
Ben Jonson (1572-1637) était un poète, dramaturge et critique littéraire anglais, dont l'influence sur la littérature anglaise de la Renaissance pendant l'ère jacobéenne (1603-1625) a été considérée comme seconde après celle de William Shakespeare (1564-1616). Auteur prolifique, Jonson a écrit des centaines de poèmes, de multiples masques, ainsi que plusieurs pièces majeures, principalement des comédies. Parmi ses pièces les plus importantes figurent Every Man in His Humour (1598), Volpone, ou Le Renard (1606), Épicoene, ou la Femme silencieuse (1609), L'Alchimiste (1610) et La Foire de la Saint-Barthélemy (1614).
Jeunesse et aventures
En 1618, Ben Jonson, dans la force de l'âge, entreprit un voyage à pied aller-retour de Londres à l'Écosse. Lors de son séjour à Édimbourg, il vécut pendant deux semaines avec le poète écossais William Drummond d'Hawthornden. Les deux hommes s'appréciaient manifestement l'un l'autre, parlant librement de sujets allant de leur vie personnelle aux potins de la scène littéraire londonienne, et discutant même de leurs opinions sur le roi. Drummond était tellement fasciné par son invité qu'il prit des notes détaillées de leurs entretiens - ne consignant que la version de Jonson de la conversation - et les regroupa par sujet. C'est en grande partie grâce aux notes de Drummond que les chercheurs ont pu se faire une idée des détails de la vie personnelle de Jonson.
Benjamin Jonson vit le jour le 11 juin 1572, à Londres ou dans ses environs. Son père, un protestant, avait perdu ses terres et avait été emprisonné dans le cadre des persécutions religieuses qui eurent lieu sous la reine catholique Marie Ire Tudor (règne de 1553 à 1558). Bien que ces persécutions aient pris fin après l'avènement de la sœur de Marie, la reine protestante Élisabeth Ire d'Angleterre (règne de 1558 à 1603), le père Jonson ne récupéra jamais sa fortune et mourut environ un mois avant la naissance de son fils. Deux ans plus tard, la mère de Jonson se remaria avec un maçon prospère, qui devint maître de la Tilers' and Bricklayers' Company. Enfant, Jonson se montra doué pour les études et, grâce au soutien financier d'un bienfaiteur, il fut envoyé à l'école de Westminster, l'une des plus en vogue du pays. Il y reçut les conseils du célèbre antiquaire William Camden, sous la houlette duquel il excella dans ses études classiques et grammaticales.
Après avoir obtenu son diplôme à Westminster en 1589, Jonson s'inscrivit brièvement au St. John's College de Cambridge, mais ses études furent interrompues lorsque son beau-père le rappella chez lui pour qu'il commence un apprentissage de maçon. Cette vie ne convenait guère à Jonson, qui se porta bientôt volontaire pour l'armée anglaise et fut envoyé combattre les Espagnols dans les Pays-Bas. Jonson se vanterait plus tard d'avoir, au cours de son service militaire, tué un soldat ennemi en combat singulier et d'avoir pris l'optima spolia, c'est-à-dire d'avoir dépouillé l'armure et les armes de son ennemi vaincu en guise de récompense. En 1592, Jonson rentra en Angleterre et finit par trouver du travail en tant qu'acteur dans les Admiral's Men, une troupe qui se produisait au théâtre The Rose - il existe des preuves qu'il joua le rôle de Hieronimo, le personnage principal de la populaire pièce de vengeance de Thomas Kyd, La tragédie espagnole.
À cette époque, Jonson devint un vrai coureur de jupons. Dans ses conversations avec Drummond, il admet avoir souvent été "porté sur la chose" dans sa jeunesse et raconte plusieurs de ses exploits sexuels. Dans un cas précis, il aurait été séduit par une femme mariée à la demande de son mari, qui aurait été " brièvement ravi" par leur liaison. Dans un autre cas, Jonson aurait courtisé une femme qui lui a "montré tout ce qu'il souhaitait" de son corps, mais qui aurait refusé d'aller jusqu'au "dernier acte" (cité dans Wells, 131). Bien qu'il estime que "l'utilisation d'une servante n'est rien en comparaison du dévergondage d'une épouse", Jonson finit par se poser et épouse Anne Lewis en 1594. Leur mariage fut - sans surprise - difficile et ils passèrent plusieurs années séparés avant de se réconcilier pour de bon en 1605. Ils eurent au moins quatre enfants, qui malheureusement ne survivraient pas à leur père.
