Athéna, l'un des sites les plus spectaculaires de Sicile. Érigé par le tyran local Gélon après une grande victoire sur les Carthaginois en 480 av. J.-C., il s'agissait d'un autre temple dorique monumental, construit en pierre calcaire locale (qui aurait été recouverte de stucs fins), avec une superstructure en marbre importée des Cyclades, à environ 900 km de là. Ce qui rend le temple d'Athéna unique, c'est le fait qu'il sert encore de lieu de culte pour la ville après près de 2 500 ans. Il fut reconsacré en tant qu'église chrétienne vers l'an 600, puis servit de mosquée et est aujourd'hui la cathédrale catholique romaine de Syracuse. Caché derrière une façade baroque ornée, le visiteur découvre ce qui est essentiellement une basilique paléochrétienne construite dans et autour de la structure de base d'un temple dorique de l'Archaïque tardif.

Agrigente

Agrigente (Akragas) fut colonisée par des habitants de la ville voisine de Gela et de la lointaine Rhodes vers 582 avant notre ère. La ville prospéra, surtout aux 6e et 5e siècles av. J.-C., après quoi elle changea souvent de mains entre les Grecs et les Carthaginois avant de tomber aux mains de Rome. Au cours de son apogée, Akragas semble avoir dépensé beaucoup de ressources dans une architecture somptueuse, un fait critiqué par le philosophe Empédocle, du Ve siècle av. J.-C., qui y était lui-même citoyen : "Les Agrigentins vivent délicatement comme si demain n'existait pas, mais ils construisent bien leurs maisons comme s'ils pensaient vivre éternellement". En effet, Akragas est connu pour avoir eu au moins dix grands temples.

Temple of Concordia, Agrigento
Temple de la Concorde, Agrigente
Mark Cartwright (CC BY-NC-SA)

Le plus impressionnant d'entre eux est aujourd'hui celui traditionnellement appelé le temple de la Concorde, bien que sa divinité reste inconnue. Daté d'environ 425 av. J.-C., il est l'un des derniers temples grecs de Sicile à être achevé. Il compte parmi les trois temples grecs les mieux conservés du monde antique (les autres étant le temple dit de Poséidon à Paestum près de Naples et celui d'Hephaistos à Athènes). Le sanctuaire intérieur, les colonnades extérieures et les frontons ont tous survécu dans ce qui est essentiellement leur état d'origine, mettant en évidence les belles proportions de l'architecture classique. Sa bonne conservation est due à sa conversion précoce en église chrétienne.

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On peut également voir à Agrigente les vestiges importants de trois autres grands temples, dont la structure connue (probablement à tort) sous le nom de Temple d'Héra. Le plus remarquable d'entre eux, cependant, doit être l'énorme temple de Zeus Olympien (ou Olympéion), dont il ne reste que les fondations et la maçonnerie en partie détruite. Construit par le tyran local Théron (frère de Gélon, mentionné plus tôt) après la victoire de 480 av. J.-C., il était dédié au dieu principal. Bien que modelé sur l'idée du temple dorique, il s'agissait en fait d'une structure très inhabituelle pour plusieurs raisons, notamment ses énormes dimensions (110 x 52 mètres ou 360 x 170 pieds), sa colonnade partiellement murée et l'utilisation d'atlantides massifs, des figures en relief de géants, pour soutenir la superstructure. Certains chercheurs ont interprété le temple de Zeus Olympien comme un hybride entre un extérieur dorique grec et un intérieur plus carthaginois/phénicien.

Temple of the Dioscuri, Agrigento
Temple des Dioscures, Agrigente
Mark Cartwright (CC BY-NC-SA)

Sélinonte

Sélinonte (Selinus) est située à l'extrême ouest de la Sicile. Elle fut fondée en 628/627 avant notre ère par des Grecs siciliens de Gela, avec une participation de Megara près d'Athènes. À bien des égards, elle constituait un avant-poste parmi les cités grecques de Sicile, située à proximité des centres de pouvoir phéniciens et carthaginois. Cela n'empêcha certainement pas ses habitants de s'engager dans la construction de temples: nous en connaissons au moins sept, dont plusieurs de dimensions impressionantes.

