
Thomas Middleton (1580-1627) était un poète et un dramaturge de la Renaissance anglaise, qui s'épanouit pendant l'ère jacobéenne (1603-1625). Il collabora souvent avec d'autres dramaturges, dont John Webster, Thomas Dekker et, surtout, William Shakespeare (1564-1616). On pense en effet que Middleton aurait coécrit Timon d'Athènes (vers 1606) avec Shakespeare et qu'il aurait fourni des révisions pour Macbeth et Mesure pour mesure. Middleton était un auteur prolifique, qui écrivit des masques, des spectacles et des pièces de théâtre, excellant à la fois dans les genres de la tragédie et de la comédie. Ses œuvres les plus connues sont La Tragédie du vengeur (1606), La Fausse Épouse ou Les Amants maléfiques (1622) et Une partie d'échecs (1624).
Jeunesse
Thomas Middleton vit le jour à Londres au printemps 1580 et fut baptisé le 18 avril. Son père, un maçon, mourut alors qu'il n'avait que six ans, laissant derrière lui un patrimoine évalué à 335 livres sterling, une somme considérable. Sa mère, Anne, prit bientôt un second mari, un épicier du nom de Thomas Harvey. Harvey avait investi dans la colonie malheureuse de Roanoke de Sir Walter Raleigh, qui fut mystérieusement abandonnée par ses colons en 1587. Ayant perdu beaucoup d'argent dans cette aventure, Harvey ne put rembourser ses dettes et passa une grande partie de son mariage à se cacher de ses créanciers ou à purger des peines de prison pour dettes. Désespéré, Harvey finit par tenter d'accéder à l'héritage laissé par le défunt père de Middleton, qu'Anne avait placé en fiducie pour ses deux enfants. Il s'ensuivit une bataille juridique frustrante qui dura 15 ans et qui s'étendit sur toute l'enfance de Middleton. Cette expérience fut probablement à l'origine des critiques satiriques qu'il formulerait plus tard à l'encontre des avocats et du système judiciaire.
En 1598, Middleton abandonna les histoires familiales pour s'inscrire au Queen's College d'Oxford, bien qu'il n'y ait étudié que quelques années avant d'abandonner ses études, sans avoir obtenu de diplôme. C'est à cette époque que Middleton s'essaya pour la première fois à la poésie - son œuvre The Wisdom of Solomon Paraphrased était un premier projet ambitieux, puisqu'il compte 4 166 lignes, ce qui, comme le souligne le spécialiste Stanley Wells, est plus long que le texte d'Hamlet. Le poème est dédié au comte d'Essex, probablement dans le but de s'assurer son patronage, bien qu'il soit peu probable qu'Essex l'ait jamais lu; en effet, le poème n'eut guère de succès et ne fut pratiquement pas lu. Sans se décourager, Middleton s'essaya à nouveau avec un poème beaucoup plus court (539 lignes seulement), The Ghost of Lucrece (1600). Ce poème s'inspire, tant sur le plan narratif que stylistique, de William Shakespeare, dont le propre poème, Le viol de Lucrèce, avait été publié plusieurs années auparavant et avait reçu un accueil très favorable. Middleton souhaitait faire de son poème une sorte de suite à celui de Shakespeare, en utilisant en grande partie les mêmes images et en le composant selon le même schéma de rimes.
Il est clair qu'à l'époque où il commença à écrire des poèmes, Middleton était fasciné par le théâtre élisabéthain et avait déjà commencé à idolâtrer certaines de ses figures majeures, comme Shakespeare. En février 1601, un témoin dans l'un des procès de la famille affirme que Middleton était "à Londres tous les jours accompagnant les joueurs", ce qui confirme qu'il allait au moins au théâtre tous les jours, s'il ne travaillait pas déjà en tant qu'apprenti écrivain (cité dans Wells, 169). Quelques mois plus tard, il hérita de 25 livres sterling, tout ce qui lui restait de la succession de son père après une longue bataille juridique. Ayant un besoin pressant d'argent, Middleton se tourna vers l'écriture de pamphlets satiriques. Ceux-ci eurent suffisamment de succès pour attirer l'attention de Philip Henslowe, le principal impresario du théâtre public de Londres, qui ne tarda pas à lui commander des pièces.