Début de carrière
Quels qu'aient été ses talents d'acteur, en 1597, Jonson était nettement plus apprécié en tant qu'écrivain. Philip Henslowe, le principal impresario du théâtre public londonien, lui confia fréquemment l'écriture de divertissements rémunérateurs, c'est-à-dire de pièces écrites à la va-vite dans un but purement lucratif. Les dramaturges comme Jonson devaient écrire ces pièces, de l'ébauche au produit final, en quelques semaines. Dans son journal, Henslowe raconte qu'il avait avancé à Jonson une livre sterling début décembre pour écrire une pièce qui devait être jouée à Noël. La première pièce connue de Jonson, The Case is Altered, fut écrite pour Henslowe au début de l'année 1597. Basée sur deux pièces du dramaturge romain Plaute, cette comédie contient "la scène la plus grossièrement scatologique de tout le théâtre élisabéthain", où un vieil avare nommé Jacques (jeu de mots sur le mot anglais "jakes", ou toilettes) cache de l'or dans un tas de fumier avant de demander "qui supposera qu'un nid aussi précieux / est couronné d'un tel excrément de fumier?". (David Riggs, cité dans Wells 133). Ce type d'humour était courant dans les comédies de Jonson.
La même année, Jonson collabora avec un autre dramaturge, Thomas Nashe, pour écrire la pièce controversée Isle of Dogs. La pièce est aujourd'hui perdue, mais il semble qu'il se soit agi d'une satire politique de la cour élisabéthaine - l'"Isle of Dogs" était une bande de terre située en face de Greenwich, où la reine Élisabeth Ier tenait souvent sa cour. La première représentation de la pièce provoqua un scandale majeur et fut condamnée par les autorités comme contenant "des propos très séditieux et calomnieux" (cité dans Wells, 133). Craignant d'être arrêté, Nashe s'enfuit de la ville, mais Jonson ne put partir à temps: il fut arrêté, ainsi que deux des principaux acteurs de la pièce, et emprisonné pendant six semaines. Le Conseil privé de la reine réagit avec force, interdisant toute représentation théâtrale à Londres pendant l'été 1597 et ordonnant que "les théâtres érigés et construits uniquement à cette fin soient démolies" (cité dans Wells, 134). Heureusement pour Jonson - et pour la littérature anglaise - cet édit ne fut pas appliqué et les pièces continuèrent d'être jouées.
Jonson s'attira de nouveaux ennuis l'année suivante, lorsqu'il tua en duel un acteur, Gabriel Spenser. Spenser était l'un des acteurs emprisonnés avec Jonson pour le fiasco de l'Isle of Dogs et, bien que la raison de leur différend soit inconnue, la situation se détériora suffisamment pour que Spenser provoque Jonson en duel en septembre 1598. Jonson dirait plus tard à Drummond que Spenser avait une épée plus longue que la sienne de dix pouces et qu'il avait pu le blesser au bras, mais Jonson avait finalement pris le dessus sur son adversaire et l'avait tué. Pour cela, il fut arrêté, emprisonné et condamné à mort. Mais l'astucieux Jonson évita ce sort en revendiquant le "privilège du clergé", un vide juridique qui accordait la clémence à tout condamné qui pouvait prouver qu'il savait lire et écrire en récitant un verset de la Bible en latin. Bien qu'il ait échappé à la mort, le pouce de Jonson fut marqué d'un "T", ce qui signifie que s'il était arrêté pour un crime similaire, il serait pendu à Tyburn, le lieu de l'exécution publique.
Malgré avoir frôlé la mort de peu, Jonson continua d'écrire. En 1598, il écrivit Every Man in His Humour, une pièce qui popularisa le genre «comédie d'humeur» de la comédie dramatique - ce genre met généralement en scène un ensemble de personnages dont chacun possède un trait dominant, ou « humeur », qui contrôle leurs actions.. Selon Nicholas Rowe, biographe de Shakespeare au XVIIIe siècle, Jonson avait initialement fait jouer cette pièce par les Lord Chamberlain's Men, la troupe d'acteurs avec laquelle Shakespeare écrivait. La troupe était sur le point de rejeter la pièce lorsque Shakespeare lui-même intervint; il "y jeta un coup d'œil et y trouva quelque chose de si bien qu'il le poussa d'abord à la lire en entier, puis à recommander M. Jonson et ses écrits au public" (cité dans Wells, 135). Rowe insiste sur le fait qu'à partir de ce moment, Shakespeare et Jonson étaient des "amis déclarés" - si cela est vrai, la jalousie professionnelle envahit parfois leur amitié, car Jonson était connu pour être critique à l'égard des œuvres de Shakespeare. Néanmoins, Shakespeare aurait joué dans cette production, et les Chamberlain's Men mirent en scène la pièce suivante de Jonson, Every Man Out of His Humour, l'année suivante. Cette comédie, l'une des plus longues écrites pour le théâtre public élisabéthain, ne connut pas la même popularité que la précédente.
