Thermomètre et Révolution Scientifique

Article

Mark Cartwright
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 01 septembre 2023
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Disponible dans ces autres langues: anglais, italien

Le thermomètre fut inventé au milieu du XVIIe siècle, pendant la révolution scientifique, lorsque les scientifiques commencèrent à chercher un instrument précis pour mesurer une large gamme de températures à l'aide d'une échelle pouvant être comparée à d'autres mesures prises par d'autres scientifiques ailleurs. D'abord l'air, puis des liquides en expansion comme l'alcool et le mercure furent utilisés pour créer un instrument d'excellence qui ouvrit de nouvelles possibilités de connaissance dans de nombreux domaines, mais surtout en chimie et en médecine.

Clinical Thermometer, c. 1800
Thermomètre clinique, vers 1800
Science Museum, London (CC BY-NC-SA)

Les thermoscopes

Dans l'Antiquité et au Moyen Âge, le concept de température était très différent de celui d'aujourd'hui. Parce qu'elle ne pouvait être mesurée qu'au toucher, la température était considérée comme un vague "chaud" et "froid", les deux extrêmes reconnus étant la glace et l'eau bouillante. Le grand médecin antique Galien (129-216 de notre ère), par exemple, ne connaissait que quatre niveaux de température basés sur ces deux extrêmes. La méthode utilisée par Galien pour déterminer la température d'un patient était tout aussi vague. Le médecin tenait la main du patient et si celle-ci était plus chaude que la sienne, le patient était "chaud", si elle était plus froide, le patient était "froid" et, dans les deux cas, la personne était malade. Cette idée perdura pendant des siècles. L'idée de mesurer la température en petits degrés sur une échelle dut attendre le XVIIe siècle pour susciter la curiosité des scientifiques et des inventeurs.

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C'est à Florence qu'est née l'idée d'utiliser un liquide qui se dilate lui-même plutôt que l'air dans le tube du thermomètre.

Les premiers thermomètres modernes étaient de type thermoscope. Ce type de thermomètre se composait d'un tube étroit rempli d'eau qui montait (ou descendait) sur une échelle lorsque l'air situé en dessous (ou au-dessus) était chauffé et se dilatait, poussant le liquide vers le haut (ou vers le bas). On attribue souvent l'invention du thermoscope à Galilée (1564-1642), génie italien polyvalent, mais les preuves ne sont guère concluantes. Il est vrai que c'est un ami de Galilée, Santorio Santorio (1561-1636), qui fut le premier à utiliser le thermomètre de type thermoscope dans le domaine de la médecine, Santorio étant alors professeur de médecine à la prestigieuse et influente université de Padoue. Bien que Galilée lui-même en ait revendiqué l'invention, comme le notent les historiens L. Fermi et G. Bernardini, "le thermomètre semble avoir été inventé indépendamment par plusieurs personnes en différents lieux" (31). Parmi les autres scientifiques souvent cités comme inventeurs possibles du thermoscope, citons Cornelis Drebbel (1572-1633) aux Pays-Bas et Robert Fludd (1574-1637) en Angleterre.

Santorio fournit la première mention écrite du thermoscope dans son ouvrage Commentaria in artem medicinalem Galeni (1612). Le thermoscope constituait un bon début pour résoudre le problème de la mesure des températures, mais il s'agissait d'un instrument maladroit qui ne permettait pas d'effectuer des relevés très précis. Un autre inconvénient majeur était qu'il donnait des variations indésirables en fonction de la pression atmosphérique environnante. Otto von Guericke (1602-1686) apporta des améliorations tangibles au thermoscope, mais un appareil plus précis et moins encombrant était nécessaire pour l'utilisation pratique quotidienne et la recherche scientifique collaborative.

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Thermoscope
Thermoscope
Chatsam (CC BY-SA)

Les premiers thermomètres

C'est en Italie que l'on trouva la clé du secret de la mesure précise de la température. Le grand-duc Ferdinand II de Toscane (r. de 1621 à 1670) s'intéressait vivement à la science et fonda la savante Academia del Cimento (Académie de l'Expérimentation) dans la ville de Florence. C'est là qu'est née, vers 1650, l'idée d'utiliser un liquide qui se dilate lui-même au lieu de l'air dans le tube du thermomètre. Les premiers modèles utilisaient de l'alcool dans un tube de verre très fin et scellé. Pour faciliter la lecture de l'échelle fournie, l'alcool était coloré. Cet instrument, connu sous le nom de thermomètre florentin, remplaça le thermoscope à la fin du XVIIe siècle. Les scientifiques florentins avaient fait des expériences avec du mercure plutôt qu'avec de l'alcool, mais ils optèrent pour ce dernier parce qu'il était plus sensible aux changements de température. Les inconvénients de l'alcool étaient qu'au XVIIe siècle, il n'était pas facile de se procurer de l'alcool absolument pur et que son point d'ébullition était bas. Ces deux inconvénients signifient que les thermomètres de l'époque n'étaient pas toujours aussi précis que l'auraient espéré leurs utilisateurs et qu'il était certainement difficile de comparer des mesures plus précises entre différents thermomètres.

