Anne Bonny (également Bonney) était une pirate d'origine irlandaise qui opèra brièvement dans les eaux des Bahamas avant d'être capturée par les autorités jamaïcaines en 1720. Partenaire du pirate anglais John Rackham, alias "Calico Jack", Bonny s'habillait en homme au combat et se battit courageusement lors de son dernier combat contre les autorités, tandis que ses compagnons pirates se cachaient sous le pont.
Bonny était l'une des deux seules femmes pirates de l'âge d'or de la piraterie à être devenue infâme, l'autre étant son amie et coéquipière Mary Read (parfois épelée avec un "e" final). Toutes deux furent capturées, jugées et condamnées à être pendues pour piraterie, mais leur exécution fut retardée car elles étaient toutes deux enceintes. Si Read mourut de fièvre en prison, on ne peut que spéculer sur le sort final d'Anne Bonny.
Enfance
Anne Cormac naquit en Irlande, probablement entre 1690 et 1700. Alors qu'elle n'est encore qu'une enfant, la famille d'Anne s'installa dans une plantation en Caroline du Sud. Lorsqu'elle était enfant, sa mère l'habillait en garçon, ce qui était un signe de mauvais augure vu sa future carrière, mais qui avait une raison d'être puisque le testament familial exigeait que l'enfant soit de sexe masculin. La mère d'Anne mourut et elle dirigea le foyer de son père, mais pas pour longtemps. Anne quitta son père et, contre la volonté de celui-ci, épousa James Bonny, un pirate qui abandonna sa vie de crime suite à l'offre de pardon de Woodes Rogers (1679-1732), le gouverneur des Bahamas, où le couple s'installa. James gagnait désormais sa vie comme pêcheur et comme informateur sur ses anciens collègues pirates. Cependant, l'attrait et le romantisme de la mer feront que Bonny ne restera pas longtemps sur la terre ferme.
Anne Bonny et 'Calico Jack
Anne Bonny acquit sa notoriété lorsqu'elle s'embarqua avec le pirate anglais John Rackham (mort en 1720), dont le surnom était "Calico Jack" en raison de sa préférence pour les vêtements en coton uni plutôt que pour les soies souvent excentriques que les autres pirates préfèraient. Bonny et Rackham se rencontrèrent sur l'île de Providence (Nassau) aux Bahamas au printemps 1719, et ils devinrent amants. Rackham profitait alors d'un peu de temps libre sur la terre ferme, ayant reçu une grâce du gouverneur. Anne quitta son mari James et, en août 1719, s'embarqua avec Rackham sur le William, un sloop qu'ils avaient capturé dans le port de New Providence. Le 5 septembre, le gouverneur Rogers émit un mandat d'arrêt contre Rackham qui dressait la liste de son équipage suspect. Parmi les noms figurait celui d'Anne Bonny dont l'alias est noté comme Ann Fulford.
Rackham et Bonny, avec leur équipage total de moins de 20 hommes et un nombre limité de captures, étaient des pirates relativement peu actifs par rapport à d'autres figures de l'âge d'or de la piraterie. Après une capture, une autre femme s'ajouta à l'équipage de pirates, Mary Read. L'équipage de Rackham formait certainement une bande de renégats inhabituelle à une époque où les femmes en mer étaient une véritable rareté. En effet, de nombreux capitaines pirates avaient crées des règles interdisant strictement la présence de femmes et de jeunes garçons à bord de leurs navires afin d'éviter toute querelle pour faveurs sexuelles ou comportement prédateur. Comme le note l'historien J. Rogozinski, dans le cas de Bonny et Read, "les pirates tolérèrent les femmes parce qu'elles se rendaient disponibles pour tous les membres du petit équipage de Rackham" (33).
Bonny et Read portaient toutes deux des vêtements d'homme en mer et sont décrites comme portant des mouchoirs autour de la tête (qui, bien que l'on pense aujourd'hui qu'ils étaient portés par la plupart des pirates, étaient en fait rares, ou du moins non documentés chez les hommes). Les témoignages recueillis lors de leurs procès révélèrent que Bonny et Read ne s'habillaient en hommes que lors des combats, où elles se battaient généralement au pistolet. En effet, la suggestion romantique souvent présentée dans les histoires populaires de pirates selon laquelle elles se déguisaient tout le temps en hommes met l'imagination à rude épreuve étant donné l'exiguïté de la vie à bord des navires, même s'il existe des cas historiques de femmes trompant parfois leurs pairs à bord de navires marchands de l'époque.