Années fastes
En 1601, Jonson s'engagea dans une querelle publique avec les dramaturges John Marston et Thomas Dekker, connue par la suite sous le nom de "guerre des théâtres". Après que Marston eut inclus une référence peu flatteuse à Jonson dans l'une de ses pièces, Jonson se vengea en se moquant de Marston et de Dekker dans ses pièces Cynthia's Revels et Poetaster (toutes deux en 1601). En 1602, Marston et Dekker s'associèrent pour écrire Satiromastix, Or the Untrussing of the Humourous Poet, dans lequel ils fustigèrent à nouveau Jonson. Cette querelle se poursuivit pendant un certain temps et aurait peut-être même pris une tournure physique; Jonson avouerait plus tard à Drummond qu'il "avait eu de nombreuses querelles avec Marston, qu'il l'avait battu et qu'il lui avait pris son pistolet". Toutefois, étant donné que Jonson collaborerait plus tard avec Marston, certains spécialistes soupçonnent que la "guerre des théâtres" n'était guère plus qu'un coup de publicité destiné à rehausser le profil des trois dramaturges.
En 1603, la reine Élisabeth mourut et le roi Jacques Ier d'Angleterre (règne de 1603 à 1625) monta sur le trône. Dans l'espoir de gagner les faveurs du nouveau monarque, Jonson se tourna vers l'écriture de masques, c'est-à-dire une forme de divertissement de cour impliquant le chant, la danse et le jeu d'acteur. Le premier de ses masques, The Entertainment at Athorp, fut joué devant la nouvelle reine en 1603 alors qu'elle arrivait d'Écosse, tandis qu'un autre, The Masque of Blackness, fut joué devant la cour royale en 1605. En 1605, il collabora avec George Chapman et John Marston pour écrire Eastward Ho, qui contient plusieurs blagues aux dépens du roi. Pour ce délit, Jonson, Chapman et Marston furent emprisonnés et menacés de se faire couper les oreilles et le nez. À ce stade, cependant, Jonson avait accumulé plusieurs mécènes influents, qui purent intervenir avec succès en sa faveur, et les trois dramaturges furent libérés. L'année suivante, Jonson dut se présenter devant le tribunal du consistoire à Londres pour expliquer son manque de participation à l'Église anglicane. Dans le sillage du complot de la poudre de 1605, cela aurait pu être grave, d'autant plus que Jonson avait été secrètement catholique pendant les douze années précédentes. Mais Jonson réussit à obtenir une peine moins sévère et ne fut condamné qu'à une amende de 13 shillings.
Malgré ces pépins, Jonson continua à gagner les faveurs de la cour, écrivant de nombreux masques pendant toute la durée du règne du roi Jacques. Les masques nécessitant des décors élaborés, il travaillait souvent avec l'illustre architecte et concepteur de théâtre Inigo Jones - leurs relations de travail, bien que productives, étaient également assez houleuses. L'ère jacobéenne semble également avoir été la période la plus fructueuse de la carrière de dramaturge de Jonson; en huit ans, il écrivit ses meilleures comédies, dont Volpone (1606), La Femme silencieuse (1609), l'Alchimiste (1610) et La Foire de la Saint-Bathélémy (1614). Chacune de ces œuvres examine un aspect du vice humain, toujours exagéré à des fins comiques; Volpone, par exemple, fait la satire de la cupidité et de la luxure, les personnages étant nommés d'après des animaux. Ces comédies furent bien accueillies, tant du vivant de Jonson que dans les décennies qui suivirent sa mort. Elles sont réputées pour leurs dialogues pleins d'esprit, leur excellente utilisation de la caractérisation et leurs intrigues serrées. Ses pièces sur l'histoire romaine, Sejanus, His Fall (1603) et Catilina (1611), qui étaient considérées comme trop pédantes, eurent moins de succès - les acteurs de la première représentation de Sejanus auraient apparemment été hués par le public du Globe Theatre en 1603.
