Antoine de Chandieu (1534-1591) était un théologien français qui joua un rôle décisif dans l'histoire religieuse du XVIe siècle, mais qui reste dans l'ombre d'autres leaders protestants français. En raison de ses remarquables capacités et de sa contribution à la Réforme en France, Chandieu a été considéré comme l'"annonciateur d'argent" entre le plus célèbre Jean Calvin (or) et Théodore de Bèze (bronze).
Jeunesse
Antoine de la Roche vit le jour dans le Dauphiné, une ancienne province du sud-est de la France, dans une ancienne famille, les barons de Chandieu. Il était connu sous le nom de Monsieur de la Roche jusqu'à la mort de son frère Bertrand à la bataille de Dreux en 1562, date à laquelle Antoine devint le sieur de Chandieu. Son père mourut alors qu'il avait quatre ans et sa mère, veuve, s'occupa de l'éducation d'Antoine et de son frère aîné Bertrand, héritier du nom de Chandieu et de la seigneurie de Chandieu. Antoine fut orienté vers des études formelles en vue d'un poste au gouvernement, et son frère était destiné au service militaire. Envoyé à Paris pour son éducation, Antoine fut confié à un précepteur influencé par les idées de Jean Calvin (1509-1564) et poursuivit ses études à Toulouse, ville marquée par la répression religieuse. Malgré les persécutions du Parlement de Toulouse, réputées comme les plus sanglantes de toute la France, la Réforme protestante attirait des adeptes et des sympathisants secrets. La conversion et le martyre de plusieurs professeurs respectés amenèrent les étudiants à abandonner leurs études de droit pour se rendre à Genève afin d'y étudier la Bible.
Ministère pastoral
La Roche quitta Toulouse pour Genève et se rallia à la foi évangélique sous l'influence de Calvin. Il retourna à Paris en 1555, où des croyants réformés établissaient une église sous la direction de Jean le Maçon, connu sous le nom de La Rivière. Bientôt, les responsabilités de l'église nécessitèrent un autre pasteur, et La Roche devint l'un des trois pasteurs de l'église. Les protestants se réunissaient généralement le soir en petits groupes dans les maisons des différents quartiers de la capitale. L'église pouvait ainsi se réunir sans éveiller les soupçons.
Le 4 septembre 1557, 300 à 400 réformés se réunirent pour célébrer la Cène dans une grande maison de la rue Saint-Jacques, à proximité du collège du Plessis. En quittant les lieux à minuit, les participants furent bombardés par des pierres amassées par les prêtres du collège du Plessis qui espionnaient les assemblées. Le bruit réveilla tout le quartier et des citoyens armés bloquèrent les voies d'évacuation. Plusieurs personnes à l'intérieur décidèrent de se frayer un chemin dans la foule derrière des gentilshommes portant l'épée. D'autres, principalement des femmes, des enfants et des vieillards, eurent peur de partir et restèrent dans la maison assiégée jusqu'à la fin de la nuit. Au matin, ils furent arrêtés et traînés à travers la foule enragée jusqu'au Châtelet où ils furent emprisonnés. La plupart d'entre eux croupirent dans les cachots; sept furent brûlés sur le bûcher. Malgré cet événement, les assemblées protestantes ne furent pas suspendues et les précautions furent redoublées face au danger croissant. Après l'attentat de la rue Saint-Jacques, La Roche fut arrêté avec Jean Morel et le pasteur de Lestre. La Roche et de Lestre furent libérés tandis que Morel resta emprisonné et dépérit soumis à de multiples tourments pendant plusieurs mois. En février 1559, sa vie s'acheva dans la misère de son cachot avec le soupçon d'empoisonnement et son cadavre fut brûlé comme hérétique.
A la fin de l'année 1560, La Roche fut envoyé par l'Église de Paris à la convocation des États Généraux d'Orléans. La cause protestante semblait perdue. Le procès de plusieurs ministres, dont La Roche et La Rivière, était imminent et l'Église consacra les dix derniers jours de novembre à la prière. La mort du roi François II, le 5 décembre 1560, changea la donne et la reine mère, Catherine de Médicis (1519-1589), aurait demandé à l'église de Paris d'envoyer La Roche à sa rencontre, étant désireuse de recevoir une instruction religieuse. Le Consistoire envoya un mémorandum à sa place, plutôt que de mettre la vie de La Roche en danger. Les croyants réformés bénéficièrent d'un répit dans la persécution, Catherine cherchant à affaiblir davantage encore l'influence de ses adversaires.