L'équipage mixte de pirates dirigé par Rackham réussit à échapper aux autorités et pilla les navires marchands dans les eaux entourant les Bahamas et un large arc de routes maritimes des Bermudes à Hispaniola, prenant des cargaisons peu glorieuses comme du tabac et des poivrons. Bonny et Rackham eurent un enfant, mais celui-ci fut abandonné à Cuba où Bonny avait passé la dernière partie de sa grossesse.
La capture de Bonny
En novembre 1720, alors qu'ils étaient ancrés au large de la pointe ouest de la Jamaïque, le navire de Rackham et de Bonny subit une attaque surprise du Tyger, envoyé par le nouveau gouverneur de l'île, Sir Nicholas Lawes, et commandé par Jonathan Barnet. Les pirates, au nombre de 18 selon le rapport de Lawes à Londres, coupèrent le câble de l'ancre et partirent en hâte, mais ils furent rattrapés pendant la nuit et abordés. Rackham et le reste de l'équipage se cachèrent sous les ponts - ils étaient probablement tous ivres - et seuls Bonny, Read et un autre homme opposèrent une résistance aux hommes de Barnet. Ils furent néanmoins capturés et emmenés à Spanish Town (appelée à l'époque St. Jago de la Vega) en Jamaïque afin d'y être jugés.
Procès et suites
Les deux femmes devaient être jugées séparément des hommes le 28 novembre, mais les deux groupes faisaient face à la même terrible accusation: la piraterie. L'avis de procès, diffusé quelques jours après, note également que le pseudonyme de Bonny était "Bonn". Les documents de ce procès révèlent des points intéressants sur le passé et le caractère des deux femmes pirates. Bonny et Read furent décrites par un témoin, Thomas Dillon, comme "toutes deux débauchées, vulgaires et jurant beaucoup, et prêtes à faire n'importe quoi à bord" (Cordingly, 111). Il fut également indiqué que Bonny brandissait un pistolet lorsqu'elle fut appréhendée. Le témoin Dorothy Thomas donna la description suivante de l'attaque, qui confirma hors de tout doute que Bonny et Read étaient des membres volontaires de l'équipage pirate:
...les deux femmes, prisonnières à la barre, étaient alors à bord dudit sloop, et portaient des vestes d'homme, des pantalons longs, et des mouchoirs sur la tête; et chacune d'entre elles avait une machette et un pistolet dans les mains, et incitait les hommes à tuer la déposante; et qu'ils devaient la tuer, pour l'empêcher de se retourner contre eux; et la déposante ajouta que la raison pour laquelle elle savait et croyait qu'elles étaient alors des femmes était la grosseur de leur poitrine.
(Cordingly, 64)
Un autre témoin, cette fois un Français parlant par l'intermédiaire d'un interprète, confirme l'habitude de Bonny et Read de changer de vêtements pour la bataille: "lorsqu'elles voyaient un navire, le poursuivaient ou l'attaquaient, elles portaient des vêtements d'hommes, et à d'autres moments, elles portaient des vêtements de femmes" (Ibid).
Les inculpés plaidèrent non coupable aux accusations de piraterie, malgré les preuves évidentes contreeux et les témoignages de non pas un mais plusieurs navires qu'ils avaient pillés. Aucune défense ne fut donnée, et tous furent déclarés coupables. Rackham fut condamné à être pendu, mais Bonny fut peu compatissante et aurait déclaré: "Si vous vous étiez battu comme un homme, vous ne seriez pas pendu comme un chien" (Downie, 193). Comme le voulait la coutume, le corps de Rackham fut suspendu dans une cage pour pourrir à l'air libre, en guise d'avertissement pour ceux qui rêvaient d'une vie de piraterie.
Anne Bonny et Mary Read furent également condamnées à être pendues, mais les deux femmes bénéficièrent d'un sursis en révélant à la cour qu'elles étaient toutes deux enceintes. Les lois de l'époque interdisaient l'exécution d'une femme enceinte - l'enfant à naître, lui, était innocent - et Bonny et Read furent donc temporairement autorisées à vivre. Les deux femmes furent examinées pour s'assurer qu'elles disaient la vérité. Read est enregistrée dans le registre paroissial du district de Sainte Catherine comme étant morte de fièvre dans une prison jamaïcaine en 1721, elle fut enterrée le 28 avril.