Avec l'âge, Jonson se préoccupa de plus en plus de son héritage. En 1616, il compila ses pièces dans un folio intitulé The Works of Benjamin Jonson, dans lequel ses œuvres sont présentées comme s'il s'agissait d'anciens classiques. Au cours de la publication de ce volume, Jonson apporta des modifications à ses pièces et exclut entièrement certains manuscrits qui ne correspondaient pas à ses critères. Jonson devint ainsi le premier dramaturge anglais à publier un recueil de ses propres œuvres de son vivant (à titre de comparaison, le premier recueil officiel des œuvres de Shakespeare ne fut publié qu'en 1623, sept ans après sa mort). La même année, Jonson se vit accorder une pension royale en reconnaissance de ses réalisations littéraires, ce qui a fait de lui le premier poète officiel d'Angleterre. Ainsi, lorsque Jonson effectua sa tournée en Écosse en 1618 et s'entretint avec Drummond, il était à l'apogée de sa carrière, une célébrité en matière d'écriture théâtrale.
Dernières années et héritage
Après la publication de son folio, Jonson se remit à écrire des pièces de théâtre. Sa comédie The Devil is an Ass fut jouée en 1617 par les King's Men (nom alors donné aux Chamberlain's Men), bien qu'elle soit souvent considérée comme de moindre qualité que les œuvres précédentes de Jonson. En effet, ses dernières pièces des années 1620 et 1630 - notamment The Staple of News (1626), The New Inn (1629) et A Tale of a Tub (1633) - ne furent généralement pas bien accueillies et furent qualifiées de "radotages" par le critique littéraire John Dryden. Jonson continua d'écrire des masques pour la cour jacobéenne, le dernier ayant été écrit pour les célébrations de Twelfth Night en 1625. Mais après l'avènement du roi Charles Ier d'Angleterre (règne de 1625 à 1649), la popularité de Jonson à la cour royale déclina et on fit de moins en moins appel à lui pour écrire de nouvelles masques. La vie personnelle de Jonson fut également marquée par la malchance à cette époque. En 1623, sa bibliothèque fut détruite dans un incendie et, en 1628, il subit une série d'attaques cérébrales qui le clouèrent au lit. En 1634, il reçut une nouvelle pension royale, mais il était déjà à la retraite. Il mourut le 6 août 1637 à l'âge de 65 ans, deux pièces de théâtre inachevées ayant été découvertes parmi ses papiers. Il est enterré à l'abbaye de Westminster.
Dès sa mort, Jonson fut reconnu comme l'un des dramaturges les plus importants des 40 dernières années. Il avait inspiré une nouvelle génération de dramaturges - qui se nommaient eux-mêmes les Fils de Ben - et ses pièces continuaient d'être jouées régulièrement. En 1640, un deuxième folio révisé des œuvres complètes de Jonson fut publié à titre posthume, incluant une série de notes qu'il avait rédigées et intitulées Timber, or Discoveries. Jonson y consigne quelques-unes de ses réflexions sur Shakespeare, dont la célèbre phrase: "Je me souviens que les joueurs ont souvent mentionné comme un honneur pour Shakespeare le fait que, dans son écriture, il n'a jamais effacé une ligne. Ma réponse a été: 'Si seulement il en avait effacé un millier'" (cité dans Wells, 161). Mais malgré cette critique, Jonson poursuit en disant: "J'aimais cet homme et j'honore sa mémoire - par-delà l'idolâtrie - autant que n'importe qui d'autre"(ibid).
C'est Jonson, bien sûr, qui dit que Shakespeare n'était "pas d'un âge, mais pour tous les temps", une affirmation qui ne s'avèrerait que trop vraie, au détriment de l'héritage de Jonson. Dans les décennies qui suivirent la mort de Jonson, son œuvre était tenue en égale considération de celle de Shakespeare; mais au fil du temps, le style de comédie satirique de Jonson est tombé en désuétude, tandis que l'intemporalité des œuvres de Shakespeare garantissait qu'elles étaient constamment jouées et réinterprétées. Bien que Jonson ait été éclipsé par Shakespeare depuis le XIXe siècle, son influence ne doit pas être sous-estimée. Après tout, Jonson a écrit de nombreuses pièces et poèmes à succès, influençant des écrivains tels que John Milton et Jonathan Swift. Comme le dit l'universitaire Stanley Wells, Jonson reste "à la fois l'un des personnages les plus fascinants et les plus complexes et l'homme de lettres le plus complet de toute la littérature britannique" (166).