Temple C, Selinus
Temple C, Sélinonte
Mark Cartwright (CC BY-NC-SA)

Quatre de ces temples étaient situés sur l'acropole, la citadelle de la ville. L'un d'eux, le temple C, est encore très impressionnant. On ne sait pas quelle divinité était adorée au Temple C, dont une seule face est conservée. Il date d'avant 550 avant notre ère. Il présente quelques similitudes avec le temple d'Apollon de Syracuse, légèrement plus ancien, comme l'adyton à l'extrémité ouest du sanctuaire abritant une statue de son dieu ou de sa déesse. Néanmoins, ses colonnes et ses proportions générales sont plus gracieuses. Les rainures qui permettaient d'ouvrir et de fermer les immenses portes de bronze à l'extrémité orientale sont particulièrement impressionnantes. On y accédait par un escalier monumental de huit marches, le plus ancien que nous connaissions dans le monde grec. Le musée de Palerme conserve des exemples de sa riche décoration sculpturale.

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Temple of Hera, Selinus
Temple d'Héra, Sélinonte
Mark Cartwright (CC BY-NC-SA)

Un deuxième groupe de trois énormes temples s'élevait juste à l'est de Sélinonte, près de son port. Deux, G et F, sont en ruines, mais le troisième, le temple E, se dresse fièrement, en partie grâce à des reconstructions modernes. C'était le temple d'Héra, épouse (et sœur) de Zeus et déesse du mariage. Datant du milieu du Ve siècle av. J.-C., ce temple subit une forte influence de la mère patrie grecque, où le style que nous appelons aujourd'hui "classique" était alors en plein essor, tout en suivant les traditions architecturales siciliennes. Le Temple E se caractérise par une harmonie des proportions inhabituelle parmi les grands temples de Sicile. Sa décoration sculpturale, bien que modeste en quantité, compte parmi les plus belles réalisations de l'art grec en Sicile. Dans l'ensemble, il rappelle fortement le temple de Zeus à Olympie, très légèrement plus ancien et beaucoup moins bien conservé, un site qui aurait été familier à de nombreux Grecs de Sicile, en raison des compétitions athlétiques qui s'y déroulaient tous les quatre ans.

Ségeste

Ségeste, située à l'intérieur des terres à l'extrémité nord-ouest de la Sicile, est d'une certaine manière l'exception parmi les villes mentionnées ici. Elle n'est pas le fruit de la colonisation grecque mais fut fondée dans la nuit des temps par les Élymes, une tribu sicilienne locale. Tout au long de son histoire, elle choisit un rôle entre les sphères grecque et carthaginoise, adoptant des aspects de la culture grecque, mais ne s'alliant pas nécessairement avec ses voisins grecs. Ségeste était en conflit permanent avec la ville voisine de Sélinonte. Néanmoins, à la fin du Ve siècle av. J.-C., les Ségestains s'engagèrent dans la construction d'un beau temple dorique sur une colline à l'extérieur de leur ville, faisant probablement appel à des constructeurs experts originaires de la rivale Sélinonte. Peut-être en raison du déclenchement de la guerre, il ne fut jamais achevé. Ses vestiges semblent complets à première vue, avec les colonnades extérieures et les frontons en place. En regardant de plus près, on constate que les délicates cannelures des colonnes et autres détails sculpturaux ne furent jamais effectués et que le temple est dépourvu de sanctuaire intérieur.

Doric Temple, Segesta
Temple dorique, Ségeste
Mark Cartwright (CC BY-NC-SA)

S'il existe de nombreuses raisons de visiter la Sicile, notamment son climat, sa gastronomie et ses vins, vous conviendrez avec moi que ses temples, regorgeant de splendeur et de beauté anciennes, sont une priorité absolue.

Vous pouvez explorer ces temples et bien d'autres choses en Sicile avec des tour-opérateurs spécialisés dans les circuits archéologiques et culturels dirigés par des experts en Sicile et sur le continent italien.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Citer cette ressource

Style APA

Hall, H. (2019, juin 25). Temples Grecs de Sicile [Greek Temples of Sicily]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1402/temples-grecs-de-sicile/

Style Chicago

Hall, Heinrich. "Temples Grecs de Sicile." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le juin 25, 2019. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1402/temples-grecs-de-sicile/.

Style MLA

Hall, Heinrich. "Temples Grecs de Sicile." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 25 juin 2019. Web. 23 avril 2024.

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