Début de carrière
Middleton débuta sa carrière de dramaturge en mai 1602, lorsqu'il collabora avec quatre autres auteurs - Michael Drayton, Thomas Dekker, Anthony Munday et John Webster - sur une pièce (aujourd'hui perdue) intitulée Caesar's Fall, or Two Shapes. Henslowe avait payé les cinq auteurs 8 livres sterling pour la pièce, qui était probablement destinée à aider sa troupe de théâtre, les Lord Admiral's Men, à rivaliser avec leur troupe rivale, les Lord Chamberlain's Men, qui jouaient Jules César de Shakespeare avec un succès retentissant. Middleton et Webster avaient tous deux travaillé sur cette pièce en tant que "novices", subordonnés aux dramaturges plus expérimentés. Mais en l'espace de quelques mois seulement, Middleton travaillait déjà sur des pièces de son cru, gagnant 7 livres sterling pour The Chester Tragedy (également perdue). En décembre 1602, il fut chargé d'écrire un prologue et un épilogue pour une représentation à la cour de la pièce de Robert Greene, Friar Bacon and Friar Bongay. Ainsi, moins d'un an après avoir collaboré à son premier projet, Middleton était déjà en bonne voie pour se faire un nom. Le spécialiste Stanley Wells décrit la progression de sa carrière:
Immensément travailleur, polyvalent, écrivain brillant dont l'œuvre gagnait en puissance et en profondeur au fur et à mesure que son expérience grandissait, Middleton mena une vie tranquille en comparaison avec, par exemple, [Christoper] Marlowe et [Ben] Jonson - même si sa carrière devait s'achever sous les feux des médias. (169)
En 1603, Middleton épousa Magdalen Marbeck (1575-1628), qui lui aurait peut-être été présentée par son frère Thomas, acteur des Lord Admiral's Men. Cette même année, une épidémie de peste força les théâtres de Londres à fermer et Middleton se tourna vers l'écriture de pamphlets en prose. Lorsque les théâtres rouvrirent, Middleton entama l'une des périodes les plus productives de sa carrière, en écrivant "une brillante série de comédies centrées, explicitement ou non, sur la vie londonienne de l'époque" (Wells, 171). La première de ces comédies fut The Phoenix (1603), jouée par une troupe de jeunes acteurs et présentée au roi Jacques Ier d'Angleterre (règne de 1603 à 1625) lors de sa première saison à la cour en février 1604. La pièce, qui se déroule dans le duché italien de Ferrare, suit Phoenix, le fils d'un duc qui se déguise pour pouvoir "regarder dans le cœur et les entrailles de ce duché" et "marquer tous les abus prêts à être réformés ou punis" (1.1.100-102). Ce motif, où un souverain se déguise pour observer les abus et la corruption dans son royaume, était courant dans les premières pièces jacobéennes et se retrouve également dans Mesure pour Mesure de Shakespeare. Middleton ne peut s'empêcher de se moquer des avocats, sous la forme de son personnage d'avocat pédant Tangle, ni de faire la satire des problèmes de l'Angleterre contemporaine, en particulier de la pratique impopulaire du roi consistant à vendre sans discernement des titres de chevalier pour remplir les coffres royaux.
Le roi n'avait sans doute pas remarqué cette subtile plaisanterie, car Middleton fut bientôt choisi pour écrire un discours pour le Magnificent Entertainment Given to King James, qui marqua l'entrée officielle du roi à Londres. Ce fut un grand pas pour la carrière de Middleton, qui écrivait désormais pour les mêmes événements que des écrivains reconnus comme Ben Jonson et Thomas Dekker. En effet, Middleton établit rapidement une relation de travail avec Dekker; en février 1604, ils reçurent une avance de 5 livres sterling de Henslowe pour écrire The Honest Whore, Part One, qui s'avéra être un énorme succès. Middleton écrivit également seul plusieurs comédies à succès, dont Michaelmas Term (1604), A Mad World, My Masters (1605), A Trick to Catch the Old One (1605) et The Puritan Widow (1606). En 1605, il écrivit (très probablement) The Yorkshire Tragedy (Une tragédie dans l'Yorkshire), une pièce en un acte basée sur l'histoire réelle de Walter Calverley, un jeune homme du Yorkshire qui assassina ses deux enfants et blessa sa femme avant d'être arrêté et, finalement, exécuté en étant pressé à mort. Comme c'est souvent le cas dans l'œuvre de Middleton, aucun des personnages n'a de nom personnel et ne sont désignés que par les termes "mari" ou "fils". Le mari, estimant que ses fils sont des "bâtards engendrés par la ruse", décide de les tuer, ce qui donne lieu à cette scène poignante:
LE MARI: Tu seras mon enfant rouge, alors ; à toi ceci !