En fin de compte, il n'y aurait que deux vainqueurs parmi les quelque 35 échelles de température concurrentes.

Malgré les problèmes initiaux, le thermomètre joua un rôle important dans la révolution scientifique. Freinés pendant des siècles par la philosophie naturelle aristotélicienne et sa méfiance à l'égard de tout ce qui n'était pas les sens pour comprendre le monde, les scientifiques combinaient pour la première fois leurs études, leur intelligence et des instruments améliorant les sens pour faire de réels progrès dans la connaissance. À mesure que la révolution scientifique progressait, des instruments tels que le thermomètre, le télescope et le microscope n'étaient plus utilisés pour prouver que les théories existantes étaient correctes, mais pour découvrir des domaines de connaissance entièrement nouveaux. Une autre caractéristique de la révolution scientifique fut la collaboration entre scientifiques de différents pays. Le problème le plus pressant était donc de mettre tout le monde d'accord sur une échelle universelle de mesure de la température.

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Questions d'échelle

Après avoir mis au point un instrument de mesure de la température raisonnablement précis et peu coûteux, l'idéal d'une échelle universelle permettant de comparer facilement les relevés d'un appareil à l'autre, quel que soit l'endroit où ils sont utilisés, s'avéra difficile à atteindre. Au début du XVIIIe siècle, il n'existait toujours pas d'échelle de mesure standard pour les thermomètres, et il n'était pas rare qu'un seul thermomètre comporte deux, voire trois échelles. Le célèbre physicien, chimiste et alchimiste Robert Boyle (1627-1691) avait fait pression en faveur d'une échelle standardisée, bien que sa suggestion d'utiliser le point de congélation de l'huile d'anis comme repère de base n'ait jamais été retenue. Des institutions tentèrent également de faire en sorte que les expériences ne soient réalisées qu'à l'aide d'instruments normalisés. Par exemple, la Royal Society de Londres et l'Academia del Cimento de Florence collaborèrent pour s'assurer que tous leurs projets utilisaient le même type de thermomètre et d'échelle. De cette manière, les résultats des recherches pouvaient être comparés quels que soient l'auteur et le lieu des relevés.

Long Glass & Alcohol Thermometer
Thermomètre long en verre et à alcool
Science Museum, London (CC BY-NC-SA)

L'idée prévalait encore que, pour paraphraser le philosophe grec Protagoras (c. 485-415 av. J.-C.), "l'homme est la mesure de toutes choses", et les repères de l'échelle de température étaient donc souvent établis en référence au corps humain. En 1701, Isaac Newton (1642-1727) considéra la température du sang humain comme un bon point zéro pour une échelle de température. Dans le même ordre d'idées, John Fowler, contemporain de Newton, voulait utiliser comme repère pour le sommet de l'échelle de température le liquide chauffé maximal que la main humaine pouvait supporter sans se détacher.

En fin de compte, il y aurait deux grands vainqueurs parmi les quelque 35 échelles de température concurrentes. L'Allemand Daniel Gabriel Fahrenheit (1686-1736) conçut son échelle vers 1714, en s'appuyant sur deux phénomènes: la fonte de la glace en eau et la température corporelle normale d'un être humain. Sur l'échelle de Fahrenheit, ces températures sont respectivement de 32 et 96, chaque chiffre intermédiaire étant appelé degré. L'échelle de Fahrenheit va jusqu'à l'ébullition de l'eau - 212 degrés Fahrenheit. Les thermomètres Fahrenheit furent largement adoptés en Angleterre et aux Pays-Bas, mais il y avait un concurrent sérieux et durable.

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Le deuxième grand vainqueur de la guerre des échelles de température fut le Suédois Anders Celsius (1701-1744). Celsius avait créé son échelle centigrade, qui va de 0 (le point de congélation de l'eau) à 100 (le point d'ébullition de l'eau). Cette échelle reste bien sûr populaire aujourd'hui puisqu'elle a fini par remplacer l'échelle Fahrenheit dans la plupart des pays, à l'exception notable des États-Unis et de quelques autres États.

Rutherford Maximun & Minimum Thermometer
Thermomètre maximum et minimum Rutherford
Science Museum, London (CC BY-NC-SA)

D'autres échelles de température apparurent par la suite, notamment, en 1848, l'échelle de Kelvin conçue par le scientifique britannique William Thomson (1824-1907) - dont le nom dérive de son titre de Lord Kelvin. L'échelle de Kelvin utilise l'échelle Celsius, mais elle est calée sur le zéro absolu, la température la plus froide possible. L'échelle Fahrenheit fit l'objet de la même conversion, l'échelle de Rankine ayant été conçue par l'Écossais William Rankine (1820-1872).

Nouvelles innovations

C'est Fahrenheit qui inventa le thermomètre à mercure vers 1714. Ce type de thermomètre permettait de mesurer une plus large gamme de températures que le thermomètre à alcool. L'"air" à l'intérieur du thermomètre était un autre élément à prendre en compte pour améliorer la précision et c'est pourquoi les gaz beaucoup plus sensibles que sont l'azote ou l'argon ont été utilisés à l'intérieur du tube de verre.

