
Robert Dudley, 1er comte de Leicester (c. 1532-1588), était un courtisan de haut rang qui devint l'un des favoris d'Élisabeth Ire d'Angleterre (r. de 1558 à 1603). Des rumeurs circulaient selon lesquelles Dudley cherchait à épouser la reine, et leur relation aurait pu aller au-delà de celle de monarque et de ministre. Détenteur de toutes sortes de titres et de domaines, Dudley prônait une approche plus agressive de la politique étrangère, mais se heurta à l'échec de deux expéditions destinées à aider les protestants rebelles aux Pays-Bas entre 1585 et 1587. Fringant et divertissant, le comte de Leicester accompagnait la reine lors de ses nombreuses tournées annuelles en Angleterre et conserva une place particulière dans son affection jusqu'à sa mort en septembre 1588.
Jeunesse
Robert Dudley vit le jour vers 1532, fils de John Dudley, duc de Northumberland. Le duc avait été exécuté par Marie Ire d'Angleterre (r. de 1553 à 1558) pour ne pas avoir soutenu sa succession. Robert avait lui-même été accusé d'avoir participé au complot visant à faire succéder Lady Jane Grey à Édouard VI d'Angleterre (r. de 1547 à 1553), ce qui était effectivement le cas. Robert avait été envoyé par son père pour capturer Marie lors du coup d'État, mais la future reine s'était déjà enfuie en Est-Anglie. Dudley fut emprisonné à la Tour de Londres et même condamné à mort, mais il fut plus tard gracié par Marie. La troisième fois fut la bonne pour les Dudley car le grand-père de Robert, tout comme son père, avait été exécuté pour trahison en 1510. Malgré son histoire familiale embarrassante et son début de carrière désastreux, le beau et ambitieux Robert Dudley se hisserait au sommet de la politique anglaise.
En 1550, Dudley épousa Amy Robsart, une décision qu'il regretterait peut-être plus tard. Dudley et la princesse Élisabeth, demi-sœur de Marie, étaient amis avant même qu'elle ne devienne reine en 1558. En 1557, Dudley se battit avec distinction contre les Français à la bataille de Saint-Quentin. En 1559, après qu'Élisabeth fut devenue reine, Dudley fut nommé maître de Cavalerie, une fonction très honorifique qui lui permettait de s'occuper des écuries, du transport et des chiens de chasse de sa monarque. Un autre honneur fut d'être nommé membre de l'Ordre de la Jarretière, une relique de la chevalerie médiévale qui perdure encore aujourd'hui.
Prétendant de la reine
Vers 1560, des rumeurs circulèrent selon lesquelles la relation entre Élisabeth et Dudley allait au-delà de la simple amitié. De nombreux autres prétendants, dans le pays et à l'étranger, se disputaient la main d'Élisabeth, mais Dudley disposait d'appartements à côté de celui de la reine dans la plupart de ses résidences principales. Le fait que Dudley ait été marié venait contrebalancer cette vision de la relation, mais même là, les rumeurs trouvaient de quoi alimenter leurs soupçons. Le 8 septembre 1560, l'épouse de Dudley fut retrouvée morte au bas d'un escalier, la nuque brisée. Certains parlèrent d'un tragique accident - elle était d'ailleurs atteinte d'un cancer depuis un certain temps - tandis que d'autres avancèrent l'idée qu'elle avait été poussée par un mari désireux de se libérer pour sa reine. Un fait incriminant est que les domestiques avaient tous été éloignés avant l'"accident".
Le scandale qui suivit la mort de l'épouse de Dudley signifia qu'Élisabeth n'aurait jamais pu l'épouser et conserver le respect de ses ministres et de ses nobles. Il se peut même que certains ministres aient alimenté les rumeurs contre Dudley pour s'assurer que leur propre position de faveur soit maintenue ou pour qu'Élisabeth fasse un mariage étranger plus avantageux. Dudley était également issu d'une famille trop discréditée pour être sérieusement considéré comme un consort convenable pour la reine. Quoi qu'il en soit, la reine semblait déterminée à n'épouser personne et à ne pas restreindre son propre pouvoir.
Promotions et titre de comte
Malgré le scandale et les rumeurs sur ce qui se passait entre eux, la reine et Dudley restèrent de bons amis. En octobre 1562, Dudley fut nommé membre du Conseil privé et, à seulement 30 ans, il était exceptionnellement jeune. Il est possible qu'Élisabeth ait utilisé l'impétueux et radical Dudley pour faire contrepoids à l'autre acteur puissant de la politique anglaise, le conservateur William Cecil, Lord Burghley (1520-1598). Cette rivalité n'était pas seulement un conflit d'idées, mais aussi une rivalité de courtisans et d'hommes d'État. En 1564, Dudley refusa l'offre d'Élisabeth de lui faire épouser sa cousine, Marie, reine d'Écosse (r. de 1542 à 1567). Dudley, qui connaissait bien sa reine, donna comme excuse qu'il ne pouvait supporter d'être séparé de sa souveraine.
Élisabeth fit ensuite de Dudley un comte le 28 septembre 1564, créant pour lui le nouveau comté de Leicester et y ajoutant même le titre de baron de Denbeigh. Il était inhabituel d'accorder un comté à un homme qui n'était pas directement lié au monarque et cette décision montre la haute estime dont jouissait Dudley aux yeux de la reine. Dudley reçut son nouveau titre et ses nouveaux domaines lors d'une somptueuse cérémonie au palais Saint-James. L'année suivante, Dudley reçut deux anciens monastères dans le Yorkshire, une maison à Kew et, surtout, le château de Kenilworth dans le Warwickshire, où il reçut royalement sa reine à de nombreuses occasions (voir ci-dessous). Le comte ajouterait à sa nouvelle demeure un magnifique châtelet. Lors d'autres réceptions, Dudley était souvent l'hôte de la reine. Il était donc clair pour tout le monde que cet homme était, sans aucun doute, le favori de la reine.