(Il le frappe).
L'ENFANT: Oh ! vous me faites mal, père.
LE MARI: Mon mendiant aîné, je ne veux pas que tu vives pour demander du pain à un usurier, pour geindre à la porte d’un grand seigneur où pour suivre un carrosse en criant: Votre excellence est si bonne! Non, ni toi, ni ton frère! Il y a charité à vous broyer la cervelle.
L'ENFANT: Comment ferai-je pour apprendre, maintenant que j’ai la tête brisée ?
LE MARI: (poignardant l’enfant) Saigne ! saigne ! plutôt que de mendier !
(Trad. François-Victor Hugo, Œuvres complètes de Shakespeare, Les Apocryphes, tome I)
Cette courte pièce de dix scènes se termine sans résoudre le sort du mari, ce qui aurait troublé le public jacobéen, habitué à voir des résolutions moralisatrices dans ses pièces. Une tragédie dans l'Yorkshire est une excellente pièce tragique, d'autant plus extraordinaire que son auteur n'était connu auparavant que pour ses comédies. Comme le dit Wells, "rien dans la production de Middleton jusqu'à cette date n'aurait pu nous préparer à la possibilité qu'il ait pu écrire une tragédie aussi puissante à ce stade de sa carrière" (176). De toute évidence, Middleton était en passe de maîtriser à la fois la comédie et la tragédie, et de devenir l'un des meilleurs dramaturges de son époque.
Collaborations avec Shakespeare
Lorsque Une tragédie dans l'Yorkshire fut publiée pour la première fois, elle fut d'abord attribuée à Shakespeare - on ne sait pas si l'éditeur le fit dans l'espoir de vendre plus d'exemplaires ou pour une autre raison. Mais la pièce fut apparemment jouée par les King's Men (anciennement les Lord Chamberlain's Men, la troupe d'acteurs avec laquelle Shakespeare écrivait), et c'est peut-être ainsi que Middleton fut présenté pour la première fois à l'homme qui l'avait inspiré à écrire ses premiers poèmes il y avait tant d'années. L'idée que Middleton aurait coécrit le Timon d'Athènes de Shakespeare n'est pas incontestée parmi les spécialistes de Shakespeare; Harold Bloom, par exemple, affirme que les preuves ne sont "pas du tout convaincantes" (588). Néanmoins, l'idée qui prévaut aujourd'hui est que Middleton aurait effectivement participé à l'écriture de la pièce, bien que la nature de la collaboration continue d'être débattue.
L'idée que Shakespeare ne serait pas l'unique auteur deTimon d'Athènes est étayée par plusieurs facteurs; par exemple, il y a de nombreuses incohérences narratives (une erreur qui n'est pas caractéristique de Shakespeare) ainsi que différents styles d'écriture utilisés à différents endroits. En effet, la qualité de la pièce diffère des autres tragédies de Shakespeare par son utilisation de la satire et par la forte proportion de personnages qui n'ont pas de nom personnel - les personnages sont appelés le Poète, le Peintre et le Marchand, ce qui, comme on l'a noté, était typique de l'œuvre de Middleton. La plupart des vers sont plus proches de l'œuvre de Middleton que de celle de Shakespeare, et une étude linguistique a montré que de nombreux mots, phrases et signes de ponctuation utilisés dans la pièce sont communs à Middleton mais rares chez Shakespeare. Si Middleton collabora, ce qui semble probable, il reste à savoir s'il travailla avec Shakespeare ou s'il se contenta d'une édition révisée ultérieurement. Il existe également des preuves que Middleton ajouta des révisions à Macbeth et Mesure pour Mesure, et il a même été suggéré qu'il aurait collaboré à nouveau avec Shakespeare sur Tout est bien qui finit bien. Cependant, ces idées sont beaucoup plus contestées et ne sont pas universellement acceptées par les spécialistes.