De tous les pasteurs de Paris, La Roche était le plus connu et le plus menacé en raison de ses grandes capacités et de son statut social. Pour sa protection, le Consistoire de Paris l'obligea parfois à quitter Paris lorsque ses adversaires étaient à ses trousses. Il refusa une offre de quitter la France pour rejoindre les réfugiés à Londres, et lorsque le ministère à Paris devint impossible, il servit d'autres églises sans rémunération.
Certains historiens ont vu la main de La Roche dans la Confession de foi et la Discipline des Églises réformées en 1559, lors du premier synode national, et son influence dans les synodes suivants. Il est l'auteur de l'Épître au roi, jointe à la Confession de foi et présentée à François II après l'échec de la Conjuration d'Amboise en 1560, un complot visant à enlever le roi et à le soustraire à l'influence de ses conseillers. Le frère de La Roche, Bertrand, était impliqué dans cette conspiration ratée et La Roche, jugé coupable par association, fut rejeté par la reine mère comme délégué au colloque de Poissy en 1561, une tentative infructueuse d'éviter la guerre civile et de réconcilier les catholiques romains et les protestants de France.
Expulsion de Paris
Le temps de repos nécessaire à La Roche dans son domaine du Beaujolais fut interrompu par le massacre des protestants à Vassy en mars 1562, lorsqu'une grande assemblée de huguenots fut attaquée par les soldats de François, duc de Guise. Cet incident déclencha d'autres massacres et le début des guerres de religion en France. L'éclatement de la première guerre de religion força tous les pasteurs réformés à quitter Paris lorsque les huguenots furent expulsés en mai. Les pasteurs, les anciens et de nombreux autres protestants trouvèrent refuge à Orléans, rempart de l'armée réformée. Alors que la ville était assiégée et ravagée par la peste, La Roche et son collègue La Rivière exercèrent leur ministère pendant un an et eurent une influence importante sur les autres pasteurs qui y trouvèrent refuge.
Au nom des Églises réformées, La Roche mena l'opposition lors des négociations de la paix d'Amboise en 1563. Le traité mit fin à la première guerre de religion et devint une source de découragement pour les croyants réformés qui virent leurs lieux de culte limités en nombre. En 1563, La Roche publia son Histoire des persécutions et des martyrs de l'Église de Paris depuis 1557 jusqu'au temps du roi Charles IX , et écrivit dans son journal que les églises réformées se sentaient abandonnées et dans un état pire qu'avant la guerre. Le sixième article du traité interdit le culte réformé à Paris et exila de fait La Roche et La Rivière de leur église parisienne.
Chandieu en exil
À la mort de son frère à la bataille de Dreux en décembre 1562, La Roche devint le chef de sa famille et fut appelé Monsieur de Chandieu. Ni son nouveau titre ni sa fortune ne changèrent quoi que ce soit à son mode de vie simple; il resta attaché à sa vocation pastorale. En 1563, il épousa Françoise de Félins, de la famille des seigneurs de Banthelu, une famille dévouée à la cause réformée. Françoise resterait la fidèle compagne de Chandieu pendant 28 ans.
Un synode provincial réuni à La Ferté-sous-Jouarre en 1564 avec 38 ministres et 60 anciens sous la présidence de Chandieu démontra la vigueur des églises protestantes réorganisées en région parisienne, en Picardie et en Brie. Le cinquième synode national se réunit secrètement à Paris en 1565, sans que l'on sache si Chandieu était présent ou non. Il s'occupa de l'église dont il resta le pasteur au moyen de lettres, de prières et de visites furtives. Enfin, en juin 1567, il reçut du Consistoire l'autorisation de reprendre son ministère avec prudence. Mais trois mois plus tard, au début de la deuxième guerre de religion, il fut contraint de se retirer à nouveau de Paris. Il ne reviendrait jamais dans la capitale.
Chandieu travailla en Bourgogne à la réorganisation et à l'établissement d'églises dans les lieux autorisés par la paix d'Amboise. Il consacra son temps et ses forces à l'église de Lyon, importante congrégation restée aux mains des protestants pendant la première guerre de religion. Des trois temples protestants de Lyon construits pour remplacer ceux qui leur avaient été enlevés, l'un fut démoli en 1566 avant son achèvement, et les deux autres subirent le même sort l'année suivante, au début de la seconde guerre de religion. Les protestants furent expulsés de la ville, leurs biens furent confisqués et ceux qui refusaient de se convertir au catholicisme furent emprisonnés. Les pasteurs étaient particulièrement poursuivis et Genève accueillit à nouveau des réfugiés qui purent vivre grâce à des fonds provenant des terres protestantes. La paix de Longjumeau de mars 1568, qui mit fin à la deuxième guerre de religion, n'apporta aucun soulagement avec ses promesses non tenues. Le roi interdit le culte protestant à Lyon et, en violation flagrante des dispositions de l'édit, les prisonniers religieux ne furent pas libérés et les biens confisqués ne furent pas rendus à leurs propriétaires.