Cette amitié, comme toutes les autres, connut des hauts et des bas, et il y eut des disputes publiques sur la politique du gouvernement. Dudley faisait partie du groupe de ministres radicaux qui s'opposaient catégoriquement au catholicisme en Angleterre et défendaient les idées puritaines. Dudley voulait également soutenir activement les protestants à l'étranger, en particulier en France et aux Pays-Bas, où il préconisait une intervention militaire totale, ce à quoi la reine s'opposait au cas où cela provoquerait une guerre contre l'Espagne.
Une autre menace pour leur amitié était la jalousie de la reine lorsque Dudley avait des relations avec d'autres femmes. Néanmoins, l'intimité continue entre Élisabeth et Dudley est illustrée par les observations suivantes faites par Sir James Melville, un ambassadeur à la cour en visite en 1564:
Elle [Élisabeth] m'emmena dans sa chambre à coucher et ouvrit un petit cabinet dans lequel elle conservait de nombreux petits tableaux enveloppés dans du papier, avec leurs noms écrits de sa propre main sur les papiers. Sur le premier qu'elle prit, il y avait écrit: "Le tableau de mon seigneur". J'ai tenu la bougie et j'ai insisté pour voir quel tableau portait ce nom. Elle semblait ne pas vouloir me laisser le voir, mais j'ai insisté pour le voir, et j'ai découvert qu'il s'agissait du tableau du comte de Leicester.
(Ferriby, 183)
Dudley continua d'accumuler les titres et les propriétés. En 1563, il fut nommé grand intendant de l'université de Cambridge et de plusieurs villes, et en 1564, il devint chancelier de l'université d'Oxford. Les tentacules de pouvoir du comte au niveau local s'étendaient partout, de la fonction de juge de paix dans plusieurs comtés à celle d'officier d'état civil de Maldon en 1565. Il s'agissait là de fonctions assez courantes pour un courtisan de haut rang, mais le nombre et l'étendue géographique des nominations de Dudley sont vraiment impressionnants.
En 1575, Dudley organisa une célèbre fête dans sa maison de Kenilworth pour célébrer ses dix ans de possession d'un si beau cadeau de la reine. Ne lésinant pas sur les moyens, le comte décora sa maison et créa un immense lac artificiel dans le parc afin de créer un cadre magnifique pour ses festivités, dont le thème s'inspirait des traditions de la chevalerie médiévale. À l'arrivée de la reine, un garçon déguisé en nymphe proclama, depuis l'île centrale du lac, que "le lac, la loge, le seigneur sont à votre commande" (Philips, 126). Lorsque la reine entra dans la maison, toutes les horloges furent arrêtées pour signifier que la fête commençait et que le temps n'avait plus d'importance. C'était en effet presque vrai, car ils se livrèrent alors pendant 18 jours à des festins, des spectacles et des danses, ainsi qu'à des parties de chasse. Dudley organisa également des pièces de théâtre car il était, après tout, le propriétaire d'une compagnie d'acteurs professionnels connue sous le nom de "Leicester's Men", la première troupe de ce type à avoir reçu une licence royale en 1574. Lorsque tout fut terminé, le couple entreprit une tournée royale dans les domaines du centre de l'Angleterre.
Expéditions aux Pays-Bas
Bien que la reine soit passée à d'autres favoris, elle fut en colère lorsqu'elle découvrit que Dudley s'était marié en secret - avec Lettice Knollys, la comtesse d'Essex - en 1578. Dudley fut banni de la cour, mais y revint lorsque la reine retrouva son calme. En 1585, Dudley fut choisi pour diriger un corps expéditionnaire de 7 000 hommes afin d'aider les rebelles aux Pays-Bas contre le règne de Philippe II d'Espagne (r. de 1556 à 1598); Élisabeth avait finalement cédé aux demandes d'aider plus activement les protestants en Europe.
L'expédition fut un échec, car la force envoyée était trop petite et trop mal équipée, et Dudley, à cause de sa propre mauvaise gestion, n'avait pas les moyens de payer ses soldats professionnels. En outre, le comte de Leicester n'avait aucune expérience du commandement sur le terrain, ce qui devint flagrant lorsqu'il contraria ses propres commandants et ses alliés. Dudley alla encore plus loin et contraria sa monarque en acceptant le titre de gouverneur des Pays-Bas, qui lui fut conféré par des protestants désireux de lier définitivement la politique étrangère de l'Angleterre à leur propre lutte pour l'indépendance. En conséquence, Élisabeth rappela le comte à la maison en novembre 1586. L'année suivante, cependant, Dudley était de retour aux Pays-Bas, car Élisabeth était obligée de respecter ses obligations conventionnelles avec les Néerlandais. Le succès fut encore moindre que lors de son premier séjour, puisque Dudley perdit le contrôle de Sluys au profit du régent de Philippe II, le duc de Parme. Une fois de plus, après avoir mécontenté tout le monde, le comte démissionna et fut rappelé par sa reine en novembre 1587.
Après avoir renoué leur amitié, Dudley aurait dû prendre la tête de l'armée de terre de la reine stationnée à Tilbury pour affronter l'Armada espagnole en août 1588, mais il était trop souffrant pour le faire et mourut en septembre. La nécrologie de Dudley, rédigée par le célèbre poète Edmund Spenser (vers 1552-1599), se lit comme suit:
Il est maintenant mort, et toute sa gloire a disparu,
Et toute sa grandeur s'est évaporée,
Qui, comme un verre sur l'eau, brillait,
Qui s'évanouit tout à fait, dès qu'on l'a cherché.
(Guy, 338)