Suite de carrière et héritage
En 1606, Middleton continuait à se concentrer sur l'écriture de tragédies, écrivant cette fois une pièce de vengeance intitulée La tragédie du vengeur. Les tragédies de la vengeance - dans lesquelles un protagoniste lésé complote et finit par se venger de ses ennemis - avaient été assez populaires dans les années 1580, et connurent un regain de popularité grâce au succès de Hamlet de Shakespeare (vers 1600). Middleton semble d'ailleurs s'être inspiré d'Hamlet; La tragédie du vengeur s'ouvre sur le protagoniste, Vindice, tenant le crâne de sa fiancée assassinée. La pièce, selon Wells, est "une œuvre brillamment drôle, essentiellement ironique et fondamentalement moralisatrice" (180) et, caractéristique de Middleton, les noms des personnages sont tous allégoriques; Vindice, par exemple, signifie "vengeur". La pièce se termine par l'accomplissement de la vengeance de Vindice, qui trompe le duc, qui avait tué sa fiancée, en lui faisant embrasser son crâne empoisonné. La Tragédie du vengeur s'avéra populaire et fut probablement jouée par les King's Men au Globe Theatre en 1607.
À cette époque, Middleton, qui n'avait pas encore 30 ans, menait une carrière assez productive. Mais il fut contraint de ralentir entre 1608 et 1610, car ses dettes finirent par le rattraper; il fut arrêté pour dettes en décembre 1608 et fut poursuivi par un créancier l'année suivante. Très vite, il se remit au travail, coécrivant deux pièces avec Thomas Dekker - The Bloody Banquet (1609) et The Roaring Girl (1611) - et écrivant indépendamment No Wit, No Help Like a Woman's et The Second Maiden's Tragedy (toutes deux en 1611). Au milieu des années 1610, il se tourna vers l'écriture de tragicomédies, dont The Witch (1616) - cette pièce, jouée pour la première fois par les King's Men, semble avoir provoqué un scandale qui conduisit les autorités à en bloquer la publication. C'est à cette époque que Middleton semble s'être rapproché des King's Men (Shakespeare était mort en avril 1616), révisant les œuvres de leur répertoire pour les adapter à l'époque. C'est également à cette époque qu'il commença à écrire des spectacles pour la ville de Londres et qu'il fut officiellement nommé chronologue de la ville en 1620.
C'est vers la fin de sa carrière que Middleton écrivit certaines de ses œuvres les plus célèbres. La Fausse Épouse ou Les Amants maléfiques (1622), écrit en collaboration avec William Rowley, est souvent considéré comme l'une des meilleures tragicomédies de la Renaissance anglaise. Dans l'intrigue principale, une femme, Beatrice-Joanna, planifie le meurtre de son fiancé pour pouvoir être avec son amant, en manipulant un serviteur qui l'aime aussi secrètement pour qu'il passe à l'acte. L'intrigue secondaire comique suit un couple marié qui reçoit la visite de deux prétendants qui se font passer respectivement pour un fou et un imbécile afin de se rapprocher de la femme. La pièce aborde les thèmes de la trahison et du péché originel. Un autre chef-d'œuvre de Middleton est sa dernière pièce, controversée, Une partie d'échecs (1624). Dans cette pièce, les personnages sont représentés par des pièces d'échecs et chacun d'entre eux représente une figure politique contemporaine - le méchant chevalier noir, par exemple, représente l'ambassadeur espagnol, le comte Gondomar, qui est vaincu par le chevalier blanc, qui représente le prince de Galles (le futur Charles Ier d'Angleterre).
Une partie d'échecs fut très populaire, des milliers de spectateurs se pressant pour assister à l'une des neuf représentations consécutives qui eurent lieu au Globe Theatre en août 1624. Mais cette popularité, sans doute motivée par le sujet controversé de la pièce, ne fut pas sans conséquences; comme l'écrit Wells, "peu de pièces jamais écrites ont provoqué un tel scandale" (192). Le comte Gondomar, offensé par sa représentation, se plaignit au roi Jacques Ier et menaça de quitter le pays si les responsables de la pièce n'étaient pas punis. La pièce fut supprimée et les acteurs furent convoqués devant le Conseil privé pour être réprimandés. Middleton, cependant, se cacha - Wells suppose qu'il fut peut-être attrapé et emprisonné pendant une courte période, puis libéré à la condition qu'il n'écrive plus de pièces de théâtre. Quoi qu'il en soit, Middleton continua d'écrire des spectacles pour la ville de Londres après cet incident, mais il n'écrirait plus jamais de pièce de théâtre. Il mourut au cours de l'été 1627 et fut enterré le 4 juillet, à l'âge de 47 ans. Aujourd'hui, il est considéré comme l'un des dramaturges les plus influents de son époque - certains critiques le placent juste derrière Shakespeare - et ses pièces les plus connues continuent d'être jouées dans les théâtres du monde anglophone.