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Un instrument aussi précieux pour la science que le thermomètre amena rapidement les scientifiques à s'interroger sur la manière de mesurer indépendamment la précision des différents instruments.. Les scientifiques français J. A. Deluc (1727-1817) et Antoine Lavoisier (1743-1794) menèrent un grand nombre d'expériences dans ce domaine, tout comme les scientifiques anglais. En conséquence, "dans les années 1770, les fabricants d'instruments français et anglais construisirent des thermomètres précis au dixième de degré" (Bynum, 420).

Au final, le thermomètre soigneusement testé, qui utilisait une échelle internationalement reconnue, était à la disposition de tous. Les médecins, par exemple, pouvaient désormais utiliser le thermomètre pour établir un diagnostic plus précis de la maladie de leur patient et suivre son évolution avec plus de précision. Les chimistes pouvaient mener des expériences et enregistrer leurs résultats, qui pouvaient ensuite être communiqués à d'autres, sachant que les températures précises impliquées pouvaient désormais être reproduites dans leurs propres laboratoires.

18th-Century Alcohol Thermometer
Thermomètre à alcool du XVIIIe siècle
Science Museum, London (CC BY-NC-SA)

À la fin du XVIIIe siècle, des thermomètres furent fabriqués pour enregistrer les températures les plus basses et les plus élevées au cours d'une période donnée. Pour ce faire, on insérait à l'intérieur des tubes du thermomètre un petit ressort qui était poussé vers le haut ou vers le bas par le mouvement du mercure, mais qui restait en place lorsque la température changeait à nouveau et que le mercure se rétractait. En 1860, William Siemans (1823-1883) mit au point le thermomètre à résistance électrique. Le principe est le suivant: lorsqu'un métal change de température, sa résistance électrique change également. Ce type de thermomètre a fut amélioré par Hugh Callendar (1863-1930) vers 1890.

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Thermomètres modernes

Au début du XXe siècle, un médecin pouvait consulter un tableau prêt à l'emploi qui lui indiquait les changements de température attendus au cours de certaines maladies. Les chimistes pouvaient également utiliser ces tableaux pour se référer à des matériaux et à des expériences spécifiques. Bien entendu, les thermomètres n'ont cessé d'évoluer. Le mercure toxique a toujours été un problème si le thermomètre était accidentellement cassé, et il a donc été remplacé par des alliages métalliques plus sûrs. Au XXIe siècle, les scientifiques utilisent des thermomètres contenant un matériau comme le platine, qui permet de mesurer minutieusement la résistance électrique, ou des thermomètres qui utilisent la lumière infrarouge, le son, le magnétisme ou la dilatation de minuscules bandes métalliques pour obtenir une mesure sur une plage de températures beaucoup plus large que celle dont est capable le thermomètre à liquide. Aujourd'hui, dans de nombreuses armoires à pharmacie, le thermomètre à liquide a été remplacé par un thermomètre électronique équipé d'une thermistance qui fournit une lecture numérique précise. De nos jours, toutes sortes d'objets bénéficient de thermomètres intégrés qui les rendent sensibles à la température, qu'il s'agisse de systèmes de chauffage domestique ou de caméras de sécurité.

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Questions & Réponses

Le thermomètre a-t-il été inventé pendant la révolution scientifique ?

Le thermomètre fut inventé à Florence vers 1650 pendant la révolution scientifique.

Quel est l'objectif scientifique d'un thermomètre ?

L'objectif scientifique du thermomètre était de mesurer avec précision de petites variations de température dans toutes les conditions atmosphériques.

Pourquoi le thermomètre a-t-il joué un rôle important dans la révolution scientifique ?

L'invention du thermomètre a joué un rôle important dans la révolution scientifique, car elle a permis aux scientifiques d'étudier le monde naturel comme jamais auparavant. Un instrument précis utilisant une échelle universellement reconnue pouvait être utilisé pour effectuer des relevés qui pouvaient être partagés avec d'autres scientifiques, où qu'ils se trouvent.

Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Mark Cartwright
Mark est un auteur, chercheur, historien et éditeur à plein temps. Il s'intéresse particulièrement à l'art, à l'architecture et à la découverte des idées que toutes les civilisations peuvent nous offrir. Il est titulaire d'un Master en Philosophie politique et est le Directeur de Publication de WHE.

Citer cette ressource

Style APA

Cartwright, M. (2023, septembre 01). Thermomètre et Révolution Scientifique [The Thermometer & the Scientific Revolution]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2275/thermometre-et-revolution-scientifique/

Style Chicago

Cartwright, Mark. "Thermomètre et Révolution Scientifique." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le septembre 01, 2023. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2275/thermometre-et-revolution-scientifique/.

Style MLA

Cartwright, Mark. "Thermomètre et Révolution Scientifique." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 01 sept. 2023. Web. 09 mai 2024.

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