Chandieu s'enfuit de chez lui en août 1568 après plusieurs tentatives d'assassinat. Il erra pendant neuf jours, poursuivi par ses antagonistes. Il traversa la Saône à minuit, se rendit à Genève, alors ravagée par la peste, et se rendit à Lausanne avant de revenir à Genève. Un mois après sa fuite, Charles IX (r. de 1560 à 1574) interdit la pratique de la religion réformée et la troisième guerre de religion commença. L'épouse de Chandieu fut contrainte de rester en France pour éviter la confiscation de leurs biens. Elle lui rendit visite à deux reprises et, lors de la seconde visite, elle donna naissance à leur cinquième enfant, Suzanne, qui fut confiée à son père.
En février 1570, il apprit que sa famille était en danger et que son château était occupé par l'ennemi. C'est à cette époque qu'il composa l'Ode sur les misères des églises françaises. Après des années de désolation, une période de paix s'ouvrit avec le traité de Saint-Germain en août 1570 qui mit fin à la troisième guerre de religion et accorda une liberté de culte limitée aux protestants. Chandieu rentra en France avec sa famille et participa à deux synodes nationaux avec Théodore de Bèze (1519-1605) à La Rochelle et à Nîmes pendant cette période de paix. Ce bref répit fut interrompu le 24 août 1572 par le massacre de la Saint-Barthélemy. Le carnage commença à Paris et se poursuivit en province. Comme des milliers d'autres, Chandieu prit à nouveau le chemin de l'exil vers Genève, cette fois pour onze ans.
Dernières années
Les onze années suivantes, Chandieu les passa dans une relative tranquillité, plongé dans l'éducation de ses enfants. L'Académie de Lausanne l'invita à devenir professeur de théologie en 1577. Deux ans plus tard, une peste ravagea Lausanne, obligeant Chandieu et sa famille à partir pour Aubonne, entre Lausanne et Genève, où il resta jusqu'en juillet 1583. Pendant cette période de calme, il composa plusieurs de ses écrits. Il traduisit du latin au français ses Méditations sur le psaume 32, qu'il dédia aux protestants de France contraints d'entrer dans l'Église catholique.
La paix du Fleix, en novembre 1580, mit fin à la septième guerre de religion et ramena l'ordre et la sécurité en France. Chandieu quitta Aubonne en 1583 pour visiter ses terres et s'établir à Poulle (Poule-les-Echarmeaux moderne). En septembre 1584, il fut délégué à une assemblée réformée autorisée par Henri III de France (r. de 1574 à 1589) à Montauban et rentra chez lui pour se consacrer à ses écrits théologiques.
L'année 1584 marqua le début d'une nouvelle ère de troubles qui plongea la France dans une nouvelle guerre civile. Henri de Navarre devint le premier héritier du trône à la mort du frère cadet d'Henri III, François, duc d'Anjou (1555-1584). En juin, Chandieu partit à Genève pour mettre sa famille à l'abri et revint seul à Poulle. Pendant les trois années qui suivirent, Chandieu fut aumônier de Navarre. Il fit partie des pasteurs qui prièeent avant la bataille de Coutras en octobre 1587. Cet engagement majeur dans les guerres de religion françaises se termina par une grande victoire des huguenots, et Chandieu proclama l'humiliation des ennemis du prince dont les bannières tapissaient les murs du vainqueur.
La santé de Chandieu se dégrada à cause des conditions de vie dans les camps militaires et il tomba gravement malade à Nérac en novembre 1587. Une fois rétabli, il fut autorisé à rejoindre sa famille au printemps suivant à Genève, après une séparation de trois ans. 15 jours plus tard, il fut chargé de missions auprès des cantons de la Suisse réformée et des princes protestants d'Allemagne. Avec l'assassinat d'Henri III en 1589, Henri de Navarre fut désigné comme son successeur sous le nom d'Henri IV (r. de 1589 à 1610). Chandieu reçut sa première lettre du roi Henri IV en janvier 1590; ils poursuivent leur correspondance et Chandieu garda une profonde affection pour lui.
Dans les dernières années de sa vie, Chandieu servit l'Église de Genève sans rémunération, poursuivit ses écrits théologiques et correspondit avec des pasteurs en France. Avec Théodore de Bèze, ses conseils et ses avis furent sollicités pour des questions de doctrine et de discipline ecclésiastique. Il mourut le 23 février 1591.