On ne sait pas ce qui est arriva ensuite à Bonny, mais il est possible qu'elle se soit échappée de prison ou qu'elle ait été graciée. Quelle que soit la façon dont elle recouvra sa liberté, une légende raconte qu'elle devint la maîtresse de Robert Fenwick. Autre ancien pirate, Fenwick avait autrefois pillé les marchands de la mer Rouge, mais il menait désormais une vie tranquille et confortable dans le château Fenwick, une structure qu'il avait construite près de Charleston, en Caroline du Sud. L'infatigable Bonny s'enfuit alors avec un autre homme, mais fut convaincue de revenir auprès de Fenwick qui veilla à ce que son rival amoureux soit pendu. Une alternative à cette histoire est qu'Anne mourut peut-être morte en Jamaïque en décembre 1733, si une entrée dans les registres paroissiaux notant la mort d'une "Ann Bonny" fait bien référence à l'infâme pirate.
L'Anne Bonny de Daniel Defoe
Anne Bonny fit l'objet d'une biographie aux côtés de nombreux autres pirates dans le célèbre ouvrage de Daniel Defoe, l'Histoire générale des vols et des meurtres des pyrates les plus célèbres, compilé dans les années 1720. L'ouvrage serait l'œuvre d'un certain capitaine Charles Johnson sur la page de titre, mais il s'agit peut-être d'un pseudonyme de Defoe (bien que les spécialistes débattent encore de la question et que Charles Johnson ait pu être un expert pirate réel, bien que totalement inconnu). Mélange de faits et de fiction - sans qu'il soit possible de savoir où l'un rejoint l'autre -, le livre connut un grand succès et définit la manière dont les pirates sont dépeints depuis lors. L'auteur eut manifestement accès à des documents officiels, à des comptes rendus de procès et à des récits journalistiques contemporains, et de nombreuses affirmations se révélèrent exactes lorsqu'elles furent corroborées par des documents historiques. Cependant, il y a aussi d'innombrables exagérations et de pures inventions telles que des conversations privées et des discours apparemment répétés mot pour mot. Il est peut-être significatif que Defoe ait été à la fois journaliste et auteur à succès, c'est-à-dire qu'il savait exactement comment mêler faits et fiction pour obtenir un effet littéraire maximal.
L'émoustillante biographie de Defoe sur la femme pirate nous présente Anne comme née près de Cork en Irlande, fille illégitime d'un avocat et de l'une de ses servantes. Souhaitant garder sa fille illégitime auprès de lui, le père d'Anne l'habilla en garçon et prétendit qu'elle était apprenti clerc. Les circonstances obligent le père d'Anne, la bonne et l'enfant à émigrer en Caroline du Sud où il réussit comme propriétaire de plantation. Anne fut donc bien préparée à une vie confortable, mais elle rejeta cette idée au profit d'une aventure en mer avec le pirate James Bonny. Le couple se maria et s'installa aux Bahamas après avoir été gracié par le gouverneur Rogers. Anne était de nature infatigable et coucha à droite et à gauche avant de s'installer avec Jack Rackham. Elle quitta alors son mari pour poursuivre une vie de crime avec Rackham dans un sloop volé.
Defoe insiste sur le fait qu'Anne trompa l'équipage de Rackham en lui faisant croire qu'elle était un homme, malgré sa grossesse qui nécessita une escale à Cuba. Après Cuba, Mary Read rejoignit l'équipage de Rackham, et Defoe augmente le facteur choquant de son histoire (et teste encore plus la crédibilité de ses lecteurs) en faisant en sorte qu'Anne tente de séduire Read, qui se déguisait également en homme. Apparemment, Anne trouvait que Read était un assez joli garçon, mais Read révèla qu'elle était une femme à Bonny et, pour éviter qu'il ne soit jaloux de l'amitié des deux femmes, également à Rackham. Le reste de l'équipage fut laissé dans l'ignorance du sexe de leur deux compagnons. Bonny fut ensuite capturée, jugée et sauvée de la manière mentionnée ci-dessus, Defoe terminant l'histoire en précisant que ce qu'il advint de Bonny est inconnu, si ce n'est qu'elle ne fut pas exécutée. Comme pour les pirates tels qu'Edward Teach, alias Barbe Noire, le portrait extravagant d'Anne Bonny dressé par Defoe inspirera, colorera et influencera de nombreux auteurs de romans, d'histoires et de films par la suite.